CE 1ére et 4éme sous-sections réunies., 1990-09-21, n° 105247
A9875AH9
Référence
CONSEIL D'ETAT
Statuant du Contentieux
N° 105247
Ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle
contre
SA Maison Aufrère
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux 1ére et 4éme sous-sections réunies.)
Vu 1°) sous le n° 105 247, le recours du MINISTRE DU TRAVAIL, DE
L'EMPLOI ET DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE enregistré au secrétariat
du Contentieux du Conseil d'Etat le 16 février 1989 ; le MINISTRE DU
TRAVAIL, DE L'EMPLOI ET DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE demande que
le Conseil d'Etat annule le jugement du tribunal administratif de
Paris en date du 7 novembre 1988 en tant que, par ce jugement, le
tribunal administratif a annulé la décision de l'inspecteur du
travail de la section n° 13 A de la direction départementale du
travail et de l'emploi de Paris en date du 12 juin 1987 et la
décision du directeur régional du travail et de l'emploi
d'Ile-de-France en date du 11 septembre 1987 en tant que ces
décisions concernaient les articles 3, alinéa 3 et 12 du règlement
intérieur de la société anonyme Maison Aufrere ;
Vu 2°) sous le n° 105 317, la requête et le mémoire additionnel
enregistrés les 20 février 1989 et 14 avril 1989 au secrétariat du
Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE ANONYME
MAISON AUFRERE, dont le siège social est 31-33 rue de la Glacière à
exercice ; la SOCIETE ANONYME MAISON AUFRERE demande que le Conseil
d'Etat :
- annule le jugement du tribunal administratif de Paris en date
du 7 novembre 1988 en tant que par ce jugement, le tribunal
administratif a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la
décision de l'inspecteur du travail de la section n° 13 A de la
direction départementale du travail et de l'emploi de Paris en date
du 2 juin 1987 et la décision confirmative du directeur régional du
travail et de l'emploi d'Ile-de-France en date du 11 septembre 1987
en tant que ces décisions exigeaient la modification du règlement
intérieur de l'entreprise en ses articles 12 et 13, alinéa 3 ;
- annule pour excès de pouvoir ces décisions en tant qu'elles
concernaient l'article 12 et l'article 13, alinéa 3 du règlement
intérieur ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code du travail ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours
administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n°
53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre
1987 ;
Après avoir entendu :
- le rapport de M Dutreil, Auditeur,
- les observations de Me Consolo, avocat de la société anonyme
Maison Aufrère,
- les conclusions de M Hubert, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que la requête de la SOCIETE ANONYME MAISON AUFRERE
et le recours du MINISTRE DU TRAVAIL, DE L'EMPLOI ET DE LA FORMATION
PROFESSIONNELLE sont dirigés contre le même jugement ; qu'il y a
lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Considérant qu'aux termes de l'article L 122-34 du code du
travail : "Le règlement intérieur est un document écrit par lequel
l'employeur fixe exclusivement : - Les mesures d'application de la
réglementation en matière d'hygiène et de sécurité dans l'entreprise
ou l'établissement ; - Les règles générales et permanentes relatives
à la discipline et notamment la nature et l'échelle des sanctions que
peut prendre l'employeur" ; qu'aux termes de l'article L 122-35 du
même code : "Le règlement intérieur ne peut contenir de clause
contraire aux lois et règlements Il ne peut apporter aux droits
des personnes et aux libertés individuelles et collectives des
restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la
tâche à accomplir, ni proportionnées au but recherché" ; qu'en vertu
de l'article L 122-37, l'inspecteur du travail peut exiger le
retrait ou la modification des dispositions contraires aux articles
L 122-34 et L 122-35 ; qu'enfin, l'article L 122-38 dispose que :
"la décision de l'inspecteur du travail peut faire l'objet dans
les deux mois d'un recours auprès du directeur régional du travail et
de l'emploi " ;
En ce qui concerne la première phrase du troisième alinéa de
l'article 3 du règlement intérieur :
