La lettre juridique n°640 du 21 janvier 2016 : Éditorial

Alerte au plafonnement des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse : "Pamela, au secours !"

Lecture: 5 min

N0962BWK

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Alerte au plafonnement des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse : "Pamela, au secours !". Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/28605356-alerte-au-plafonnement-des-indemnites-de-licenciement-sans-cause-reelle-et-serieuse-i-pamela-au-seco
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 21 Janvier 2016


Faciliter l'embauche en simplifiant la rupture : renverser le paradigme, voilà un pari risqué ! Le Gouvernement avait tenté de faire passer en force le plafonnement des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse, par l'intermédiaire d'un amendement adopté, de fait, par la procédure du 49-3, avec la loi "Macron", mais le Conseil constitutionnel avait, en août dernier, veillé au grain et censuré la disposition... pour rupture d'égalité.

Qu'à cela ne tienne : "Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage, / Polissez-le sans cesse, / et le repolissez, / Ajoutez quelquefois, et souvent effacez".

Le Président de la République fervent lecteur de Boileau, sans aucun doute, après avoir décrété l'état d'urgence sociale, a, à nouveau, remis sur la table cette disposition, dans le cadre de son plan de lutte contre le chômage, dit "de la dernière chance".

Comme chacun le sait, l'idée d'un barème, d'un référentiel ou d'une grille n'est pas neuve : l'ANI du 11 janvier 2013 a préconisé lui-même l'instauration d'un barème, dispositif transposé par la loi du 14 juin 2013 à l'article L. 1235-1, alinéa 1 et 2, du Code du travail. Seulement voilà : ce barème ne prévaut qu'au stade de la conciliation prud'homale et suppose la conclusion d'un accord de conciliation. Les montants sont forfaitaires et dépendent uniquement de l'ancienneté des salariés. D'aucuns les jugent d'ailleurs trop bas, globalement, pour constituer une base de négociation. Il n'est nullement question du manquement caractérisant un défaut de cause réelle et sérieuse : une irrégularité procédurale ayant la même portée qu'un licenciement arbitraire.

En février 2015, un amendement visait à mettre en place un référentiel indicatif relatif au montant des dommages-intérêts dus en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le juge pouvait ainsi prendre en compte ce référentiel établi, après avis du Conseil supérieur de la prud'homie, selon les modalités prévues par décret en Conseil d'Etat. Ce référentiel fixait le montant de l'indemnité susceptible d'être allouée, en fonction notamment de l'ancienneté, de l'âge et de la situation du demandeur par rapport à l'emploi, sans préjudice des indemnités légales, conventionnelles ou contractuelles. Et, si les parties en faisaient conjointement la demande, l'indemnité était fixée par la seule application de ce référentiel. Il n'était donc prévu aucune indemnisation forfaitaire ; il devait, au contraire, permettre une indemnisation personnalisée en intégrant d'autres critères que l'ancienneté du salarié.

Toujours est-il que ce référentiel avait comme but avoué d'orienter, de guider, d'influencer les juges dans leur prise de décision. Et, reste que la mesure semblait encore trop timorée pour le Gouvernement, au regard des chiffres du chômage, pour qu'il propose au travers d'un nouvel amendement, en juin 2015, une grille des planchers et des plafonds d'indemnisation pour les licenciements injustifiés. Les critères en étaient l'ancienneté du salarié (moins de deux ans, de deux à moins de dix ans et dix ans et plus) et l'effectif de l'entreprise (moins de vingt, entre vingt et deux cent quatre-vingt-dix-neuf et à partir de trois cents) ; les montants étaient déterminés sur la base d'une étude réalisée par la Chancellerie à partir des arrêts rendus par les chambres sociales des cours d'appel au mois d'octobre 2014 (smart knowledge et Big data quand tu nous tiens !).

