Lexbase Fiscal n°876 du 9 septembre 2021 : Procédures fiscales

[Focus] Responsabilité de l’État en matière fiscale : qui sont les responsables et quel est le juge compétent ?

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par Virginie Pradel, Fiscaliste

le 09 Septembre 2021


Mots-clés : contentieux fiscal • responsabilité de l’État • juge compétent

En matière fiscale, la faute est souvent envisagée sous le seul angle du contribuable.


 

Il doit d’emblée être souligné que le droit fiscal dispose de sa propre terminologie pour distinguer les différents degrés de fautes pouvant être commises par le contribuable. Le législateur, la jurisprudence et la doctrine ne parlent ainsi jamais de faute du contribuable en tant que telle, mais de manquement délibéré [1], de manœuvres frauduleuses, d’abus ou encore de fraude de ce dernier [2]

Le contribuable est toutefois loin d’avoir le monopole des fautes commises. L’État, par le biais des agents de l’administration fiscale, est également amené à commettre un certain nombre de fautes chaque année au détriment du contribuable, pouvant parfois avoir des conséquences dramatiques pour ce dernier. Le principe de responsabilité de l’État fut toutefois plus long à s'imposer dans le domaine fiscal que dans d'autres domaines. C’est pourtant dans ce domaine, avec la décision « Bourgeois » du 27 juillet 1990 [3], que nous verrons que s’est inauguré le mouvement jurisprudentiel ayant conduit à une disparition progressive de l'exigence d'une faute lourde. Toute faute des services de la DGFiP est ainsi désormais susceptible d'engager la responsabilité de l'État.

Pour rappel, un contribuable qui obtient un dégrèvement total ou partiel n’a pas la possibilité de bénéficier de plein droit d'un dédommagement ou d'indemnités quelconques [4]. Il peut seulement percevoir des intérêts moratoires au taux désormais de 0,4 % par mois (2,4 % par an) [5]. Par suite, si le contribuable entend être dédommagé d'un préjudice non couvert par les intérêts moratoires qu'il prétend avoir subi du fait des services de la DGFiP,il doit former un recours en dommages-intérêts pour mettre en cause la responsabilité de l'État.

S’agissant de la responsabilité de l’État, deux questions se posent en premier lieu :

  • qui sont les responsables des fautes commises ?
  • quelle est la juridiction compétente ?

Cet article a vocation à présenter succinctement la réponse à ces deux questions.

I. Qui sont les responsables ?

Les services de la DGFiP peuvent léser le contribuable, voire d’autres tiers, dans le cadre de :

  • leurs attributions fiscales (assiette, contrôle, recouvrement) ;
  • leurs attributions extrafiscales (renseignements, dégâts matériels) [6].

La responsabilité personnelle d'un agent de la DGFiP peut être engagée sous réserve que ce dernier ait commis une faute personnelle, détachable du service, selon les critères définis par la jurisprudence administrative. L'action en responsabilité intentée contre l'agent est soumise au juge judiciaire de droit commun.

Un caractère personnel est reconnu :

  • aux fautes commises par le fonctionnaire dans sa vie privée ;
  • aux fautes commises par le fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions, lorsqu'il a agi dans une intention anormale (malveillance, but malicieux, dolosif, recherche de l'intérêt personnel), ou lorsqu'il a commis une infraction pénale.

La faute personnelle peut se cumuler avec une faute de service. La victime peut donc engager à sa convenance la responsabilité du fonctionnaire ou du service.

II. Quelle est la juridiction compétente ?

► Rappels liminaires

La procédure de l'action en dommages et intérêts soulève, en matière fiscale, des problématiques de délimitation de compétence entre les deux grands ordres juridictionnels :

  • l’ordre administratif ;
  • l’ordre judiciaire.

Cela résulte de la combinaison de trois principes attributifs de compétence.

Selon le premier principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires, le juge administratif est normalement compétent pour connaître de toutes les actions en dommages-intérêts dirigées contre l'État ;

Selon le second principe, le juge fiscal, « juge de l'impôt », relève soit de l'ordre administratif (impôts directs, taxes sur le chiffre d'affaires) soit de l'ordre judiciaire (enregistrement, timbre, taxe de publicité foncière, impôt de solidarité sur la fortune et impôt sur la fortune immobilière) ;

Selon le troisième principe, le juge judiciaire est compétent pour connaître de la régularité en la forme des actes de poursuites [7].

Le tribunal des conflits, le Conseil d'État et la Cour de cassation ont été amenés à opérer une distinction selon que le dommage résulte d'une faute affectant les opérations d'assiette, de recouvrement ou une activité extrafiscale.

► La répartition actuelle des compétences en matière fiscale à raison des opérations d’assiette et de recouvrement

Pour mémoire, la jurisprudence a tout d’abord donné compétence à la seule juridiction administrative pour statuer sur toutes les actions en responsabilité intentées contre l'État, à raison des fautes commises par les services d'assiette, quelle que soit la nature de l'impôt. Le Conseil d'État a ensuite élaboré dans les années 1950 la théorie des « blocs de compétence ».

Selon la théorie des « blocs de compétence », chaque ordre de juridiction est compétent pour statuer sur les actions en responsabilité afférentes aux impôts dont il est juge de l'assiette.

La responsabilité de l'État à raison des opérations d'assiette doit ainsi être engagée devant la juridiction compétente pour statuer sur l'imposition concernée. Il s’agira :

  • du juge administratif pour les impôts directs et les taxes sur le chiffre d'affaires et taxes assimilées [8] ;
  • du juge judiciaire pour les droits d'enregistrement, droits de timbre, contributions indirectes [9] ainsi que pour les droits de douane et assimilés [10].

