La lettre juridique n°413 du 21 octobre 2010 : Habitat-Logement

[Doctrine] La procédure spécifique d'expropriation pour lutter contre l'habitat insalubre conforme à la Constitution

Réf. : Cons. const., décision n° 2010-26 QPC du 17 septembre 2010 (N° Lexbase : A4758E94)

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

le 23 Octobre 2014

L'expropriation permet aux collectivités publiques, ainsi qu'à certains organismes privés investis d'une mission d'intérêt général, d'acquérir de façon unilatérale, et dans un but d'utilité publique, des biens immobiliers en contrepartie d'une juste et préalable indemnisation. Toutefois, dans des domaines particuliers, des lois non codifiées ont instauré des procédures dérogatoires du droit commun que l'on peut aisément classer en deux catégories : il s'agit, d'une part, des procédures d'urgence (1) ou d'extrême urgence (2) et, d'autre part, des procédures réservées à certains domaines spécifiques auxquels s'appliquent des règles d'expropriation ou d'acquisition particulières (3). Sont, ainsi, concernés, dans cette seconde catégorie, la défense nationale (4), la voirie (5), la recherche et l'exploitation minière (6), la concession d'énergie hydraulique (7), la protection des richesses nationales (8), la sécurité publique (9), les jardins familiaux (10), les immeubles en état d'abandon manifeste (11), ou encore l'habitat insalubre. C'est cette dernière procédure spécifique qui nous intéresse en l'espèce. Issue de la loi "Vivien" du 10 juillet 1970, visant à faciliter la suppression de l'habitat insalubre (12), elle permet d'exproprier des immeubles et terrains insalubres inaptes à l'habitation dans deux hypothèses. Tout d'abord pour les immeubles déclarés insalubres à titre irrémédiable (13) mais aussi, ensuite, pour les immeubles ayant fait l'objet d'un arrêté de péril assorti d'une ordonnance de démolition ou d'une interdiction définitive d'habiter (14). Cette procédure d'expropriation est, sur différents aspects, dérogatoire à celle régie par le Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique (15). Elle impose, notamment, au préfet d'indiquer, dans son arrêté, la collectivité publique ou l'organisme à qui profite l'expropriation, et de mentionner les offres de relogement faites aux habitants. De même, l'arrêté déclare la cessibilité et fixe le montant de l'indemnité provisionnelle allouée aux propriétaires et aux titulaires de baux. Cette évaluation ne peut, toutefois, être inférieure à l'évaluation faite par le service des domaines. Mais elle permet aussi surtout la prise de possession de l'immeuble dès paiement ou consignation d'une indemnité provisionnelle dont le montant est fixé par arrêté du préfet (16), tout en limitant l'appréciation de la valeur des biens, sauf exceptions, au montant du terrain nu déduction faite des frais entraînés par leur démolition. Le régime dérogatoire ainsi créé étant de nature à faciliter l'expropriation et, par conséquent, étant susceptible de porter atteinte au juste équilibre entre le droit de propriété et la préservation de l'utilité publique, les tribunaux administratifs de Montreuil et de Cergy-Pontoise ont transmis au Conseil d'Etat la question prioritaire de la conformité à la Constitution des articles 13, 14, 17 et 18 de cette loi "Vivien" du 10 juillet 1970 (17). Le Conseil d'Etat décide, dans son arrêt (18), du renvoi au Conseil constitutionnel de cette question au motif, d'une part, que ces dispositions n'ont pas été déjà déclarées conforme à la constitution par ce même Conseil constitutionnel et, d'autre part, que le moyen tiré de ce que ces dispositions portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et, notamment, au droit de propriété, soulève une question présentant un caractère sérieux.

