La lettre juridique n°824 du 14 mai 2020 : Fiscalité internationale

[Focus] DAC 6 : une application pratique plus complexe et incertaine

Réf. : Directive (UE) n° 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018, modifiant la Directive 2011/16/UE en ce qui concerne l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l'objet d'une déclaration (N° Lexbase : L6279LKR)

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par Guillaume Massé et Anne-Clémence Piroth, Avocats à la Cour, D’Alverny Avocats

le 13 Mai 2020

Adoptée le 25 mai 2018, la Directive 2018/822/UE du 25 mai 2018, dite « Dac 6 »[1] (N° Lexbase : L6279LKR),  transposée par l’ordonnance du 21 octobre 2019[2], instaure un nouvel arsenal juridique, puissant, pour lutter contre l’évasion et la fraude fiscales, réputée atteindre dans l’UE entre 50 et 70 milliards d’euros par an.

Cette nouvelle obligation déclarative impose la transparence fiscale pour endiguer l’érosion des bases d’imposition des Etats membres. Elle résulte de l’approche OCDE contenue dans son action BEPS (« Base Erosion and Profit Shifting »)[3] n° 12 pour faire échec aux stratégies d’optimisation fiscale mises au point pour tirer partie de l’absence d’harmonisation fiscale à l’échelle internationale, en transférant, de manière artificielle, des profits vers des Etats à taux d’imposition sur les sociétés réduit, voire nul. Son fer de lance : fournir « aux administrations fiscales des informations en temps opportun concernant les montages fiscaux potentiellement agressifs ou abusifs et identifier les fiscalistes et utilisateurs de ces montages »[4].

Ainsi, la Directive DAC 6 impose aux intermédiaires participant aux dispositifs cross border, à caractère potentiellement agressif ou, dans certains cas, au contribuable, de les déclarer à leur administration fiscale. Un échange automatique des informations ainsi déclarées, entre les Etats membres, est prévu pour s’en suivre.

Entrant en vigueur le 1er juillet 2020, cette obligation déclarative vise les dispositifs dont la première étape a été mise en œuvre entre juin 2018 et juin 2020. Elle à faire au plus tard le 31 août 2020, sous peine d’amende.

La communauté juridique étant perplexe face à son champ application incertain, à l’approche de cette 1ère échéance déclarative, l’administration vient de publier ses premiers commentaires, les 9 mars et 29 avril 2020, respectivement sur le champ d’application de l’obligation déclarative, et sur la notion de marqueurs créant cette obligation[5].

Les précisions apportées par ces commentaires, bien qu’insuffisantes pour définir de manière claire les contours de cette nouvelle obligation, aident à répondre clairement aux questions suivantes :

- Qui sont les intermédiaire et/ou les contribuables visés ?

- Qu’est-ce qu’un dispositif potentiellement agressif ?

- Quelles informations quantitatives et/ou qualitatives à déclarer ?

- Quelles sont les modalités attraites à cette déclaration ?

Autant de questions auxquelles il convient d’apporter des réponses. Le temps presse ...!

1 - Qui doit déclarer ?

Les déclarants sont le contribuable, lorsqu’il est utilisateur ou partie au dispositif, mais aussi les intermédiaires, professionnels ou non, ayant un lien territorial avec la France[6].

L’administration distingue deux intermédiaires : (i) l’intermédiaire « concepteur », qui conçoit, commercialise ou organise un dispositif transfrontière et le met à disposition d’un contribuable et (ii) l’intermédiaire « prestataire de service », qui fournit un service, un conseil ou une aide dans le cadre de la conception, de la commercialisation ou de la mise en œuvre d’un dispositif transfrontière[7].

Il y a un « lien territorial »[8] si l’intermédiaire (i) est fiscalement domicilié, résident ou a son siège en France, (ii) possède en France un établissement stable, (iii) est constitué en France ou régit par le droit français ou (iv) est enregistré en France auprès d’un ordre ou d’une association professionnelle en rapport avec des services juridiques, fiscaux ou de conseil. Il est toutefois prévu qu’un intermédiaire soumis au secret professionnel (avocat, notaire, etc.) doit préalablement obtenir l’accord de son client pour devoir faire la déclaration du dispositif. En cas de refus de la levée de confidentialité, l’obligation déclarative passe sur tout autre intermédiaire ou, à défaut, en dernier lieu, au contribuable lui-même[9]. Enfin, dans le cas où un intermédiaire pourrait démontrer que le dispositif transfrontière a déjà fait l’objet d’une déclaration en France ou dans un autre Etat membre, il sera dispensé d’effectuer une seconde déclaration.

