Lexbase Social n°413 du 21 octobre 2010 : Droit social européen

[Jurisprudence] La liberté de circulation des jeunes footballeurs garantie à son tour par la Cour de cassation

Réf. : Cass. soc., 6 octobre 2010, n° 07-42.023, FS-P+B (N° Lexbase : A3628GBY)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 24 Janvier 2011

L'arrêt rendu le 6 octobre 2010 par la Chambre sociale de la Cour de cassation constitue l'épilogue d'une bien longue affaire débutée par le refus d'un jeune joueur de football de signer un contrat de joueur professionnel avec son club formateur, pour lui préférer un club anglais. En se prévalant de l'article 23 de la Charte du football professionnel alors applicable, le club formateur avait cru pouvoir obtenir du joueur de substantiels dommages-intérêts consécutivement au refus précité. Faisant sienne une solution retenue par la CJUE qu'elle avait elle-même sollicitée, la Cour de cassation décide en substance d'écarter l'application de cette stipulation conventionnelle au regard de l'entrave qu'elle apporte à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de l'Union européenne. La Chambre sociale n'en exclut pas pour autant toute possibilité pour un club formateur de solliciter du joueur "déloyal" une indemnité. Mais, elle la soumet à des conditions strictes et justifiées.
Résumé

L'article 23 de la Charte du football professionnel interdit au joueur espoir de conclure un contrat de travail avec un autre club que celui qui l'a formé, sans prévoir la possibilité de se libérer de cette obligation par le versement d'une indemnité dont le montant soit en rapport avec le coût de la formation dispensée et fixée au moment de la signature de son contrat de formation

Le joueur "espoir" est ainsi exposé à une demande de dommages-intérêts de son club formateur dont le montant est susceptible de le dissuader d'exercer son droit à la libre circulation et qui constitue une entrave à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de l'Union en vertu de l'article 45 TFUE.

Observations

I - Une solution annoncée

La question préjudicielle de la Cour de cassation

L'affaire ayant conduit à l'arrêt commenté trouve son origine dans le refus de M. X, employé en qualité de joueur "espoir" par le club de l'Olympique lyonnais, de signer, à l'expiration normale de son contrat, un contrat de joueur professionnel avec ce club alors que ce dernier le lui avait proposé. Le joueur avait préféré contracter avec le club anglais Newcastle UFC au mois d'août 2000.

L'Olympique lyonnais avait alors saisi la juridiction prud'homale afin de voir condamner le joueur sur le fondement de l'article 23 de la Charte du football professionnel à lui payer, à titre de dommages-intérêts, une somme de 53 357,16 euros, correspondant au montant de la rémunération qu'il aurait perçue pendant une année s'il avait signé le contrat proposé et pour voir déclarer le jugement commun à la société de droit anglais Newcastle UFC. L'Olympique lyonnais a formé un pourvoi contre l'arrêt du 26 février 2007 de la cour d'appel de Lyon l'ayant débouté de cette demande (CA Lyon, 26 février 2007, n° 06278 N° Lexbase : A2361EDS).

Dans un arrêt rendu le 9 juillet 2008, commenté dans ces colonnes, la Chambre sociale de la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer jusqu'à ce que la CJUE se soit prononcée sur la compatibilité de l'article 23 de la Charte du football professionnel avec l'article 39 du Traité CE (devenu l'article 45 TFUE) (1).

La réponse de la CJUE

La réponse de la CJUE à l'importante question posée par la Cour de cassation a été donnée dans une décision en date du 16 mars 2010 (2). Suivant un cheminement classique, la CJUE a recherché l'existence d'une restriction et sa justification. Ainsi qu'elle le rappelle en préambule, l'ensemble des dispositions du Traité FUE relatives à la libre circulation des personnes, vise à faciliter, pour les ressortissants des Etats membres, l'exercice d'activités professionnelles de toute nature sur le territoire de l'Union et s'opposent aux mesures qui pourraient défavoriser ces ressortissants lorsqu'ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d'un autre Etat membre.

Des dispositions nationales qui empêchent ou dissuadent un travailleur, ressortissant d'un Etat membre, de quitter son Etat d'origine pour exercer son droit à la libre circulation, constituent, dès lors, des restrictions à cette liberté, même si elles s'appliquent indépendamment de la nationalité des travailleurs concernés. Or, pour la CJUE, "force est de constater qu'un régime tel que celui en cause au principal, selon lequel un joueur "espoir", à l'issue de sa période de formation, est obligé de conclure, sous peine de dommages-intérêts, son premier contrat de joueur professionnel avec le club qui l'a formé, est susceptible de dissuader ce joueur d'exercer son droit à la libre circulation" (3).

