Lexbase Fiscal n°606 du 26 mars 2015 : Fiscalité internationale

[Questions à...] Causes et conséquences du "Swissleaks" - Questions à Maître Jonathan Sémon, Avocat associé au Barreau de Paris

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[Questions à...] Causes et conséquences du "Swissleaks" - Questions à Maître Jonathan Sémon, Avocat associé au Barreau de Paris. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/23794888-questions-a-causes-et-consequences-du-swissleaks-questions-a-b-maitre-jonathan-semon-avocat-associe-
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par Jules Bellaiche, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 26 Mars 2015

Le "Swissleaks" correspond à la publication, en février 2015, par de nombreux médias dans le monde, d'une liste de contribuables ayant un compte en Suisse. En effet, ces révélations ont permis de mettre à jour un système international de fraude fiscale et de blanchiment d'argent qui aurait été mis en place par une grande banque britannique à partir de la Suisse. Selon le porte-parole du Gouvernement, ce listing contenant le nom de contribuables français, exploité par l'administration française depuis 2009, a déjà fait l'objet d'un traitement efficace et exhaustif par l'Etat sur le plan fiscal. Dès lors, il semble louable de s'intéresser aux causes puis aux conséquences de cet événement qui a secoué le monde de la fiscalité bancaire. Pour en savoir plus sur ces questions, Lexbase Hebdo-édition fiscale a interrogé Maître Jonathan Sémon, Avocat associé au Barreau de Paris.

Lexbase : Par quels moyens un contribuable français peut-il (ou pouvait-il) transférer des fonds en Suisse ?

Jonathan Sémon : Pour mémoire, l'affaire "Swissleaks" intéresse un peu moins de 3 000 français sur les 120 000 personnes concernées.

Les comptes détenus par ces personnes étaient en général non déclarés à l'administration fiscale (1). Cependant, ces contribuables ne sont pas forcément des fraudeurs actuels dans la mesure où des comptes ont été déclarés par la suite à l'administration fiscale française ou régularisés.

Il ressort de l'enquête menée par l'ICIJ (consortium de journaliste d'investigation) que la période en question concerne les années 1988 à 2007. A cette époque, les moyens utilisés par les contribuables français pour transférer de l'argent en Suisse étaient multiples et dépendaient de leurs situations.

Si les sommes d'argent étaient détenues avant l'ouverture du compte par les contribuables français à l'étranger, des virements bancaires ou chèques déposés à l'ouverture du compte permettaient le transfert des fonds. Dans le cas où les sommes étaient détenues en France en espèces par les contribuables français, ces derniers pouvaient soit transférer physiquement les fonds en se rendant en Suisse, soit bénéficier d'intermédiaires qui effectuaient le voyage à leur place.

Si les sommes n'étaient pas encore acquises par les contribuables français, ils pouvaient ouvrir un compte numéroté et effectuer des prestations non déclarées à l'administration fiscale qui étaient, en pratique, encaissées par suite sur le compte ouvert à l'étranger.

De nos jours, ces pratiques paraissent irréalisables étant donné que les banquiers suisses ont totalement modifié leurs méthodes de fonctionnement et qu'il paraît presque impossible d'ouvrir un compte dans ce pays sans prouver l'origine des fonds, sans signer une déclaration de conformité fiscale et une autorisation de divulgation volontaire dans le cadre de l'accord sur la fiscalité de l'épargne entre la Suisse et l'Union européenne.

Enfin, on rappellera que l'ouverture de nos jours d'un compte en Suisse présente peu d'intérêt pour un fraudeur étant donné les mesures adoptées par la Suisse concernant l'échange d'information et le secret bancaire.

Lexbase : Quels seront les conséquences juridiques du "Swissleaks" pour ces contribuables ?

Jonathan Sémon : En principe, la détention d'un compte non déclaré à l'étranger par un résident fiscal français est sanctionnée sur le plan fiscal et sur le plan pénal.

La circulaire ministérielle complémentaire du 10 décembre 2014 précise toutefois que la régularisation spontanée des résidents fiscaux français permet, en pratique, d'éviter les poursuites pénales en cas de découverte ultérieure du compte par l'administration fiscale.

Il est à noter que la législation pénale en la matière a été récemment renforcée par la loi du 6 décembre 2013 (loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière N° Lexbase : L6136IYW) et prévoit désormais que le recours à des comptes ouverts ou à des contrats souscrits auprès d'organismes établis à l'étranger constitue une circonstance aggravante du délit de fraude fiscale. Cette fraude aggravée est passible d'une peine de sept années d'emprisonnement et d'une amende de deux millions d'euros.

En ce qui concerne les conséquences fiscales, la procédure de régularisation spontanée permet de bénéficier de pénalités atténuées par rapport à l'application des pénalités au taux plein.