La déclaration du dispositif incombe au contribuable lui-même si (i) l’intermédiaire n’a pas de lien territorial en France, (ii) si aucun intermédiaire n’est intervenu dans le dispositif ou (iii) si l’intermédiaire français bénéficie du secret professionnel[10]. Existe également des dispenses de déclaration du dispositif par le contribuable (notamment) lorsque plusieurs contribuables sont concernés par une même obligation déclarative. Ainsi, en conséquence, une société holding qualifierait-elle comme intermédiaire si elle délivre des conseils juridiques et/ou fiscaux à ses filiales.

2 - Quel dispositif doit être déclaré ? L’entrée en scène des « marqueurs » !

La notion de dispositif transfrontalier (cross-border arrangement) est large, car se définissant comme tout accord, montage ou plan ayant ou non une force exécutoire, constitution, acquisition, dissolution d’une personne morale ou encore la souscription d’un instrument financier, ainsi que l’intégralité des étapes et transactions par lesquelles il prend effet. Le dispositif peut être commercialisable ou non[11].

Est « transfrontalier » un dispositif qui concerne la France et un autre Etat (UE ou non), et qui répond à une condition de résidence ou d’activité des participants à ce dispositif dans deux Etats[12].

Toutefois, un dispositif est déclarable uniquement s’il comporte un ou plusieurs des marqueurs[13].

Un marqueur est une « caractéristique » ou « particularité » du dispositif indiquant un risque potentiel d'évasion fiscale[14]. Ces marqueurs, définis par la Directive, ont été transposés en droit interne[15] avec 5 catégories de marqueurs : (i) ceux de nature générale (A), (ii) ceux de nature spécifique (B), (iii) ceux liés aux dispositifs transfrontières (C), (iv) ceux en matière d’échange d’informations et de bénéficiaires effectifs (D) et (v) ceux en matière de prix de transfert (E).

A - Les marqueurs liés à l’avantage principal, des éléments déterminants de la planification fiscale agressive ?

Pour traduire un risque potentiel d’évasion fiscale, les marqueurs des catégories A et B s’apprécient au regard de la notion « d’avantage principal »[16], une notion particulièrement imprécise …

  • Une notion imprécise « d’avantage principal » 

Le dispositif, avec un marqueur A ou B, est à déclarer s’il présente un « avantage principal » fiscal[17]. Cette notion doit être appréciée dans son ensemble.

Un « avantage fiscal » se définit comme un dispositif transfrontière permettant d’obtenir un remboursement d’impôt, un allégement ou une diminution d’impôt, une réduction de dette fiscale, un report d’imposition ou encore une absence d’imposition. La notion de « caractère principal » doit être appréciée de manière objective : le dispositif transfrontière aurait-il été élaboré de la même manière sans l'existence de l’avantage fiscal ?

Toutefois, lorsque l’avantage principal obtenu en France au moyen du dispositif transfrontière résulte de l’utilisation d’un dispositif conforme à l'intention du législateur français, alors cet avantage n’est, a priori, pas considéré comme principal au sens de DAC 6.

Cette notion « d’avantage principal » est floue. Elle semble se rapprocher de celle du « mini » abus de droit (LPF. art L. 64 A N° Lexbase : L9137LNQ). Ainsi, la notion « d’avantage principal » pourrait s’apparenter aux termes « d’essentiel », « fondamental » ou « capital » conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union Européenne[18]. Les contours de cette notion et son application en matière de la Directive DAC 6 devront être précisés.

Ces imprécisions sera source d’insécurité juridique pour les contribuables, comme pour les intermédiaires, un avec risque d’interprétation extensive par l’administration française, tant que les juridictions françaises et européennes n’auront pas apporté une réponse homogène et claire.

