La lettre juridique n°416 du 11 novembre 2010

La lettre juridique - Édition n°416

Éditorial

Réquisitions et droit de grève : quand Voltaire se heurte au seuil de tolérance des Français et aux intérêts vitaux de la Nation

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N5610BQT

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


On glose beaucoup sur le bilan en demi-teinte du "Grenelle de l'environnement", au point que certains l'accusent d'être "devenu un simple label". Le ministre de l'Ecologie s'est, en effet, vu remettre, le 2 novembre 2010, un rapport d'évaluation sur le premier "Grenelle" orchestré il y a trois ans. Et, nombre d'associations écologistes ont dénoncé la "communication mensongère" du Gouvernement et ont publié un contre-bilan. "Le Grenelle a été l'occasion de beaucoup d'annonces mais de très peu de mises en oeuvre", dénonce, ainsi, Stéphen Kerckhove, délégué général de l'association Agir pour l'environnement et auteur du livre Grenelle de l'environnement, l'histoire d'un échec (cf. Le Monde du 2 novembre 2010). Alors, chacun fait le décompte. Ainsi, 258 objectifs du "Grenelle de l'environnement" ont été évalués en fonction de leur degré d'avancement : 10 sont à redéfinir totalement, 52 méritent d'être réorientés, 157 sont en bonne voie et 48 sont déjà mis en oeuvre. Le rapport d'évaluation, présenté par le cabinet Ernst and Young et les membres du comité d'évaluation, précise que l'agriculture durable est concernée directement ou indirectement par une cinquantaine d'objectifs sur les 258. 35 sont en phase de réalisation, 4 sont réalisés, 10 doivent être réorientés et deux, enfin, sont carrément en suspens. Et, le rapport de souligner la réconciliation de la biodiversité et l'agriculture, avancée notable du Grenelle, "même si certains auraient souhaité qu'elle puisse être opposable aux tiers", c'est-à-dire qu'elle soit d'une valeur juridique permettant de contester son non-respect ; de constater une surchauffe sur l'éolien et le photovoltaïque, les objectifs fixés pour 2020 étant en passe d'être atteints dès 2011 ; de tirer la sonnette d'alarme sur la nécessité d'une remobilisation ou d'une réorientation pour "développer l'étiquetage environnemental et social des produits"...

60 % de réussite, selon le Gouvernement, 40 % selon les syndicats : et si l'évidente preuve d'un tassement et d'un relatif échec ou relatif succès du "Grenelle de l'environnement" -selon que vous voyez le verre à moitié vide ou à moitié plein- ne résidait, tout simplement, pas dans une autre actualité environnementale : la réquisition de salariés grévistes de plusieurs sites pétroliers. Mieux : la confirmation par le juge de la décision de réquisition prise par le préfet, comme à travers cette ordonnance de référé du Conseil d'Etat, rendue le 27 octobre 2010, estimant qu'est justifiée la réquisition de grévistes, salariés d'un site pétrolier, en raison de l'existence d'un risque pour le maintien de l'ordre public, la pénurie croissante d'essence et de gazole en Ile-de-France menaçant le ravitaillement des véhicules de services publics et de première nécessité, et de l'épuisement du stock de carburant de l'aéroport Roissy Charles-de-Gaulle. Le juge administratif a mesuré le caractère nécessaire et proportionné de la réquisition par l'absence d'autres solutions disponibles et aussi efficaces, et a conclu à l'absence d'atteinte manifestement illicite à l'exercice du droit de grève.

En clair, l'approvisionnement d'essence des particuliers, comme celui des entreprises, relève des intérêts stratégiques de la Nation et ces réquisitions mettent en exergue, d'une part, la dépendance énergétique, notamment pétrolière, de la France et, d'autre part, le peu de foi environnementaliste des Français ; ces deux phénomènes concluant, surtout, à l'atteinte d'un seuil de tolérance citoyenne, au sens lockien du terme.

L'indépendance énergétique d'un pays est, sans nul doute, le combat géostratégique des cinquante prochaines années : le développement du nucléaire civil en fut la tête de proue, dès les années 1960. Cette indépendance traduit la capacité de ce pays à satisfaire ses besoins d'énergie en maîtrisant les sources de production, les canaux d'approvisionnement et les techniques de valorisation des différentes formes d'énergie, selon les définitions les plus communes.

Pour ce qui concerne les sources de production, même en matière d'électricité, la France recourt aux importations et il n'est nul besoin de s'étendre sur la dépendance pétrolière et charbonnière -après avoir fermé les bassins houilleux- de l'hexagone. Quant à la valorisation des différentes formes d'énergie, la France est pionnière dans la pétrochimie, par exemple : le savoir-faire tricolore n'est plus à démontrer. Pour les canaux d'approvisionnement, la France peut, également, s'enorgueillir d'abriter l'une des plus importantes compagnies pétrolières du monde ; et ce n'est évidemment pas un hasard... Il n'est donc pas sophistique de dire que l'approvisionnement et la distribution du pétrole constituent un maillon de l'indépendance énergétique du pays auquel même le puissant et constitutionnel droit de grève ne peut contrevenir impunément. Le gaz naturel, l'énergie nucléaire, l'énergie éolienne, le bois, le biogaz, la géothermie, l'énergie solaire photovoltaïque ou thermique : tout cela, c'est bien gentil, mais 96 % des transports mondiaux dépendent du pétrole ! Alors, même les Français, si prompts à faire oeuvre de pédagogie auprès du reste du monde, hésitent à enfourcher leurs bicyclettes ou à emprunter le train (locomotion électrique dépendant à 80 % de l'énergie nucléaire).

Jusqu'à présent les réquisitions des salariés grévistes, depuis la loi sur la sécurité intérieure du 18 mars 2003, n'avaient été ordonnées, par les préfets, que pour prévenir les risques médicaux et sanitaires. C'est donc la première fois -ou presque, nous y reviendrons- que des réquisitions validées par le juge administratif concernent l'approvisionnement énergétique. Mais, si l'on considère les lois sur le service minimum chargées d'opérer un certain équilibre entre l'intérêt collectif et le droit de grève dans les transports en commun ou dans les écoles, on s'aperçoit que, paradoxalement, les Français sondés, se montrant souvent tolérants envers les actions de grève voire compréhensifs, la majorité des urnes plébiscite, elle, l'encadrement de plus en plus strict du droit de grève, malgré son Haut statut constitutionnel : c'est qu'en disposant, dans le Préambule de la Constitution de 1946, que "le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent", ce droit porte en lui sa contrariété. Les lois sur le service minimum en sont l'expression la plus connue, celle sur les réquisitions préfectorales (Code général des collectivités territoriales, art. L. 2215-1), désormais, la plus médiatique.

La tolérance, du latin tolerare qui signifie "supporter", désigne la capacité à accepter ce que l'on désapprouve, c'est-à-dire ce que l'on devrait normalement refuser. En effet, l'on sait, d'après John Locke, qu'il s'agit, dès lors, de "cesser de combattre ce qu'on ne peut changer". Et les moralistes d'associer la notion de tolérance à celle absolue de bien et de mal : combattre le mal engendrerait un mal encore plus grand. Ici, combattre le droit de grève engendrerait une atteinte intolérable aux libertés fondamentales et sociales. Or, que Voltaire est loin en ce XXIème siècle : "Je ne suis pas d'accord avec [votre grève], mais je me battrai jusqu'au bout pour que vous puissiez [exercer votre droit]", n'est plus vraiment la citation préférée des Français, au seuil de tolérance, désormais, entamé par la multiplication passée des conflits sociaux, le corporatisme éternel, et une crise économique qui modifie, quelque peu, les priorités sociales de la majorité des concitoyens...

"Toute tolérance devient à la longue un droit acquis" écrivit Georges Clemenceau dans Au soir de la pensée... Ce droit de grève que l'on croyait acquis, car protégé par le sceau constitutionnel, est certes en danger, aujourd'hui, du moins dans sa conception absolutiste telle qu'elle a prédominé pendant près de cinquante ans. Mais, si "la tolérance est une vertu nécessaire à l'établissement d'une société juste", John Rawls, dans Une Théorie de la justice, nous interpelle brutalement : "doit-on tolérer les intolérants ?" Ramené à notre affaire, la Nation doit-elle tolérer, plus que de raison, l'expression du mécontentement, par l'exercice du droit de grève, de ceux qui ne tolèrent pas la voix de la majorité démocratique ? Rawls y répond positivement : ne pas les tolérer serait intolérant et serait donc une injustice ; mais il milite pour la "tolérance mutuelle" : la tolérance de ceux qui exercent le droit de grève et de ceux dont la locomotion par l'énergie pétrolière est impérative. C'est sans doute cette "tolérance mutuelle" que le Haut conseil est en charge de promouvoir, suivant la lettre de la loi sur les réquisitions, suivant l'esprit des libertés sociales des grévistes...

En 1963, le Général-Président avait renoncé à la réquisition des "gueules noires", estimant pourtant le secteur énergétique houilleux comme stratégique pour la France et ne comprenant pas pour quelles raisons les miniers s'inquiétaient pour leur avenir et leur reconversion. Mais, la résistance de Léon Delfosse l'avait fait reculer. Aujourd'hui, certes le dirigeant historique de la CGT n'est plus... Il semble qu'il importe peu d'arborer deux étoiles et d'être sacré "Père de le victoire" pour faire plier les grévistes... Ou encore : le seuil de tolérance, cher Voltaire, le seuil de tolérance...

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Commercial

[Manifestations à venir] Conférence sur la sous-traitance

Lecture: 1 min

N5616BQ3

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Le 04 Janvier 2011

Elément clé de la compétitivité de nos entreprises, la qualité des relations entre clients et fournisseurs est essentielle au développement de notre tissu économique, notamment industriel. Que ce soit en termes de positionnement stratégique ou de capacité à innover, les entreprises mesurent tous les jours combien la création de valeur est dépendante de l'état de leurs relations avec leurs partenaires. Dans ce contexte, les Etats généraux de l'industrie ont largement souligné l'acuité des tensions entre clients et fournisseurs et les effets néfastes des relations déséquilibrées. Pour y remédier, les pouvoirs publics ont décidé de mettre en place un dispositif original en instituant la Médiation des relations inter-entreprises industrielles et de la sous-traitance. Pour en savoir plus, l'Institut de la gestion publique et du développement économique (IGPDE), le médiateur des relations inter-entreprises industrielles et de la sous-traitance et la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME) organisent, le 24 novembre 2010, une conférence sur la sous-traitance, en présence de Christian Estrosi, ministre chargé de l'Industrie.
  • Programme

14h00-14h20 : Accueil et discours d'ouverture

Jean-François Roubaud, président de la CGPME
Jean-Claude Volot, médiateur national inter-entreprises industrielles et de la sous-traitance

14h20-14h25 : Introduction par Arnaud Fleury, animateur et journaliste économique

14h25-15h10 : Les grandes problématiques relatives aux relations clients/fournisseurs - Constats et témoignages

- Thème 1 : Réhumaniser les relations entre clients et fournisseurs
Témoignage : Alain Zedda, président du directoire, APTE

- Thème 2 : L'indépendance des PME
Bruno Jarrosson, consultant de stratégie PME
Témoignage : Gilles Penet, président, OPS

- Thème 3 : La responsabilité des leaders de filières
Jean-François Dehecq, président d'honneur, Sanofi-Aventis
Témoignage : Claude Cham, président, Fédération des industries des équipements pour véhicules, FIEV

15h10-16h10 : Les bonnes relations partenariales clients/fournisseurs au coeur de la compétitivité - Table ronde présidée par Pierre Pelouzet, président, CDAF

- Thème 1 : De bonnes relations partenariales pour une croissance partagée
Marc Ventre, directeur général, Propulsion Aéronautique et Spatiale, Safran
René Nantua, président, Thésame
Bernard Brasey, directeur d'achat, PSA
Karim Zeribi, président, RTM

- Thème 2 : La Charte des bonnes pratiques
Pierre Pelouzet, président, CDAF

16h10-16h30 : Session questions/réponses avec la salle

16h30-16h45 :  Pause

16h45-17h30 : L'évolution de l'environnement et du cadre juridique  - Table ronde présidée par un membre du cabinet Francis Lefebvre

- Thème 1 : Créer un environnement favorable à la croissance
Thierry Charles, docteur en droit, directeur des Affaires Juridiques d'Allizé-Plasturgie

- Thème 2 : Améliorer le cadre juridique : les conclusions du rapport "Volot"
Emmanuel Sartorius, ingénieur général des Mines

- Thème 3 : Faire évoluer le dispositif réglementaire : quelques propositions
Frédéric Grivot, président, Union nationale des PME de l'industrie, CGPME

17h30-17h45 :  Donner du sens à l'industrie humaine
Pierre-Henri Tavoillot, philosophe, écrivain

17h45-18h30 : Conclusions et discours de clôture
René Ricol, commissaire général à l'investissement
Christian Estrosi, ministre chargé de l'Industrie

18h30 : Cocktail offert par l'IGPDE

  • Date

Mercredi 24 novembre 2010
14h00-18h30

  • Lieu

Ministère de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi
Ministère du Budget des Comptes publics et de la Réforme de l'Etat
Centre de conférences Pierre Mendès-France
139, rue de Bercy - 75012 Paris

  • Inscriptions/Contacts

La participation à cette conférence est gratuite sous réserve d'inscription préalable en ligne sur le site de l'IGPDE.
Contact : evenements-deveco.igpde@finances.gouv.fr

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Rel. collectives de travail

[Questions à...] La réquisition, atteinte disproportionnée au droit de grève ? - Question à Fabienne Leconte, avocate au Barreau de Nantes

Lecture: 5 min

N5605BQN

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par Grégory Singer, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 04 Janvier 2011

La France a connu, ces derniers temps, de fortes journées de mobilisation collective durant le processus législatif de la réforme des retraites. Face à une situation de pénurie d'essence dans les stations service, les préfets ont multiplié les réquisitions de salariés des sites pétroliers au grand dam des syndicats. Le tribunal administratif de Nantes, dans un jugement en date du 22 octobre 2010 (1), a estimé que ladite réquisition ne portait pas une atteinte illégale au droit de grève. Le 27 octobre 2010, le juge des référés du Conseil d'Etat a, également, rejeté la demande de suspension d'un autre arrêté préfectoral procédant à la réquisition d'une partie des salariés d'un site pétrolier des Yvelines (2). Afin de faire le point sur cette limite à l'exercice du droit constitutionnel de grève, Lexbase Hebdo - édition sociale a rencontré, cette semaine, Maître Fabienne Leconte, avocate au Barreau de Nantes, représentant les salariés réquisitionnés du dépôt pétrolier de Nantes. Lexbase : En quoi la réquisition des salariés du dépôt pétrolier porte une atteinte grave et manifestement illicite au droit de grève ?

Fabienne Leconte : Tout d'abord, je me dois de vous répondre que le tribunal administratif de Nantes a estimé, dans son jugement, que les réquisitions contestées ne portaient pas une atteinte illégale au droit de grève.

Ce n'est pas mon opinion. Je considère et m'appuie en cela, notamment, sur un arrêt du Conseil d'Etat de 2003 (CE 1° et 2° s-s-r., 9 décembre 2003, n° 262186 N° Lexbase : A4691DAY), selon lequel le droit de grève, constitutionnellement reconnu, ne peut subir d'atteinte que proportionnelle et subsidiaire, dans la mesure où un intérêt d'ordre public est en jeu. Ce qui signifie que tous les autres moyens ont été mis en oeuvre pour maintenir l'ordre public.

Or, les réquisitions litigieuses ne respectaient pas ces deux limites.

L'atteinte portée n'est pas subsidiaire : l'Etat n'a, à aucun moment du conflit, mis en place quelque mesure que ce soit pour restreindre l'accès aux stations services, seulement, aux véhicules prioritaires, par le biais de réquisition. Il a laissé la pénurie, ou la crainte de la pénurie, s'installer, pour contraindre, ensuite, des salariés grévistes à se rendre sur leur lieu de travail pour charger des camions. Or, ces véhicules étaient destinés à ravitailler des stations qui, elles-mêmes, non réquisitionnées, ravitaillaient tout client qui se présentait.

Dès lors qu'elle n'est pas subsidiaire, l'atteinte ne peut pas être proportionnée. Une atteinte proportionnée serait celle qui consisterait à réquisitionner des grévistes pour charger des camions à destination unique de véhicules prioritaires. Il est à noter qu'une telle réquisition aurait été parfaitement inutile, les grévistes ne s'étant, à aucun moment, opposés au chargement, et à travailler pour le chargement, dans une telle optique.