Considérant que la première phrase du troisième alinéa de
l'article 3 du règlement intérieur établi par la SOCIETE ANONYME
MAISON AUFRERE dispose que : "Chaque salarié doit prendre garde à sa
sécurité personnelle notamment en portant les appareils ou
dispositifs de protection individuelle, tels que : baudrier ou
harnais de sécurité, casque, lunettes, bottes, chaussures, vêtements
imperméables, gants, maniques, épaulières, brassières, tabliers, etc
, qui sont mis à sa disposition par l'entreprise, lorsqu'il
exécute des travaux pour lesquels le port de ces dispositifs a été
rendu obligatoire par la réglementation ou par l'entreprise" ; que
ces dispositions, qui constituent le rappel de mesures d'application
de la réglementation en matière d'hygiène et de sécurité dans
l'entreprise, ne méconnaissent pas l'article L122-34 précité du code
du travail ; qu'ainsi, le MINISTRE DU TRAVAIL, DE L'EMPLOI ET DE LA
FORMATION PROFESSIONNELLE n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort
que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a
annulé, à la demande de la SOCIETE ANONYME MAISON AUFRERE, les
décisions de l'inspecteur du travail et du directeur régional du
travail et de l'emploi en tant qu'elles exigaient la modification de
la première phrase du troisième alinéa de l'article 3 du règlement
intérieur litigieux ;
En ce qui concerne la seconde phrase du troisième alinéa de
l'article 3 du règlement intérieur :
Considérant que cette phrase dispose que chaque salarié "doit
également, par son comportement, préserver la sécurité des autres" ;
qu'une telle disposition, qui se borne à formuler une recommandation
invitant les salariés à la vigilance, ne présente pas le caractère
d'une mesure d'application de la réglementation en matière d'hygiène
et de sécurité ni d'une règle générale et permanente relative à la
discipline ; que, par suite, c'est à bon droit que l'inspecteur du
travail puis le directeur régional du travail et de l'emploi ont
estimé qu'une telle recommandation n'était pas au nombre des
dispositions qui peuvent, aux termes de l'article L122-34 du code du
travail, figurer dans le règlement intérieur ; que, dès lors, le
MINISTRE DU TRAVAIL, DE L'EMPLOI ET DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE
est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué,
le tribunal administratif de Paris a annulé les décisions des
autorités administratives susmentionnées en tant qu'elles exigeaient
la suppression de la seconde phrase du troisième alinéa de l'article
3 du règlement intérieur établi par la SOCIETE ANONYME MAISON
AUFRERE ;
En ce qui concerne l'article 12 du règlement intérieur :
Considérant qu'après avoir affirmé dans ses motifs que le
directeur régional du travail et de l'emploi avait à bon droit
confirmé la décision de l'inspecteur du travail exigeant la
modification de l'article 12 du règlement intérieur de la SOCIETE
ANONYME MAISON AUFRERE afin d'en préciser la portée, le tribunal
administratif de Paris a, par l'article 1er du dispositif du jugement
attaqué, annulé ces décisions en tant qu'elles concernaient ledit
article 12 ; qu'ainsi, ce jugement est entaché de contrariété entre
les motifs et le dispositif ; que, par suite, le MINISTRE DU TRAVAIL,
DE L'EMPLOI ET DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE et la SOCIETE ANONYME
MAISON AUFRERE sont fondés à demander l'annulation de ce jugement en
tant qu'il statue sur les conclusions de la SOCIETE ANONYME MAISON
AUFRERE tendant à l'annulation des dispositions des décisions
précitées relatives à l'article 12 du règlement intérieur
litigieux ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement
sur la demande présentée par la SOCIETE ANONYME MAISON AUFRERE devant
le tribunal administratif de Paris, en tant qu'elle est dirigée
contre les dispositions de la décision de l'inspecteur du travail de
la section n° 13 A de la direction départementale du travail et de
l'emploi de Paris en date du 12 juin 1987 et de la décision du
directeur régional du travail et de l'emploi d'Ile-de-France en date
du 11 septembre 1987 relatives à l'article 12 du règlement intérieur
de la SOCIETE ANONYME MAISON AUFRERE ;
Considérant qu'aux termes de l'article L 231-8-1 du code du