La restriction à la libre circulation des travailleurs ayant ainsi été caractérisée, la Cour s'attache ensuite à sa justification. Une telle restriction ne peut être admise que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le Traité et se justifie par des raisons impérieuses d'intérêt général. Il faut encore, en pareil cas, que l'application d'une telle mesure soit propre à garantir la réalisation de l'objectif en cause et n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

Pour la CJUE, "l'article 45 TFUE ne s'oppose pas à un système qui, afin de réaliser l'objectif consistant à encourager le recrutement et la formation des jeunes joueurs, garantit l'indemnisation du club formateur dans le cas où un jeune joueur signe, à l'issue de sa période de formation, un contrat de joueur professionnel avec le club d'un autre Etat membre, à condition que ce système soit apte à garantir la réalisation dudit objectif et qu'il n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. N'est pas nécessaire pour garantir la réalisation dudit objectif un régime, tel que celui en cause au principal, selon lequel un joueur "espoir" qui signe, à l'issue de sa période de formation, un contrat de joueur professionnel avec un club d'un autre Etat membre s'expose à une condamnation à des dommages-intérêts dont le montant est sans rapport avec les coûts réels de formation".

Cette solution, dont on doit relever le caractère équilibré (4), ne constitue nullement une surprise et la Cour de cassation ne pouvait que la faire sienne.

II - Une solution justifiée

La solution de la Cour de cassation

Après avoir repris in extenso le dispositif de la décision de la CJUE, la Cour de cassation affirme que "l'article 23 de la Charte du football professionnel interdit au joueur espoir de conclure un contrat de travail avec un autre club que celui qui l'a formé, sans prévoir la possibilité de se libérer de cette obligation par le versement d'une indemnité dont le montant soit en rapport avec le coût de la formation dispensée et fixée au moment de la signature de son contrat de formation. [...] le joueur "espoir" est ainsi exposé à une demande de dommages et intérêts de son club formateur dont le montant est susceptible de le dissuader d'exercer son droit à la libre circulation et qui constitue une entrave à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de l'Union en vertu de l'article 45 TFUE". La Chambre sociale conclut que l'application de cette disposition conventionnelle doit être écartée.

Il résulte de cet arrêt, et avant lui de la décision de la CJUE, que le club formateur est en droit de demander à un jeune joueur une indemnité, dans l'hypothèse, où il refuserait de signer avec lui un contrat de joueur professionnel, pour préférer s'engager auprès d'un autre club. Cela peut apparaître légitime et nécessaire afin de ne pas complètement dissuader les clubs de recruter et de former de jeunes joueurs. Mais, le montant de cette indemnité est strictement encadré puisqu'il doit correspondre au coût de la formation et être fixé au moment de la signature du contrat de formation.

Cela n'est évidemment pas sans rappeler la clause de dédit-formation, dont on sait qu'elle doit faire l'objet d'une convention particulière conclue avant le début de la formation et répondre à une triple condition : que la formation ait entraîné des frais réels excédant les dépenses imposées par la loi ou la convention collective ; que le montant de l'indemnité de dédit soit proportionné aux frais de formation engagés ; et que la clause n'ait pas pour effet de priver le salarié de la faculté de démissionner (5). Pour autant, le rapprochement entre la solution retenue à propos du jeune joueur et la clause de dédit-formation ne saurait être que exagéré (6). En effet, cette dernière a pour domaine les contrats à durée indéterminée et vise à éviter le départ prématuré du salarié. Or, dans le sport professionnel, et sans doute de manière critiquable, une prééminence, pour ne pas dire une exclusivité, est accordée au contrat à durée déterminée. Mais l'idée est la même : éviter qu'une personne que l'employeur a pris soin de former fasse profiter un autre des compétences acquises au terme d'une couteuse formation.

Au-delà, la solution retenue par la Cour de cassation fait naître une importante question d'ordre pratique : celle de l'évaluation ab initio du coût de la formation. Ce n'est pas tant la nécessité de fixer le montant de l'indemnité au moment de la signature du contrat de formation qui pose problème que sa détermination. En effet, ainsi que l'a pertinemment relevé un auteur, les centres de formation perçoivent des subventions des collectivités locales. Or, cette prise en charge des frais de formation ne permet pas à l'employeur de faire état de frais réels justifiant l'existence de la clause (7). Plus exactement, ce système est de nature à entraîner une diminution du montant de l'indemnité et, de ce fait, à lui enlever son caractère dissuasif.