Un des critères de la proportionnalité est la notion de service minimum : les réquisitions ne peuvent avoir pour effet de rétablir un fonctionnement normal de l'entreprise. Dans ces dossiers, cet argument a été balayé, au motif qu'il existait un besoin urgent, et que le critère était donc la satisfaction de ce besoin, quel que soit l'effectif nécessaire.

Mais, si la subsidiarité avait été respectée, un effectif minimum aurait été suffisant, le ravitaillement ne concernant alors que les véhicules prioritaires.

Lexbase : Le tribunal a retenu la nécessité de maintenir un effectif suffisant pour garantir la sécurité et la continuité du fonctionnement de certaines professions médicales et para-médicales. Est-ce que le préfet a suffisamment étayé ce risque ?

Fabienne Leconte : Je ne le pense pas, mais là encore mon argumentaire a été contredit par le tribunal administratif.

La Préfecture produisait aux débats un certain nombre de courriers de profession de santé faisant état de difficultés d'approvisionnement, et demandant, plusieurs jours avant les réquisitions, de leur délivrer des cartes de véhicules prioritaires, et de leur transmettre la liste des stations essence réquisitionnées. Les termes de ces courriers démontraient la pertinence des arguments développés sur la subsidiarité.

Lexbase : Pour vous, cette réquisition se heurte également au principe de sécurité relatif aux transports des marchandises ?

Fabienne Leconte : Au transport de marchandises dangereuses, oui. Dans la mesure où le dépôt de Donges (44) était réquisitionné, par la Préfecture, au même titre que ses salariés, je pense qu'il appartenait à cette dernière de s'assurer que tous, salariés et clients, évoluaient de façon sécurisée. Même une urgence sanitaire n'autorise pas à utiliser des procédures de sécurité dégradées, sous peine de s'exposer et/ou d'exposer autrui à une catastrophe. La décision du Préfet se heurte, ici, à un principe fondamental, que précisément elle était, normalement, destinée à assurer. La sécurité du site n'était pas assurée.

Les dispositions de l'article 6, paragraphe 2, de l'arrêté du 29 mai 2009, relatif aux transports de marchandises dangereuses par voies terrestres dit "arrêté TMD" (N° Lexbase : L2910IN4), sont, en effet, violées. Ce texte prévoit, sous peine de sanctions pénales, la mise en place d'un conseiller à la sécurité, qui doit être déclaré à la DREAL (Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement). Or, il n'existe aucun conseiller de ce type au sein du dépôt.

Par ailleurs, il n'existait pas de protocole de sécurité avec les transporteurs venant s'approvisionner durant les réquisitions. Normalement, les transporteurs, pénétrant sur le site, signent un protocole de sécurité pour le chargement. Durant la grève, les chargements se sont faits en dehors de tout protocole de sécurité, ce qui mettait gravement en péril la sécurité du site.

Enfin, une file de 200 camions voire, parfois plus, stationnait sur le bas côté de la route, sur un pipeline qui, évidemment, n'est pas calculé pour supporter une telle masse. Il a fallu, sur ce point, que l'Inspection du travail se déplace sur site pour interdire un tel stationnement.

Lexbase : Le juge des référés a conclu à l'absence d'atteinte manifestement illicite à l'exercice du droit de grève dans une ordonnance du 27 octobre 2010 (3) pour des faits, semblant, similaires à la réquisition du dépôt de Donges (4). Qu'en pensez-vous ?

Fabienne Leconte : Nous assistons à une interprétation extensive de l'article L. 2215-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8592HW7). Y est mentionnée la possibilité de réquisitionner pour le préfet, lorsqu'une "atteinte [est] constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques". Le maintien de l'activité économique n'est pas mentionné dans ce texte. Le Conseil d'Etat, pourtant, a validé l'arrêté contesté, notamment pour ce motif. Le véhicule automobile est devenu un besoin essentiel, dont acte. Nous constatons, surtout, qu'il n'y a pas eu d'anticipation de cette situation de pénurie par la réquisition des stations services.

Enfin, il est à souligner un problème d'accessibilité au juge et, plus particulièrement, au Conseil d'Etat par la brièveté des arrêtés. Sur Nantes, nous n'avons pas pu interjeter appel, malgré la volonté du syndicat, contre le jugement du tribunal administratif : nous nous serions exposés à un risque de non lieu à statuer, le délai de réquisition étant arrivé à terme. 

(1) TA Nantes, 22 octobre 2010, n° 1007766 (N° Lexbase : A7796GCQ). Dans cette affaire, quatre salariés avaient été réquisitionnés aux fins d'effectuer les tâches nécessaires au fonctionnement du dépôt, sous l'autorité et suivant les instructions de leur employeur. Ils estimaient que cette réquisition portait une atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève.
(2) CE référé, 27 octobre 2010, n° 343966, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8011GCP).
(3) CE, référé, 27 octobre 2010, préc.
(4) Dans cette affaire, le préfet des Yvelines avait réquisitionné une partie des salariés grévistes d'un site pétrolier sur le fondement des pouvoirs conférés aux préfets et énoncés à l'article L. 2215-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8592HW7). Cet arrêté était motivé à la suite des difficultés d'approvisionnement de l'aéroport Roissy Charles-de-Gaulle et des livraisons minimales dans les stations-service du département des Yvelines. Le syndicat X et plusieurs salariés réquisitionnés ont demandé la suspension de l'exécution de l'arrêté dans le cadre de la procédure dite de "référé-liberté" (CJA, art. L. 521-2 N° Lexbase : L3058ALT), cette réquisition caractérisant une atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève. Le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a rejeté cette demande, estimant que malgré la limitation de l'exercice du droit de grève, la réquisition n'était pas entachée d'une illégalité manifeste. Le syndicat et le salarié avaient fait appel de cette décision devant le juge des référés au Conseil d'Etat.

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Droit disciplinaire

[Jurisprudence] Le contenu précisé du règlement intérieur en matière de discipline

Réf. : Cass. soc., 26 octobre 2010, n° 09-42.740, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6143GCI)

Lecture: 8 min

N5635BQR

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par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 04 Janvier 2011

En vertu de son pouvoir disciplinaire, l'employeur a la faculté de sanctionner un salarié qui commettrait une faute dans le cadre de la relation de travail. De nombreux aspects de ce pouvoir doivent être formalisés par le règlement intérieur de l'entreprise. Pour autant, le rôle du règlement intérieur en la matière demeurait jusqu'ici relativement flou, l'employeur pouvant, notamment, recourir à des sanctions qui n'étaient pas explicitement stipulées par l'acte. La Chambre sociale de la Cour de cassation, par un arrêt important rendu le 26 octobre 2010, revient sur le contenu du règlement intérieur en matière de discipline et, spécialement, de sanctions (I). Elle apporte d'importantes précisions à cette matière, lesquelles impliquent, désormais, que l'absence de prévision de la faculté de prononcer une mise à pied disciplinaire prive l'employeur du recours à cette sanction (II). A cette règle générale, la Chambre sociale ajoute que la mise à pied dont la durée maximale n'a pas été précisée par le règlement est illicite (III).
Résumé

Cass. soc., 26 octobre 2010, n° 09-42.740, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6143GCI)

Dès lors que le règlement intérieur fixe les règles générales et permanentes relatives à la discipline, notamment la nature et l'échelle des sanctions que peut prendre l'employeur, une sanction ne peut être prononcée contre un salarié que si elle est prévue par ce règlement intérieur. En outre, une mise à pied prévue par le règlement intérieur n'est licite que si ce règlement précise sa durée maximale.

Commentaire

I - Le rôle joué par le règlement intérieur en matière de sanctions disciplinaires

  • Règlement intérieur : généralités

Le règlement intérieur, lointain descendant des règlements d'atelier du XIXème siècle, est une norme patronale à laquelle on attache généralement la qualification d'acte réglementaire de droit privé (1).

Adopté unilatéralement par l'employeur, après consultation des représentants du personnel et contrôle de l'inspection du travail, le règlement intérieur comporte un objet précisément défini à l'article L. 1321-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1837H9W). Ainsi, le règlement comporte "exclusivement [...] les mesures d'application de la réglementation en matière de santé et de sécurité dans l'entreprise, les conditions dans lesquelles les salariés peuvent être appelés à participer, à la demande de l'employeur, au rétablissement de conditions de travail protectrices de la santé et de la sécurité des salariés, dès lors qu'elles apparaîtraient compromises" et, surtout, "les règles générales et permanentes relatives à la discipline, notamment la nature et l'échelle des sanctions que peut prendre l'employeur".

  • Règlement intérieur : dispositions relatives à la discipline

La détermination du contenu du règlement intérieur relatif à la discipline a régulièrement fait difficulté, principalement en raison du caractère flou et mal déterminé de la notion de discipline. En effet, quoique l'énumération de l'article L. 1321-1 du Code du travail soit considérée comme limitative (2), il était parfois jugé que ce caractère limitatif n'était que d'apparence, "la notion d'hygiène et de sécurité comme celle de discipline laissant une grande marge de manoeuvre au chef d'entreprise" (3).

Le caractère limitatif impliquait, en tous les cas, qu'aucune disposition étrangère au domaine du règlement intérieur ne puisse utilement y figurer. Outre les mesures de nature discriminatoire (4) ou les sanctions pécuniaires prohibées par le Code du travail (5), il n'était donc, généralement, pas admis que des dispositions ressortissant d'autres domaines que l'hygiène et la sécurité et à la discipline puissent y être intégrées (6).

Si le caractère limitatif semblait donc interdire que des dispositions complémentaires soient prévues par le règlement, il n'était, en revanche, pas expressément prévu que ce dernier doive nécessairement comporter toutes les mesures relatives à la discipline, la jurisprudence considérant ainsi que des sanctions disciplinaires qui n'avaient pas été envisagées par le règlement pouvaient malgré tout être adoptées par l'employeur, par simple effet de son pouvoir de direction dont découle son pouvoir disciplinaire (7). Plus spécialement, la mise à pied était jugée comme constituant "une sanction inhérente au pouvoir disciplinaire de l'employeur" (8).

Le caractère mal assuré du contenu disciplinaire du règlement intérieur était encore accentué par la rareté des décisions précisant les conditions particulières entourant telle ou telle sanction. En effet, rares sont les décisions à s'être prononcées sur le degré de précision nécessaire du règlement en matière de sanctions. Ce sont ces questions qui faisaient l'objet de l'arrêt rendu par la Chambre sociale le 26 octobre 2010.

  • En l'espèce

Un salarié avait été sanctionné par une mise à pied d'une durée de 5 jours ouvrés en raison de propos diffamatoires tenus à l'encontre de l'employeur. Il contesta la sanction devant les juridictions du fond. La cour d'appel de Rennes, saisie de l'affaire, refusa d'annuler la sanction, jugeant que le silence du règlement intérieur, qui ne limitait pas la durée d'une éventuelle mise à pied, ne constituait pas un obstacle à la licéité de la sanction. Les juges de Rennes prenaient, pour argument, qu'une telle sanction était inhérente au pouvoir disciplinaire de l'employeur, lequel a la faculté, en l'absence de dispositions restrictives du règlement intérieur ou d'une convention collective, d'en faire usage sous le contrôle du juge judiciaire (9).

Cette décision est cassée par la Chambre sociale de la Cour de cassation. L'arrêt revêt tous les atours d'une décision recouverte de la plus grande solennité. Il fait l'objet d'une large publicité (P+B+R+I) et est accompagné, comme cela est de coutume dans cette situation, d'un communiqué de presse publié sur le site de la Cour de cassation (10). L'arrêt comporte également un double chapeau qui, à lui seul, renferme toute l'argumentation de la Chambre sociale. Ainsi, la Cour de cassation juge que "dès lors que le règlement intérieur fixe les règles générales et permanentes relatives à la discipline, notamment la nature et l'échelle des sanctions que peut prendre l'employeur, une sanction ne peut être prononcée contre un salarié que si elle est prévue par ce règlement". A l'énoncé de cette règle générale, la Chambre sociale ajoute que la "mise à pied prévue par le règlement intérieur n'est licite que si ce règlement précise sa durée maximale".

II - La prévision impérative des sanctions disciplinaires à la disposition de l'employeur

  • Le caractère impératif de l'échelle des sanctions

La Chambre sociale rappelle donc la règle instituée par l'article L. 1321-1 du Code du travail en matière de discipline, à savoir que le règlement intérieur "fixe" la nature et l'échelle des sanctions que peut prendre l'employeur. Si le texte n'a pas changé, les Hauts magistrats lui font pourtant produire un effet radicalement différent. En effet, toute la puissance du présent de l'indicatif auquel est conjugué le verbe fixer est déployée. Si l'employeur ne prévoit pas la mise à pied comme pouvant constituer une sanction disciplinaire dans l'entreprise, une telle sanction ne pourra être prononcée contre un salarié.

L'argumentation engagée par les termes "dès lors que le règlement intérieur fixe [...]" ne doit pas tromper. Il ne s'agit nullement de permettre à l'entreprise d'utiliser la sanction disciplinaire absente du règlement lorsqu'aucune mesure de celui-ci ne porte sur la discipline dans l'entreprise ce qui, au demeurant, paraît assez improbable. Il semble plutôt que la formule ménage une exception pour les entreprises ne comportant pas de règlement intérieur parce que la loi ne leur impose pas, ces entreprises demeurant utilement libres de recourir à la mise à pied disciplinaire (11).

  • Une exigence de sécurité juridique

La règle nouvelle paraît en parfaite harmonie avec les exigences imposées au règlement intérieur en matière de droits de la défense (12) et, plus généralement, avec une certaine conception de la sécurité juridique. A partir du moment où le règlement intérieur a pour fonction de déterminer la nature et l'échelle des sanctions, le salarié est, en effet, fondé à croire que seules les sanctions prévues par ce texte pourront être prononcées à son encontre.

Si cette règle constitue une véritable innovation de la part de la Chambre sociale de la Cour de cassation, elle ne devrait pas avoir trop d'impact sur les règlements intérieurs existants. En effet, il aurait pu être craint que la jurisprudence nouvelle, dont il n'est guère de coutume de moduler les effets dans le temps (13), porte atteinte à de nombreux règlements en vigueur. La validité des règlements intérieurs n'est cependant pas mise en cause, seule la faculté de prononcer une mise à pied disciplinaire étant atteinte.

Il n'en demeure pas moins qu'il conviendra de modifier les règlements intérieurs en vigueur sous peine de voir la sanction annulée comme cela était le cas en l'espèce. En outre, des mises à pied disciplinaires, prononcées sous l'empire de la jurisprudence antérieure, devraient pouvoir être annulées.

  • L'application de la solution à d'autres sanctions disciplinaires ?

Cette décision pourrait-elle avoir des conséquences au-delà de la simple mise à pied disciplinaire ? Il nous semble que cette perspective est parfaitement envisageable, quoiqu'elle ne puisse aller jusqu'à s'appliquer au licenciement.

En effet, comme la mise à pied disciplinaire, l'avertissement, la rétrogradation, la mutation ne sont pas spécialement envisagés comme des sanctions disciplinaires par le Code du travail (14). L'article L. 1331-1 du Code, visé par l'arrêt, définit les sanctions disciplinaires par leurs effets sur l'emploi sans en donner la moindre illustration. L'exigence de sécurité juridique invoquée ne peut, dès lors, être assouvie par le Code du travail, si bien que seul le règlement intérieur peut assumer ce rôle.

Il en va autrement du licenciement disciplinaire. Si celui-ci n'est pas directement envisagé comme une sanction pouvant être prononcée par l'employeur, le Code du travail détermine cependant les conséquences d'un tel licenciement en privant le salarié coupable de faute grave de l'indemnité de préavis et de l'indemnité de licenciement et le salarié licencié pour faute lourde d'indemnité de congés payés. L'employeur devrait donc conserver la faculté de prononcer un licenciement pour faute quand bien même le règlement intérieur resterait silencieux sur cette sanction.

L'arrêt apporte une autre précision quant à la durée de la mise à pied disciplinaire.

III - La précision de la durée maximale de la mise à pied disciplinaire par le règlement intérieur

Outre le principe de la mise à pied qui doit donc désormais être déterminé par le règlement intérieur, c'est également la durée de celle-ci qui doit être établie. La règle ne surprend guère, cela pour deux types de raisons.