Dans la décision ici étudiée, les Sages de la rue de Montpensier ont jugé ces dispositions conformes à la Constitution. La société requérante estimait que l'ensemble du dispositif portait atteinte au droit de propriété en ce qu'il ne respectait pas "l'exigence d'une indemnité juste et préalable et n'offr[ait] pas de voies de recours appropriées". Reprenant sa jurisprudence relative au droit de propriété et à l'expropriation, le Conseil constitutionnel vient balayer cette argumentation et juge que les articles contestés de la loi ne sont contraires à aucun droit ou liberté que la Constitution garantit. Il a, en effet, estimé que "l'ensemble des dispositions a pour objet de mettre fin dans les meilleurs délais à l'utilisation de locaux ou d'habitation présentant un danger pour la santé ou la sécurité des occupants [...] ainsi, le tempérament apporté à la règle du caractère préalable de l'indemnisation répond à des motifs impérieux d'intérêt général".

La décision du Conseil constitutionnel peut paraître, à certains égards, discutable dans la mesure où la procédure spécifique d'expropriation pour lutter contre l'habitat insalubre apparaît profondément dérogatoire au droit commun, tout en amenant à privilégier fortement l'autorité publique expropriatrice. L'équilibre entre défense de l'intérêt général et respect du droit de propriété, que l'on doit précisément respecter dans ce type de procédure, n'apparaît pas correctement établi. Ceci se vérifie d'autant plus si l'on fait référence à la jurisprudence européenne actuellement en vigueur en la matière, dont l'on note l'approfondissement du contrôle au travers de la recherche d'un rapport de proportionnalité, mais aussi d'un rapport de nécessité particulièrement symptomatique en matière foncière. Le Conseil constitutionnel ne retient pas, dans la décision d'espèce, l'ensemble de ces éléments et applique une jurisprudence classique en la matière (II) malgré la présence, de plus en plus forte, de ses éléments susceptibles d'amener une remise en cause de la procédure incriminée (I).

I - Des éléments susceptibles d'amener une remise en cause de la procédure incriminée

Il y a deux éléments susceptibles d'amener une remise en cause de la procédure incriminée. Le premier élément réside dans le caractère particulièrement sévère de la procédure spécifique d'expropriation, particulièrement favorable à l'autorité expropriatrice (A). Si l'on peut comprendre la logique qui sous-tend ces dispositions dérogatoires, ces dernières n'en restent pas moins susceptibles, et c'est là le second élément de remise en cause, d'être incompatibles avec l'article 1er du premier Protocole additionnel à la CESDH (N° Lexbase : L1625AZ9) (B).

A - Une procédure d'expropriation profondément dérogatoire au droit commun

La procédure d'expropriation applicable pour les immeubles insalubres diffère profondément de la procédure de droit commun. La différence première et principale réside dans le fait qu'aucune enquête publique n'est exigée. La déclaration d'utilité publique et l'arrêté de cessibilité sont, en outre, adoptés dans le même arrêté, lequel détermine, également, la personne bénéficiaire de l'expropriation et le montant de l'indemnité provisionnelle allouée aux propriétaires. Dès paiement ou consignation de cette indemnité provisionnelle, la procédure permet, au surplus, la prise de possession de l'immeuble. Cette prise de possession anticipée existe bien dans le droit commun de l'expropriation, mais elle est limitée aux situations d'urgence (19). Par ailleurs, le dispositif d'indemnisation est tout à fait favorable à l'autorité publique puisqu'il ne prend en compte que la valeur des terrains nus, c'est-à-dire hors celle des immeubles insalubres et des frais de leur démolition. Si l'article 18 de la loi "Vivien" dispose bien que l'indemnité d'expropriation est fixée selon la procédure de droit commun (20), ce même article précise que "la valeur des biens est appréciée, compte tenu du caractère impropre à l'habitation des locaux et installations expropriés, à la valeur du terrain nu", par dérogation, donc, au principe selon lequel il est tenu compte de la valeur de l'immeuble exproprié.

