La lettre juridique n°647 du 17 mars 2016 : Avocats/Déontologie

[Jurisprudence] Exigence de motivation de la perquisition au cabinet de l'avocat

Réf. : Cass. crim., 9 février 2016, n° 15-85.063, FS-P+B (N° Lexbase : A0246PLP)

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par Guillaume Royer, Maître de conférences à Sciences-Po Paris (Campus franco-allemand de Nancy), Avocat au barreau de Nancy

le 17 Mars 2016

S'il ne constitue pas un sanctuaire inviolable, le cabinet d'avocat est soumis à un régime de perquisition dérogatoire, ayant souvent nourri les inquiétudes de la profession (1). Le respect du formalisme de la perquisition au cabinet de l'avocat constitue un enjeu procédural majeur comme l'illustre bien l'arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 6 février 2016. Il convient de rappeler qu'à l'issue d'une enquête préliminaire, des informations judiciaires avaient été ouvertes le 27 janvier 2011 et le 16 juin 2011 des chefs de fraude fiscale et blanchiment, puis jointes le 1er août 2013, mettant en cause plusieurs personnes impliquées dans des opérations de cessions de titres, dont un confrère, Me X. Trois perquisitions ont été effectuées à son cabinet, l'une lors de l'enquête préliminaire et les deux autres au cours de l'instruction, à la suite desquelles le juge des libertés et de la détention avait été appelé à statuer sur la contestation du Bâtonnier relative à la saisie de certains documents. A la suite de sa mise en examen intervenue le 30 janvier 2014, Me X avait déposé une requête aux fins d'annulation des décisions de perquisition à son cabinet prises au cours de l'instruction les 7 juin 2011 et 23 mars 2012, des procès-verbaux de perquisition et saisie dressés en son cabinet et des actes dont ils ont été le support nécessaire lors de la garde à vue et de l'interrogatoire de première comparution. Au soutien de sa requête en nullité, il faisait notamment valoir que la décision de perquisition était insuffisamment motivée dans la mesure où l'ordonnance de perquisition ne contenait pas l'adresse du cabinet perquisitionné, ni le détail des pièces objet de la perquisition, ce qui avait une particulière importance puisque l'avocat prétendument impliqué partageait ses locaux avec d'autres en toute indépendance d'exercice. De plus, la requête en nullité soutenait également que l'ordonnance du juge d'instruction ne contenait pas les motifs précis justifiant la perquisition. Toutefois, par un arrêt en date du 7 mai 2015, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon a rejeté cette requête en considérant que la décision de perquisition visait le cadre de la saisine du juge, la nature des faits, les noms des sociétés concernées, les agissements incriminés et l'objet de la perquisition envisagée. Elle avait ajouté que, si la décision du magistrat instructeur ne comportait pas la désignation du lieu exact des investigations, cette difficulté n'a pas été soulevée lors de la perquisition par l'avocat et le délégué du Bâtonnier, lesquels ne pouvaient se méprendre sur l'objet de cette mesure d'instruction.

Mais sur le pourvoi en cassation formé par le confrère, la Chambre criminelle a cassé l'arrêt attaqué au visa des articles 56-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3557IGT) et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4798AQR). Après avoir rappelé "que l'absence, dans la décision prise par le magistrat, des motifs justifiant la perquisition et décrivant l'objet de celle-ci, qui prive le Bâtonnier, chargé de la protection des droits de la défense, de l'information qui lui est réservée et interdit ensuite le contrôle réel et effectif de cette mesure par le juge des libertés et de la détention éventuellement saisi, porte nécessairement atteinte aux intérêts de l'avocat concerné", la Chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que, dès lors que "la décision de perquisition, portée à la connaissance de l'autorité ordinale, ne contenait pas les motifs précis justifiant la perquisition et décrivant l'objet de celle-ci ni ne mentionnait le lieu où devaient être effectuées les investigations, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés".