  • Les marqueurs généraux : la catégorie A[19]

- Les marqueurs généraux « A » englobent 3 marqueurs relatifs aux clauses contractuelles prévues au sein des dispositifs. Ces marqueurs doivent impérativement être appréciés à la lumière de la notion de l’avantage principal pour rendre un dispositif transfrontière déclarable.

- Le marqueur A1 vise les clauses de confidentialité, et plus particulièrement tout « dispositif dans lequel le contribuable concerné ou un participant au dispositif s’engage à respecter une clause de confidentialité … de ne pas divulguer à d’autres intermédiaires ou aux autorités fiscales comment le dispositif pourrait procurer un avantage fiscal »[20].

- Le marqueur A2 se réfère aux honoraires de résultats (success fees) perçus par un intermédiaire lors de la mise en œuvre d’un dispositif. Il vise tout « dispositif dans lequel l’intermédiaire est en droit de percevoir des honoraires, intérêts ou rémunération pour financer les coûts et autres frais, pour le dispositif et ces honoraires, intérêts ou rémunération sont fixés par référence : (i) au montant de l’avantage fiscal découlant du dispositif ou (ii) au fait qu’un avantage fiscal découle effectivement du dispositif. Cela peut inclure une obligation pour l’intermédiaire de rembourser partiellement ou entièrement les honoraires si l’avantage fiscal escompté découlant du dispositif n’a pas été complètement ou partiellement généré »[21].

- Le marqueur A3 se rapporte aux dispositifs « dont la documentation et/ ou la structure sont en grande partie normalisées et qui est à la disposition de plus d’un contribuable concerné sans avoir besoin d’être adapté de façon importante pour être mis en œuvre »[22]. Ainsi, pourraient être concernés l’ensemble des produits bancaires et financiers reposant sur une documentation normalisée, des produits d’épargne réglementée, tels que le Livret A, le LDD ou encore le CEL détenus par un non-résident, ainsi que des investissements réalisés dans des organismes de placement collectif (OPC)

  • Les marqueurs spécifiques : la catégorie B[23]

- La catégorie des marqueurs spécifiques (B) comprend 3 marqueurs, lesquels correspondent plus précisément aux dispositifs transfrontières. Ces marqueurs doivent également être appréciés au regard de la notion de l’avantage principal.

- Le marqueur B1 concerne l’acquisition de sociétés déficitaires et vise plus particulièrement les dispositifs qui prennent « artificiellement des mesures qui consistent à acquérir une société réalisant des pertes, à mettre fin à l’activité principale de cette société et à utiliser les pertes de celle-ci pour réduire sa charge fiscale, y compris par le transfert de ces pertes à une autre juridiction ou par l’accélération de l’utilisation de ces pertes »[24].

- Le marqueur B2 vise « un dispositif qui a pour effet de convertir des revenus en capital, en dons ou en d’autres catégories de recettes qui sont taxées à un niveau inférieur ou ne sont pas taxées »[25].

- Le marqueur B3 vise quant à lui  « un dispositif qui inclut des transactions circulaires ayant pour résultat un « carrousel » de fonds, à savoir au moyen d’entités interposées sans fonction commerciale primaire ou d’opérations qui se compensent ou s’annulent mutuellement ou qui ont d’autres caractéristiques similaires »[26]. Ainsi, tout dispositif avec des transactions entraînant un mouvement circulaire de fonds qui remplissent au moins une des conditions suivantes : (i) la présence d'entités interposées sans fonction commerciale principale dans le dispositif, (ii) la présence de transactions qui se compensent ou s'annulent mutuellement ou (iii) la présence d'autres caractéristiques équivalentes.