D'abord, parce que la Chambre sociale a longtemps affirmé que l'un des critères de distinction entre la mise à pied disciplinaire et la mise à pied conservatoire tient au caractère déterminé de la durée de l'une ou de l'autre (15). Si la Cour reconnaît désormais qu'une mise à pied conservatoire peut comporter une durée déterminée, elle n'est jamais revenue sur l'exigence que la mise à pied disciplinaire comporte une durée déterminée (16). Cette règle est parfaitement logique, logique qui se comprend par un raisonnement par l'absurde. En effet, si la mise à pied ne comportait pas une durée déterminée, le salarié pourrait être sanctionné par la suspension de son contrat de travail pour une durée illimitée (17).

Ensuite, parce que le Conseil d'Etat a déjà eu l'occasion de juger que le règlement intérieur comportant une stipulation relative à la mise à pied disciplinaire devait déterminer la durée maximale de cette mise à pied (18). L'exigence d'une durée maximale de la mise à pied prévue par le règlement faisait donc déjà l'objet d'un contrôle de la part de l'inspection du travail, si bien que les cas, comme en l'espèce, dans lesquels le règlement serait dépourvu d'une telle précision, devraient demeurer rares et n'impliquer qu'un nombre limité de remises en cause.

Si, malgré tout, un règlement intérieur, passé par les fourches caudines de l'administration du travail, comporte une faculté de prononcer une mise à pied sans que la durée maximale de celle-ci ne soit envisagée, l'employeur doit se garder de prononcer une telle sanction au risque de voir celle-ci annulée. Dans ce cas de figure, il convient alors de choisir une autre sanction elle aussi prévue par le règlement et de modifier rapidement le contenu du règlement intérieur.


(1) N. Catala, L'entreprise, Traité de droit du travail, t. IV, Dalloz, 1980, n° 180 ; Cass. soc., 25 septembre 1991, n° 87-42.396 (N° Lexbase : A3864ABQ) ; J. Pélissier, A. Lyon-Caen, A. Jeammaud, E. Dockès, Les grands arrêts du droit du travail, Dalloz, 4ème éd., 2008, n° 171.
(2) Cass. soc., 12 décembre 1990, n° 87-45.799 (N° Lexbase : A1483AA8) ; RJS, 1991, n° 176.
(3) F. Favennec-Héry, P.- Y. Verkindt, Droit du travail, LGDJ, 2ème éd., 2009, p. 208.
(4) C. trav., art. L. 1321-3 (N° Lexbase : L1843H97).
(5) Par extension de l'article L. 1331-2 du Code du travail (N° Lexbase : L1860H9R).
(6) Il faut cependant ajouter que le règlement intérieur doit comporter des dispositions rappelant les règles applicables dans l'entreprise en matière de harcèlements moral et sexuel et aux droits de la défense : C. trav., art. L. 1321-2 (N° Lexbase : L1840H9Z).
(7) Cass. civ., sect. soc., 16 juin 1945 (N° Lexbase : A3214C8K) ; Dr. soc., 1946, p. 427, note P. Durand ; Cass. soc., 10 mai 1978, n° 77-40.459 (N° Lexbase : A9095CGX) ; JCP éd. Cl, 1978, I, 7287, obs. B. Teyssié et R. Descotte.
(8) Cass. soc., 25 juin 1987, n° 84-42.314 (N° Lexbase : A2073ABE) ; D., 1988, somm. p. 98 ; Dr. soc., 1988, p. 252.
(9) Sur l'articulation entre l'échelle des sanctions du règlement intérieur et celles de la convention collective, voir un arrêt jugeant que lorsque la mise à pied ne figure pas au nombre des sanctions prévues par la convention collective, l'introduction d'une telle sanction dans l'échelle des mesures disciplinaires fixées par le règlement ne constitue pas une disposition plus favorable aux salariés, si bien que cette stipulation ne peut trouver à s'appliquer. V. CE Contentieux, 28 janvier 1991, n° 84586 (N° Lexbase : A0990AII).
(10) Voir le communiqué de presse.
(11) Rappelons que l'entreprise n'a l'obligation de mettre en place un règlement intérieur qu'à compter de vingt salariés, v. C. trav., art. L. 1311-2 (N° Lexbase : L1835H9T).
(12) Cf. note n° 6.
(13) V. tout de même Cass. soc., 26 mai 2010, n° 09-60.400, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7362EXX), et v. les obs. de Ch. Radé., L'aménagement des effets d'un revirement de jurisprudence : la Chambre sociale de la Cour de cassation ouvre la voie, Lexbase Hebdo n° 409 du 23 septembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N0948BQ8) ; Cass. soc., 22 septembre 2010, n° 09-40.968, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2304GAL) et v. les obs. de Ch. Radé, Sécurité juridique et revirement de jurisprudence : la Chambre sociale de la Cour de cassation fait de la résistance, Lexbase Hebdo n° 411 du 7 octobre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N1111BQ9).
(14) Il faut nuancer ce propos s'agissant de l'avertissement, l'article L. 1332-2 du Code du travail (N° Lexbase : L1864H9W) excluant l'avertissement des sanctions pour lesquelles le respect de la procédure disciplinaire est requis.
(15) Cass. soc., 6 novembre 2001, n° 99-43.012 (N° Lexbase : A0675AXB) ; Cass. soc., 9 avril 2008, n° 06-45.323, F-D (N° Lexbase : A8772D7Z).
(16) Cass. soc., 18 mars 2009, n° 07-44.185, F-P+B (N° Lexbase : A0824EEA).
(17) La Cour de cassation avait autrefois jugé qu'une mise à pied disciplinaire "doit connaître une stricte limite dans le temps et qu'infligée pour une durée indéterminée, elle constitue en fait une résiliation du contrat de travail", Cass. soc., 1er juin 1961, Bull. civ. IV, n° 591.
(18) CE 1° et 4° s-s-r., 21 septembre 1990, n° 105247 (N° Lexbase : A9875AH9).

Décision

Cass. soc., 26 octobre 2010, n° 09-42.740, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6143GCI)

Cassation partielle, CA Rennes, 5ème ch. soc., 12 mai 2009

Textes visés : C. trav., art. L. 1321-1 (N° Lexbase : L1837H9W) et L. 1331-1 (N° Lexbase : L1858H9P)

Mots-clés : règlement intérieur, discipline, mise à pied disciplinaire prévision de la sanction durée de la mise à pied.

Liens base : (N° Lexbase : E2773ETU)

newsid:405635

Droit des personnes

[Questions à...] Le changement de sexe à l'état civil, une procédure compliquée... Questions à Maître Laurent Cyferman, Avocat au barreau de Nancy

Réf. : CA Nancy, 3ème ch., 11 octobre 2010, n° 09/02179 (N° Lexbase : A7337GBD)

Lecture: 4 min

N5670BQ3

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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

Le 04 Janvier 2011

Il est des domaines sensibles dans lesquels le législateur français demeure timide, le changement de sexe à l'état civil en est un. Si certains pays d'Europe se lancent à légiférer sur le sujet, le droit français se caractérise par l'absence de toute disposition législative ou réglementaire en la matière, seule la jurisprudence ayant élaboré un régime juridique de nature à répondre aux demandes présentées en ce sens par des personnes transsexuelles ou transgenres. Une circulaire du directeur des Affaires civiles et du Sceau, en date du 14 mai 2010 (1), adressée à l'ensemble des procureurs, sollicitant plus de souplesse aux juges en la matière, annonce les prémices d'une ouverture, du moins à l'égard des personnes transsexuelles, les personnes transgenres estimant, dans un communiqué du 17 mai 2010 (2) de l'association Trans Aide (Association nationale transgenre), ne pas être visées par le texte. C'est dans ce contexte que la cour d'appel de Nancy, par un arrêt rendu le 11 octobre 2010 (3), a débouté M. R., qui suivait depuis plusieurs années un traitement d'hormonothérapie, de sa demande de changement d'état civil tendant à modifier son prénom et à remplacer la mention du sexe masculin par celle de sexe féminin. Pour autant, le requérant peut garder espoir de voir aboutir sa demande s'il produit, avant le 11 décembre 2010, tout document médical établissant le caractère irréversible du changement de sexe ou de genre consécutif au traitement d'hormonothérapie entrepris. Pour apprécier la portée de cet arrêt, Lexbase Hebdo - édition privée a rencontré Maître Laurent Cyferman, avocat du demandeur, qui a accepté de répondre à nos questions.

Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler, en l'état actuel de la jurisprudence communautaire et nationale, les critères d'admissibilité d'une demande de changement de sexe à l'état civil ?

Laurent Cyferman : Le changement du genre à l'état civil a toujours été problématique car il se heurte au principe de l'indisponibilité du corps. C'est pourquoi, avant 1992, la Cour de cassation refusait tout changement dès lors que la modification résultait de la volonté individuelle. Les seules modifications admises procédaient de circonstances étrangères à l'individu : intersexuel ou bien personnes ayant fait l'objet d'expérience médicale dans les camps de concentration durant la seconde guerre mondiale.

En 1992 (4), la Cour européenne des droits de l'Homme condamne la France en estimant, notamment, qu'en refusant à un transsexuel opéré le changement à l'état civil, la France portait une grave atteinte au respect dû à sa vie privée au regard du but d'intérêt général poursuivi...

L'Assemblée plénière de la Cour de cassation, en 1992 -sans attendre que le législateur intervienne-, rend plusieurs arrêts (5) et définit le régime juridique du changement en soumettant les impétrants à un véritable parcours du combattant : examen psychiatrique préalable, pour s'assurer de l'existence du "syndrome de Benjamin", puis autorisation de suivre un traitement hormonal, sous le contrôle d'un endocrinologue, puis, enfin, autorisation de pratiquer une "réassignation sexuelle" rendant irréversible le changement.

Ce n'est qu'après cette opération que l'on peut demander au tribunal la modification de l'état civil tant au regard du genre que du prénom comme conséquence du changement de sexe.

Des décisions isolées (6), rendues dans des contextes particuliers ont permis le changement sans opération dès lors qu'un pronostic vital était en jeu (cas du sida ne permettant pas de réaliser l'opération), et la CEDH (7) a maintenu sa jurisprudence tout en se réservant la possibilité d'en changer si l'état des connaissances scientifiques le justifiait.

Lexbase : En l'espèce, le traitement d'hormonothérapie subi par le demandeur n'avait pas été suivi dans un but thérapeutique. Cela a-t-il constitué, selon vous, un motif de réticence des juges à accueillir la demande ?

Laurent Cyferman : Non, je ne pense pas. Au cas présent, le problème se posait sous un angle très différent et se situait dans un contexte d'évolution. Ma cliente estime être un transgenre et non un transsexuel et n'être pas malade et, par conséquent, non atteinte du "syndrome de Benjamin".

Le traitement suivi a pour but de mettre en concordance l'apparence souhaitée et la personnalité profonde de l'individu. Cet aspect des choses, très longuement plaidé, et après une audition approfondie de l'intéressée, a très bien été compris par la cour. Pour cela, elle était aidée par la résolution du Conseil de l'Europe (8), par le rapport de la Haute autorité de Santé et par la demande de déclassification de la maladie formée par le ministre de la Santé.

Lexbase : En exigeant la production d'attestations médicales justifiant du caractère irréversible des transformations subies à la suite du traitement d'hormonothérapie, les juges admettent implicitement la possibilité d'obtenir le changement de sexe, alors même que le demandeur n'aurait pas subi d'opération chirurgicale, et aurait suivi un traitement dans un but non thérapeutique. Cet arrêt annonce-t-il une ouverture importante pour ce type de demandes ?

Laurent Cyferman : Oui et non... En fait, des sources médicales mettent en évidence une modification du métabolisme et une stérilisation progressive par le biais du traitement hormonal. La Chancellerie a tiré les conséquences de cette "découverte" dans une circulaire du 14 mai 2010 (9) pour inviter les Parquets à ne plus demander systématiquement de rapporter la preuve d'une réassignation dès lors qu'un certificat médical d'un endocrinologue était produit....

Si l'on est bien en présence d'une évolution visant, notamment, à ne plus exiger une stérilisation forcée qui aurait pu faire l'objet d'une condamnation par la CEDH, cette évolution est cependant très limitée d'autant que le principe d'indisponibilité est réaffirmé.

Lexbase : La demande de modification d'état civil de votre client était fondée à titre principal sur la possession d'état. Cela signifie-t-il qu'une personne n'ayant subi ni opération chirurgicale, ni traitement médical, devrait, selon vous, sur le fondement de la possession d'état, pouvoir prétendre à changer de sexe à l'état civil ?

Laurent Cyferman : Les transgenres sont en quête de normalité et entendent obtenir que leur trouble identitaire soit, en tant que tel, consacré et que la société en tire des conséquences positives, notamment -mais ce n'est pas le principal-, du point de vue de l'état civil. Cela signifie qu'elles souhaitent pouvoir obtenir une modification des registres à partir du moment où la situation apparente, mais néanmoins stabilisée, le justifie sans que cela ne se traduise par des mesures coercitives.

A partir de ce souhait, j'ai estimé que la notion de possession d'état était l'institution la plus appropriée à la résolution de leur problème : il appartient au législateur de prendre ses responsabilités et de légiférer en tenant compte tout à la fois de l'intérêt général et de celui des personnes impliquées.

Lexbase : Pensez-vous que la production des documents médicaux enjointe par les juges nancéens soit aisément réalisable ?

Laurent Cyferman : La notion d'irréversibilité n'a médicalement aucun sens : la seule chose qui soit irréversible, c'est la mort. Cela signifie qu'il sera bien difficile d'obtenir un certificat médical consacrant cette irréversibilité. Tout au plus, l'endocrinologue pourra certifier qu'un traitement a été suivi durant un certain temps et que cela produit une modification du métabolisme.


(1) Circulaire de la DACS n° CIV/07/10 du 14 mai 2010, relative aux demandes de changement de sexe à l'état civil (N° Lexbase : L5909IMS).
(2) Communiqué du 17 mai 2010.
(3) CA Nancy, 3ème ch., 11 octobre 2010, n° 09/02179 (N° Lexbase : A7337GBD).
(4) CEDH, 25 mars 1992, Req. 57/1990/248/319, B. c. France (N° Lexbase : A7476AHD).
(5) Ass. plén., 11 décembre 1992, deux arrêts, n° 91-11.900 (N° Lexbase : A5254AB9) et n° 91-12.373 (N° Lexbase : A9662ATZ).
(6) CA Rennes, 6ème ch., 26 octobre 1998, n° 97/07389 (N° Lexbase : A4183GGZ), Dalloz, 1999, p. 508, comm. M. Friant-Perot ; CA Aix-en-Provence, 6ème ch., sect. A, 9 novembre 2001, n° 00/20236 (N° Lexbase : A2833GGZ), qui se présente de façon différente dans la mesure où certaines modifications étaient intervenues sans être cependant totales.
(7) CEDH, 8 janvier 2009, Req. 29002/06 (N° Lexbase : A2458EMY).
(8) Résolution 1728 (2010).
(9) Circulaire de la DACS n° CIV/07/10 du 14 mai 2010, relative aux demandes de changement de sexe à l'état civil, préc..

newsid:405670

Sociétés

[Jurisprudence] La possibilité d'annulation d'une assemblée générale pour défaut de rapport du conseil d'administration : menace sur le rapport ?

Réf. : Cass. com., 26 octobre 2010, n° 09-71.404, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6144GCK)

Lecture: 13 min

N5669BQZ

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par Guy de Foresta, Avocat au Barreau de Lyon, Spécialiste en droit des sociétés, Of Counsel, Bignon, Lebray & Associés

Le 04 Janvier 2011

Dans un arrêt très récent, en date du 26 octobre 2010, la Chambre commerciale de la Cour de cassation se prononce de manière classique sur le régime des nullités de plein droit applicables à une décision d'assemblée générale extraordinaire de modification statutaire intervenue sans rapport préalable du conseil d'administration. Ce faisant, elle rend moins bien compte de l'argumentation d'un pourvoi qui se fondait sur la nullité relative attachée à la violation du droit de communication préalable des actionnaires. En s'en tenant à un attendu non critiquable sur le premier point, elle laisse subsister une certaine ambiguïté pour la compréhension du second. Une société gérante de centres d'optiques était actionnaire d'une société anonyme, centrale d'achat pour ses adhérents regroupant plusieurs professionnels des secteurs de la santé, du médical et du paramédical. A l'occasion d'une réorganisation de ses activités, cette société anonyme devait, courant 2008, procéder à la filialisation de son activité optique. La société opticienne ayant refusé de signer ce contrat, un contentieux était né entre les deux sociétés et s'était étendu à la validité d'une assemblée générale tenue par sa filiale le 28 novembre 2007, appelée en particulier à modifier les statuts et le règlement intérieur de la société anonyme.

