La lettre juridique n°311 du 3 juillet 2008 : Contrat de travail

[Jurisprudence] Modification du contrat de travail et changement de lieu de travail : du nouveau ?

Réf. : Cass. soc., 19 juin 2008, n° 07-41.282, Mme Chabrol c/ Association des pupilles de l'enseignement public, F-P (N° Lexbase : A2305D9A)

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Un employeur peut-il, sous couvert d'un simple changement du lieu de travail, supprimer le versement d'une prime sans que cette suppression puisse être vue comme une modification du contrat ? C'est à cette question que devait répondre la Haute juridiction dans une décision du 19 juin 2008. Aux juges du fond, qui avaient cru pouvoir écarter la qualification de modification du contrat, elle rappelle que le changement proposé emportait la suppression d'une prime régulièrement perçue par le salarié depuis 9 ans, ce qui constituait une modification du contrat. La décision est donc cassée et il n'y a pas lieu de s'en étonner.


Résumé

La mutation d'une salariée entraînant la perte de primes d'astreintes constitue une modification du contrat de travail.

Commentaire

I - Le régime des "modifications" du contrat de travail

  • Distinction modification du contrat de travail, changement des conditions de travail

Depuis 1996, abandonnant l'opposition modification substantielle/modification non substantielle du contrat de travail, la jurisprudence procède à une distinction entre modification du contrat de travail et changement des conditions de travail (Cass. soc., 10 juillet 1996, n° 93-41.137, M. Vanderdonckt c/ Groupe des assurances nationales (GAN) N° Lexbase : A2054AAC). A l'issue de ces décisions, la Haute juridiction a substitué à un critère antérieurement subjectif un critère purement objectif, la classification dépendant uniquement de la nature de l'élément modifié.

Cette distinction est importante car, selon la qualification retenue, le régime applicable n'est pas le même .

Le principe veut, en effet, que le salarié ne peut s'opposer à un simple changement de ses conditions de travail, ce refus est constitutif d'une faute que l'employeur peut sanctionner éventuellement par un licenciement (Cass. soc., 10 juillet 1996, n° 93-41.137, préc.). Le salarié peut, en revanche, s'opposer à une modification de son contrat de travail. L'employeur, avant de procéder à une telle modification doit, en effet, recueillir l'accord du salarié. Si le salarié accepte, la modification peut prendre effet et, s'il refuse, l'employeur a deux possibilités. Soit il revient sur sa position de modification et, dans ce cas, la relation de travail se poursuit aux conditions antérieures, soit il maintient sa décision et n'a pas d'autre choix que d'enclencher une procédure de licenciement. La rupture sera légitime si le motif qui a justifié la proposition de modification l'est lui-même.

La frontière entre modification du contrat de travail et changement des conditions de travail n'est pas, toujours, évidente à tracer.

Il est certain que toute modification d'une clause du contrat de travail constitue une modification du contrat qui requiert l'accord du salarié. Les parties, en insérant ces clauses dans le contrat individuel de travail, en ont, en effet, fait un élément essentiel de leur relation.

Concernant les éléments qui ne figurent pas dans le contrat de travail, la jurisprudence a retenu 3trois éléments qui ne peuvent être modifiés sans l'accord du salarié. Il s'agit de la rémunération (concernant le montant, voir Cass. soc., 4 février 2003, n° 00-44.444, FS-D N° Lexbase : A9136A47 et, concernant le mode de rémunération, voir Cass. soc., 27 février 2001, n° 99-40.219, Groupe des assurances nationales (GAN Vie) c/ M. Rouillot N° Lexbase : A0505ATU), de la durée du travail (Cass. soc., 20 octobre 1998, n° 96-40.614, Mme Bonimond c/ Société Nouvelle La Maille souple N° Lexbase : A5602ACH) ou de la qualification du salarié (Cass. soc., 23 janvier 2001, n° 99-40.129, Société Winterthur N° Lexbase : A9378AS7 ; Cass. soc., 2 octobre 2002, n° 00-42.003, F-D N° Lexbase : A9029AZG et les obs. de S. Koleck-Desautel, Une promotion peut constituer une modification du contrat que le salarié est en droit de refuser, Lexbase Hebdo n° 43 du 16 octobre 2002 - édition sociale N° Lexbase : N4264AA8). L'horaire et le lieu de travail ne peuvent être considérés comme des éléments contractuels par nature (pour l'horaire, voir Cass. soc., 20 février 2007, n° 05-42.734, F-D N° Lexbase : A2974DUP).

  • Régime applicable au lieu de travail

Concernant le lieu de travail, la jurisprudence a beaucoup évolué. Dans la mesure où le contrat de travail ne précise pas expressément que le travail doive être exécuté exclusivement dans un lieu déterminé ou ne prévoit pas de clause de mobilité, c'est le secteur géographique de la mutation qui déterminera le caractère de modification du contrat de la mutation proposée.

Depuis deux arrêts du 3 juin 2003, la jurisprudence considère que la mention, dans le contrat de travail, du lieu de travail, n'a qu'une valeur informative (Cass. soc., 3 juin 2003, 2 arrêts, n° 01-40.376, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A6993CK9 et n° 01-43.573, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A6994CKA, voir, sur ces deux arrêts, les obs. de S. Koleck-Desautel, La simple indication du lieu de travail dans le contrat n'a qu'une valeur d'information, Lexbase Hebdo n° 76 du 18 juin 2003 - édition sociale N° Lexbase : N7795AAX). Ce principe a été confirmé depuis (Cass. soc., 15 mars 2006, n° 02-46.496, F-P+B N° Lexbase : A6000DNK).

