La lettre juridique n°613 du 21 mai 2015 : Fiscalité des particuliers

[Jurisprudence] Une plus-value de crédit-bail immobilier désormais imposable

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 4 mars 2015, n° 360508, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9153NCY)

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par Olivier Ramond, Professeur des Universités et Avocat associé, cabinet Mercutio

le 21 Mai 2015

Parmi les jeux d'Arlésiennes fiscales que les conseils et les contribuables ont côtoyé régulièrement, au cours de la dernière décennie, en matière de contrôle de société civile immobilière (SCI), celle ayant trait au régime d'imposition de la plus-value liée à l'exercice d'une option de crédit-bail immobilier est, à n'en pas douter, une des plus connues. Figure fantasmagorique des années 1980, en raison du développement du marché du crédit-bail immobilier auprès des particuliers via leurs véhicules sociétaires d'investissement, ce sujet n'a eu de cesse d'alimenter les spéculations les plus folles tant de la part des contribuables, de leurs conseils et des services de l'administration, spéculations auxquelles l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat, le 4 mars 2015, a le mérite de mettre un terme (CE 3° et 8° s-s-r., 4 mars 2015, n° 360508, mentionné aux tables du recueil Lebon). Le schéma classiquement rencontré reste néanmoins simple. Dans la majorité des cas, une société civile immobilière (SCI), ayant pris l'option de l'impôt sur les sociétés, souscrit un contrat de location en crédit-bail immobilier, c'est-à-dire avec option d'achat à terme du bien, auprès d'un promoteur en vue de sous-louer ledit bien à une partie tierce, en général, une société d'exploitation, plus ou moins apparentée, en termes d'actionnariat, à la SCI (1).

Sur le plan fiscal, à l'origine de ce schéma de financement immobilier, se posait alors la question quadricéphale fatidique du régime fiscal applicable aux revenus perçus dans le cadre de la sous-location, de celui inhérent, éventuellement, à la plus-value de levée de l'option (l'option étant fréquemment activée pour un prix d'exercice symbolique), du régime applicable aux loyers perçus à l'issue de l'exercice de l'option et du régime de la plus-value constatée, à terme, lors de la vente du bien immobilier (2).

Il est vrai que de nombreuses années pouvaient séparer la détermination de la plus-value de levée de l'option de celle de la plus-value de cession effective de l'immeuble, facilitant ainsi l'oubli dans les méandres des déclaratifs successifs du montant, de la nature et de l'affectation au bon régime de la plus-value de levée, en l'absence d'un environnement administratif clairement défini. L'empressement de l'administration fiscale pour trouver une solution éclairée face à ce schéma d'acquisition et/ou de financement immobilier se comprend dès lors aisément et a permis d'organiser le cadre d'une sécurité fiscale pour ce type d'opérations.

  • Un cadre bien délimité pour le régime des revenus tirés de la sous-location

Dans le cadre de la mise en oeuvre fiscale de ces contrats de crédit-bail immobilier, bien peu de largesses étaient laissées, dès l'origine (et toujours à ce jour), à la qualification des revenus tirés de l'activité de sous-location. En effet, l'application du régime des bénéfices non-commerciaux (BNC) aux "sous-loyers" perçus résultait de la lecture directe de l'article 92, 1 du CGI (N° Lexbase : L1704IZ7) qui prévoient toujours en ses termes actuels que "Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus". Les revenus tirés de la sous-location du bien immobilier pris en crédit-bail relevait ainsi automatiquement du régime des BNC.

En outre, aux termes du I de l'article 93 quater du CGI (N° Lexbase : L0665IPC), les plus-values réalisées dans le cadre d'une telle activité sont soumises au régime des articles 39 duodecies (N° Lexbase : L5787I3Q) à 39 novodecies (N° Lexbase : L1090IE4) du CGI, articles qui encadrent les différents régimes de plus-values à court terme et à long terme.

Restait alors à déterminer si plus-value il y avait lieu de constater, au plan fiscal, en cas de levée de l'option. En réputant que les actifs acquis par contrat de crédit-bail immobilier constituaient des éléments d'actifs affectés à l'exercice de l'activité non commerciale, la loi de finances pour 1991 (loi n° 90-1168 du 29 décembre 1990, de finances pour 1991 N° Lexbase : L1670I8D) avait ouvert la voie à une solution doctrinale intuitive très vite établie à la demande de l'administration fiscale.

  • Une administration très vite consciente du délicat sujet de la plus-value de levée d'exercice

Face à cette explosion de ce pan du marché immobilier à la fin des années 1980, l'administration fiscale avait, en effet, rapidement demandé des éclaircissements en la matière, consciente du manque à gagner potentiel pour l'Etat sur les plus-values de levée de l'option qui, par nature, emportent la part la plus prépondérante de la plus-value immobilière totale (3). Une réponse ministérielle (réponse ministérielle de M. Alain Moyne-Bressand n° 42984, du 15 juillet 1991 N° Lexbase : L6418I89) avait acté du fait qu'"en cas de levée de l'option d'achat, le transfert du bien dans le patrimoine privé du contribuable résultant de la cessation de l'activité de sous-location est de nature à dégager une plus-value imposable dans les conditions définies aux articles 39 duodecies et suivants du CGI". Il résultait de cette analyse ministérielle que tout actionnaire de la SCI, personne physique, se devait de constater une plus-value privée lors de la levée de l'option, levée qui emportait cessation de l'activité BNC de la SCI. La solution retenue s'avérait déjà à l'époque assez défavorable aux contribuables qui se voyaient imposés sur cette levée optionnelle, à l'origine du transfert de propriété du bien immobilier, alors même qu'aucun flux monétaire ne venait marquer cette opération (4). Appliquée au pied de la lettre et en l'absence de fonds personnel suffisant, cette règle incitait bien souvent les actionnaires à opérer, dans les mois suivants la date d'exercice de l'option, une cession du bien immobilier (5).