Par un arrêt du 24 septembre 2009, la cour d'appel de Paris (CA Paris, Pôle 5, 9ème ch., 24 septembre 2009, n° 09/10508 N° Lexbase : A6901EL8) avait notamment confirmé le premier jugement en ce qu'il avait refusé d'annuler l'assemblée générale mixte ordinaire et extraordinaire du 28 novembre 2007, mais avait accepté de déclarer inopposables à la société opticienne les deux premières résolutions de modification des statuts et du règlement intérieur que cette dernière, minoritaire, avait été la seule des autres actionnaires à refuser d'adopter.

Pour rejeter la demande d'annulation de ces deux résolutions, fondée sur l'irrégularité de la convocation et le défaut d'information des actionnaires qu'alléguait l'appelante pour imprécision de l'ordre du jour et défaut de mise à disposition des actionnaires du texte des résolutions ainsi que du rapport du conseil d'administration, la cour d'appel avait rappelé que l'irrégularité d'une convocation ne relève que d'une nullité facultative laissée -par les dispositions de l'article L. 225-104, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L5975AI7)- à l'appréciation du juge.

Or, elle avait considéré, au vu d'éléments de fait, que, d'une part, la société opticienne ne pouvait se méprendre ni sur le contenu, ni sur la portée des questions inscrites à l'ordre du jour et que, d'autre part, l'absence d'un rapport qui n'était pas soumis à l'assemblée ne pouvait pas davantage entraîner la nullité de la convocation.

Au-delà du formalisme de l'assemblée générale, et donc davantage sur le fond, la cour, comme le tribunal de commerce de Paris, avait refusé d'accorder l'annulation sollicitée par la société appelante sur la base de l'article L. 225-96 du Code du commerce (N° Lexbase : L6103ICZ) pour augmentation des engagements des actionnaires sans unanimité, en excipant de plusieurs éléments de fait établissant l'absence d'augmentation de tels engagements, tout en reconnaissant qu'après l'adoption des résolutions contestées, la société opticienne pourrait "légitimement s'interroger sur son intérêt à rester actionnaire et adhérente" de la société filiale.

Le pourvoi rejeté par la Cour suprême était donc ramassé autour des deux arguments suivants :

- le défaut de rapport du conseil d'administration à mettre à la disposition des actionnaires dans le cadre de leur droit de communication préalable prévu à l'article L. 225-108 du Code de commerce (N° Lexbase : L5979AIB) aurait dû entraîner la nullité de l'assemblée générale conformément aux dispositions de l'article L. 235-1 (N° Lexbase : L6338AIL) sur la nullité des actes modifiant les statuts ;

- et le défaut d'unanimité au vote de résolutions augmentant les engagements des actionnaires aurait dû entraîner l'annulation de ce vote conformément aux dispositions de l'article L. 225-96 précité.

I - L'obligation d'établir un rapport du conseil d'administration

En société anonyme, les dispositions du Code du commerce imposent l'obligation pour le conseil d'administration (ou le directoire, le cas échéant) d'établir un rapport avant toute assemblée générale, qu'elle soit ordinaire ou bien extraordinaire.

Sans qu'elles n'opèrent de distinction expresse dans la nature de ses rapports, il faut observer que la loi gradue l'importance qui s'attache à ces rapports, dont on peut ainsi distinguer deux types : les rapports "ordinaires" (A) et les rapports "spéciaux" (B).

A - Les rapports "ordinaires"

Dans le cadre de l'exercice du droit de communication des actionnaires préalable à une assemblée générale, il ne fait aucun doute que le conseil d'administration (ou le directoire) est tenu d'établir un rapport destiné à l'information des actionnaires. 
Les praticiens connaissent bien l'exercice rédactionnel de ce rapport dont les termes sont arrêtés par le conseil d'administration appelé à convoquer l'assemblée générale des actionnaires et dont le but est de motiver et d'expliciter les résolutions qui vont être soumises à leur vote.
Ce rapport fait partie des "documents nécessaires" visés par les dispositions de l'article L. 225-108 du Code de commerce pour permettre aux actionnaires appelés à voter à une assemblée générale de se "prononcer en connaissance de cause et de porter un jugement informé sur la gestion et la marche des affaires sociales".

Les dispositions réglementaires auxquelles renvoie cet article définissent très précisément la nature de ces documents ainsi que les conditions et modalités de leur envoi ou de leur mise à disposition aux actionnaires.
Ainsi, s'agissant du rapport du conseil d'administration (ou du directoire), celui-ci fait partie de la liste des documents à mettre à disposition ou à adresser aux actionnaires qui en font la demande, établie par l'article R. 225-83 (N° Lexbase : L7026H94).
L'article R. 225-89 (N° Lexbase : L4636H9L) permet à tout actionnaire de prendre connaissance au siège de ce rapport tant pour les assemblées générales ordinaires annuelles en son premier alinéa, que pour les assemblées générales extraordinaires et spéciales en son second alinéa.

C'est donc de l'organisation législative et réglementaire du droit de communication préalable des actionnaires, consacré par ailleurs par les dispositions de l'article L. 225-115 qui liste également les rapports du conseil d'administration parmi les documents à communiquer aux actionnaires (liste commune au droit de communication permanent), que se déduit l'obligation pour le conseil (ou le directoire) d'établir un rapport à l'assemblée générale quelle qu'en soit sa forme, rapport à mettre à disposition des actionnaires sur leur demande et à leur laisser consulter au siège.

C'est ce que souligne la doctrine dominante (cf. Mémento Francis Lefebvre, Sociétés commerciales, n° 48582, éd. 2011).

La terminologie employée par ces différentes dispositions implique, qu'au-delà de leur seule communication préalable aux actionnaires, ces rapports sont "présentés" ou "soumis" à ces derniers au cours de l'assemblée générale elle-même. Ceci est du reste bien normal dans la mesure où, même si la loi ne définit pas expressément le contenu de ces rapports "simples", ils sont destinés à informer l'actionnariat sur les motifs de résolutions proposés à leur vote afin qu'il puisse se prononcer "en connaissance de cause" et "porter un jugement informé" selon la formulation de l'article L. 225-108.

Pour autant et dans certains cas bien délimités, la loi semble assigner un rôle encore plus important à certains rapports du conseil d'administration (ou du directoire).

B - Les rapports "spéciaux"

Le Code du commerce prescrit, en effet, au conseil d'administration (ou au directoire) de présenter un rapport à l'assemblée générale extraordinaire, rapport sur lequel l'assemblée est appelée à statuer, dans les cas suivants :
- augmentation du capital social (C. com., art. L. 225-129, al. 1er N° Lexbase : L2677HW3) ;
- suppression du droit préférentiel de souscription (C. com., art. L. 225-135 N° Lexbase : L8391GQT, L. 225-138 N° Lexbase : L8394GQX et R. 225-114 N° Lexbase : L0249HZA) ;
- émission de valeurs mobilières donnant accès au capital ou donnant droit à l'attribution de titres de créances (C. com., art. L. 228-92 N° Lexbase : L8337GQT) ;
- octroi au personnel salarié de la société d'options donnant droit à la souscription d'actions (C. com., art. L. 225-177 N° Lexbase : L2678HW4) ;
- attribution d'actions gratuites aux salariés ou aux dirigeants (C. com., art. L. 225-197-1 N° Lexbase : L0798ICK).

Dans chacun de ces cas, la rédaction des articles cités oblige les actionnaires à voter "sur" le rapport qui leur est présenté.
En ce sens, le rapport de gestion présenté à l'assemblée générale ordinaire annuelle sur la situation de la société et son activité pendant l'exercice écoulé (cf. C. com., art. L. 225-100, al. 2 N° Lexbase : L3029HNI et L. 232-1, II N° Lexbase : L8724IET) relèverait plutôt des deux types de rapports.

En pratique, la différence entre ces deux sortes de rapports, non explicitée en tant que telle par la loi, semble ténue : dans les deux cas le rapport est établi au plus tard lors de la convocation de l'assemblée générale ; il fait partie des documents qui sont présentés et soumis aux actionnaires lors de la tenue de l'assemblée et dont le président doit déposer l'ensemble devant son bureau en début de séance. 
Ils servent donc bien à informer et éclairer le vote des actionnaires. Pour autant l'obligation propre aux rapports "spéciaux", complétés pour la plupart d'un rapport du commissaire aux comptes, réside dans le fait que l'assemblée doit "statuer sur" ces rapports, c'est-à-dire non pas véritablement les approuver (ou les modifier comme elle est compétente pour le faire pour un traité de fusion ou un contrat d'apport par exemple) voire les rejeter, mais plutôt prendre sa décision en se fondant explicitement sur leur contenu c'est-à-dire n'adopter la résolution qu'après avoir fondé sa décision sur ses termes.

La différence est donc davantage formelle que pratique.

C'est pourtant dans cet interstice que se glisse l'arrêt de rejet du pourvoi en soulignant "que l'article L. 225-96 du Code de commerce qui habilite l'assemblée générale extraordinaire à modifier les statuts en toutes leurs dispositions, n'impose pas que cette assemblée statue sur rapport du conseil d'administration". Reprenant l'argument de la cour d'appel, qui avait jugé "que ce n'était d'ailleurs pas un rapport du conseil d'administration qui était soumis à l'assemblée générale mixte", la Cour suprême opère ainsi, de fait, une distinction entre les rapports imposés par une disposition spécifique et ceux qui ne le sont pas.

L'apport véritable de sa décision réside cependant moins dans cette distinction que dans les conséquences qu'elle en tire en termes de nullité.

II - La sanction de défaut de rapport

L'on sait que les causes de nullité déterminées par la loi par les dispositions de l'article L. 235-1 du Code du commerce et relatives aux actes ou délibérations modifiant les statuts requièrent une "disposition expresse". Il s'agit du principe "pas de nullité sans texte".

Dans le cas d'espèce, l'on était ainsi en présence de deux sources de nullité potentielle, toutes deux expressément prévues par des textes :

- une nullité de plein droit, si les dispositions de l'article L. 225-96 relatives à la compétence de l'assemblée générale extraordinaire n'avaient pas été respectées, ainsi qu'il ressort du premier alinéa des dispositions de l'article L. 225-121 (N° Lexbase : L5992AIR) ;

- une nullité relative, sur la base du second alinéa du même article, si les dispositions de l'article L. 225-115 (N° Lexbase : L8260GQY), relatives au droit de communication, avaient été violées.

A - La nullité de plein droit relative à la compétence de l'assemblée générale extraordinaire

L'article L. 225-121, alinéa 1er, déclare que "sont nulles" les délibérations prises par les assemblées générales en violation de l'article L. 225-96 (notamment). En soulignant dans son attendu, comme l'avait fait la cour de Paris, que les dispositions dudit article L. 225-96 n'imposent pas à l'assemblée générale extraordinaire de statuer sur rapport du conseil d'administration, la Cour suprême signifie qu'il n'y a pas eu violation de ces dispositions et, dès lors, que la nullité de plein droit de l'article L. 225-121, alinéa 1er, ne peut être invoquée.

Dans la mesure où il n'est pas requis de rapport "spécial", c'est-à-dire où l'article L. 225-96 n'impose pas expressément aux actionnaires de statuer sur un rapport du conseil d'administration pour procéder à une modification statutaire, il est incontestable qu'il n'y a pas eu de violation de ses dispositions.

La Cour suprême fait une application classique du régime des causes de nullité des actes ou délibérations modifiant les statuts : la nullité de plein droit prévue par une disposition expresse et attachée au respect de l'article L. 225-96, par renvoi de l'article L. 225-121, alinéa 2, ne saurait être encourue en l'absence d'une violation de cette disposition. 

Pour autant, la nullité invoquée au pourvoi pour défaut de rapport du conseil d'administration ne visait pas tant celle, de plein droit, attachée au respect des dispositions de l'article L. 225-96, que celle relative, attachée au respect du droit de communication des actionnaires.

B - La nullité relative attachée au respect du droit de communication

L'alinéa second de l'article L. 225-121 détache expressément les dispositions de l'article L. 225-115 pour sanctionner leur violation de possible nullité. En ce sens l'on est bien en présence d'une nullité relative que le juge peut prononcer au regard des faits de l'espèce s'il estime la sanction appropriée.

On a vu que le défaut de rapport du conseil d'administration viole incontestablement le droit de communication des actionnaires organisé par ces dispositions et celles des articles R. 225-83, 4° (N° Lexbase : L7026H94) et R. 225-89 (N° Lexbase : L4636H9L) auxquelles elles renvoient.
En l'espèce, et au-delà du problème de preuve sur la réalité du défaut de rapport, dans son appel comme dans son pourvoi, la société opticienne ne visait que les dispositions de l'article L. 225-108, relatives au droit de communication et non pas celles expressément visées par l'article L. 225-121 pour fonder une cause de nullité, à savoir celles de l'article L. 225-115.

Néanmoins, le pourvoi visait bien l'article R. 225-83, 4° pris en application de ce dernier article. Et si cette dernière disposition réglementaire semble écartée du périmètre des causes de nullité de l'article L. 235-1, qui en restreint le champ au "présent livre", c'est-à-dire à la partie législative du Code de commerce, elle s'y rattache quand même par renvoi de l'article L. 225-115 directement inclu lui-même dans ce périmètre.

Or, la Cour suprême ne se prononce pas sur le manquement caractérisé à une obligation pesant sur la société au titre du droit de communication des actionnaires, mais uniquement sur la compétence de l'assemblée générale à modifier les statuts malgré le défaut de rapport.

Plus exactement, son attendu unique sur la demande d'annulation pour défaut de rapport recèle une certaine ambiguïté. En effet, en posant le principe que "dès lors que l'article L. 225-96 du Code de commerce, qui habilite l'assemblée générale extraordinaire à modifier les statuts en toutes leurs dispositions, n'impose pas que cette assemblée statue sur rapport du conseil d'administration ; l'absence d'un tel rapport n'était pas de nature à entraîner l'annulation de l'assemblée générale mixte du 28 novembre 2007", la Cour laisse flotter une certaine difficulté d'interprétation. 
L'absence de nullité pour défaut de rapport doit-elle être comprise comme s'étendant à tous les cas de nullité, celui visé par l'article L. 225-96 comme les autres ? Mais dans ce cas, il ne paraîtrait pas légitime d'effacer la nullité relative attachée au droit de communication des actionnaires et de priver le défaut de rapport d'une possible sanction.
Ou bien, cette absence de nullité doit-elle, au contraire, être comprise comme limitée à la seule nullité obligatoire attachée à la violation de l'article L. 225-96, seul article visé par l'attendu ?

Et l'on comprendrait alors mal le silence de la Cour face à l'argumentation pertinente soulevée par un pourvoi fondé sur la violation du droit de communication des actionnaires.

D'autant que l'on aurait pu comprendre qu'en se fondant sur "l'appréciation souveraine des circonstances de l'espèce par les juges du fond", la Cour régulatrice considère que ces derniers, malgré la violation du droit de communication, aient écarté la sanction de la nullité dans leur libre appréciation de maintenir ou non la décision critiquée. 
Ce que la rédaction de l'attendu gagne en sobriété fait, toutefois, quelque peu perdre en clarté d'interprétation.

III - L'absence d'augmentation des engagements des actionnaires

En considérant qu'"une décision sociale de nature à priver les associés de leur intérêt à participer à la société ne constitue pas en elle-même une augmentation de leurs engagements, nécessitant un consentement unanime", la Cour suprême se réfère à une définition jurisprudentielle communément admise de cette notion, non définie par la loi. Il s'agit de celle posée par sa chambre civile dans un arrêt du 9 février 1937 (Cass. civ. 9 février 1937 N° Lexbase : A5576AU3, DP-1937-I, p. 73 note Besson), selon laquelle "les engagements des actionnaires ne sont augmentés que si les dispositions prises par l'assemblée générale entraînent une aggravation de la dette contractée par eux envers société ou envers les tiers".