Cette décision mérite l'attention à un double égard : d'une part, la Chambre criminelle de la Cour de cassation exige un encadrement particulièrement précis de la décision autorisant la perquisition au cabinet de l'avocat : celle-ci doit précisément indiquer le lieu et les motifs de la mesure (I). D'autre part, la Haute juridiction se montre nettement plus souple au sujet de la contestation de la mesure de perquisition : l'irrégularité ne doit pas nécessairement être soulevée au moment de la perquisition et toute irrégularité cause nécessairement atteinte aux droits de l'avocat concerné (II).

I - Une autorisation encadrée

L'arrêt commenté rappelle que la décision ordonnant la perquisition doit être rédigée avec le plus grand soin. La perquisition au cabinet de l'avocat est un acte d'investigation particulièrement brutal, susceptible de malmener le secret professionnel de l'avocat (2).

D'une part, la Chambre criminelle de la Cour de cassation censure l'imprécision de la décision de perquisition qui "ne mentionnait le lieu où devaient être effectuées les investigations". Il convient de rappeler qu'en l'occurrence, le confrère partageait les locaux perquisitionnés avec d'autres confrères. De ce point de vue, il convenait évidemment d'éviter que la perquisition menée dans le bureau de l'un des avocats ne vienne troubler l'exercice de la profession des autres avocats occupant les mêmes locaux.

D'autre part, et surtout, la Chambre criminelle de la Cour de cassation se montre particulièrement attentive à la lettre de l'article 56-1 du Code de procédure pénale, dont il résulte que "les perquisitions dans le cabinet d'un avocat ou à son domicile ne peuvent être effectuées que par un magistrat et en présence du bâtonnier ou de son délégué, à la suite d'une décision écrite et motivée prise par ce magistrat, qui indique la nature de l'infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition et l'objet de celle-ci". A s'en tenir à la lettre du texte, la décision ordonnant la perquisition doit contenir trois informations cumulatives : la nature de l'infraction reprochée, le motif de la perquisition et l'objet de la perquisition. C'est précisément à cet égard que la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon s'était fourvoyée. Celle-ci ne pouvait considérer que la décision de perquisition respectait les exigences de l'article 56-1 du Code de procédure pénale en se bornant à énoncer "le cadre de la saisine du juge, la nature des faits, les noms des sociétés concernées, les agissements incriminés et l'objet de la perquisition envisagée". En effet, la décision de perquisition doit être aussi précise que possible sur les motifs justifiant la mesure (3). En effet, c'est sur la base de ces informations -communiquées dès le début de la mesure de perquisition- que l'autorité ordinale va s'assurer de la régularité des opérations de saisie et, le cas échéant, former opposition à la saisie des documents qui seraient étrangers à la mesure sollicitée. Autant dire que le législateur a mis en place un régime où l'autorité ordinale est invitée à formuler une contestation en "temps réel" : c'est à la suite des objections formulées dans le cadre des opérations de perquisition que le juge des libertés et de la détention va statuer. L'information complète de l'autorité ordinale constitue la condition sine qua non d'une contestation utile et pertinente devant le juge des libertés et de la détention. Et il va sans dire que le contrôle effectué par ce magistrat du siège n'a de sens réel et effectif que s'il est informé des motifs de la mesure querellée par l'autorité ordinale.

II - Une contestation facilitée

Tandis que la Chambre criminelle de la Cour de cassation se montre particulièrement exigeante quant à la justification de la perquisition réalisée au cabinet de l'avocat au regard de l'article 56-1 du Code de procédure pénale, elle se montre, en revanche, plus souple dans la contestation de la perquisition.

