La lettre juridique n°413 du 21 octobre 2010 : Avocats

[Questions à...] Le point de vue d'un Bâtonnier aujourd'hui... Dominique Mattéi, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Marseille, et Jérôme Gavaudan, Bâtonnier désigné

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[Questions à...] Le point de vue d'un Bâtonnier aujourd'hui... Dominique Mattéi, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Marseille, et Jérôme Gavaudan, Bâtonnier désigné. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211232-questions-a-le-point-de-vue-dun-batonnier-aujourdhui-b-dominique-mattei-batonnier-de-lordre-des-avoc
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par Yann Le Foll, Journaliste juridique

le 04 Janvier 2011

Régulièrement, les éditions juridiques Lexbase se plaisent à donner la parole au Bâtonnier d'un des 181 barreaux qui constituent le maillage ordinal de la profession d'avocat, afin qu'il ou elle évoque, avec nos lecteurs, son point de vue sur l'avenir des professions juridiques et, plus particulièrement, celui sur la profession qui l'anime au quotidien, et ses ambitions pour le barreau dont il ou elle a la charge. Aujourd'hui, rencontre avec... Dominique Mattéi, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Marseille, et Jérôme Gavaudan, Bâtonnier désigné. Lexbase : Pouvez-vous nous présenter le barreau de Marseille ?

Jérôme Gavaudan : Nous sommes à l'heure actuelle 1 750 confrères, donc l'un des plus grands barreaux de France. C'est un barreau jeune, avec une moyenne d'âge de 40 ans, dynamique, à 50 % féminin et remplissant toutes les fonctions habituelles de l'avocat d'aujourd'hui. Il est composé de beaucoup de cabinets individuels et de petites structures, mais aussi de quelques beaux cabinets de 20 ou 30 confrères. Il existe depuis toujours dans notre ville un coeur important de civilistes purs, qui traitent, notamment, du droit de la famille, du droit civil et du droit de la construction, mais aussi une forte tradition pénale. Tous les domaines d'activités sont couverts, tels que le droit social, le droit commercial, ou encore le droit de la santé et le droit des marques, avec une activité importante du tribunal de commerce et du conseil des prud'hommes. Notons, toutefois, qu'une grosse activité juridique se développe avec des cabinets parfaitement compétents en matière fiscale et de fusions acquisitions. Il existe, par ailleurs, une forte tradition de liens entre les Bâtonniers successifs. J'ai vécu depuis près d'un an un dauphinat très intense grâce à la volonté ferme du Bâtonnier Mattei de m'associer à tous les gros dossiers, qu'ils concernent des aspects nationaux ou la vie du barreau localement. Au contact de ce poste de Bâtonnier, la façon dont l'on voit les choses change immédiatement car l'on doit trancher rapidement. Cela change de la position que l'on occupe au conseil de l'Ordre où l'on peut se contenter d'exprimer une simple opinion. En tant que Bâtonnier, l'on doit, en effet, être réactif et décider.

Lexbase : Quelles ont été les priorités de votre mandat ?

Dominique Mattéi : Les priorités ont été dictées par l'actualité. Nous avons essayé d'être une force de proposition tout au long de cette législature en donnant notre opinion sur les différents rapports (rapports "Léger" et "Darrois"), l'avant-projet de réforme du Code de procédure pénale, la prise en compte de la question prioritaire de constitutionnalité, ou encore, pour la chaîne pénale, la remise en cause de la garde à vue avec la décision du Conseil constitutionnel (1). Ensuite il y a le développement et la prise en compte des nouveaux champs d'activité (fiducie, activité de mandataire en transaction immobilière, d'agent de joueur de football), ainsi que la manière dont on les met en place et dont l'on accueille les confrères. L'on peut aussi citer la réforme des procédures d'ordre.

Lexbase : Quelle est votre position sur le projet de création du statut d'avocat en entreprise ?

Dominique Mattéi : La question essentielle est celle de savoir si le lien de subordination avec l'employeur permet à l'avocat d'être aussi indépendant que celui qui exerce de manière complètement libérale. Il existe aussi un autre point de litige dans le projet actuel, à savoir l'existence de deux tableaux séparés. Ma position est donc de dire pourquoi pas, mais uniquement si les conditions relatives au respect des règles déontologiques, qui demeurent notre grande force dans l'exercice, sont remplies.