Bien des circonstances de la vie d'une entreprise peuvent amener son actionnariat à voir diminuer voire réduire à néant l'intérêt de sa prise de participation initiale. Elles n'induisent pas nécessairement une augmentation de leurs engagements, laquelle suppose un accroissement des charges pécuniaires que chaque actionnaire aurait librement acceptées en entrant dans la société, cette définition ne devant assurément pas être confondue avec la diminution voire la disparition de leur intérêt patrimonial. Et cela, même si la notion a été appliquée à des engagements autres que directement financiers tels qu'une clause de non-concurrence en cas de retrait de la société (cf. Cass. com., 26 mars 1996, n° 94-12.131, inédit N° Lexbase : A5010C3X, RJDA, 8-9/96, n° 1066 ; CA Lyon, 20 novembre 1998, Bull. inf. C.cass., 1999/499 p. 22). 

***

L'effet de cette jurisprudence, somme toute classique, est bien évidemment limité aux règles relatives aux assemblées générales de la société anonyme et de la société en commandite par actions (par renvoi de l'article L. 226-2 du Code de commerce N° Lexbase : L6143AID). Elle ne concerne donc pas les sociétés par actions simplifiées (par renvoi négatif de l'article L. 227-1, alinéa 2, du Code de commerce N° Lexbase : L2477IBD), sauf celles dont les statuts auraient choisi d'adopter ces règles.
Pour mieux protéger le droit de communication de leurs associés et sanctionner efficacement le défaut de rapport à l'assemblée générale, les sociétés commerciales appliquant ces règles pourraient ainsi avoir intérêt sur la base d'une jurisprudence récente (applicable à l'annulation d'actes ne modifiant pas les statuts) à expliciter le régime de nullité alors applicable (Cass. com., 18 mai 2010, n° 09-14.855, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A3869EXL, notes J.-B. Lenhof, Nullité des délibérations du conseil d'administration d'une SAS, un coup d'arrêt à la thèse de la "société-contrat" ?, Lexbase Hebdo n° 396 du 27 mai 2010 - édition privée générale N° Lexbase : N3079BPQ ; Ch. Lebel, Droit des Affaires, septembre 2010, n° 52, p.18 ; M.-L. Coquelet, Droit des Sociétés, août-septembre 2010, p.10 ; P. Le Cannu, Revue des Sociétés, septembre 2010, p. 374).

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Procédure pénale

[Jurisprudence] Le régime juridique de la garde à vue est déclaré contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme... mais n'en doit pas moins être appliqué

Réf. : Cass. crim., 19 octobre 2010, 3 arrêts, n° 10-82.306, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A0916GCW), n° 10-82.902, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A0917GCX) et n° 10-85.051, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A0918GCY)

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par Romain Ollard, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 04 Janvier 2011

La garde à vue française est prise dans la tourmente tant les juges -judiciaires, européens et constitutionnels- font feu de tout vent contre le régime légal en vigueur. C'est d'abord la Cour européenne des droits de l'Homme qui avait lancé l'assaut en posant, dans les arrêts "Salduz" (1) et "Dayanan" (2), l'exigence de l'assistance effective d'un avocat pendant la durée de la garde à vue, suivie d'ailleurs en ceci par des décisions des juridictions du fond françaises, qui n'hésitent plus désormais à déclarer le régime des gardes à vue contraire aux principes énoncés par la Convention européenne (3). Ce fut ensuite le Conseil constitutionnel qui, dans une décision largement commentée du 30 juillet 2010, déclara non conformes à la Constitution les dispositions relatives à la garde à vue de droit commun (4). La réplique des pouvoirs publics ne tarda pas alors puisque le Garde des Sceaux a fait paraître, le 7 septembre 2010, un projet de loi tendant à limiter et à encadrer les gardes à vue, projet ambitieux, qui va même sur certains points au-delà des exigences du Conseil constitutionnel et de la Cour de Strasbourg. Et c'est maintenant au tour de la Chambre criminelle de la Cour de cassation de s'insérer, elle aussi, dans le processus de déconstruction du régime juridique de la garde à vue, par trois arrêts en date du 19 octobre 2010. Parmi ces trois arrêts, l'un d'eux mérite d'abord d'être isolé en ce que, contrairement aux deux autres, il traite du seul régime de la garde à vue de droit commun. Dans cette affaire (pourvoi n° 10-82.306), la Cour de cassation approuve une chambre de l'instruction d'avoir, sur le fondement de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR), prononcé l'annulation des procès-verbaux de garde à vue et des auditions intervenues pendant celle-ci au motif que la personne gardée à vue avait certes bénéficié de la présence d'un avocat mais non de son assistance dans des conditions lui permettant d'organiser sa défense. En opérant ainsi une distinction entre présence de l'avocat et assistance effective de l'avocat, la Chambre criminelle se situe dans la droite ligne de la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, ayant exigé que la personne gardée à vue bénéficie de "l'assistance effective d'un avocat".

Autrement plus audacieux sont, ensuite, les deux autres arrêts rendus le même jour (pourvoi n° 10-82.902 et pourvoi n° 10-85.051). Alors, en effet, que le Conseil constitutionnel avait décidé, dans sa décision du 30 juillet 2010, qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur le régime de la garde à vue propre à la criminalité et à la délinquance organisées dès lors, d'une part, que les articles 706-73 (N° Lexbase : L8494IB9) et 63-4 (N° Lexbase : L0962DYB) du Code de procédure pénale avaient déjà été déclarés conformes à la Constitution (5) et, d'autre part, qu'aucun changement de circonstances en cette matière ne justifiait un nouvel examen, la Chambre criminelle vient quant à elle décider que le régime de la garde à vue exceptionnelle est contraire à l'article 6 § 3 de la CESDH : "sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'espèce, et non à la seule nature du crime ou délit reproché, toute personne soupçonnée d'avoir commis une infraction doit, dès le début de la garde à vue, être informée de son droit de se taire et bénéficier, sauf renonciation non équivoque, de l'assistance d'un avocat".

Mais au-delà de la diversité du contenu de l'inconventionnalité du régime légal de la garde à vue, ces trois arrêts se rapprochent quant aux effets de l'inconventionnalité ainsi affirmée. La Chambre criminelle décide, par une formule identique reproduite dans les trois arrêts, que les règles par elle énoncées "ne peuvent s'appliquer immédiatement à une garde à vue conduite dans le respect des dispositions législatives en vigueur lors de sa mise en oeuvre sans porter atteinte au principe de sécurité juridique et à la bonne administration de la justice". Ces règles, ajoute la Haute juridiction, "prendront effet lors de l'entrée en vigueur de la loi devant, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, modifier le régime juridique de la garde à vue, ou, au plus tard, le 1er juillet 2011".

En d'autres termes, le régime juridique de la garde à vue est déclaré contraire aux dispositions de la CESDH... mais n'en doit pas moins être appliqué. Aussi, au-delà de la déclaration d'inconventionnalité du régime juridique de la garde à vue, tant en ce qui concerne la garde à vue de droit commun (I) que la garde à vue dérogatoire (II), ces arrêts posent donc la question des effets de l'inconventionnalité ainsi affirmée (III). Pouvant être analysés comme opérant un revirement de jurisprudence pour l'avenir, ces arrêts interrogent en effet sur la portée de l'affirmation d'un principe dépourvu de toute sanction, en tout cas immédiate.

I - L'inconventionnalité de la garde à vue de droit commun

La présente déclaration d'inconventionnalité de la garde à vue de droit commun ne doit pas surprendre. En opérant une distinction entre présence de l'avocat -jugée insuffisante- et assistance effective de l'avocat lors de la garde à vue, la Chambre criminelle se situe, en effet, dans le parfait sillage tant de la Cour européenne des droits de l'Homme (6) que du Conseil constitutionnel qui ont également, tous deux, posé une semblable exigence. Toutefois, si un consensus jurisprudentiel semble ainsi s'opérer autour de l'idée suivant laquelle la personne gardée à vue doit bénéficier de l'assistance effective d'un avocat pendant la durée de la mesure, la portée d'une telle exigence n'en demeure pas moins incertaine tant en ce qui concerne le moment de l'intervention de l'avocat qu'en ce qui concerne son rôle.

Sur le premier point, l'exigence d'une "assistance" implique-t-elle une intervention de l'avocat dès le début de la garde à vue ? La Cour européenne pose très clairement le principe en décidant que la personne doit bénéficier de l'assistance de son avocat "dès le moment de son placement en garde à vue" (7). A cet égard, le droit français actuel pourrait paraître suffisant puisque l'article 63-4 du Code de procédure pénale dispose que la personne peut demander à s'entretenir avec un avocat "dès le début de la garde à vue".

Mais c'est surtout quant au rôle assuré par l'avocat que la portée de l'exigence demeure incertaine. Le terme d'"assistance" doit-il, en effet, être interprété restrictivement, comme visant uniquement l'office de défense et de conseil de la personne gardée à vue, ou doit-il, au contraire, être entendu largement, comme le fait la Cour de Strasbourg dans l'arrêt "Dayanan", comme incluant la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l'accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l'accusé en détresse, le contrôle des conditions de détention ?

Le droit français actuel est bien loin de conférer un tel rôle à l'avocat, son "assistance" se limitant à l'heure actuelle à un entretien dont la durée ne peut dépasser trente minutes. La portée de l'exigence peut, ensuite, apparaître incertaine dès lors qu'il existe une multitude de degrés dans l'assistance, du simple entretien préalable à l'assistance de l'avocat pendant toute la durée de la garde à vue. En pointant du doigt le fait que la législation actuelle "ne permet pas à la personne interrogée, alors qu'elle est retenue contre sa volonté, de bénéficier de l'assistance effective d'un avocat", le Conseil constitutionnel paraît, pour sa part, exiger au minimum la présence du conseil lors des interrogatoires (8). La Cour européenne des droits de l'Homme n'est, quant à elle, pas aussi catégorique sur ce point puisque l'arrêt "Dayanan" se contente de viser "la préparation des interrogatoires", et non l'assistance pendant les interrogatoires. Enfin, l'assistance effective d'un avocat implique-t-elle une communication du dossier à l'avocat, communication dont on sait qu'elle est l'une des revendications principales des avocats ?

Ces incertitudes, que les présents arrêts de la Cour de cassation ne dissipent point, ne sont cependant pas préjudiciables dès lors que le projet de réforme, tendant à limiter et à encadrer les gardes à vue, a pris le parti de retenir l'interprétation maximale, c'est-à-dire les solutions les plus favorables au respect des droits de la défense. Outre le fait que, comme en droit actuel, l'avocat pourra s'entretenir avec son client pendant trente minutes au début de la garde à vue puis au début d'une éventuelle prolongation de la mesure (9), le projet prévoit que la personne gardée à vue pourra être assistée par son avocat lors des auditions et ce, dès le début de la mesure (10). Le projet prévoit encore un accès de l'avocat au dossier, lequel pourra désormais consulter le procès verbal de notification de placement en garde à vue ainsi que les procès-verbaux d'audition de la personne gardée à vue qui ont déjà été dressés (11). Encore faut-il noter qu'un tel accès restera la plupart du temps largement théorique, le dossier n'étant encore, à ce stade de la procédure, qu'en devenir et donc nécessairement incomplet.

Si de notables avancées dans la protection des droits de la défense au cours de la garde à vue peuvent ainsi être relevées, la question ne manquera toutefois pas de rebondir s'agissant de la nouvelle institution de "l'audition libre" prévue à l'article 73-1 du projet de loi. Ainsi que le soulève le rapport du groupe de travail sur les aspects constitutionnels et conventionnels de la réforme de la procédure pénale, "dès lors que les accusations justifiant la garde à vue et l'audition libre sont exactement les mêmes, il est difficilement compréhensible que les mêmes droits ne soient pas accordés au prévenu" (12). Cette mesure nouvelle est d'autant plus inquiétante que l'article 73-1 prévoit que l'officier de police judiciaire "reçoit le consentement de la personne à demeurer dans les locaux le temps strictement nécessaire -mais selon quels critères, sous le contrôle de quelle autorité ?- à son audition" sans que, pour autant, la personne librement auditionnée puisse bénéficier du régime protecteur de la garde à vue, notamment de l'assistance d'un avocat (13).

II - L'inconventionnalité de la garde à vue dérogatoire

Alors que le Conseil constitutionnel avait décidé, dans sa décision du 30 juillet 2010, qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur le régime de la garde à vue propre à la criminalité et à la délinquance organisées (14) dès lors que les articles 706-73 et 63-4 du Code de procédure pénale avaient déjà été déclarés conformes à la Constitution (15), la Chambre criminelle vient, par les présents arrêts, décider que le régime de la garde à vue exceptionnelle est contraire à l'article 6 § 3 de la CESDH : "sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'espèce, et non à la seule nature du crime ou délit reproché, toute personne soupçonnée d'avoir commis une infraction doit, dès le début de la garde à vue, être informée de son droit de se taire et bénéficier, sauf renonciation non équivoque, de l'assistance d'un avocat".

Si l'exigence de notification du droit au silence n'appelle guère de commentaire (16), la solution de la Chambre criminelle n'est, là non plus, guère surprenante tant il est vrai que le dispositif actuel heurte de front la jurisprudence européenne selon laquelle une "restriction systématique" du droit pour le gardé à vue d'être assisté par un avocat "suffit à conclure à un manquement aux exigences de l'article 6 de la Convention" (17). Plus précisément, dans les affaires "Salduz" et "Dayanan", qui concernait toutes deux des procédures exceptionnelles, la Cour européenne considère que, s'il est possible de restreindre le droit à l'assistance d'un avocat en garde à vue, "l'équité d'une procédure pénale requiert de manière générale [...] que le suspect jouisse de la possibilité de se faire assister par un avocat" (18) et, en conséquence, que les exceptions à ce principe doivent être justifiées par "des raisons impérieuses résultant des circonstances de l'espèce" (19). Or, comme le note la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans ces arrêts, le droit français actuel ne se situe assurément pas dans ce cadre puisqu'il pose des exceptions générales fondées sur des catégories abstraites d'infractions identifiées d'après leur nature et leur gravité, et non sur des circonstances concrètes. L'arrêt "Salduz" condamne, d'ailleurs, expressément une telle méthode abstraite en précisant que "c'est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible pour les sociétés démocratiques" (20). En définitive, alors que la Cour européenne considère que plus le chef d'inculpation est grave, plus les droits de la défense doivent être respectés, le système français actuel consacre le principe exactement inverse selon lequel plus l'affaire est grave, moins l'avocat intervient au cours de la garde à vue. La méthode française paraît d'autant plus devoir être contestée que le régime actuel établit une corrélation entre la gravité de l'infraction et la durée de la privation de liberté. Or, ce ne devrait pas être la gravité de l'infraction qui dicte la durée de la mesure, mais la complexité de l'affaire, de sorte que la durée de la garde à vue devrait correspondre au temps nécessaire pour accomplir les actes destinés à la découverte de la vérité.

Cette déclaration d'inconventionnalité de la garde à vue dérogatoire constitue assurément l'apport principal de ces trois arrêts rendus par la Chambre criminelle en ce qu'ils devraient inciter le législateur à modifier la législation en vigueur sur ce point également, contrairement aux directives du Conseil constitutionnel. C'est donc l'ensemble du régime de la garde à vue qui devra être modifié, non seulement la garde à vue de droit commun, conformément à la décision du Conseil, mais encore, du fait de ces arrêts, la garde à vue propre à la criminalité organisée. Ces arrêts devraient ainsi inciter les pouvoirs publics à revoir leur copie puisque, se fondant sur la décision du Conseil constitutionnel, le projet de réforme prévoyait de ne modifier que le seul régime relatif à la garde à vue de droit commun. Le chantier de la réforme devrait donc se révéler finalement plus vaste que celui initialement envisagé. Mais, au-delà du contenu de l'inconventionnalité ainsi prononcée, ces trois arrêts peuvent décevoir quant aux effets attachés à la déclaration d'inconventionnalité du régime de la garde à vue.

