La lettre juridique n°828 du 18 juin 2020 : Autorité parentale

[Brèves] Enlèvement international d’enfants : précisions de la Cour de cassation concernant la détermination de la résidence habituelle d’un nourrisson

Réf. : Cass. civ. 1, 12 juin 2020, n° 19-24.108, FS-P+B+I (N° Lexbase : A43303NP)

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par Anne-Lise Lonné-Clément

le 18 Juin 2020

► Au regard du très jeune âge de l’enfant et de la circonstance qu’il était arrivé à l’âge d’un mois en France et y avait séjourné de manière ininterrompue depuis lors avec sa mère, il incombait aux juges du fond de rechercher si son environnement social et familial et, par suite, le centre de sa vie, ne se trouvait pas en France, nonobstant l’intention initiale des parents quant au retour de la mère, accompagnée de l’enfant, en Grèce après son séjour en France.

Telle est la solution retenue par la première chambre civile de la Cour de cassation, aux termes d’un arrêt rendu le 12 juin 2020 (Cass. civ. 1, 12 juin 2020, n° 19-24.108, FS-P+B+I N° Lexbase : A43303NP)

Les faits. Du mariage de la mère, de nationalité suisse, et du père, de nationalité grecque, était né un enfant à Palaio Faliro (Grèce). Le 4 novembre 2018, la mère, accompagnée de son mari, avait rejoint la France avec l’enfant afin de se reposer chez ses parents. Soutenant qu’elle refusait de rentrer en Grèce avec l’enfant à l’issue de son séjour, comme convenu initialement, le père l’avait assignée, le 26 juin 2019, devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Strasbourg pour voir ordonner le retour immédiat de l’enfant.

Cour d’appel. Pour faire droit à la demande du père, les juges d’appel avaient fixé la résidence habituelle de l’enfant en Grèce et ainsi jugé que le non-retour de l’enfant était illicite, pour ordonner son retour immédiat en Grèce.

Pour fixer la résidence habituelle de l’enfant en Grèce, la cour d’appel avait retenu que, s’agissant d’un nourrisson, il était nécessaire de prendre en considération la résidence du couple et l’intention commune des parents, et qu’en cas de séjours temporaires à l’étranger, un changement de résidence ne pouvait être pris en considération qu’en cas d’intention ferme, formulée par les deux parents, d’abandonner leur résidence habituelle afin d’en acquérir une nouvelle, peu important le lieu où l’enfant avait passé le plus de temps depuis sa naissance. La cour d’appel avait relevé que les parents s’étaient mariés le 30 juillet 2015 en Grèce où ils résidaient régulièrement depuis quatre ans et où le père exerçait principalement son activité professionnelle, la mère ayant mis fin à son activité professionnelle pour s’installer en Grèce avec son époux. L’arrêt constatait que l’enfant était de nationalité grecque et était né en Grèce où il avait vécu pendant quatre semaines, le logement ayant été aménagé pour sa naissance, qu’il disposait d’un passeport grec, d’une mutuelle et était enregistré auprès de l’assurance maladie grecque. Il relevait encore que les deux parents avaient indiqué une adresse commune en Grèce lors de l’établissement de l’acte de naissance de leur fils et que la résidence de la famille était enregistrée auprès de la mairie du Pirée. Il en déduisait que la résidence habituelle des parents et, subséquemment, celle de l’enfant était établie en Grèce et que, si le déplacement de l’enfant en France ne présentait aucun caractère illicite, les deux parents étant venus ensemble, d’un commun accord, avec l’enfant sur le territoire national, la mère ne pouvait décider de modifier unilatéralement la résidence habituelle de l’enfant sans l’accord du père et s’opposer son retour.

Cour de cassation. Pour contester l’arrêt, la mère reprochait à la cour d’appel de s’être ainsi prononcée, sans examen de l’intégration de l’enfant et de sa mère dans leur domicile en France.

L’argument est admis par la Cour suprême, qui livre un exposé détaillé des textes et de la jurisprudence applicable sur la notion de résidence habituelle de l’enfant, laquelle constitue une condition permettant de caractériser un déplacement illicite.