Jérôme Gavaudan : Cette question est compliquée. En effet, autant il existe un accord général pour dire que le métier d'avocat doit connaître une extension de son champ d'activité, autant il faut rester conscient que nous sommes une profession réglementée, et que nos usages et traditions doivent être respectés. Cela pose des questions de déontologie, de respect du confrère, du client et de respect du secret professionnel. Ma position est que l'on ne peut pas, au motif que l'on est dans l'entreprise, utiliser les prérogatives de l'avocat et contourner les règles traditionnelles. Il ne faut pas non plus qu'il y ait un tableau à deux vitesses. Cette position vaut aussi pour d'autres domaines, comme la possibilité pour les avocats de devenir agents de joueurs de football. Des aménagements sont possibles, mais il ne faut pas perdre l'âme de l'avocature, quelle que soit sa forme d'exercice, que l'on fasse du judiciaire ou non. N'oublions pas que la distanciation vis-à-vis du client est très ancrée dans le monde judiciaire. Le propre de l'avocat et de sa robe est de dire : je défends, j'assiste, je conseille, mais je ne suis pas le client. Toutefois, cette appréciation est aussi très ancrée chez les confrères faisant uniquement du juridique et n'allant pas au Palais. Il y a simplement des questions à se poser concernant l'exercice de cette activité sur des secteurs qui n'étaient pas les nôtres jusqu'à présent, en rappelant un certain nombre de règles selon lesquelles personne ne peut s'exonérer de la confraternité.

Dominique Mattéi : J'y reviens, le point qui me semble prépondérant est celui du secret professionnel. Si l'on considère que le juriste doit résister à son employeur, dans ce cas là le lien de subordination inévitable constitue une grosse difficulté.

Lexbase : Que pensez-vous du projet actuel de suppression du juge d'instruction ?

Dominique Mattéi : Ma position rejoint celle de la commission pénale du barreau de Marseille. Tel qu'il est présenté actuellement, ce projet me paraît nettement insuffisant, notamment du fait du manque de garanties concernant le statut du parquet. L'on ne peut pas se contenter d'avancer que seulement 5 % des affaires sont traitées par les juges d'instruction pour justifier leur disparition, tout le reste étant traité en procédure pénale d'urgence, car ce sont précisément les 5 % d'affaires les plus sensibles. Par ailleurs, le remplacement du juge d'instruction par un magistrat aux attributions encore mal définies nous semble peu souhaitable, car nous n'avions pas les garanties suffisantes concernant le statut du Parquet avant l'arrêt "Medvedyev" (2). Toutefois, cette décision ne fait que maquiller la situation, car le Parquet reste surpuissant et la création de ce nouveau magistrat n'était pas à équidistance de la défense et du Parquet. Il fallait donc redéfinir les modalités du projet et surtout dire en quoi les droits de la défense se trouvaient améliorés. En effet, ce nouveau magistrat avait un pouvoir immense et non contradictoire. Est-ce que ce n'était pas plutôt un recul des droits de la défense de ne pas avoir, ainsi, accès au dossier traité au niveau de l'enquête préliminaire, le contradictoire se limitant à une simple demande de date ? Cela était un véritable écueil. Ensuite est intervenue l'affaire "Julien Dray" dans laquelle le procureur a communiqué le dossier aux avocats alors que le dossier était traité en enquête préliminaire, ce qui a entraîné des réactions des syndicats de police et des parquetiers, ceux-ci faisant valoir une possibilité d'entrave à l'efficacité de l'enquête. L'on a donc eu le sentiment que c'étaient les préoccupations économiques qui dominaient, plutôt que des préoccupations législatives de principe du contradictoire. D'ailleurs, ce projet est enterré, tout comme celui de la collégialité des juges d'instruction.

Lexbase : Quelle est votre position concernant l'une des décisions les plus importantes de l'année, à savoir l'arrêt rendu par le Conseil constitutionnel au mois de juillet concernant la garde à vue (3) ?

Dominique Mattéi : Il y a quelque chose de frustrant dans cette décision. La garde à vue est déclarée inconstitutionnelle sauf pour les régimes dérogatoires, comme ce qui a trait au terrorisme ou à l'association de malfaiteurs, ceci au motif que la loi du 9 mars 2004, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (loi n° 2004-204 N° Lexbase : L1768DP8) a été validée par le Conseil constitutionnel (4). L'on sait donc déjà que le pénal "intéressant" ne verra pas le principe de l'avocat en garde à vue consacré, mais seulement encadré comme précédemment par des créneaux horaires difficiles qui ne permettent pas à l'avocat d'avoir copie des pièces de la procédure. Il reste les gardes à vue concernant les délits routiers et le petit pénal traité en comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. La réponse politique de la Chancellerie est de dire, à travers son projet de loi "tendant à limiter et à encadrer les gardes à vue", que, pour toutes les personnes susceptibles d'encourir des peines inférieures ou égales à un an, le principe de l'avocat en en garde à vue est affirmé, mais le problème est que ces délits restent assez peu nombreux. Pour le reste, la possibilité avancée pour l'individu d'être entendu avec son consentement sans être placé en garde à vue semble peu crédible. En outre, dans l'audition libre, les droits ne sont pas notifiés : vous ne pouvez ni appeler votre famille, ni voir un médecin. Au final, ce projet de loi apparaît comme une réponse politique de simple circonstance. Le problème de cette politique de bricolage est qu'elle déstabilise tout l'appareil judiciaire, et qu'elle l'installe dans la précarité jurisprudentielle. Par exemple, lors de la commission de délit un vendredi soir et si les services de police sont insuffisants à ce moment là, et sachant qu'il n'y a pas d'audience de comparution immédiate le samedi et le dimanche, on va privilégier la procédure de comparution par officier de police judiciaire. Vous repartez donc libre, avec une simple convocation dans un délai de deux à six mois en poche. En revanche, si vous commettez le même délit le lundi soir, lorsque les effectifs de police sont plus nombreux et avec une audience de comparution immédiate le mardi ou le mercredi, vous restez en garde à vue et comparaîtrez détenu.