travail : "aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être
prise à l'encontre d'un salarié ou d'un groupe de salariés qui se
sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif
raisonnable de penser qu'elles présentait un danger grave et imminent
pour la vie ou la santé de chacun d'eux" ; que si l'article 12 du
règlement intérieur de la SOCIETE ANONYME MAISON AUFRERE interdit aux
membres du personnel "sous réserve des dipositions législatives,
réglementaires et conventionnelles en vigueur, notamment de celles
relatives aux institutions représentatives du personnel et au droit
d'expression des salariés ( ) de quitter le travail sans
autorisation", de telles dispositions n'ont ni pour objet ni pour
effet de faire obstacle à l'exercice du droit de retrait d'une
situation de travail dangeureuse qui est reconnu aux salariés par
l'article L-231-8-1 précité du code du travail ; qu'il suit de là
que la SOCIETE ANONYME MAISON AUFRERE est fondée à soutenir que les
décisions de l'inspecteur du travail et du directeur régional du
travail et de l'emploi sont entachées d'illégalité en tant qu'elles
exigent la modification de l'article 12 du règlement intérieur ;
En ce qui concerne l'article 13, alinéa 3 du règlement intérieur
:
Considérant que l'article 13, alinéa 3, du règlement intérieur
litigieux dispose que "tout comportement fautif d'un salarié peut
donner lieu à l'une des sanctions suivantes, qui est fixée par le
chef d'entreprise ou son représentant en fonction de la nature ou de
la gravité du fait reproché : avertissement écrit ou blâme, mise à
pied, mutation licenciement, licenciement sans préavis ni
indemnité " ;
Considérant que si la mise à pied, qui est une mesure de
suspension temporaire du contrat de travail, peut figurer dans
l'échelle des sanctions prévues par le règlement intérieur, ledit
règlement doit préciser la durée maximale de cette mise à pied ; que,
par suite, c'est à bon droit que l'inspecteur du travail puis le
directeur régional du travail et de l'emploi ont demandé à la SOCIETE
ANONYME MAISON AUFRERE de modifier en ce sens la rédaction dudit
article ; que, dès lors, la société requérante n'est pas fondée à
soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal
administratif de Paris a rejeté sa demande dirigée contre ces
décisions en tant qu'elles concernaient l'article 13 alinéa 3, du
règlement intérieur ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris en date
du 7 novembre 1988 est annulé, d'une part, en tant qu'il annule les
décisions de l'inspecteur du travail de la section n° 13 A de la
direction départementale du travail et de l'emploi de Paris et du
directeur régional du travail et de l'emploi d'Ile-de-France en tant
que lesdites décisions exigent la suppressionde la seconde phrase du
troisième alinéa de l'article 3 du règelemnt intérieur établi par la
SOCIETE ANONYME MAISON AUFRERE, et d'autre part, en tant qu'il statue
sur les conclusions de la SOCIETE ANONYME MAISON AUFRERE dirigées
contre les mêmes décisions en tant qu'elles exigent la modification
de l'article 12 du même règlement intérieur.
Article 2 : Les décisions de l'inspecteur du travail et du directeur
régional du travail et de l'emploi sont annulées en tant qu'elles
exigent la modification de l'article 12 du règlement intérieur établi
par la SOCIETE ANONYME MAISON AUFRERE.
Article 3 : Les conclusions de la demande présentée par la SOCIETE
ANONYME MAISON AUFRERE devant le tribunal administratif de Paris sont
rejetées en tant qu'elles sont dirigées contre les décisions de
l'inspecteur du travail et du directeur régional du travail et de
l'emploi en tant que lesdites décisions exigent la suppression de la
seconde phrase du troisième alinéa de l'article 3 de son règlement
intérieur.
Article 4 : Le surplus des conclusions du MINISTRE DU TRAVAIL, DE
L'EMPLOI ET DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE et de la SOCIETE ANONYME
MAISON AUFRERE est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DU TRAVAIL, DE L'EMPLOI ET DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE et à la SOCIETE ANONYME MAISON AUFRERE.
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