III - Les effets de l'inconventionnalité de la garde à vue

Par une formule identique, reproduite dans les trois arrêts commentés, la Chambre criminelle décide que les règles par elle énoncées "ne peuvent s'appliquer immédiatement à une garde à vue conduite dans le respect des dispositions législatives en vigueur lors de sa mise en oeuvre sans porter atteinte au principe de sécurité juridique et à la bonne administration de la justice". Ces règles, ajoute-t-elle, "prendront effet lors de l'entrée en vigueur de la loi devant, conformément à al décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, modifier le régime juridique de la garde à vue, ou, au plus tard, le 1er juillet 2011". Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a décidé de différer l'abrogation des dispositions relatives à la garde à vue de droit commun au 1er juillet 2011 afin de laisser le temps au législateur de réformer la matière et, surtout, de ne pas créer un vide juridique préjudiciable pour l'ordre public (21). En conséquence, bien que contraire aux dispositions de la CESDH ; ce régime doit être appliqué, de sorte que, malgré leur inconventionnalité manifeste, les gardes à vue effectuées avant cette date ne pourront être annulées. Pouvant être analysés comme opérant un revirement de jurisprudence pour l'avenir, ces arrêts posent donc la question de la portée d'un principe dépourvu de toute sanction, en tout cas immédiate.

Certes, la Cour de cassation n'a évidemment pas compétence pour abroger le régime légal de la garde à vue, son seul pouvoir se limitant à cet égard à la possibilité d'écarter les dispositions nationales contraires au droit conventionnel. Et sans doute comprend-on l'argument invoqué par la Cour de cassation qui fait appel à la sécurité juridique et à la bonne administration de la justice tant il est vrai que l'exercice d'un tel pouvoir pourrait se révéler préjudiciable pour l'ordre public, entraînant assurément de fâcheuses conséquences dans la lutte contre la criminalité. Mais c'est là d'abord cautionner le fait que 700 000 gardes à vue environ (22) contraires tant à la Constitution qu'à la Convention européenne seront réalisées dans l'année à venir. C'est là ensuite exposer les gardes à vue futures à des recours systématiques devant la Cour européenne des droits de l'Homme et donc à des condamnations pécuniaires de l'Etat français. Aussi serait-il possible de se demander si, par les présents arrêts, la Cour de cassation n'aurait pas pu valider les annulations, prononcées par les juridictions du fond, des procès-verbaux de garde à vue et des auditions intervenues pendant celle-ci. De la sorte, la Chambre criminelle aurait obligé, de fait, les autorités de police et de gendarmerie à devancer la loi à venir, en leur imposant la présence de l'avocat lors des interrogatoires, sous peine d'exposer les gardes à vue effectuées au mépris des dispositions conventionnelles à des nullités systématiques. Quoiqu'il en soit, il ne reste plus qu'à espérer que les pouvoirs publics n'épuisent pas le délai qui leur a été octroyé par le Conseil constitutionnel pour procéder à la réforme tant de la garde à vue de droit commun que de la garde à vue dérogatoire.


(1) CEDH, 27 novembre 2008, n° 36391/02, Salduz c/ Turquie (N° Lexbase : A3220EPX), JCP éd. G, 2009, 104, n° 7, obs. Lecloux.
(2) CEDH, 13 octobre 2009, n° 7377/03, Dayanan c/ Turquie (N° Lexbase : A3221EPY), JCP éd. G, 2009, Somm. 382.
(3) Pour faire le point sur la jurisprudence des juridictions du fond en la matière, v. A. Maron, M. Hass, Tandis que les gardes à vue explosent, la garde à vue implose..., DP, mars 2010, Dossier, n° 3, p. 10.
(4) Cons. const., décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 (N° Lexbase : A4551E7P), Gaz. Pal., 5 août 2005, p. 14, obs. O. Bachelet ; et nos obs., Coup de tonnerre sur la procédure pénale : le Conseil constitutionnel déclare non conformes à la Constitution les dispositions relatives à la garde de vue de droit commun, Lexbase Hebdo n° 410 du 30 septembre 2010 - édition privé (N° Lexbase : N0999BQ3).
(5) Cons. const., 2 mars 2004, n° 2004-492 DC, loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (N° Lexbase : A3770DBA).
(6) CEDH, 27 novembre 2008, Salduz c/ Turquie, préc. ; CEDH, 13 octobre 2009, Dayanan c/ Turquie, préc..
(7) CEDH, 13 octobre 2009, Dayanan c/ Turquie, préc..
(8) Considérant n° 28.
(9) Art. 73-18.
(10) Art. 77-19.
(11) Art. 73-18.
(12) Rapport, mai 2010, § 30.
(13) A cet égard, l'avant-projet gouvernemental de réforme du Code de procédure pénale (AJ pénal, 2010, p. 174), qui prévoyait que l'audition libre pourrait durer 4 heures au plus, pouvait paraître préférable (art. 327-6).
(14) En matière de délinquance et de criminalité organisées, de terrorisme et de trafic de stupéfiants, l'intervention de l'avocat au cours de la garde à vue est systématiquement repoussée à l'issue de la 48ème heure, parfois même de la 72ème heure (v. C. proc. pén., art. 63-4, al. 7).
(15) Cons. const., 2 mars 2004, n° 2004-492 DC, préc..
(16) D'autant que le projet de réforme prévoit expressément une telle notification (art. 73-5).
(17) CEDH, 13 octobre 2009, Dayanan c/ Turquie, précité, § 33.
(18) CEDH, 13 octobre 2009, Dayanan c/ Turquie, précité, § 30 et 31.
(19) CEDH, 27 novembre 2008, Salduz c/ Turquie, précité, § 35.
(20) CEDH, 27 novembre 2008, Salduz c/ Turquie, précité, § 55.
(21) Considérant n° 30.
(22) Nombre de gardes à vue effectuées au cours de l'année 2009.

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Juristes d'entreprise

[Questions à...] Juriste d'entreprise et legal privilege... - Questions à Isabelle Cretenet, directrice juridique affaires générales du Groupe Areva, et Philippe Rincazaux, avocat associé, Cabinet Orrick Rambaud Martel

Lecture: 5 min

N5620BQ9

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la rédaction

Le 27 Mars 2014

Un échange interne de vues et d'informations entre la direction d'une société et un avocat interne employé par cette dernière relève-t-il du "legal professional privilege" -confidentialité des communications entre avocats et clients- reconnu par le droit de l'Union européenne ? Telle est, en substance, la question posée à la CJUE dans un arrêt du 14 septembre 2010 (CJUE, 14 septembre 2010, aff. C-550/07 P, Akzo Nobel Chemicals Ltd c/ Commission européenne N° Lexbase : A1978E97) (1). Nonobstant la modernisation des règles de procédure en matière d'ententes opérée par le Règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du Traité (N° Lexbase : L9655A84), son importance pratique aux fins de l'application et de la mise en oeuvre du droit européen de la concurrence ne saurait être sous-estimée. En effet, l'étendue des pouvoirs de vérification reconnus à la Commission dans le cadre de procédures en matière d'ententes par l'article 14 du Règlement n° 17/62 (N° Lexbase : L0186AWS) dépend de la solution retenue par la Cour. En l'espèce, la Commission européenne, en tant qu'autorité de concurrence, a ordonné à la société Akzo Nobel Chemicals et à sa filiale Akcros Chemicals de se soumettre à des vérifications visant à rechercher les preuves d'éventuelles pratiques anticoncurrentielles. Durant l'examen des documents saisis, dans les locaux d'Akzo Nobel et d'Akcros au Royaume-Uni, un différend est survenu à propos notamment de deux copies écrites de courriers électroniques, échangées entre les dirigeants et un avocat interne. La Commission a considéré, en effet, que ces échanges n'étaient pas protégés par la confidentialité des communications entre avocats et clients. Par la suite, elle a rejeté la demande faite par les deux entreprises visant à obtenir la protection des documents litigieux au titre du "legal professional privilege". Akzo Nobel et Akcros ont introduit des recours à l'encontre de ces deux décisions devant le Tribunal de première instance, qui ont été rejetés par ce dernier dans son arrêt du 17 septembre 2007 (2). Les entreprises ont alors formé un pourvoi devant la CJUE contre cet arrêt, pourvoi qui a été finalement rejeté. De manière solennelle, la Cour a déclaré que, dans le domaine du droit de la concurrence, les échanges au sein d'une entreprise avec un avocat exerçant au sein de l'entreprise ne bénéficiaient pas de la confidentialité des communications entre clients et avocats. Afin de comprendre cette solution pour le moins restrictive, Lexbase Hebdo - édition professions a rencontré Isabelle Cretenet, directrice juridique affaires générales du Groupe Areva, et responsable au sein de l'AFJE de la Commission Conformité, Compliance, Concurrence, et Philippe Rincazaux, avocat associé, Cabinet Orrick Rambaud Martel.

Lexbase : Quels regards portez-vous sur la décision de la CJUE ?

Isabelle Cretenet : Cet arrêt montre que nous sommes à un tournant pour la profession. Aujourd'hui le juriste en entreprise n'a pas le legal privilege puisque, pour la Cour, l'indépendance du juriste d'entreprise est "détruite" en raison du lien existant avec son employeur. Mais, en même temps, si cette décision est préjudiciable, elle doit être prise comme un formidable moteur de réflexion et de proposition pour les juristes comme pour les avocats. Il existe aujourd'hui une dichotomie entre les pays anglo-saxons où les juristes exerçant en entreprises bénéficient de la confidentialité et ceux qui ne le reconnaissent pas. Or, il faut avoir à l'esprit que l'on parle ici de la "Profession juridique" (avocats et juristes d'entreprises) et que cette profession tend vers le même objectif. Ainsi, de mon point de vue, il n'y a aucune raison que le juriste d'entreprise ne bénéficie pas de cette sécurité.

Philippe Rincazaux : Cet arrêt n'est pas une fin, mais un début. Il y a une donnée de départ à prendre en compte : la profession de juriste d'entreprise est une profession qui doit participer du bon fonctionnement de l'entreprise et du bon fonctionnement de la Société. La même finalité doit être recherchée, que ce juriste soit interne ou externe. Or, la CJUE opère une différence entre le juriste interne et le juriste externe, sans examiner les conditions d'exercice concrètes du juriste interne. Le legal privilege est un élément de sécurité et de bon fonctionnement pour que des juristes indépendants puissent contribuer à la bonne application du droit.

Lexbase : Une première réunion sur cet arrêt a été organisée le 14 octobre 2010 par la Commission Conformité, Compliance et Concurrence de l'AFJE. Quelles sont les premières pistes de réflexion qui en ressortent ?

Isabelle Cretenet : Nous avons essayé de poser les premières pierres pour voir comment la profession de juriste d'entreprise peut s'adapter à l'application du secret professionnel en entreprise, secret professionnel qui donnerait la confidentialité des avis émis par les avocats en entreprise (c'est la référence prise par le rapport "Darrois", lorsqu'il envisage la création d'une nouvelle fonction : l'avocat en entreprise). L'idée est de voir quelles sont les adaptations nécessaires pour appliquer le secret professionnel et le préserver au sein de l'entreprise. Et nous allons essayer de fixer un maximum de pistes d'ici 2011 afin de les présenter aux parties prenantes dont font évidemment parties les autorités françaises (en termes de documents couverts, de personnes couvertes, d'organisation et de gouvernance).

Lexbase : Avec le projet de création d'un statut d'avocat en entreprise, le juriste d'entreprise risque, avec cette jurisprudence, de se retrouver pénalisé dans l'exercice de ses fonctions. Quel est votre sentiment sur ce point ?

Philippe Rincazaux : L'avocat en entreprise serait soumis au secret professionnel, mais ne bénéficierait pas du legal privilege au niveau européen, en l'état actuel des choses. La possibilité pour des avocats exerçant en entreprise dans des conditions garantissant leur indépendance de bénéficier du legal privilege contribuerait à permettre une meilleure application du droit par l'entreprise. Cette évolution serait bénéfique pour toute la profession et ce dans l'intérêt de l'entreprise et aussi de la Société.

Isabelle Cretenet : En tant que juriste d'entreprise, nous nous sentons piqués au vif par cette décision. Mais elle doit nous servir pour mener un nouvel axe de réflexion. Nous sommes en retard par rapport à nos collègues américains qui bénéficient du legal privilege et sont, d'ailleurs, incités à le pratiquer via des guidelines ébauchés par les autorités. En droit anglo-saxon, le but du legal privilege est de protéger les communications entre un conseil juridique et son client. Dans le champ d'application du legal privilege, les conseils juridiques comprennent aussi les juristes d'entreprise. Cette pratique au sein de l'entreprise ne crée donc pas de difficultés dans les pays de common law. De ce point de vue, les juristes d'entreprise anglo-saxons bénéficient d'un avantage considérable par rapport à leurs homologues français puisqu'ils peuvent conseiller leur employeur, et ce par écrit et en toute sérénité, là où les juristes d'entreprise français sont contraints à la prudence et parfois au silence. Au risque, le cas échéant, de se voir reprocher de ne pas avoir alerté leur hiérarchie sur les risques encourus par certaines pratiques.

Et comme l'a exprimé Jean-Charles Savouré, président de l'AFJE, lors de notre réunion, il est important que les juristes d'entreprises s'inscrivent dans la réflexion et contribuent à un meilleur fonctionnement du droit. Le legal privilege doit s'appliquer aux entreprises. Car en effet, la fonction du juriste interne est de conseiller, de manière indépendante et très en amont des décisions stratégiques, les entreprises qui les emploient. Ce rôle de conseiller interne permet à l'entreprise de se conformer à la règle de droit. La reconnaissance du legal privilege ou de tout autre système donnant la confidentialité des avis pour les juristes d'entreprise est un droit de l'entreprise car la règle de droit s'affirme comme une composante de la stratégie des entreprises. Jean-Charles Savouré a aussi mis en exergue le fait que cette réflexion commune sur le secret professionnel et ses éventuelles adaptations au contexte de l'entreprise est un travail novateur car aucune étude concrète d'ensemble ne semble avoir été menée jusqu'à présent.

Lexbase : Cette décision qui pourrait pourtant donner des "points supplémentaires" aux avocats opposés au statut d'avocat en entreprise, semble néanmoins vous rassembler...

Philippe Rincazaux : Nous sommes effectivement très contents d'opérer ce travail en équipe et de contribuer à la construction de ce que le rapport "Darrois" appelait de ses voeux, à savoir la grande profession du droit. Il y aurait beaucoup à gagner à travailler avec des personnes ayant la même formation, les mêmes règles déontologiques et poursuivant les mêmes objectifs.

Isabelle Cretenet : Nous pouvons ainsi nous fixer des axes de travail, travailler en commun, en équipe. Bénéficier du legal privilege impliquerait une façon de travailler différente. Il s'agit d'une nouvelle culture sur laquelle les avocats ont sur les juristes d'entreprise l'avantage de l'expérience pratique puisqu'ils bénéficient de la confidentialité des avis et qu'ils en maîtrisent les limites d'exercice. Et sur ce point le juriste d'entreprise a besoin d'être formé. Nous nous donnons rendez-vous dans trois mois, avec le résultat de cette réflexion commune qui pourrait déboucher sur une proposition à faire aux autorités françaises et pourquoi pas plus largement.


(1) Sur cet arrêt, lire également les observations de Cédric Tahri, La protection de la confidentialité des communications entre un avocat interne et l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 50 du 28 octobre 2010 - édition professions (N° Lexbase : N4382BQD).
(2) TPICE, 17 septembre 2007, aff. T-125/03 (N° Lexbase : A2206DYD).

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Communautaire

[Doctrine] Les interférences entre les sources de droit européen et les influences croisées entre la CJUE et la CEDH : quelles implications pour l'avenir ?