Jérôme Gavaudan : Plus prosaïquement, sur le quotidien de la vie des barreaux et de la défense pénale d'urgence, rien n'est prévu en termes d'indemnisation des avocats qui vont devoir intervenir, par exemple au titre de l'aide juridictionnelle. Une fois de plus, au nom des grands principes, on va faire supporter les carences d'un système à notre profession.

Dominique Mattéi : En réalité, nous sommes dans une sorte d'hypocrisie institutionnelle. On sent la volonté des pouvoirs publics de basculer dans un système accusatoire du type américain, dans lequel la défense peut construire le dossier avec l'institution, mais sans que les moyens suivent. Ce qui manque en réalité, c'est une vraie politique pénale, ce qui renvoie aussi aux problèmes de collégialité des juges, de suppression du juge d'instruction, et de création des juridictions inter-régionales spécialisées (JIRS). On reste dans une forme de bricolage pour réaffirmer des principes européens et pour faire plaisir au Conseil constitutionnel qui est devenue, de ce fait, une juridiction plus que politique. Ainsi, lorsque la Cour de cassation refuse de le saisir, il a nécessairement copie des décisions de refus. Il est donc en passe de devenir une juridiction suprême qui contrôle l'activité de la Cour de cassation.

Jérôme Gavaudan : Un arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme (5) a récemment stigmatisé l'attitude de la France en matière pénale en la condamnant pour défaut d'impartialité. Cela affaiblit la Cour de cassation et bouleverse les schémas jurisprudentiels. La Haute juridiction devient, ainsi de moins en moins haute. En effet, lorsque la justice européenne vient soutenir qu'il n'y a pas de procès équitable devant la Chambre criminelle de la Cour de cassation, je pense que cela modifie l'édifice juridictionnel français. Cette décision est intéressante, puisque la Cour de cassation met, à l'inverse, en avant, l'indépendance du magistrat, selon laquelle il peut connaître la procédure depuis le début et éventuellement changer d'avis. Nous sommes donc en plein coeur du problème d'impartialité du procès. Le barreau de Marseille est, bien évidemment, très présent sur toutes ces questions.

Lexbase : Avez-vous déjà défini des pistes ou des objectifs concernant votre prochain mandat ?

Jérôme Gavaudan : Il est certain que je vais rester dans la continuité de ce qui a été fait par mon prédécesseur immédiat et par les Bâtonniers qui se sont succédés ces dernières années. Je pense maintenir le dynamisme du barreau de Marseille, qu'il soit toujours force de proposition et au service des confrères. En outre, la maison de l'avocat devra continuer à se renouveler et à s'adapter aux modifications d'exercice de la profession. Il faudra aussi définir la position du barreau de Marseille concernant la cinquième Convention nationale des avocats qui se déroulera à Nantes en 2011. J'espère aussi que le Bâtonnier Mattéi sera toujours là à mes côtés pour m'épauler.

Dominique Mattéi : L'objectif sera de maintenir un niveau de prestations de service élevé au bénéfice des confrères, bien que l'on soit en situation de crise, et continuer d'accompagner les réformes qui vont sensiblement modifier nos conditions d'exercice, avec des commissions du barreau toujours plus actives. Ceci va d'ailleurs transformer la fonction de Bâtonnier, laquelle a pu être, à un moment donné, une simple fonction de gestion.


(1) Cons. const., décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 (N° Lexbase : A4551E7P).
(2) CEDH, 29 mars 2010, Req. 3394/03 (N° Lexbase : A2353EUP).
(3) Cons. const., décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 (N° Lexbase : A4551E7P) et lire les obs. de Romain Ollard, Coup de tonnerre sur la procédure pénale : le Conseil constitutionnel déclare non conformes à la Constitution les dispositions relatives à la garde de vue de droit commun, Lexbase Hebdo du 29 septembre 2010 - édition privée générale (N° Lexbase : N0999BQ3).
(4) Cons. const., décision n° 2004-492 du 2 mars 2004 (N° Lexbase : A3770DBA).
(5) CEDH, 24 juin 2010, Req. 22349/06 (N° Lexbase : A2725E3C) et lire (N° Lexbase : N6109BPX). Selon elle, la Cour de cassation s'étant prononcée sur la réalité d'une infraction lors d'un premier pourvoi, il existait des raisons objectives de craindre, en présence de sept conseillers sur neuf identiques à la première formation de la Cour, que la nouvelle formation de la juridiction fasse preuve de parti pris ou de préjugés dans la seconde décision.

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