L'employeur peut, ainsi, même en l'absence de clause de mobilité, faire varier le lieu de travail au sein d'un même secteur géographique, sans que cette variation ne puisse être vue comme une modification du contrat de travail du salarié. Lorsque la mutation se fait dans le même secteur géographique que celui dans lequel le salarié était amené à exercer ses fonctions, il s'agit d'un simple changement des conditions de travail auquel le salarié ne peut s'opposer (Cass. soc., 21 janvier 2004, n° 02-12.712, FP-P+B N° Lexbase : A8593DAI).

Pour que ces règles s'appliquent, il suffit, mais il faut, que le changement porte exclusivement sur le lieu de travail. Si une mutation a un effet sur un autre élément du contrat de travail, il s'agira d'une modification du contrat de travail. L'employeur devra, alors, demander l'accord du salarié, lequel pourra s'y opposer, comme le rappelle aux juges du fonds, la Haute juridiction dans la décision commentée.

  • Espèce

Une salariée avait été engagée en qualité de chef de service éducatif. Elle s'était vue proposer une mutation. Refusant cette mutation, qui constituait, selon elle, une modification du contrat de travail, elle avait saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail et au paiement de diverses indemnités.

La cour d'appel avait rejeté sa demande, refusant de voir, dans la mutation, une modification du contrat de travail. Elle avait, en effet, considéré que cette dernière ne pouvait se prévaloir d'une diminution de sa rémunération due à la perte de sa prime d'astreinte dans la mesure où les points perdus au titre de la prime d'astreinte constituent la contrepartie de ces astreintes.

La Cour de cassation ne voit pas les choses de la même manière. Elle relève, en effet, que la mutation proposée entraînait, pour la salariée qui passait d'un établissement de jour à un établissement de nuit, une perte de sa prime d'astreinte, ce qui caractérisait une modification du contrat de travail.

Le principe retenu n'est pas nouveau, il ne peut y avoir changement des conditions de travail lorsqu'un élément du contrat se trouve modifié.

II - Application de la modification du contrat au lieu de travail

  • Une solution parfaitement logique

Ce sont les incidences de la mutation sur le socle contractuel qui sont, ici, prises en considération par la Cour de cassation. Derrière la mutation se cachait, en effet, une perte de rémunération, perte à laquelle la salariée pouvait s'opposer.

Dans l'espèce commentée, la mutation s'accompagnait de la perte de la prime d'astreinte, qui était versée à la salariée depuis plusieurs années. La rémunération de la salariée était donc modifiée. Or le principe veut, nous l'avons vu, que la rémunération constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié, même de manière minime, sans l'accord du salarié, qu'il s'agisse de son montant (Cass. soc., 4 février 2003, n° 00-44.444, FS-D N° Lexbase : A9136A47) ou du mode de rémunération appliqué au salarié (Cass. soc., 27 février 2001, n° 99-40.219, Groupe des assurances nationales (GAN Vie) c/ M. Rouillot N° Lexbase : A0505ATU). Ce principe s'applique quel que soit l'élément modifié (Cass. soc., 18 avril 2000, n° 97-43.706, M. Binggeli c/ Société Keller Fermetures N° Lexbase : A6376AGA). Pour qu'il n'y ait pas modification, il faut que le salaire antérieur soit, au moins, égal au salaire proposé (Cass. soc., 2 décembre 2003, n° 01-45.451, F-D N° Lexbase : A3654DAL) et qu'aucune prime ne soit supprimée. La suppression par l'employeur d'une prime caractérise une modification du contrat de travail.

S'agissant des primes et de leur suppression, la Haute juridiction a été amenée à considérer que la suppression de primes constituait une modification du contrat de travail que le salarié pouvait refuser (Cass. soc., 12 novembre 2002, n° 00-45.834, F-D N° Lexbase : A7355A3S). Plus récemment, elle est venue affirmer que la suppression d'une prime de responsabilité, versée depuis plusieurs années à un salarié, constitue une modification du contrat de travail (Cass. soc., 21 février 2007, n° 04-47.682, F-P+B N° Lexbase : A2815DUS et les obs. de G. Auzero, Le licenciement du salarié mandaté, Lexbase Hebdo n° 251 du 7 mars 2007 - édition sociale N° Lexbase : N2899BAM).

C'est cette dernière solution qui semble avoir été à la base de la décision rendue par la Haute juridiction. Comme dans sa décision de 2007, elle relève que la mutation proposée entraînait la perte de la prime d'astreinte régulièrement perçue par la salariée depuis 9 ans, et que ceci caractérisait une modification du contrat de travail.

Une question peut, alors, se poser. Est-ce la suppression de la prime et la diminution corrélative du salaire qui entraînent la qualification de modification du contrat, est-ce l'ancienneté de son versement, ou les trois éléments doivent-ils être simultanément réunis pour qu'il y ait modification du contrat de travail dans ce cas ?

L'ancienneté du versement est, en effet, mise en avant dans les deux dernières décisions rendues en la matière. Faut-il, désormais, que la prime ait fait l'objet d'un versement pendant une certaine durée pour qu'il puisse être considéré qu'il y a modification du contrat ? C'est en tout cas ce que semblent indiquer les deux derniers arrêts. L'avenir le confirmera ou l'infirmera...si tel est le cas, on assistera à une nouvelle réduction du champ de la modification du contrat.

Décision

Cass. soc., 19 juin 2008, n° 07-41.282, Mme Chabrol c/ Association des pupilles de l'enseignement public, F-P (N° Lexbase : A2305D9A)

Cassation CA Limoges (ch. soc.), 12 février 2007

Mots clefs : contrat de travail ; mutation ; suppression des astreintes ; diminution de la rémunération ; modification du contrat de travail.

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