  • Une doctrine administrative intégralement reprise par le Conseil d'Etat

Plus de vingt années plus tard, le Conseil d'Etat, dans l'arrêt du 4 mars 2015 commenté, a choisi de reprendre, à son compte, cette solution doctrinale en précisant, en l'espèce, "quand bien même aucun acte ne matérialiserait le transfert de l'immeuble au patrimoine de la société, la cessation de son activité initiale et le changement de son régime fiscal ont eu pour effet de rendre immédiatement imposable la plus-value susceptible d'avoir été acquise à cette date".

La Haute assemblée, en se rangeant à la solution de la réponse ministérielle "Moyne-Bressand", soulève implicitement une autre question d'importance majeure touchant à la détermination de la plus-value de levée d'exercice en l'absence de transaction réellement sanctionnée par un prix. Dans son huitième considérant, le Conseil d'Etat valide bien le fait qu'il faille déterminer une valeur vénale réelle à l'occasion de la levée de l'option, renvoyant implicitement par là-même au large corpus jurisprudentiel sur le sujet développé conjointement par le juge administratif et judiciaire depuis une décision du 30 janvier 1951 (cf. par exemple : Cass. com., 23 octobre 1984, n° 83-12568, publié au Bulletin N° Lexbase : A0320AHC ; Cass. com., 22 janvier 1991, n° 89-12357, publié au Bulletin N° Lexbase : A2615ABH). Cette valeur vénale que le juge a régulièrement défini comme "le prix qui pourrait en être obtenu par le jeu de l'offre et de la demande dans un marché réel, compte tenu de l'état dans lequel il se trouve avant la mutation, et compte tenu des clauses de l'acte de vente ou de l'acte le constatant" concentrera, sans nul doute, dans le futur, nombre des points de recours contre l'application de ce régime aux plus-values de levée inhérentes aux contrats de crédit-bail immobilier.

Il est intéressant de noter qu'en l'espèce, la partie demanderesse avait, à tort, considéré ce point comme accessoire au sujet traité et n'avait pas jugé bon de justifier, de manière détaillée, la valeur vénale retenue en appui de ses propos.


(1) Il n'est pas rare que ces schémas de financement "déguisés" permettaient bien souvent à un dirigeant d'entreprise, actionnaire majoritaire de la SCI, d'acquérir le bien immobilier d'exploitation de sa société opérationnelle de la sorte. La société d'exploitation payait les sous-loyers à la SCI qui les reversait en totalité à la société financière initiatrice du crédit-bail. Ces schémas d'acquisition immobilière font penser à la mécanique des opérations d'acquisition basées sur les démembrements de propriété, opérations qui les ont très vite supplantées dans le coeur des praticiens.
(2) En pratique, le débat porte moins sur la détermination des deux derniers régimes (régime des revenus fonciers) que sur celle des deux premiers.
(3) Même dans un contexte de marché immobilier haussier, le fait de lever une option de crédit-bail immobilier à un strike d'un euro symbolique permettra de réaliser ab initio une plus-value correspondante à la valeur de l'immobilier en date d'exercice de l'option.
(4) Cette situation est d'autant plus complexe pour les actionnaires personnes physiques dès lors que la SCI n'a pas opté pour le régime de l'IS car le report d'imposition offert par l'article 93 quater IV, 1 du CGI n'est plus envisageable : "Pour l'application des dispositions du premier alinéa du I aux immeubles acquis dans les conditions prévues au 6 de l'article 93 (N° Lexbase : L4775I7Y) et précédemment donnés en sous-location, l'imposition de la plus-value consécutive au changement de régime fiscal peut, sur demande expresse du contribuable, être reportée au moment où s'opérera la transmission de l'immeuble ou, le cas échéant, la transmission ou le rachat de tout ou partie des titres de la société propriétaire de l'immeuble ou sa dissolution".
(5) L'article 239 sexies du CGI (N° Lexbase : L4979HLY) trouve également à s'appliquer lors de la détermination de l'assiette taxable de la plus-value de levée d'option. Cette dernière se calcule dès lors comme la "différence existant entre la valeur de l'immeuble lors de la levée optionnelle et le montant total des amortissements que le locataire aurait pu pratiquer s'il avait été propriétaire du bien depuis cette date, le locataire acquéreur est tenu de réintégrer, dans les résultats de son entreprise afférents à l'exercice en cours au moment de la cession, la fraction des loyers versés pendant la période au cours de laquelle l'intéressé a été titulaire du contrat et correspondant à ladite différence diminuée du prix de cession de l'immeuble".

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