Ces différences sont justifiées par l'urgence de l'expropriation de l'immeuble insalubre, cette urgence étant elle-même fondée sur la protection de la santé des personnes et de la salubrité publique. Leur caractère dérogatoire justifie, cependant, que le préfet ne soit pas tenu d'y recourir. Il peut, eu égard aux finalités d'un projet qui vise à résorber l'insalubrité des immeubles en cause et à réaménager un quartier, user de la procédure de droit commun, qui offre des garanties plus étendues aux propriétaires évincés, à la place de la procédure décrite aux articles 13 et 14 de la loi "Vivien" (21).

Enfin, et même si ce n'est qu'à titre exceptionnel, des immeubles qui ne sont pas insalubres ou impropres à l'habitation, mais dont l'expropriation est indispensable à la démolition des immeubles insalubres ou des immeubles menaçant ruine, sont soumis au même régime (22). Tel est le cas lorsque les immeubles salubres sont physiquement liés aux immeubles insalubres et qu'ils forment, ainsi, un ensemble architectural indissociable. Dans sa rédaction originelle, il fallait que l'administration démontre que l'expropriation des locaux sains était nécessaire à la réalisation de l'opération projetée. Il suffit aujourd'hui que l'expropriation soit nécessaire à la seule démolition des immeubles insalubres pour assurer sa légalité. L'expropriation ainsi imposée au propriétaire d'un immeuble salubre peut paraître en ce sens sévère, même si l'on peut comprendre la logique qui sous-tend les dispositions. Dans tous les cas elle pose la question de la conformité du dispositif avec les dispositions nationales ou européennes.

B - Une jurisprudence européenne assez contraignante dans la recherche du juste équilibre entre droit de propriété et intérêt général

Lorsqu'il y a opposition entre les deux légitimités que peuvent constituer l'intérêt général et le droit de propriété, la CEDH n'établit à aucun moment une quelconque hiérarchie entre les deux légitimés. Elle s'attache, bien au contraire, à rétablir une symétrie qui fait défaut, car le droit interne régissant l'action publique puise précisément sa source dans la prévalence de l'intérêt général en tant que norme de justification de l'initiative publique. C'est l'article 1er du premier Protocole additionnel qui fixe le droit applicable conformément à l'interprétation qui en est faite et régulièrement réaffirmée depuis l'arrêt "Sporrong et Lönnroth" (23). Si la Cour considère qu'il n'y a ni privation ni réglementation de l'usage, elle appliquera le principe général du respect du droit de propriété, c'est-à-dire la norme générale propre à la substance du droit et constatera, le cas échéant, l'ingérence. La Cour n'hésite pas à indiquer à l'adresse des parties qu'il n'est pas suffisant qu'une mesure privative ou restrictive de propriété poursuive "un objectif légitime d'utilité publique". Elle impose un rapport de proportionnalité au travers de la recherche d'un équilibre qui ne doit pas être rompu au détriment de l'intéressé (24). Celle-ci examinera si l'équilibre est respecté entre les exigences de l'intérêt général et la sauvegarde du droit fondamental à la propriété, et si l'ingérence répond à une base légale qui doit exister de manière certaine en droit interne, notamment en satisfaisant un objectif d'intérêt général légal ou légitime.

Pour ce qui est du contrôle de l'utilité publique, l'on peut dire que le juge européen assume d'un prime abord difficilement ce contrôle qui pourrait l'éloigner de la lettre de l'article 1er du premier Protocole. La Cour admet, ainsi, que, "dans un domaine aussi complexe et difficile que l'aménagement des grandes cités, les Etats contractants jouissent d'une grande marge d'appréciation pour mener leur politique urbanistique" (25). Si le juge réfute toute "acception trop abstraite de la notion de cause d'utilité publique'" (26), il affirme vouloir se garder d'apprécier l'utilité publique et maintenir la distance quant aux choix des Etats de recourir à l'expropriation pour mener des politiques publiques. Il invoque la marge d'appréciation des autorités nationales qui sont, ainsi, en mesure de "juger si, dans telles ou telles circonstances, un problème d'intérêt public se pose et justifie des privations de propriété", car il considère que les procédures prévues par le droit interne offrent "un remède suffisant" pour assurer la protection du droit au respect des biens (27).