B - Les marqueurs « autonomes », c’est-à-dire ceux indépendants du critère de l’avantage retiré

  • Les marqueurs liés aux obligations transfrontières ou catégorie C

- Le marqueur C1 vise « un dispositif qui prévoit la déduction des paiements transfrontières effectués entre deux ou plusieurs entreprises associées »[27] dès lors que l’une des conditions suivantes est remplie : (i) le bénéficiaire ne réside à des fins fiscales dans aucune juridiction fiscale, (ii) même si le bénéficiaire réside à des fins fiscales dans une juridiction, cette juridiction ne lève pas d’impôt sur les sociétés ou lève un impôt sur les sociétés à taux zéro ou presque nul ou figure sur une liste de juridictions de pays tiers comme étant non coopératives, (iii) le paiement bénéficie d’une exonération fiscale totale dans la juridiction où le bénéficiaire réside à des fins fiscales ou (iv) le paiement bénéficie d’un régime fiscal préférentiel dans la juridiction où le bénéficiaire réside à des fins fiscales.  

- La notion de taux de l’impôt sur les sociétés « à taux nul ou presque nul » a été précisée par l’administration fiscale comme un taux effectif d’imposition inférieur à 2 %. La notion de « régime fiscal préférentiel » est particulièrement vague quand bien même l’administration précise dans ses commentaires qu’il « est considéré comme préférentiel dès lors qu’il offre une certaine forme de préférence fiscale comparativement aux principes généraux de la fiscalité du pays concerné ». Le régime, afin de déterminer s’il est préférentiel, devra faire l’objet d’une comparaison avec les principes généraux de la fiscalité de la juridiction concernée et non comparativement aux principes appliqués dans d’autres juridictions et pourra notamment résulter de la législation en vigueur ou d’une décision fiscale anticipée (« ruling »). 

- Le marqueur C2 fait référence à « un dispositif qui prévoit que des déductions pour le même amortissement d’un actif sont demandées dans plus d’une juridiction »[28].

- Le marqueur C3 vise « un allègement au titre de la double imposition pour le même élément de revenu ou de capital est demandé dans plusieurs juridictions », dès lors que l’allègement ne résulte pas de la volonté du législateur, tel que le « treaty shopping ».

  • - Le marqueur C4 vise « un dispositif qui inclut des transferts d’actifs et où il existe dans les juridictions concernées une différence importante dans le montant considéré comme étant payable en contrepartie des actifs », par exemple entre un siège et un établissement stable.
  • Les marqueurs relatifs à l’échange automatique de renseignements et aux bénéficiaires effectifs (Catégorie D)

DAC 6 prévoit également des marqueurs autonomes relatifs à l’échange automatique de renseignements et aux bénéficiaires effectifs. 

Le marqueur D1 (D.1.a à D.1.f) concerne tout dispositif «  susceptible d’avoir pour effet de porter atteinte à l’obligation de déclaration en vertu du droit mettant en œuvre la législation de l’UE ou tout accord équivalent concernant l’échange automatique d’informations sur les comptes financiers, y compris des accords avec des pays tiers, ou qui tire parti de l’absence de telles dispositions ou de tels accords »[29] et inclue notamment l’utilisation d’un compte / d’un produit financier ou le transfert de comptes / d’actifs financiers vers des juridictions qui ne sont pas liées par l’échange automatique d’informations, etc.

Le marqueur D2 vise un dispositif qui fait « intervenir une chaîne de propriété formelle ou effective non transparente par le recours à des personnes, des constructions juridiques ou des structures » qui (i) n’exercent pas une activité économique substantielle s’appuyant sur des moyens suffisants (effectifs, équipements, ressources et locaux), (ii) sont constitués, gérés, contrôlés ou établis ou qui résident dans toute juridiction autre que la juridiction de résidence de l’un ou plusieurs des bénéficiaires effectifs des actifs détenus par ces personnes, constructions juridiques ou structures et (iii) lorsque les bénéficiaires effectifs de ces personnes, constructions juridiques ou structures, sont rendus impossibles à identifier[30].

 

  • Les marqueurs concernant les prix de transfert

Enfin, trois marqueurs propres aux prix de transfert sont institués par la Directive.

  • - Le marqueur E1 concerne un dispositif « qui prévoit l’utilisation de régimes de protection unilatéraux », lequel est une disposition qui s’applique à une catégorie de contribuables ou de transactions définis et qui les exempte de certaines obligations normalement imposées par les règles générales en matière de prix de transfert d’un pays[31].