Lecture: 11 min

N5638BQU

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

Le 04 Janvier 2011

La Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, née le 4 novembre 1950 à Rome, fête son demi-siècle d'existence et l'on ne peut que constater que celle-ci est couronnée de succès, puisque 126 000 affaires étaient pendantes au 31 mai 2010 devant la Cour européenne des droits de l'Homme, chargée du respect de la Convention par les Etats membres du Conseil de l'Europe. Par ailleurs, depuis l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne le 1er décembre 2009, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (N° Lexbase : L8117ANX) s'est vue confier la même force juridique obligatoire que les Traités par l'article 6 TUE (N° Lexbase : L3059INM). Jamais donc les droits de l'Homme n'ont été mieux consacrés et protégés dans l'espace européen. Les principes démocratiques sont la référence commune des 47 Etats du Conseil de l'Europe et la pax europeana est, ainsi, assurée. Le réseau européen de la garantie des droits ne cesse donc pas de se resserrer et de se renforcer, mais, également, de se complexifier. Pour faire le point sur ce thème, une conférence était organisée le 18 octobre 2010 au Conseil d'Etat pour éclairer les problèmes posés par la coexistence de deux juridictions européennes ayant des compétences en matière de droits de l'Homme (CEDH et CJUE), et faire le point sur les mécanismes de contrôle exercés par ces deux entités, ainsi que sur les effets d'une éventuelle adhésion de l'Union européenne à la Convention. Lexbase Hebdo - édition publique, qui était présent à cet événement s'inscrivant dans le nouveau cycle de conférences consacré au droit européen des droits de l'Homme, organisé conjointement par la Haute juridiction administrative et la Cour de Strasbourg, vous en propose ici le compte-rendu. Pour introduire le débat, Jacqueline Dutheil de la Rochère, Professeur émérite à l'Université Panthéon-Assas (Paris II), rappelle que c'est lors du Conseil européen de Nice du 7 décembre 2000 que la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne ont proclamé de manière conjointe la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. L'initiative d'élaborer ce texte remontait au Conseil européen de Cologne qui s'était tenu au mois de juin 1999 sous présidence allemande, lequel avait décidé qu'"au stade actuel du développement de l'Union, il [était] nécessaire d'établir une charte de ces droits fondamentaux afin d'ancrer leur importance exceptionnelle et leur portée de manière visible pour les citoyens de l'Union". Ce même Conseil avait acté que, dès l'origine, la Charte devait "contenir les droits de liberté et d'égalité, ainsi que les droits de procédure tels que garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres en tant que principes généraux du droit communautaire".

L'intervenante souligne, en outre, que ce texte a acquis une forte valeur symbolique dès son origine puisque dans la convention chargée de son élaboration siégeaient, à côté des représentants des chefs d'Etat et de Gouvernements, des représentants du Parlement européen, des parlements nationaux et de la Commission. Le "mandat de Cologne" avait pour objectif de rendre les droits existants plus visibles. Il posait, également, comme principe intangible l'indivisibilité des droits fondamentaux, notamment civils et politiques. Toutefois, ont été petit à petit englobés des droits réservés au citoyen européen, ainsi que des droits économiques et sociaux. Ces derniers constituent, d'ailleurs, comme le soutient Jacqueline Dutheil de la Rochère, la catégorie la plus novatrice de ce catalogue. L'existence des syndicats, y compris de syndicats européens, se voit consacrée par l'article 12 de la Charte qui concerne la liberté de réunion et d'association et qui reconnaît "la liberté d'association à tous les niveaux, notamment dans les domaines politique, syndical et civique, ce qui implique le droit de toute personne de fonder avec d'autres des syndicats et de s'y affilier pour la défense de ses intérêts". Le texte reconnaît aussi un minimum de droits des travailleurs et le droit à la Sécurité sociale et à l'aide sociale dans la limite des législations et pratiques nationales.

Plus généralement, le fil conducteur qui court tout du long des six chapitres de ce texte (consacrés respectivement aux notions de dignité, de liberté, d'égalité, de solidarité, de citoyenneté et de justice) est la dignité de la personne humaine. Cependant, de nombreuses critiques se sont développées concernant le champ de compétences de cette Charte, celle-ci abordant, également, des domaines tels que la peine de mort et la torture, qui relèvent normalement des compétences normatives des Etats membres. Concernant la catégorie des droits civils, l'on peut relever que la Charte reprend mot pour mot les termes de la CESDH, en omettant, toutefois, de mentionner les limites de ces droits comme le fait la Convention, ceci par souci de brièveté. Se pose donc la question de la coexistence de la Charte et de la Convention. L'article 52.3 de la Charte pose en principe que, chaque fois que des droits de la Charte correspondent à des droits garantis par la CESDH, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que prévoit cette dernière (1). Par ailleurs, il est indiqué, dans le préambule de la Charte, que le sens et la portée des droits garantis dans les deux textes sont déterminés, non seulement par le texte de la CESDH et ses protocoles, mais aussi par la jurisprudence de la Cour de Strasbourg.

Pour confirmer la validité de cette coexistence moins problématique qu'il n'y paraît au premier abord, Johan Callewaert, Greffier adjoint de la Grande chambre à la CEDH, rappelle que l'institution dans laquelle il officie a été, non seulement, la première Cour européenne à se référer à la Charte, mais que cette dernière constitue, pour elle, une source d'inspiration de plus en plus importante, dont la présence est notée dans plusieurs arrêts importants. Ainsi, dans une décision du 17 septembre 2009, elle en fait application pour énoncer que l'article 7 de la CESDH (N° Lexbase : L4797AQQ), qui interdit que soit infligé une peine plus sévère que celle en vigueur au moment de la commission de l'infraction, "ne garantit pas seulement le principe de non-rétroactivité des lois pénales plus sévères, mais aussi, et implicitement, le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce" (CEDH, 17 septembre 2009, Req. 10249/03 N° Lexbase : A0692EL9). Précédemment, dans un arrêt du 19 avril 2007 (CEDH, 19 avril 2007, Req. n° 63235/00 N° Lexbase : A9491DU3), la Cour avait procédé de manière remarquable à l'extension des garanties de l'article 6 de la Convention (N° Lexbase : L7558AIR), qui sanctuarise le droit à un procès équitable, au contentieux de la fonction publique française. Dans un arrêt récent du 6 juillet 2010 qui a fait grand bruit (CEDH, 6 juillet 2010, Req. 41615/07 N° Lexbase : A8294E3L), les juges de Strasbourg font application de l'article 8 de la CESDH (N° Lexbase : L4798AQR), qui garantit le droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale, dans une affaire dans laquelle une mère avait emmené son fils de manière illicite d'Israël vers la Suisse, pour décider que la possibilité de continuer à vivre ensemble est un élément fondamental qui relève de la vie familiale au sens de l'article 8 précité, qui trouve donc à s'appliquer. A chaque fois, le contenu de la Charte et sa portée jouent un rôle majeur dans le raisonnement des magistrats et dans l'orientation de leur décision. Johan Callewaert constate enfin une intensification des rapports entre Charte et Convention depuis l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, intensification qui tend à aboutir à une véritable symbiose entre les deux textes.

Cet entrelacement harmonieux des écrits protecteurs des droits des citoyens implique que l'Union européenne est véritablement devenue porteuse de valeurs au niveau international, comme le souligne Jean-Claude Bonichot, Président de la quatrième chambre à la CJUE. Ceci est renforcé par le fait que la Charte s'ajoute au droit primaire de l'Union et en possède la même valeur, même si elle ne constitue pas une base juridique nouvelle et ne remet en cause ni les structures, ni les règles matérielles du TUE. Etant, à la fois, plus à jour et plus développée que la CESDH, elle constitue, désormais, un instrument efficace du contrôle de légalité des actes de l'Union, même si elle ne peut se substituer à la législation de cette dernière. La Charte ne peut donc que s'accorder avec les missions dévolues à la Cour de justice, dont l'objectif est d'assurer l'unité d'interprétation et d'application du droit communautaire. Toutefois, du fait que les Cours de Strasbourg et de Luxembourg ont un caractère juridictionnel, supranational, et qu'il n'existe pas de hiérarchie formelle entre elles, la question de l'influence respective de leurs décisions pouvait légitimement se poser. Le constat que tire l'intervenant avec l'expérience de sa fonction est qu'il n'existe aucune interdépendance, du moins formelle, entre les deux Cours, même si l'interprétation des juges de Luxembourg est susceptible de se rapprocher de celle de Strasbourg (2). En revanche, en cas de divergence, le juge national se trouve confronté à un sérieux dilemme, en raison de ses doubles obligations communautaire et conventionnelle. Dans pareil cas, il semble plus légitime pour celui-ci, de faire primer le droit communautaire en raison du lien direct noué par le mécanisme de renvoi préjudiciel entre le juge national et le juge communautaire propre à la CJUE, plutôt qu'après épuisement des voies de recours au sein de l'Etat, comme l'exige la CEDH.

Mattias Guyomar, Rapporteur public au Conseil d'Etat et Professeur associé en droit public à l'université de Paris XI, positive cette coexistence en soulignant la naissance d'une véritable cohérence au fil du temps entre droit national et droit européen, à travers, à la fois, le mécanisme du renvoi préjudiciel pour la CJUE et de la subsidiarité pour la CEDH. Il rappelle, en outre, que le juge national s'est peu à peu imposé comme un juge du droit européen. Il est, en effet, devenu le premier juge conventionnel, comme en témoigne l'arrêt "Remli" (CE 4° et 6° s-s-r., 30 juillet 2003, n° 252712 N° Lexbase : A2895C94), par lequel le Conseil d'Etat a reconnu aux détenus, sous la pression de la CEDH, le droit de contester une mesure d'isolement devant les juridictions administratives. L'intervenant poursuit en affirmant que cette élévation constante des droits protégés est un élément positif et que la pluralité de leurs sources n'est pas problématique, dès lors qu'elle ne peut que contribuer à l'enrichissement de la boîte à outils du juge chargé de les faire respecter.

Le juge national est aussi devenu le premier juge communautaire en reconnaissant la responsabilité de l'Etat du fait du fonctionnement défectueux de la justice administrative. Dans un arrêt rendu le 18 juin 2008 (CE 4° et 5° s-s-r., 18 juin 2008, n° 295831 N° Lexbase : A2358D99), les Sages du Palais-Royal énoncent que "la responsabilité de l'Etat peut cependant être engagée dans le cas où le contenu de la décision juridictionnelle est entachée d'une violation manifeste du droit communautaire ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers". De manière plus emblématique encore, dans l'arrêt "Perreux" (CE Contentieux, 30 octobre 2009, n° 298348 N° Lexbase : A6040EMN), la Haute juridiction administrative en est venue à reconnaître l'effet direct des Directives communautaires, ce qui constitue l'aboutissement du lent travail de rapprochement entre les positions nationale et communautaire entamé en 1996 (CE Contentieux, 30 octobre 1996, n° 045126 N° Lexbase : A1022APK). En l'espèce, le juge administratif avait écarté des dispositions du Code général des impôts au motif qu'elles n'exonéraient pas de TVA toutes les opérations effectuées par les courtiers d'assurance, et cela en contradiction avec les termes de la Directive (CE) 77/388 du Conseil du 17 mai 1977 (N° Lexbase : L9279AU9). En 2007 (CE Contentieux, 8 février 2007, n° 287110 N° Lexbase : A2029DUP), le Conseil d'Etat avait admis qu'en principe, la validité d'une Directive doit être contrôlée au regard des seules normes communautaires et plus spécialement des principes généraux du droit. Cette solution ne jouant qu'en cas d'existence de normes communautaires équivalentes à la norme constitutionnelle invoquée au soutien du recours pour excès de pouvoir contre l'acte de transposition, il se reconnaissait compétent pour se prononcer sur la constitutionnalité de l'acte administratif et, donc, indirectement, sur une Directive.

L'importance des garanties offertes aux citoyens de l'Union devrait aller en s'accentuant avec la prochaine adhésion de l'Union à la CESDH prévue par le Traité de Lisbonne, celle-ci nécessitant, toutefois, l'approbation à l'unanimité du Parlement européen et de tous les Etats membres, ceci en accord avec leurs règles constitutionnelles respectives. Cependant, comme l'indique Jacqueline Dutheil de la Rochère, cette adhésion ne doit pas entraîner l'avènement de la CEDH comme le juge de la répartition des compétences entre Union et Etats membres à la place de la CJUE. En effet, le droit conventionnel, à la différence du droit communautaire, n'impose pas sa propre primauté dans l'ordre juridique interne. C'est pourquoi la Cour de Strasbourg n'a jamais admis sa compétence pour contrôler les actes de l'ordre juridique communautaire qui n'ont pas été insérés dans l'ordre juridique national. Dans ce domaine, l'intervenante rappelle que les Etats n'ont, en effet, qu'une simple obligation de résultat et pas une obligation de comportement. Il importe simplement qu'ils respectent de manière substantielle les droits fondamentaux garantis par la Convention (CEDH, 28 septembre 1995, Req. 27/1994/474/555 N° Lexbase : A8397AWW). Toutefois, dans une décision emblématique rendue le 30 juin 2005, dite "Bosphorus", la CEDH a accepté de reconnaître sa compétence pour vérifier la conformité au regard de la Convention d'une mesure nationale prise sur le fondement d'un Règlement communautaire (CEDH, 30 juin 2005, Req. 45036/98 N° Lexbase : A1557DKU). Même si cette vérification ne s'effectue qu'a minima, cela aura normalement pour résultat, comme l'évoque Bruno Genevois, ancien président de la Section du contentieux du Conseil d'Etat, que trop d'affaires arrivent devant la CJUE. Se pose, à cet égard, la question de l'épuisement des voies de recours internes, question non seulement procédurale mais aussi substantielle. Tout le problème est de savoir comment interpréter cet épuisement : le fait de déterminer, par exemple, si la question prioritaire de constitutionnalité en fait partie ou non n'est pas encore tranché.

Une telle adhésion enverrait, à coup sûr, un signal positif au monde entier concernant la protection des droits de l'Homme à l'intérieur des frontières de l'Europe. Elle signifierait, également, une plus grande cohérence entre le système juridique européen et les systèmes juridiques nationaux (3). L'on peut, toutefois, s'interroger sur le fait que la Convention ne s'impose pas de manière formelle à l'Union, alors que l'adhésion à ce texte par les Etats est une des conditions sine qua non de leur entrée dans la grande famille communautaire. En outre, via cette adhésion, la CEDH pourrait exercer un contrôle direct sur les actes de l'Union en permettant aux personnes physiques ou morales de déposer des recours de la même manière que devant les autorités nationales, c'est-à-dire en contradiction avec le principe de subsidiarité. Tout justiciable devrait donc pouvoir se défendre directement à Strasbourg et y être représenté par un juge européen. Devra, également, être prise en compte l'éventuelle insécurité juridique découlant du fait que les citoyens sont habilités à poursuivre à la fois l'Union et les Etats membres. Pour y remédier, il est probable que la solution retenue soit celle de l'interdiction du dépôt direct d'une requête devant la Cour de Strasbourg avant épuisement du système de recours interne. Par ailleurs, l'Union pourra-t-elle intervenir en qualité de défendeur dans toute affaire portée contre un Etat membre devant la CEDH lorsque l'affaire soulève un problème impliquant le droit européen ? Pour toutes ces raisons, le processus préalable à la négociation et à l'adoption du Traité portant adhésion de l'Union à la CESDH apparaît encore long et compliqué.

Le catalogue des droits fondamentaux de l'Union n'en finit pas de s'étoffer. Le droit européen des droits de l'Homme apparaît donc un droit organique, dont le contenu et le mode de contrôle sont en perpétuelle évolution, plus proche d'un anneau de Möbius que de la vision kelsenienne d'un strict positivisme normatif qui semblait prévaloir au départ. Au-delà de cette consécration, à la fois nationale, communautaire et internationale, se pose, toutefois, le problème de la protection de ces droits et surtout, ce qui semble le plus important, de leur applicabilité. Les questions soulevées par la coexistence de deux juridictions européennes ayant des compétences en matière de droits de l'Homme et de deux textes d'une importance équivalente ne sont pas non plus à négliger. Reste à savoir quelle pensée novatrice arrivera à faire cohabiter tous ces éléments ensemble, et quels penseurs, si ce n'est quels nouveaux pères fondateurs, parviendront à l'élaborer.


(1) La France et la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, Jacqueline Dutheil de la Rochère, site du ministère des Affaires étrangères et européennes.
(2) La Cour de Strasbourg et la Cour du Luxembourg dans la protection juridictionnelle des droits de l'Homme : duo ou duel ?, par Eric Ngango, Université libre de Bruxelles.
(3) La protection des droits fondamentaux dans l'Union européenne après le Traité de Lisbonne, Xavier Groussot et Laurent Pech, Fondation Robert Schuman.