D'une part, cette souplesse se manifeste dans les modalités de la contestation. Ainsi, l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon avait écarté la nullité de la perquisition, prise du défaut de précision du lieu et du motif de la mesure, en relevant que cette irrégularité "n'a pas été soulevée lors de la perquisition tant par l'avocat que par le délégué du Bâtonnier". Sans doute, la Chambre de l'instruction avait tenté de s'emparer du troisième alinéa de l'article 56-1 du Code de procédure pénale qui précise que "le Bâtonnier ou son délégué peut s'opposer à la saisie d'un document ou d'un objet s'il estime que cette saisie serait irrégulière" et que "ces opérations font l'objet d'un procès-verbal mentionnant les objections du Bâtonnier ou de son délégué, qui n'est pas joint au dossier de la procédure". En d'autres termes, la juridiction de l'instruction du second degré avait considéré que, faute d'avoir formulé une objection "en temps réel" au moment des opérations de perquisition, l'avocat concerné par la perquisition n'était plus fondé à s'en émouvoir devant la chambre de l'instruction dans le cadre d'une requête en nullité fondée sur l'article 173 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8645HW4). Cette analyse ne pouvait être retenue par la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans la mesure où elle revenait à ériger le juge des libertés et de la détention en juridiction de contrôle de la légalité de l'instruction judiciaire, en lieu et place de la chambre de l'instruction. Ceci ne pouvait être admis d'autant plus que l'article 56-1, alinéa 7, du Code de procédure pénale précise que le versement d'une pièce saisie au dossier de la procédure pénale "n'exclut pas la possibilité ultérieure pour les parties de demander la nullité de la saisie devant, selon les cas, la juridiction de jugement ou la chambre de l'instruction". Le contrôle du juge des libertés et de la détention ne semble donc se confondre avec le contrôle exercé par la chambre de l'instruction : tandis que le premier est invité à vérifier si les documents saisis lors de la perquisition présentent un intérêt dans le cadre de la procédure pénale ouverte contre l'avocat, la chambre de l'instruction reste compétente pour se prononcer sur la légalité de la mesure de perquisition.

D'autre part, la Chambre criminelle facilite encore largement la contestation de la perquisition au domicile de l'avocat en considérant que l'irrégularité qui en découle "porte nécessairement atteinte aux intérêts de l'avocat concerné". L'exigence d'un grief aux intérêts de l'avocat concerné subsiste, mais la Chambre criminelle le présume en estimant que l'imprécision de la décision de perquisition lui nuit nécessairement. Cette catégorie intermédiaire, entre les nullités soumises à grief et celles dispensées de grief, n'est pas nouvelle en jurisprudence (5). Il est fréquent que la Chambre criminelle y fasse référence en cas de violation manifeste des droits de la défense, mais force est de constater que c'est la première fois, à notre connaissance, que la Chambre criminelle de la Cour de cassation y fait référence dans le cadre du contentieux de la légalité de la perquisition du cabinet d'avocat fondé sur l'article 56-1 du Code de procédure pénale. En l'occurrence, l'imprécision de la décision de perquisition justifie pleinement le recours à cette catégorie de nullité intermédiaire : l'absence, dans la décision prise par le magistrat, des motifs justifiant la perquisition et décrivant l'objet de celle-ci, prive irrémédiablement le Bâtonnier, chargé de la protection des droits de la défense, de l'information qui lui est réservée et interdit ensuite le contrôle réel et effectif de cette mesure par le juge des libertés et de la détention.


(1) V. Nioré, Perquisitions au domicile et en cabinet d'avocats : pleins feux sur le juge des libertés et de la détention, Gaz. Pal., 23 au 27 décembre 2012, p. 4 et s. ; v. également le rapport sur la réforme du régime des perquisitions au domicile des avocats, présenté à l'assemblée générale du CNB en date des 6 et 7 juillet 2012.
(2) R. Martin, Juris.-Cl. Procédure civile, Fasc. 83-4, Avocats - obligations et prérogatives, n° 105.
(3) V., en ce sens, Cass. crim., 25 juin 2013, n° 12-88.021, FS-P+B (N° Lexbase : A3071KIL), Bull. crim., n° 155 (spéc. deuxième et troisième moyen).
(4) C. pr. pén., art. 170 (N° Lexbase : L0918DYN).
(5) Cass. crim., 29 février 2000, n° 99-85.573 (N° Lexbase : A4133CKB), Bull. crim., n° 92 ; Cass. crim., 10 mai 2001, n° 01-81.441(N° Lexbase : A5695AT4), Bull. crim., n° 119 ; Cass. crim., 2 février 2005, n° 04-86.805, F-P+F (N° Lexbase : A8831DG8), Bull. crim., n° 41.

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