En pratique, le montant à payer varie en fonction de la situation de chaque contribuable mais ce montant peut être généralement estimé entre 20 % à 28 % du montant des sommes à régulariser. Cette procédure de régularisation des avoirs fiscaux, en ce qui concerne l'année 2015, porte notamment :

- sur les années 2006 à 2014, en matière d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux ;

- sur les années 2007 à 2015, en matière d'ISF et de droits de mutation à titre gratuit.

Dans le cas où une personne souhaite régulariser la détention d'un compte à l'étranger, il devra déposer un dossier complet comportant à la fois des déclarations rectificatives et des pièces justificatives au sein du service de traitement des déclarations rectificatives (STDR).

Afin de bien comprendre la procédure et de constituer un dossier complet, il est important de se rapprocher d'un avocat en droit fiscal avant d'entreprendre toute démarche auprès du STDR.

Lexbase : Quels sont, aujourd'hui, les avantages de la fiscalité suisse. A-telle évolué ces dernières années, notamment dans le cadre la coopération avec les autorités fiscales étrangères ?

Jonathan Sémon : La Suisse a considérablement changé sa pratique en matière de secret bancaire.

En ce qui concerne ses rapports avec la France, l'avenant du 27 août 2009 à la Convention franco-suisse du 9 septembre 1966 en matière d'impôts sur le revenu et la fortune (N° Lexbase : L6752BHK), relatif à l'échange de renseignements, autorise l'échange de renseignements concernant toute année civile ou tout exercice commençant à partir du 1er janvier 2010.

En pratique, cet avenant autorise la levée du secret bancaire suisse, mais sans pour autant donner le droit à l'administration fiscale française de faire des demandes d'ordre général et impersonnel. Autrement dit, la France ne peut demander à la Suisse, la liste de tous les résidents français détenant un compte dans une banque déterminée. La demande doit comprendre un certain nombre d'éléments précis tels que l'identification du contribuable présumé détenir un compte en Suisse et permettant d'identifier la banque détentrice du compte.

Par suite, la France et la Suisse ont conclu le 25 juin 2014, un avenant à la Convention franco-suisse du 9 septembre 1966 qui a permis d'étendre le dispositif de l'échange d'informations sur demande entre la France et la Suisse. Indépendamment du fait que cet avenant n'a pas encore été ratifié, il aura un effet rétroactif au 1er janvier 2010 pour les demandes individuelles et au 1er février 2013 pour les demandes groupées, date de l'entrée en vigueur de la loi fédérale suisse sur l'assistance administrative internationale en matière fiscale.

En ce qui concerne les autres pays, la Suisse devrait lever également son secret bancaire dans la mesure où elle est devenue la 52ème juridiction signataire de l'Accord multilatéral entre les autorités compétentes.

Par un communiqué officiel du 8 octobre 2014, le Gouvernement suisse a indiqué que la Suisse confirme son intention d'introduire en temps utile les bases légales nécessaires à l'application de l'échange automatique de renseignements de manière à ce que les établissements financiers suisses puissent, dès 2017, commencer à collecter les données concernant les comptes des contribuables étrangers. Un premier échange de renseignements pourrait normalement avoir lieu en 2018.

Lexbase : Une partie des fonds était redirigée vers des paradis fiscaux. Avec l'éclatement de cette affaire, les relations entre la Suisse et ces lieux vont-elles s'effondrer ? La divulgation de listes est-il le meilleur moyen de contrer l'évasion fiscale ?

Jonathan Sémon : La Suisse ayant changé sa règlementation interne et ayant signé de nombreux accords internationaux autorisant la levée du secret bancaire devrait logiquement entretenir des relations "normales" avec des Etats ou territoire à fiscalité privilégiée.

La divulgation de listes permet de mettre en lumière les pratiques passées et peut motiver les Etats à mettre en place de nouveaux moyens pour lutter contre l'évasion fiscale tels que l'échange automatique d'informations. Cet outil devrait donner la possibilité aux Etats de connaitre automatiquement l'identité des personnes qui détiennent un compte à l'étranger sur une base annuelle.

L'échange automatique d'informations devrait être applicable dans plus de 80 pays à compter de 2017 ou 2018 selon les pays, dont certains réputés pour leur secret bancaire ou leur opacité tels que la Suisse, le Liechtenstein, Jersey, les Bahamas, les Bermudes, les Iles Caïmans ou les Iles Vierges britanniques.

Il en ressort que la lutte contre l'évasion fiscale n'est toutefois pas une question résolue mais il est à noter que les progrès en la matière restent très importants depuis quelques années grâce au travail considérable de l'OCDE.


(1) A hauteur de 99,8 %.

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