Il y a, néanmoins, un approfondissement du contrôle du juge européen à un double niveau : au travers de la recherche d'un rapport de proportionnalité, mais aussi d'un rapport de nécessité particulièrement symptomatique en matière foncière. Le juge n'hésite pas à contrôler si l'utilité publique n'est pas dépourvue de base raisonnable, ce qui lui permet d'en approcher la nature et d'en apprécier la nécessité, même s'il retient, à la fin, une approche large de l'utilité publique. La Cour explique clairement qu'elle respecte la "manière" dont les autorités apprécient "les impératifs d'utilité publique", sauf si leur jugement est "manifestement dépourvu de base raisonnable" (28).

De même, enfin, un des moyens dont use la Cour et qui permet de mesurer le rapport de proportionnalité est justement l'examen des modalités d'indemnisation prévues par la législation interne, ce qui pose problème dans le cas d'espèce. Pour la CEDH, l'absence du versement d'une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien est constitutive d'une atteinte excessive à l'article 1er (29), sauf dans les cas légitimes d'utilité publique qui exigent un remboursement à la valeur marchande du bien (30). A cet égard, la Cour de Strasbourg considère que le droit à indemnité constitue une obligation pour les autorités nationales qui résulte "implicitement" de l'article 1er du premier Protocole envisagé dans une lecture d'ensemble. Il y a, au final, des éléments susceptibles d'être pris en considération par le Conseil constitutionnel dans son appréciation de la conformité de la procédure incriminée à la Constitution même si ce dernier préfère s'en tenir à sa jurisprudence classique et déclarer la procédure conforme dans tous ses éléments.

II - Des éléments non retenus par le Conseil constitutionnel

En déclarant la procédure conforme à la Constitution, le juge constitutionnel s'en tient à sa jurisprudence classique concernant le respect du droit de propriété, jurisprudence qu'il ne serait pas susceptible de faire évoluer malgré le nouvel instrument que constitue la question prioritaire de constitutionnalité pour les justiciables (A). Sa jurisprudence classique reste fondée sur une approche assez pragmatique des rapports entre droit de propriété et intérêt général. Cette approche se focalise sur la recherche, identique à celle du juge européen, d'un équilibre entre les deux légitimités mais le rapport de proportionnalité et de nécessité peut paraître, à certains égards, moins approfondi (B).

A - Une décision classique mais qui témoigne de la fortune diverse de la question prioritaire de constitutionnalité en droit de l'urbanisme

La question prioritaire de constitutionnalité connaît des fortunes diverses en droit de l'urbanisme car elle est soumise au bon vouloir du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation, selon qu'ils acceptent le renvoi devant le Conseil constitutionnel ou, qu'à l'inverse, ils estiment qu'il n'y a pas lieu de poser une telle question. Le régime de la mise en compatibilité du plan local d'urbanisme par une déclaration d'utilité publique s'est, ainsi, vu refuser un passage devant le Conseil constitutionnel (32), tout comme le principe de non-indemnisation des servitudes d'urbanisme de l'article L. 160-5 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7364ACQ). Pour refuser de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité de l'article L. 160-5 précité, le Conseil d'Etat a considéré que la non-indemnisation des servitudes d'urbanisme ne pouvait pas être inconstitutionnelle car elle n'était tout simplement pas inconventionnelle, prenant appui sur le célèbre arrêt "Bitouzet" rendu le 3 juillet 1998 (34) dans lequel la Section du contentieux, s'inspirant de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg (35), concluait à la compatibilité de l'article L. 160-5 avec les stipulations de l'article 1er du premier Protocole additionnel consacrant le droit de propriété.

