La lettre juridique n°152 du 27 janvier 2005 : Sociétés

[Focus] Lenteur, vitesse et précipitation : quand le droit des sociétés cherche son rythme ...

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par Jean-Philippe Dom, Maître de conférences à l'Université de Caen

le 07 Octobre 2010


Les réformes législatives se suivent et, malheureusement, leurs accompagnements techniques se ressemblent. Trois exemples suffiront à illustrer un propos qui tient lieu d'humeur (plutôt mauvaise...). Il a fallu trente ans pour adopter, au sein de l'Union européenne, la société européenne. La doctrine française a donc salué avec justesse l'avènement de la societas europaea avec le règlement communautaire n° 2157/2001 du Conseil, du 8 octobre 2001, relatif au statut de la société européenne (N° Lexbase : L1040AWG ; JOCE, 10 novembre 2001, L 294/1) et la directive 2001/86/CE du Conseil, du 8 octobre 2001 complétant le statut de la Société européenne pour ce qui concerne l'implication des travailleurs (N° Lexbase : L5882A4M ; JOCE, 10 novembre 2001, L 294/22). Après trente années de négociations, ces textes ont finalement été adoptés à la hâte, notamment parce que l'Espagne en a finalement accepté le principe après que la France lui ait assuré de mettre en oeuvre de nouvelles dispositions contre les terroristes de l'E.T.A.

Ce n'est pas tant leur contenu qui importe aujourd'hui -celui-ci a d'ores et déjà été largement analysé par la doctrine (1)- que les suites qui devaient être données pour que cette nouvelle réglementation devienne effective dans l'ordre interne français. Suivant la directive, "les Etats membres adoptent les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 8 octobre 2004" (directive, art. 14). Ce n'était qu'en raison d'une erreur de traduction dans la version française du règlement que la date du 8 octobre 2001 avait été retenue. Dans les autres traductions du règlement, la date du 8 octobre 2004 figure à l'article 70. Le 8 octobre 2004 est loin... Pourtant, les projets n'ont pas manqué. Messieurs les Sénateurs Marini, d'une part, Branger et Hyest, d'autre part, ont, tour à tour, proposé des textes et leur complément nécessaire (proposition de loi relative à la société européenne, texte n° 11 (2003-2004) de M. Philippe Marini, déposé au Sénat le 9 octobre 2003 N° Lexbase : X7537ABR ; proposition de loi portant sur la mise en oeuvre des dispositions de renvoi en droit interne contenues dans le règlement (CE) n° 2157 /2001 du Conseil du 8 octobre 2001 relatif au statut de la société européenne (SE) et sur la transposition concomitante de la directive n° 2001/86/CE du Conseil du 8 octobre 2001 complétant le statut de la société européenne pour ce qui concerne l'implication des travailleurs, texte n° 152 (2003-2004), présenté par MM. Jean-Guy Branger et Jean-Jacques Hyest ; proposition de loi portant statut d'une société anonyme fermée, texte n° 148 (2003-2004) de MM. Jean-Guy Branger et Jean-Jacques Hyest, déposé au Sénat le 29 juillet 2004). Ce qui était une priorité en 2001 passe, en 2004, après beaucoup de nouvelles urgences... Cela est regrettable, car les pays voisins de la France ne s'y sont pas trompés et ont, justement, vu l'importance économique de l'instrument juridique que constitue la SE. L'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, le Danemark, la Finlande, la Hongrie, l'Islande, Malte, le Royaume-Uni, la Slovaquie et la Suède se sont dotés d'une réglementation adéquate.

Parmi les urgences qui ont probablement ralenti les débats techniques qui auraient dû entourer la SE, figure à n'en pas douter l'ordonnance n° 2004-604 portant réforme des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales et extension à l'outre-mer des lois ayant modifié le Code de commerce (N° Lexbase : L5052DZ7 ; JO n° 147, 26 juin 2004). L'élaboration de cette ordonnance (2) n'a pas suivi le processus qui normalement devrait être réservé à un texte censé jeter les bases du droit des investissements privés dans les sociétés commerciales ainsi que, de façon plus indirecte, celles de l'appel public à l'épargne étroitement liées à l'émission de valeurs mobilières. En effet, cette ordonnance est le résultat d'une délégation du pouvoir législatif au pouvoir exécutif en vue de simplifier le droit. Or, l'ordonnance devait être prise "dans les douze mois suivant la publication de la loi n° 2003-591 du 2 juillet 2003" (art. 35 de cette même loi N° Lexbase : L6771BHA). Voilà pourquoi, issu de longues réflexions, le texte a finalement été remodelé et adopté dans la précipitation. Sa mise en oeuvre requiert, en de nombreux points, l'adoption d'un décret d'application. De bruit de couloir en bruit de salon, celle-ci est imminente, depuis plus de six mois. En attendant, les émetteurs potentiels d'actions de préférence devront patienter (sur l'émission des actions de préférence subordonnée à la publication du décret d'application, voir QE n° 13390 de Adnot Philippe, JOSEQ 5 août 2004 p. 1766, Justice, réponse publ. 14 octobre 2004 p. 2342, 12e législature N° Lexbase : L3711GUY).