La censure du Conseil constitutionnel porta alors sur la rupture d'égalité : la taille de l'entreprise ne pouvant pas justifier une modulation de l'indemnité, donc un traitement différencié de situations objectivement semblables -pourtant la fameuse règle des six mois d'indemnité fut bien assise à la fois sur un critère d'ancienneté (deux ans) et la taille de l'entreprise (au moins 11 salariés)... mais il ne s'agissait pas d'une règle impérative-. Le critère de l'ancienneté est en lien direct avec le préjudice ; mais celui de la taille de l'entreprise n'influe en rien dans la détermination du préjudice ainsi subi.

Alors, l'une des pistes envisagées prochainement consisterait à tenir compte de l'ancienneté, toujours, mais aussi de l'âge du salarié licencié dans le calcul des dommages-intérêts qui lui seraient alloués ; critères assurément personnels au salarié donc en lien direct avec son préjudice (éventuel).

Maintenant, il faudra bien admettre que cette dérogation au principe de la réparation intégrale du préjudice, certes non constitutionnel, mais fortement ancré dans notre droit de la responsabilité, subit un accroc majeur. C'est une chose de tirer d'une jurisprudence harmonisée des référentiels orientant le juge, comme le fait la nomenclature "Dinthillac" en matière d'indemnisation des préjudices corporels, c'en est une autre d'imposer au juge un carcan pour prononcer une indemnité de licenciement -à la manière des peines planchers dont l'accueil par les magistrats fut, comme chacun le sait, houleux-.

Faciliter l'embauche en sécurisant la rupture, ou à tout le moins son coût pour l'entreprise est un jeu dangereux qui pourrait, à l'inverse, servir d'aubaine à des procédures de licenciement retardées faute de visibilité indemnitaire. La psychologie déployée en la matière apparaît d'ailleurs pour le moins spécieuse : on n'embauche pas en fonction des conditions de rupture envisageables, mais bien en fonction des perspectives économiques prévisibles. Faciliter la rupture, comme le fait la rupture conventionnelle au "succès" indiscutable, est une mesure de simplification procédurale qui, elle, était nécessaire pour pacifier les relations salariés-employeurs. Mais, chaque licenciement est singulier : et le principe de la réparation intégrale, aussi séculaire soit-il, présente encore les vertus d'une justice humanisée et équitable dans le traitement des situations différentes.

L'origine du problème, pour l'employeur, réside sans doute dans l'instauration progressive de la généralisation de la "règle des six mois d'indemnisation" pour défaut de cause réelle et sérieuse, règle bâtie, à bien calculer, sur le manque à gagner d'un salarié licencié et percevant une indemnité de chômage, durant 18 mois : manque à gagner évalué grossièrement à 600 %, soit six mois de salaire sur la période ! CQFD.

Toutefois, est-ce l'entreprise qui est responsable de ce manque à gagner ou le système d'indemnisation chômage -problématique qui tendra à se corser si l'on se convainc du récent rapport de la Cour des comptes en faveur d'une moindre indemnisation- ? Et ce, même lorsque le défaut de cause réelle et sérieuse est caractérisé à la suite d'une erreur procédurale minime en réalité -ce qui ne veut pas dire qu'elle n'impacte pas en théorie les droits de la défense du salarié-. La cause du caractère non réelle de la cause pourrait être un critère bien plus objectif au demeurant...

Nul doute que la politique cathodique conduira le Gouvernement à s'expliquer plus avant, sur les plateaux des talk-show populaires, sur sa conception de l'égalité de traitement en la matière, pendant que d'anciennes pin-up, plus connues pour leurs maillots de bain taille XS que pour leur pédagogie législative -ici en matière de gavage des oies et des canards dans l'industrie alimentaire-, rencontreront les députés, au sein de l'Assemblée nationale -on monte d'un cran après la participation de deux actrices à un voyage présidentiel aux Philippines-. Une nouvelle manière d'envisager la démocratie après le 49-3, sans doute.

newsid:450962

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.