La saisine du Conseil constitutionnel après appréciation de l'opportunité de celle-ci par une des Hautes juridictions n'implique pas nécessairement une censure de sa part comme c'est le cas en l'espèce, ou lorsqu'il a validé le régime du transfert d'office dans le domaine public communal d'une voie privée ouverte à la circulation publique (36). En revanche, il lui est déjà arrivé de déclarer inconstitutionnelle une disposition du Code de l'urbanisme, en l'occurrence l'article L. 332-6-1 (N° Lexbase : L0597ING), qui permet aux communes d'imposer aux constructeurs, par une prescription incluse dans l'autorisation d'occupation du sol, la cession gratuite d'une partie de leur terrain. La disposition attribue à la collectivité publique le plus large pouvoir d'appréciation sur son application et ne définit pas les usages publics auxquels doivent être affectés les terrains ainsi cédés. Pour le Conseil, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence, dès lors qu'aucune autre disposition législative n'institue les garanties permettant qu'il ne soit pas porté atteinte à l'article 17 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1364A9E) (37).

En l'espèce, le Conseil constitutionnel a logiquement opéré son contrôle sur le terrain de l'article 17 de la DDHC qui autorise un transfert forcé de propriété dont l'opportunité est déterminée par le législateur. Ce dernier apprécie donc l'intérêt général qui justifie une telle opération, sans, toutefois, commettre "d'erreur manifeste" dans l'appréciation de la nécessité à priver une personne, publique ou privée, de son droit de propriété. L'erreur manifeste n'ayant jamais été décelée, les contours de cette marge de manoeuvre restent incertains. Selon sa jurisprudence classique (38), cependant, la loi ne peut autoriser l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers que pour la réalisation d'une opération dont l'utilité publique est légalement constatée. La prise de possession par l'expropriant doit être subordonnée au versement préalable d'une indemnité. Pour être juste, l'indemnisation doit couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l'expropriation. Et, en cas de désaccord sur la fixation du montant de l'indemnisation, l'exproprié doit disposer d'une voie de recours approprié. Pour le Conseil, l'octroi par la collectivité expropriante d'une provision représentative de l'indemnité due dans la procédure spécifique pour lutter contre l'habitat insalubre n'est pas incompatible avec le respect de ses exigences.

B - Une décision classique dans la recherche d'équilibre entre respect du droit de propriété et impératifs d'intérêt général

L'octroi par la collectivité expropriante d'une provision représentative de l'indemnité due est conforme à la Constitution si un tel mécanisme répond à des motifs impérieux d'intérêt général, et qu'il est assorti de la garantie des droits des propriétaires intéressés (39).

Concernant cette garantie, les Sages rappellent que la procédure au terme de laquelle le préfet peut déclarer irrémédiablement insalubre un immeuble pallie, en partie, l'absence d'enquête publique : les propriétaires sont, en effet, invités, préalablement à la réunion de la commission départementale compétente en matière d'environnement, de risques sanitaires et technologiques, à faire part de leurs observations sur le projet de déclaration d'insalubrité de leur immeuble (40). De même, le Conseil souligne que le propriétaire évincé conserve la possibilité de contester devant le juge administratif les divers actes intervenant lors de la phase administrative de la procédure d'expropriation. Le juge peut, notamment, apprécier si la délibération de la commission départementale n'est pas entachée d'inexactitude matérielle ou d'erreur manifeste d'appréciation (41), si le champ d'application matériel du dispositif est respecté (42), ou encore si les déclarations d'utilité publique et de cessibilité de l'immeuble ne sont pas entachées de détournement de pouvoir (43).