Pour rappel, en effet, au sens des articles 3 et 4 de la Convention de La Haye du 5 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (N° Lexbase : L0170I8S), 2, 11), et 11, paragraphe 1, du Règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale (N° Lexbase : L0159DYK), est illicite tout déplacement ou non-retour d’un enfant fait en violation d’un droit de garde exercé effectivement et attribué à une personne par le droit ou le juge de l’Etat dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle avant son déplacement ou son non-retour.

La Cour de cassation rappelle, ensuite, que de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 2 avril 2009, aff. C-523/07 N° Lexbase : A3008EE7 ; CJUE, 22 décembre 2010, C-497/10 PPU N° Lexbase : A7112GNQ ; CJUE, 9 octobre 2014, aff. C-376/14 PPU N° Lexbase : A0017MYB ; CJUE, 8 juin 2017, aff. C-111/17 PPU N° Lexbase : A6140WGI ; CJUE, 28 juin 2018, aff. C-512/17 N° Lexbase : A1612XUA) résultent les éléments ci-après.

- En premier lieu, la résidence habituelle de l’enfant, au sens du Règlement n° 2201/2003, correspond au lieu où se situe, dans les faits, le centre de sa vie et il appartient la juridiction nationale de déterminer où se situe ce centre sur la base d’un faisceau d’éléments de fait concordants (arrêt précité du 28 juin 2018).

- En deuxième lieu, la résidence habituelle doit être interprétée au regard des objectifs du Règlement n° 2201/2003, notamment celui ressortant de son considérant 12, selon lequel les règles de compétence qu’il établit sont conçues en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant et, en particulier, du critère de proximité (arrêts précités du 2 avril 2009, points 34 et 35, du 22 décembre 2010, points 44 46, et du 8 juin 2017, point 40).

- En troisième lieu, lorsque l’enfant est un nourrisson, son environnement est essentiellement familial, déterminé par la personne ou les personnes de référence avec lesquelles il vit, qui le gardent effectivement et prennent soin de lui, et il partage nécessairement l’environnement social et familial de cette personne ou de ces personnes. En conséquence, lorsque, comme dans la présente espèce, un nourrisson est effectivement gardé par sa mère, dans un État membre différent de celui où réside habituellement le père, il convient de prendre en compte notamment, d’une part, la durée, la régularité, les conditions et les raisons du séjour de celle-ci sur le territoire du premier État membre, d’autre part, les origines géographiques et familiales de la mère ainsi que les rapports familiaux et sociaux entretenus par celle-ci et l’enfant dans le même État membre (arrêt précité du 8 juin 2017, point 45).

- En quatrième lieu, lorsque dans les mêmes circonstances, un nourrisson est effectivement gardé par sa mère, l’intention initialement exprimée par les parents quant au retour de celle-ci accompagnée de l’enfant dans un autre Etat membre, qui était celui de leur résidence habituelle avant la naissance de l’enfant, ne saurait être à elle seule décisive pour déterminer la résidence habituelle de l’enfant, au sens du Règlement n° 2201/2003, cette intention ne constituant qu’un indice de nature compléter un faisceau d’autres éléments concordants.

Cette intention initiale ne saurait être la considération prépondérante, en application d’une règle générale et abstraite selon laquelle la résidence habituelle d’un nourrisson serait nécessairement celle de ses parents (même arrêt, points 47 et 50). De même, le consentement ou l’absence de consentement du père, dans l’exercice de son droit de garde, ce que l’enfant s’établisse en un lieu ne saurait être une considération décisive pour déterminer la résidence habituelle de cet enfant, au sens du Règlement n° 2201/2003 (même arrêt, point 54).

Après cet exposé détaillé, la Haute juridiction censure l’arrêt attaqué, reprochant à la cour d’appel de ne pas avoir recherché, comme il le lui incombait, si, au regard du très jeune âge de l’enfant et de la circonstance qu’il était arrivé à l’âge d’un mois en France et y avait séjourné de manière ininterrompue depuis lors avec sa mère, son environnement social et familial et, par suite, le centre de sa vie, ne s’y trouvait pas, nonobstant l’intention initiale des parents quant au retour de la mère, accompagnée de l’enfant, en Grèce après son séjour en France, privant ainsi sa décision de base légale au regard des textes susvisés.

Pour aller plus loin : cf. l’Ouvrage « L’autorité parentale », Les aspects civils de l'enlèvement d'enfant (N° Lexbase : E5830EYL).

 

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