Enfin, la loi de finances pour 2005 met en place, à partir du 1er janvier 2005 un nouveau dispositif permettant de faire des attributions d'actions gratuites aux salariés et aux mandataires sociaux (loi n° 2004-1484, du 30 décembre 2004, loi de finances pour 2005, art. 83 N° Lexbase : L5203GUA ; JO du 31 décembre 2004). La deuxième partie de cette loi est consacrée aux moyens des services et dispositions spéciales. Son "II" contient des "dispositions permanentes", de nature fiscale (A), au détour desquelles on découvre sous l'article 83 que dorénavant, "la sous-section 2 de la section 4 du chapitre V du titre II du livre II du Code de commerce est complétée par un paragraphe 3" intitulé "Des attributions d'actions gratuites". On peut légitimement s'étonner de voir une loi de finances aborder un sujet aussi vaste et délicat que celui de l'actionnariat des salariés et des mandataires sociaux. Au final, c'est tout de même un nouveau moyen de répartition des actions représentatives du capital social qui est élaboré. Initialement, une proposition de loi avait été déposée à l'Assemblée Nationale (proposition de loi relative au développement de l'actionnariat salarié, texte n° 1744 présentée par MM. Edouard Balladur, Jean-Paul Anciaux, Gilles Carrez, Gérard Cherpion, Jacques Godfrain, Alain Juppé, Alain Marsaud et Pierre Méhaignerie). Cette proposition a été renvoyée à la commission des finances, de l'économie générale et du plan "à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus". De nombreuses questions d'ordre juridique et fiscal se posent concernant la mise en oeuvre et l'interprétation de ce texte.

Au final, la politique législative adoptée en France pour le droit des sociétés surprend. Des Etats qui ont pour spécialité d'accueillir les constitutions de sociétés (comme le Delaware aux Etats-Unis d'Amérique) adaptent de façon continue leur réglementation afin que celle-ci soit en parfaite adéquation avec les besoins de la pratique et la jurisprudence. L'importance économique d'un droit des sociétés compétitif dans une Union européenne en pleine construction devrait inciter le législateur à plus de discipline dans la gestion de son calendrier.


(1) Voir sur la question : F. Collin, J.-P. Dom et J.-C. Parot, La société européenne, Actes Pratiques et Ingénierie Sociétaire, n° 63, mai 2002, pp. 5-31. J.-L. Colombani et M. Favero, Societas Europaea, Ed. Joly 2002 et les réf. cit. La société européenne, Actes du Colloque Université Robert Schuman - Centre du droit de l'entreprise, 7 février 2002, Petites affiches, 16 avril 2002, n° 76. E. Morgan de Rivery et C. Stockford, La société européenne, RD aff. Int. 2001, p. 711. M. Menjucq, La société européenne : enfin l'aboutissement !, D. affaires 2001, chron., p. 1085. Voir The European Company all over Europe, De Gruyter Recht, Berlin 2004 ; Adde. La société européenne, Droit et Patrimoine, 1er avril 2004, n° 125.
(2) Voir A. Couret et H. Le Nabasque, Valeurs mobilières - Augmentations de capital - Nouveau régime - Ordonnances des 25 mars et 24 juin 2004 : Francis Lefebvre 2004, spéc. p. 7 et s. T. Bonneau, L'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004 portant réforme des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales : Dr. sociétés 2004, Etude 11. A. Lienhard, Présentation de l'ordonnance réformant les valeurs mobilières : D. 2004, p. 1956. P.-Y. Chabert, Les augmentations de capital après l'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004 portant réforme des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales : Bull. Joly 2004, p. 1023, § 209 . Adde. M. Bandrac, P. Birotheau, C. Debin, J.-P. Dom, S. Gaillet, F. Le Roquais, M . Supiot, Le régime et l'émission des valeurs mobilières après les ordonnances de 2004, Actes pratiques - Sociétés - Editions du Juris-Classeur Septembre/Octobre 2004, page 7 ; J.-P. Dom et Y. Paclot, Ordonnance portant réforme du régime des valeurs mobilières : le point sur les obligations de transparence et les augmentations de capital, Lexbase Hebdo n° 133 du 9 septembre 2004 - édition affaires (N° Lexbase : N2685AB3) ; J.-P. Dom et Y. Paclot, Les nouvelles règles applicables aux valeurs mobilières, Lexbase Hebdo n° 138 du 14 octobre 2004 - édition affaires (N° Lexbase : N3136ABR).

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