Quant au caractère favorable du dispositif d'indemnisation à la collectivité publique, le Conseil relève que le critère retenu pour calculer l'indemnité est justifié par l'objectif que le législateur s'est fixé, en tant qu'il s'agit de pallier les carences des propriétaires à effectuer des travaux nécessaires pour remédier à l'insalubrité des immeubles leur appartenant (44). Il tient aussi compte du fait que, dès lors que l'immeuble à usage d'habitation a été qualifié d'irrémédiablement insalubre et a fait l'objet de la part du préfet de département d'une interdiction définitive d'habiter, il a perdu toute finalité pour des propriétaires qui ne l'occupaient pas eux-mêmes.

Concernant les motifs impérieux d'intérêt général, le Conseil constitutionnel a jugé que le tempérament au caractère préalable de l'indemnité se justifie compte tenu de l'urgence sanitaire dans laquelle s'inscrit cette procédure. Il s'agit de mettre fin dans les meilleurs délais à des situations présentant un danger pour la santé ou la sécurité des occupants des immeubles concernés, d'où les motifs impérieux d'intérêt général.

Il y a là, in fine, un exemple typique de recherche d'équilibre entre les deux intérêts légitimes concernés dans les procédures d'expropriation, à savoir les objectifs d'intérêt général et le respect du droit de propriété. Le Conseil va assez loin dans la recherche de l'effectivité de cet équilibre, même si le droit interne régissant l'action publique puise précisément sa source dans la prévalence de l'intérêt général en tant que norme de justification de l'initiative publique. L'on aurait pu penser, conformément à la jurisprudence européenne, qu'il aille, néanmoins, vers le rétablissement d'une certaine symétrie qui fait peut-être défaut en la matière.