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Fiscalité des entreprises

[Chronique] Chronique de droit fiscal des entreprises - Novembre 2010

Lecture: 9 min

N5603BQL

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par Frédéric Dal Vecchio, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Le 04 Janvier 2011

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en droit fiscal des entreprises réalisée par Frédéric Dal Vecchio, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Cette chronique débute par les conséquences fiscales d'une indemnité octroyée en compensation de la disparition d'une perte de clientèle à la suite d'une décision administrative frappant une société d'héliportage (CE 3° et 8° s-s-r., 8 octobre 2010, n° 318832, mentionné aux tables du recueil Lebon). Puis, le Conseil d'Etat prend position quant à la prise en compte, pour le calcul du crédit d'impôt recherche, de dotations aux amortissements d'immobilisations affectées à la recherche dans le cadre d'une location-gérance (CE 3° et 8° s-s-r., 17 septembre 2010, n° 313576, mentionné au Recueil Lebon). Enfin, le Conseil constitutionnel se prononce sur la constitutionnalité de la taxe sur les salaires (Cons. const., décision n° 2010-28 QPC, du 17 septembre 2010).
  • BIC : indemnité octroyée en compensation d'une perte de clientèle à la suite d'une décision administrative (CE 3° et 8° s-s-r., 8 octobre 2010, n° 318832, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3509GBL)

Les entreprises de transport aérien, et plus particulièrement les compagnies d'hélicoptères, constituent une activité particulièrement dépendante de leur environnement économique et juridique. Après la récente adoption d'un décret (décret n° 2010-1226, 20 octobre 2010, portant limitation du trafic des hélicoptères dans les zones à forte densité de population N° Lexbase : L1943INB) attendu depuis dix-huit ans qui pourrait être fatal à un certain nombre de compagnies d'hélicoptères, et accessoirement aux emplois de cette filière (D. Gallois, Publié dix-huit ans après sa rédaction, un décret limite les vols des hélicoptères pour réduire les nuisances sonores, Le Monde, 22 octobre 2010), la décision rapportée apporte une réponse quant au traitement fiscal du refus d'autorisation du transport aérien dont la société contribuable bénéficiait jusqu'alors.

Devant les juges du fond (CAA Marseille, 4ème ch., 27 mai 2008, n° 05MA00940 N° Lexbase : A8878D9P), la société requérante excipait d'une erreur commise par l'administration sur le plan procédural : le service avait, en effet, mentionné, sur l'avis de vérification, la date du 1er avril 1994 comme fixant le point de départ de la vérification de comptabilité. Or, la notification de redressements porte sur une période commençant le 1er janvier 1994. La juridiction d'appel écartera ce moyen dès lors que les redressements portaient sur des éléments constatés à la clôture de l'exercice postérieurement au 1er avril 1994.

S'agissant de la distinction entre les frais généraux et les réparations devant être portées à l'actif du bilan, la cour, après avoir rappelé un considérant classique selon lequel "seuls peuvent être compris dans les frais généraux et constituer des charges d'un exercice déterminé les travaux de réparation et d'entretien qui concourent à maintenir en état d'usage ou de fonctionnement les différents éléments de l'actif immobilisé de l'entreprise ; [...] en revanche les dépenses qui entraînent normalement une augmentation de la valeur pour laquelle un élément immobilisé figure au bilan de l'entreprise ou qui ont pour objet de prolonger de manière notable la durée probable d'utilisation d'un élément de cette nature ne peuvent être portés en frais généraux", considère que l'ensemble des travaux effectués (1) pour un hélicoptère entièrement amorti devait être immobilisé. La jurisprudence dans ce domaine est rare : la cour administrative d'appel de Nancy a eu à connaître de cette question (CAA Nancy, 2e ch., 5 avril 2001, n° 97NC00777 N° Lexbase : A9155BKB) et elle a dit pour droit que le changement du moteur, du mat de rotor et des pales concourait "à la remise en état d'un véhicule acheté d'occasion, ont eu pour contrepartie soit un accroissement de la valeur d'un élément d'actif immobilisé, soit l'acquisition d'un tel élément".

S'agissant du traitement fiscal de l'indemnité octroyée au titre de l'exercice clos en 1995, la société requérante avait saisi le Conseil d'Etat à la suite d'un refus implicite de renouvellement d'autorisation de transport public. La société a, alors, obtenu gain de cause auprès du magistrat administratif quant à la condamnation d'une indemnité de 10 050 000 francs (1 532 112 euros) visant à compenser la disparition de son fonds de commerce correspondant à cette activité. L'administration a, alors, dans un premier temps, considéré qu'il s'agissait d'indemniser des pertes de recettes d'exploitation. Puis, le service a considéré qu'il s'agissait d'une somme versée en compensation d'une perte d'un élément de fonds de commerce relevant du régime d'imposition de l'article 39 duodecies du CGI (N° Lexbase : L5513IC8).

En cassation, le juge de l'impôt règle l'affaire au fond après avoir relevé une erreur de droit de la juridiction d'appel, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3298ALQ), en énonçant que la qualification de plus ou moins-value à la suite de la cession d'un élément de l'actif immobilisé ne dépendait pas du caractère volontaire ou involontaire de la cession. En effet, la cour administrative d'appel de Marseille avait constaté que la société requérante avait été dépossédée de son activité de transport aérien par une décision émanant des autorités publiques, et qu'elle ne l'avait donc pas cédé à un tiers, pour lui refuser l'application du régime des plus ou moins-values à long terme issu de l'article 39 duodecies du CGI.

On rapprochera cette décision de la doctrine administrative qui admet l'application du régime des plus ou moins-values à la perte d'éléments de l'actif immobilisé (pour une référence postérieure aux faits de l'espèce : D. adm. 4 B-131, 7 juin 1999, n° 39 et 40).

  • Crédit d'impôt recherche et dotations aux amortissements d'immeubles donnés en location-gérance (CE 3° et 8° s-s-r., 17 septembre 2010, n° 313576, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4977E99)

Le crédit d'impôt recherche est l'archétype du régime d'incitation fiscale le plus instable qu'il soit : créé au début des années 1980, il fut réformé à de très nombreuses reprises, parfois même plusieurs fois la même année. Avec la réforme de 2008, dont on aurait pu croire qu'elle s'inscrirait dans une relative stabilité, le crédit d'impôt recherche s'élève à 30 % des dépenses éligibles à hauteur de 100 millions d'euros d'impôt, puis 5 % au-delà. Mais, par temps de disette budgétaire, le législateur va, à nouveau, réformer le crédit d'impôt recherche afin de limiter l'impact budgétaire (2) et introduire des "mesure anti-abus" (3) (P. Le Coeur, Les députés retouchent le crédit impôt recherche, Le Monde, 22 octobre 2010 ; P. Le Coeur, Budget : les députés trouvent des recettes nouvelles pour réduire le montant du déficit prévu en 2011, Le Monde, 27 octobre 2010 (4)).

En revanche, sur le front du contentieux fiscal, le crédit d'impôt recherche tient toutes ses promesses : eu égard aux enjeux pour les finances publiques, la jurisprudence continue son oeuvre créatrice de droit. La décision rendue par la Haute juridiction administrative tranche la question de la prise en compte des dotations aux amortissements d'immobilisations affectées à la recherche et données en location-gérance.

Aux termes de la législation applicable aux faits de l'espèce (CGI art. 244 quater B, N° Lexbase : L5050HLM), les dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d'impôt pouvaient correspondre aux dotations aux amortissements des immobilisations, autres que les immeubles, créées ou acquises à l'état neuf et affectées directement à la réalisation en France d'opérations de recherche scientifique et technique, y compris la réalisation de prototypes ou d'installations. Puis, à compter de 1992, les dotations aux amortissements des immeubles affectés à la recherche ont pu être pris en compte.

Les faits de l'espèce rapportent qu'en décembre 1989, une société A avait absorbé une société B dont le fonds de commerce avait été donné en location-gérance à une société tierce du même groupe, la société C détenue à 100 % par la société A.

A la suite d'une vérification de comptabilité, le service a remis en cause les dépenses prises en compte pour le calcul du crédit d'impôt recherche au titre des exercices clos en 1990 et en 1992. L'administration fiscale considérait, alors, que la contribuable ne pouvait retenir les immobilisations exploitées en location-gérance par une autre société. A notre connaissance, seule la cour administrative d'appel de Versailles (CAA Versailles, 1ère ch., 29 novembre 2007, n° 05VE01865 N° Lexbase : A2504D37) avait pris position à ce sujet en considérant alors, après avoir mentionné que les amortissements s'entendaient de ceux fiscalement déductibles, que ne pouvaient être exclues les dotations aux amortissements se rapportant à des immobilisations données en location-gérance. Par ailleurs l'administration fiscale ne contestait pas le fait que ces immobilisations étaient bien directement affectées à des opérations de recherche.

Le Conseil d'Etat met un terme à cette jurisprudence pourtant novatrice en réservant ces dépenses, pour le calcul du crédit d'impôt recherche de l'entreprise, à la condition qu'elle ait elle-même exposé au cours de l'exercice en litige les dépenses de recherche correspondantes ce qui exclut, par conséquent, les dotations aux amortissements d'immobilisations données en location-gérance à une autre société qui les exploite.

  • La taxe sur les salaires est conforme à la constitution (Cons. const., décision n° 2010-28 QPC, du 17 septembre 2010 N° Lexbase : A4759E97)

La question prioritaire de constitutionnalité (QPC), introduite par la réforme constitutionnelle de juillet 2008 (loi n° 2008-724, 23 juillet 2008 N° Lexbase : L7298IAK ; loi n° 2009-1523, 10 décembre 2009 N° Lexbase : L0289IGS ; décret n° 2010-148, 16 février 2010 N° Lexbase : L5740IGP) et en vigueur depuis le 1er mars 2010, est l'objet d'une attention soutenue de la doctrine. Après le "succès" porté par les barreaux français quant à la légalité du régime de la garde à vue (Cons. const., décision n° 2010-14/22 QPC, 30 juillet 2010 N° Lexbase : A4551E7P), les fiscalistes attendaient, depuis longtemps, la possibilité d'interpeller le juge constitutionnel quant à un certain nombre de dispositions législatives dont la conformité à la Constitution était discutable. Fin août 2010, près de 35 % des QPC portait sur le droit fiscal (Dr. fisc., 2010, act. 342). Malheureusement, aucune disposition fiscale n'a été à ce jour remise en cause par le Conseil constitutionnel. Que ce soit quant à la légalité de l'article 164 de la loi "LME" (loi n° 2008-776, 4 août 2008 N° Lexbase : L7358IAR) instituant une voie de recours rétroactive afin de sauver -à tout prix (5)- le régime des perquisitions fiscales pudiquement baptisées "visites domiciliaires" (Cons. const., décision n° 2010-19/27 QPC, du 30 juillet 2010 N° Lexbase : A4552E7Q ; Cons. const., décision n° 2010-51 QPC, 6 août 2010 N° Lexbase : A9238E7B) ou la constitutionnalité de l'impôt de solidarité sur la fortune (Cons. const., décision n° 2010-44 QPC, 29 septembre 2010 N° Lexbase : A4886GA9), les spécialistes du droit fiscal n'ont pas encore enregistré de victoire comparable à celle de leurs confrères pénalistes, à la suite de la saisine du juge constitutionnel. La décision relative à la taxe sur les salaires ne va malheureusement pas les satisfaire.

Une association sportive avait, dans un passé récent, soulevé le non respect, par le législateur français, des objectifs communautaires issus de la 1ère (N° Lexbase : L7913AUM) et de la 6ème Directive-TVA (N° Lexbase : L9279AU9). Le juge administratif avait alors répondu que la taxe sur les salaires ne présentait aucune caractéristique d'une taxe sur le chiffre d'affaires (CE 9° et 10° s-s-r., 21 décembre 2007, n° 295646 N° Lexbase : A1528D3Y ; v. également : CAA Paris, 2ème ch., 30 mai 2007, n° 05PA04306 N° Lexbase : A9295DW8).

Souhaitant toujours voir sa thèse triompher, mais cette fois-ci par une autre voie procédurale, la contribuable a saisi le juge administratif d'une question prioritaire de constitutionnalité. Répondant aux critères fixés par le législateur, dont celui du caractère sérieux de sa demande, le Conseil d'Etat a, alors, renvoyé la QPC aux Sages de la rue de Montpensier sur conclusions contraires de son rapporteur public qui estimait que la question n'était pas sérieuse (CE, 8° et 3° s-s-r., 24 juin 2010, n° 338581 N° Lexbase : A2809E3G ; Dr. fisc., 2010, comm. 404).

Le juge constitutionnel dit alors pour droit que pour l'application du principe d'égalité devant l'impôt, la situation des redevables s'apprécie au regard de chaque imposition prise isolément. Le législateur doit alors fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels. C'est un considérant déjà adopté dans la jurisprudence antérieure du Conseil constitutionnel (6) (v. ainsi s'agissant de la contribution économique territoriale CET : Cons. const., décision n° 2009-599 DC, 29 décembre 2009, loi de finances pour 2010 N° Lexbase : A9026EPY ; s'agissant de l'allongement de cinq à dix ans la durée d'imputation des pertes sur cessions de valeurs mobilières et droits sociaux mentionnés à l'article 150-0 A du CGI N° Lexbase : L0088IKH et la durée d'imputation des pertes résultant de certaines opérations réalisées en France sur les marchés à terme : Cons. const., décision n° 2002-464 DC, 27 décembre 2002, loi de finances pour 2003 N° Lexbase : A2081DIW ; Cons. const., décision n° 2007-555 DC, 16 août 2007, loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat N° Lexbase : A6454DXC).

Puis, le Conseil constitutionnel va constater que la TVA et la taxe sur les salaires sont juridiquement distinctes car elles ne présentent pas les mêmes caractéristiques. De plus, la taxe sur les salaires est calculée à partir d'un barème progressif appliqué à la masse salariale imposable et les règles d'imposition sont les mêmes pour l'ensemble des entreprises relevant d'un même secteur d'activité. Ainsi, le barème de la taxe sur les salaires tient compte de la différence de situation entre les contribuables qui ne relèvent pas des mêmes secteurs d'activité ; dès lors, le législateur a pu assujettir de manière différente à la taxe sur les salaires des entreprises qui ne sont pas dans la même situation.

Le juge français ayant sauvé la taxe sur les salaires, la requérante pourrait être tentée de croiser le fer au-delà de nos frontières. Mais la jurisprudence communautaire, en l'état, paraît avoir également refermé la "boîte de Pandore" (CJCE, 3 octobre 2006, aff. C-475/03 N° Lexbase : A3691DR7).


(1) "Remplacement d'un plan fixe, d'un embrayage, d'une pompe hydraulique, d'un adaptateur d'embrayage, d'un patin gauche, d'une bobine d'allumage, d'une SB IMP et une visite T1 cellule, le remplacement d'une pale principale et de travaux supplémentaires, le remplacement d'une boîte de transmission auxiliaire et la remise en état d'un bloc moteur, enfin le remplacement d'un appareil de pression d'huile et d'un transmetteur tachymétrique et le réajustement d'une pale principale, tout ceci au bénéfice d'un hélicoptère entièrement amorti ; [...] remplacement d'un palier intermédiaire, d'un arbre oblique, d'une boîte de transmission arrière, d'une pompe hydraulique, d'une pale principale et d'un plan fixe, les frais d'une visite T2 cellule, d'une visite T1 moteur comprenant le remplacement d'un embrayage et des travaux supplémentaires, de remplacement d'un moyeu rotor principal, de remplacement d'une micro pompe et d'un transmetteur tachymétrique ; qu'elle a également inclus dans les charges de l'exercice 1995 les frais de divers travaux d'entretien comprenant le remplacement d'un transmetteur jaugeur et des travaux de sellerie".
(2) "Un certain nombre de députés, sans en contester l'intérêt, étaient décidés à réduire la facture du CIR qui coûtera 4,2 milliards à l'Etat cette année, après 5,4 milliards en 2009".
(3) "L'une vise à éviter la création de petites sociétés dont le seul but est de capter ce CIR avant de fermer. Les députés ont également imposé un taux de rémunération de 15 % à 16 % aux intermédiaires qui aident les PME à monter leurs dossiers et se paient sur une part de l'économie fiscale".
(4) "Le crédit impôt recherche, qui permet de déduire 30 % des dépenses de recherche-développement, dans la limite de 100 millions d'euros, et de 5 % au-delà, devient un peu moins favorable : 50 % des dépenses de fonctionnement seront désormais retenues, contre 75 % jusqu'alors. Mais cette assiette englobera aussi la dotation aux amortissements des équipements de recherche, sur laquelle un forfait de 75 % sera appliqué".
(5) C'est sans compter avec le juge européen qui sera, tôt ou tard, saisi de la question de la compatibilité de l'article 164 de la loi "LME" au regard des canons européens : il est alors très probable que la Cour européenne des droits de l'Homme sanctionnera la France à ce titre.
(6) "15. Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1363A9A) : Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés' ; qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S), il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives ; qu'en particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques".

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