Si les impositions dont le recouvrement est poursuivi relèvent de la compétence du juge administratif, celui-ci est compétent pour se prononcer sur la responsabilité des services fiscaux au titre de différents types d’agissements. Il peut notamment s’agir de la décision d'engager les poursuites sur la base d'un titre de perception devenu caduc [11] ou du refus d'accorder le sursis de paiement [12].

Les actions en réparation fondées sur les fautes commises lors d'opérations de recouvrement doivent être portées devant le juge compétent pour connaître des contestations dirigées contre les actes de recouvrement eux-mêmes. Il s’agit :

  • du juge judiciaire de l'exécution si le litige porte sur la régularité en la forme de l'acte de poursuite [13] ;
  • du juge de l'impôt - administratif ou judiciaire selon l'imposition - si le litige porte sur l'exigibilité, la quotité ou l'obligation de payer la créance fiscale.

► Compétence exclusive du juge judiciaire

Le juge judiciaire est exclusivement compétent afin d’apprécier la responsabilité des services fiscaux du fait de l'irrégularité des procédures d'exécution [14]. Relèvent ainsi ce juge les actions en responsabilité fondées sur des agissements tels que la faute commise par le comptable en signifiant à parquet la sommation au requérant d'assister à la vente [15] ou encore la faute commise à l'occasion d'une saisie mobilière. [16]

Le juge judiciaire est aussi exclusivement compétent s’agissant des opérations non détachables des procédures soumises à son contrôle. Relèvent ainsi de la compétence exclusive de la juridiction judiciaire, les demandes indemnitaires fondées sur :

  • le dépôt d'une plainte pour fraude fiscale à l'encontre du contribuable [17]
  • la visite domiciliaire prévue par l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales [18]
  • la faute consistant dans la poursuite par les services fiscaux de la procédure de liquidation judiciaire en dépit des offres de règlement faites par la société requérante [19].

► Compétence exclusive du juge administratif

Le juge administratif est exclusivement compétent s’agissant des opérations détachables de l'assiette et du recouvrement de l'impôt. Sont notamment détachables de la procédure d'imposition l’institution d'une taxe par voie réglementaire et l’instauration par délibération municipale d'une exonération d'impôt sur les spectacles.

Le juge administratif est seul compétent pour apprécier la responsabilité des services fiscaux au titre de certaines opérations. Il s’agit notamment de la délivrance d'un extrait cadastral [20], de l’organisation du service des douanes [21], de la fourniture d'informations erronées [22] ou de documents de complaisance [23]. Il est également seul compétent en matière d’interprétation de la loi [24], d’activité législative [25], d’agréments fiscaux. [26]

 

[1] L’ordonnance 2005-1512, du 7 décembre 2005, relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et l'aménagement du régime des pénalités (N° Lexbase : L4620HDH) a procédé à une refonte du régime des pénalités fiscales a notamment remplacé l’expression « mauvaise foi » par l’expression « manquement délibéré ». Il s’agit d’une simple modification formelle qui n’emporte aucune conséquence juridique, notamment sur les éléments constitutifs des infractions.

[2] On peut également parler de fraude fiscale du contribuable, ce qui correspond à un délit pénal sanctionné par les juridictions judiciaires.

[3] CE Contentieux, 27 juillet 1990, n° 44676 (N° Lexbase : A4648AQ9).

[4] LPF, art. L. 207 (N° Lexbase : L8347AEU).

[5] LPF, art. L. 208 (N° Lexbase : L7618HEU).

[6] BOI-CTX-RDI-10 § 1 (N° Lexbase : X4645ALM).

[7] LPF, art. L. 281 (N° Lexbase : L8564LHN).

[8] LPF, art. L. 199, al. 1er (N° Lexbase : L0438LTE).

[9] LPF, art. L. 199, al. 2 ; le Conseil d'État décline sa compétence pour connaître de la mise en jeu de la responsabilité de l'État à l'occasion d'une faute qu'aurait commise le service chargé du recouvrement de la contribution des patentes en faisant procéder à la saisie et à la vente d'objets appartenant au contribuable, au motif que seuls les tribunaux judiciaires sont compétents pour connaître des responsabilités que l'État peut avoir encourues à raison des fautes prétendument commises au cours de la procédure d'exécution.

[10] C. douanes, art. 357 bis (N° Lexbase : L7873LWI).

[11] T. confl., 22 février 1960, n° 1710, M. Bernard.

[12] CE Contentieux, 17 novembre 1969, n° 75523 (N° Lexbase : A1945B8K).

[13] LPF, art. L. 281 (N° Lexbase : L8564LHN).

[14] T. confl., 22 févr. 1960, n° 1710, précité.

[15] T. confl., 22 févr. 1960, n° 1710, précité.

[16] CE, 30 mars 1960, n° 46811, Sieur Duval.

[17] T. confl., 2 juillet 1979, n° 2134, Agelasto.

[18] TA Strasbourg, 14 mai 1991, n° 90-101, Grandidier.

[19] CE 5° et 3° ssr., 26 mars 1982, n° 22557 (N° Lexbase : A1191ALP).

[20] CE 1° et 2° ssr., 23 avril 2003, n° 233365 (N° Lexbase : A7771C8C).

[21] CE Contentieux, 11 juillet 1979, n° 6019 (N° Lexbase : A3101AK3).

[22] CE Contentieux, 11 mars 1960, n° 20125 (N° Lexbase : A5940AK9).

[23] CE Contentieux, 21 décembre 1962, n° 36207 et 51158, Dame Husson-Chiffre.

[24] T. confl., 15 janvier 1990, n° 2604, SA Gamma-Cadjee.

[25] CE Contentieux, 14 janvier 1938, n° 51704 (N° Lexbase : A9868B7M).

[26] CE Contentieux, 26 janvier 1968, n° 69765 (N° Lexbase : A7564B8N).

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