(1) La procédure d'urgence est définie par les articles L. 15-4 (N° Lexbase : L2964HLD) à L. 15-5 et R. 15-1 (N° Lexbase : L3238HLI) à R. 15-8 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Selon l'article R. 15-1, lorsqu'il y a urgence à prendre possession des biens expropriés, cette urgence est constatée par l'acte déclarant l'utilité publique ou par "un acte postérieur de même nature", cette dernière expression visant implicitement l'arrêté de cessibilité. La procédure d'urgence va alors consister à accélérer la phase judiciaire de la procédure d'expropriation, du point de vue de la fixation des indemnités, mais aussi du point de vue de la prise de possession. L'article R. 15-1 étant rédigé de façon très générale, il faut considérer que la procédure d'urgence peut être utilisée par l'Etat, mais, également, par les collectivités locales. De même, cette procédure est susceptible d'être mise en oeuvre pour l'expropriation de tous les immeubles bâtis ou non bâtis.
(2) La procédure d'extrême urgence est visée par les articles L. 15-6 (N° Lexbase : L2967HLH) à L. 15-9 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Elle permet au bénéficiaire de prendre possession des terrains concernés avant l'ordonnance d'expropriation, par un décret en Conseil d'Etat. L'article L. 15-9 (N° Lexbase : L7735IMG) prévoit, ainsi, que la procédure d'extrême urgence peut s'appliquer aux travaux de construction de voies rapides, des routes nationales ou de sections nouvelles de routes nationales, de voies de chemin de fer et d'oléoducs régulièrement déclarés d'utilité publique. Plus récemment le champ d'application de la procédure d'expropriation d'extrême urgence a été étendu à la prévention de certains risques naturels et technologiques.
(3) C. expr., art. L. 24-1 (N° Lexbase : L5447IMP).
(4) Diverses procédures spéciales ont été instituées concernant les opérations secrètes, l'occupation temporaire de terrains et les brevets d'invention.
(5) La création, le redressement ou l'élargissement des voies routières appellent souvent des emprises foncières sur des terrains adjacents et leur acquisition subséquente.
(6) Le droit minier a instauré la possibilité de poursuivre l'expropriation des immeubles nécessaires aux travaux et installations qui sont indispensables à l'exploitation de la mine, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du périmètre d'un titre minier, moyennant déclaration d'utilité publique dans les formes prévues à l'article L. 11-2 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique (N° Lexbase : L2891HLN).
(7) La loi modifiée du 16 octobre 1919, relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique (JO, 18 octobre 1919), a prévu qu'en vue de l'exécution des travaux définis au cahier des charges et régulièrement approuvés par l'administration, ainsi que pour l'exploitation de la concession d'énergie hydraulique, le concessionnaire puisse bénéficier de la faculté de bénéficier de la procédure d'expropriation.
(8) Certaines richesses nationales font l'objet de procédures d'expropriation ou d'appropriation particulière, qu'il s'agisse de les protéger ou de les exploiter. Il faut ainsi distinguer les bois et forêts, l'eau et les cours d'eau, les monuments historiques, les monuments naturels et les sites, les objets archéologiques et les collections.
(9) La loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003, relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages (N° Lexbase : L6837BUR) (JO, 31 juillet 2003, p. 13021), a repris une procédure originale de prévention de certains risques naturels par expropriation des biens immobiliers des personnes exposées (C. envir., art. L. 561-1 N° Lexbase : L8864IMA).
(10) La loi n° 76-1022 du 10 novembre 1976, relative à la création et à la protection des jardins familiaux (N° Lexbase : L1935INY) (JO, 11 novembre 1976, p. 6539), a favorisé leur création et leur a apporté une protection supplémentaire en accordant aux SAFER et aux collectivités locales le droit de préemption pour acquérir et aménager ces jardins (C. rur., art. L. 561-1 N° Lexbase : L4293AEQ à L. 561-3).
(11) La loi n° 89-550 du 2 août 1989, portant dispositions diverses en matière d'urbanisme et d'agglomérations nouvelles (N° Lexbase : L1933INW) (JO, 8 août 1989, p. 9959), a introduit une nouvelle procédure d'expropriation des immeubles en état d'abandon manifeste, permettant aux communes de faire cesser l'état d'abandon de terrains ou d'immeubles sans occupant à titre habituel et manifestement non entretenus, soit en incitant les propriétaires à les entretenir, soit en les expropriant en vue de réaliser un aménagement public (CGCT, art. L. 2243-1 N° Lexbase : L2087G98 à L. 2243-4).