Portée

L'arrêt sous examen invite à deux séries de réflexion, relatives, d'une part, aux nouvelles stipulations de la Charte du football professionnel et, d'autre part, à son adaptation dans l'ordre interne.

S'agissant du premier point, il convient de souligner que le texte qui était à l'origine du litige, à savoir l'article 23 de la Charte précitée, n'existe plus en tant que tel ou, plus exactement, a fait l'objet d'une substantielle modification. Désormais, l'article 261 de la Charte du football professionnel prévoit le versement d'une indemnité forfaire de formation lorsque le jeune joueur refuse de signer un contrat de footballeur professionnel avec le club formateur. D'un montant non négligeable, cette indemnité forfaitaire n'est pas formellement reliée au coût réel de la formation. La validité de cette stipulation est de ce fait très discutable. A cet égard, on est en droit de se demander si l'arrêt rapporté ne conduit pas à rendre cette stipulation sans objet. En effet, il faut rappeler que l'indemnité n'est valable qu'à la double condition d'être en rapport avec le coût de la formation dispensée et fixée au moment de la signature du contrat de formation. Cette double exigence nous paraît interdire tout renvoi aux stipulations de l'article 261 de la Charte du football professionnel (8) et oblige les parties à fixer à l'avance et de manière précise le montant de l'indemnité qui, par définition, ne peut donc pas être forfaitaire.

Il reste à envisager la mise en oeuvre de la solution retenue par la Cour de cassation dans l'ordre interne. L'arrêt commenté et la décision de la CJUE visent à préserver la libre circulation du jeune joueur à l'intérieur de l'Union européenne. Or, et à l'évidence, le joueur peut décliner la proposition du club formateur pour préférer s'engager, non pas auprès d'un club étranger, mais d'un autre club français. Il ne saurait être question dans ce cas du respect de l'article 45 TFUE. Est-ce à dire pour autant que le club formateur pourrait exiger le versement de dommages-intérêts sans rapport avec le coût de la formation ? On peut sérieusement en douter au regard du principe de libre exercice d'une activité professionnelle. Partant, l'article L. 1121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0670H9P) pourrait ici être utilement mobilisé. Sur ce fondement, il pourrait être avancé qu'au regard de l'objectif poursuivi, seul peut être admis le versement d'une indemnité correspondant au coût exposé pour la formation. Les stipulations de l'article 261 de la Charte du football professionnel s'en trouveraient à nouveau écartées.


(1) Cass. soc., 9 juillet 2008, n° 07-42.023, FS-P+B (N° Lexbase : A6411D9C). V. nos obs., La liberté de circulation des jeunes footballeurs, Lexbase Hebdo n° 316 du 4 septembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N7322BGB).
(2) CJCE, 16 mars 2010, aff. C-325/08 (N° Lexbase : A2485ET9), JCP éd. S, 2010, 1216, note Fr. Mandin.
(3) La Cour ajoute que "même s'il est vrai qu'un tel régime n'empêche pas formellement ce joueur de signer [...] un contrat de joueur professionnel avec un club d'un autre Etat membre, il rend néanmoins moins attrayant l'exercice dudit droit".
(4) Ainsi qu'il l'a été à juste titre relevé à propos de cette décision, "la Cour de justice, et plus largement le droit de l'Union en raison de l'introduction de la spécificité sportive dans le traité européen, "incorpore"les motifs qui fondent les règles sportives" (Fr. Mandin, op. cit).
(5) V. sur la question, J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, Droit du travail, Précis Dalloz, 25ème éd., 2010, § 235 et la jp. citée.
(6) V. en ce sens, Fr. Mandin, "La libre circulation des sportifs en formation professionnelle" : JCP éd. S, 2008, 1560, spéc. § 13.
(7) Fr. Mandin, ibid.
(8) Un tel renvoi serait pour le moins malheureux en ce qu'il serait de nature à entraîner la mise à l'écart pure et simple de la stipulation litigieuse en raison de l'atteinte portée à la liberté de circulation des travailleurs à l'intérieur de l'Union européenne.

Décision

Cass. soc., 6 octobre 2010, n° 07-42.023, FS-P+B (N° Lexbase : A3628GBY)

Rejet, CA Lyon, 26 février 2007, n° 06278 (N° Lexbase : A2361EDS)

Textes concernés : ancien article 23 de la Charte du football professionnel, TFUE article 45

Mots-clefs : contrat de joueur professionnel, choix du club employeur, liberté de circulation, indemnité, montant

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