(12) Loi n° 70-612 du 10 juillet 1970, dite loi "Vivien", tendant à faciliter la suppression de l'habitat insalubre (N° Lexbase : L2048A4M) (JO, 12 juillet 1970, p. 6543).
(13) En application de l'article L. 1331-25 (N° Lexbase : L6859IG7) ou L. 1331-28 (N° Lexbase : L6334IGP) du Code de la santé publique.
(14) En application de l'article L. 511-2 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L1146HP7).
(15) Cf. les articles 13, 14, 17 et 18 de la loi du 10 juillet 1970 modifiée.
(16) Cette prise de possession anticipée existe bien dans le droit commun de l'expropriation mais elle est limitée aux situations d'urgence (C. expr., art. L. 15-4 N° Lexbase : L2964HLD et L. 15-5).
(17) Tels que modifiés par l'ordonnance n° 2005-1566 du 15 décembre 2005, relative à la lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux (N° Lexbase : L5276HDR) (JO, 16 décembre 2005, p. 19370), elle-même ratifiée par la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006, portant engagement national pour le logement (N° Lexbase : L2466HKK) (JO, 16 juillet 2006, p. 10662).
(18) CE 4° et 5° s-s-r., 18 juin 2010, n° 337898 et n° 337913 (N° Lexbase : A9747EZZ).
(19) C. expr., art. L. 15-4 et L. 15-5 (N° Lexbase : L2966HLG).
(20) Prévue aux articles L. 13-1 (N° Lexbase : L2916HLL) à L. 13-12 du Code de l'expropriation.
(21) Cf. CE, 7 mai 1993, n° 110947 (N° Lexbase : A9554AMS), Rec. CE, p. 827.
(22) Loi du 10 juillet 1970, précitée, article 13, alinéa 3.
(23) Cf. CEDH, 23 septembre 1982, Req. 7151/75 et 7152/75 (N° Lexbase : A5103AYN), série A, vol. 52, AFDI, 1985, p. 415, note V. Coussirat-Coustères, JDI, 1985, p. 205, obs. P. Tavernier.
(24) Cf. CEDH, 13 juillet 2004, Req. 40786/98 (N° Lexbase : A0711DDP), RFDA, 2005, p. 993.
(25) CEDH, 22 septembre 1982, Req. 7151/75 et 7152/75, préc..
(26) Cf. CEDH, 2 juillet 2002, Req. 48161/99 (N° Lexbase : A1464AZA), JCP éd. G, 2003, I, n° 109, n° 25, chron. F. Sudre.
(27) Cf. CEDH, 18 février 1991, Req. 29/1989/189/249 (N° Lexbase : A6345AWW), Rec. CEDH, série A, vol. n° 192.
(28) Cf. CEDH, 19 septembre 2006, Req. 13844/02 (N° Lexbase : A2378DRI).
(29) Cf. CEDH, 21 août 2002, Req. 28856/95, Rec. CEDH, IV.
(30) Cf. CEDH, 25 mars 1999, Req. 31423/96 (N° Lexbase : A7516AWB), DA, 1999, comm. n° 135.
(31) Cf. CEDH, 8 juillet 1986, Req. 2/1984/74/112 (N° Lexbase : A6343AWT), Rec. CEDH, 1986, série A, n° 102.
(32) C. urb., art. L. 123-16 (N° Lexbase : L9409IMG) et CE 1° et 6° s-s-r., 15 septembre 2010, n° 330734, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4981E9D).
(33) CE 9° et 10° s-s-r., 16 juillet 2010, n° 334665, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6483E4U).
(34) CE Contentieux, 3 juillet 1998, n° 158592 (N° Lexbase : A2355B7D), RFDA, 1998, p. 1243, concl. R. Abraham.
(35) Cf. CEDH, 22 septembre 1982, Req. 7151/75 et 7152/75, préc., série A, vol. 52, AFDI, 1985, p. 415, note V. Coussirat-Coustères, JDI, 1985, p. 205, obs. P. Tavernier.
(36) Cons. const., décision n° 2010-43 QPC du 6 octobre 2010 (N° Lexbase : A9924GAS).
(37) Cons. const., décision n° 2010-33 QPC du 22 septembre 2010 (N° Lexbase : A8929E9L), JCP 2010, éd. A, n° 2302, comm. Ph. Billet.
(38) Voir, notamment, Cons. const., décision n° 89-256 DC du 25 juillet 1989 (N° Lexbase : A8198ACM), Rec. CC, p. 53, CJEG, 1990, p. 1, note Genevois, RFDA, 1989, p. 1009, note Bon.
(39) Cons. const., décision n° 89-256 DC du 25 juillet 1989, préc..
(40) C. santé publ., art. L. 1331-27 (N° Lexbase : L6284IGT) : le Conseil retenant que l'article garantit l'information du propriétaire quant à la poursuite de la procédure relative à la déclaration d'insalubrité de l'immeuble et lui offre la faculté d'être entendu à l'occasion des différentes étapes de celle-ci.
(41) CE Contentieux, 17 octobre 1997, n° 164189 (N° Lexbase : A4657ASB).
(42) CE Contentieux, 16 octobre 1996, n° 90748 (N° Lexbase : A1023APL).
(43) CE 4° et 5° s-s-r. , 25 mai 2005, n° 275864 (N° Lexbase : A4110DI3).
(44) Il en est de même concernant le calcul de l'indemnisation des frais de démolition et de relogement des occupants des immeubles expropriés. Il s'agit ni plus ni moins de déduire du montant de l'indemnisation du propriétaire le coût des obligations légales qu'il revient, en principe, d'assurer et que la collectivité a finalement assumé.

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