- Le marqueur E2 se rapporte à tout dispositif « qui prévoit le transfert d’actifs incorporels difficiles à évaluer, qui sont des actifs incorporels ou des droits sur des actifs incorporels pour lesquels, au moment de des entreprises associées »,  il n’existe pas leur transfert entre d’éléments de comparaison fiables et au moment où l’opération a été conclue, les projections concernant les futurs flux de trésorerie, les revenus attendus ou les hypothèses utilisées pour évaluer cet actif incorporel sont hautement incertaines[32].

- Le marqueur E3 vise un dispositif qui met « en jeu un transfert transfrontière de fonctions et/ ou de risques et/ ou d’actifs au sein du groupe, si le bénéfice avant intérêts et impôts annuel prévu, dans les trois ans suivant le transfert, du ou des cédants, est inférieur à 50 % du bénéfice avant intérêts et impôts annuel prévu de ce cédant ou de ces cédants si le transfert n’avait pas été effectué »[33].

3 - Quelles sont les modalités déclaratives ?

A - Délai de déclaration[34]

La déclaration des dispositifs transfrontières doit être effectuée dans le délai de 30 jours dont le point de départ est inhérent à la qualité de son auteur[35].

Pour les intermédiaires concepteurs et pour les contribuables concernés, le délai commence à courir à compter de la première des dates suivantes : 

- du lendemain de la mise à disposition (aux fins de mise en œuvre) du dispositif transfrontière déclarable ; ou

- du lendemain où le dispositif transfrontière déclarable est prêt à être mis en œuvre ; ou

- du jour de la réalisation de la première étape de la mise en œuvre du dispositif transfrontière déclarable.

Pour les intermédiaires prestataires de services, ce délai court à compter du lendemain du jour où ils ont fourni, directement ou par l'intermédiaire d'autres personnes, une aide, une assistance ou des conseils concernant la conception, la commercialisation ou l'organisation du dispositif déclarable.

Il incombe également à l’intermédiaire tenu de souscrire à cette déclaration l’obligation de communiquer, tous les trois mois, une mise à jour des informations[36] déclarées et qui sont relatives aux dispositifs conçus, commercialisés, prêts à être mis en œuvre ou mis à disposition aux fins de mise en œuvre sans avoir besoin d'être adaptés de façon importante.

Enfin, l’application de l’obligation déclarative est indépendante d’une part, de la conformité des dispositifs déclarables aux multiples dispositifs anti-abus existants, et d’autre part, aux déclarations antérieures qui ont pu être faites sous l’égide d’un quelconque autre régime juridique. Ainsi, par exemple, l’obligation déclarative créée par DAC 6 a donc en conséquence vocation à s’ajouter à l’obligation déclarative déjà existante en matière d’opération de fusions transfrontières[37], laquelle impose de renseigner notamment les motifs et buts de l’opération, ainsi que les conséquences économiques et fiscales de l’opération réalisée[38].

B - Contenu de l’obligation déclarative[39]

La déclaration doit être effectuée, sous forme dématérialisée, par principe, sur l’espace particulier ou professionnel impôts.gouv.fr et par exception, lorsque le déclarant n’est pas établi sur le territoire français, auprès de la Direction des Non-résidents. 

Le déclarant doit déclarer les seules informations dont il a connaissance, qui se trouvent en sa possession ou qui sont sous son contrôle à la date du fait générateur de l'obligation déclarative.

La déclaration doit contenir les éléments suivants[40] : (i) l'identification des intermédiaires et des contribuables concernés, y compris leur nom, date et lieu de naissance (pour les personnes physiques), résidence fiscale, le numéro d’identification fiscale (NIF) et le cas échéant, les entreprises associées à ces derniers, (ii) des informations détaillées sur les marqueurs, (iii) un résumé du contenu du dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration, y compris la référence à la dénomination par laquelle il est communément appelé et, le cas échéant, une description abstraite des activités commerciales ou dispositifs pertinents, (iv) la date de la première étape de la mise en œuvre du dispositif, (v) le détail des dispositions nationales sur lesquelles se fonde le dispositif, (vi) la valeur de ce dispositif, (vii) l’identification de l’Etat membre du ou des contribuable(s) concerné(s) et tout autre Etat membre susceptible d’être concerné par le dispositif, (vii) l’identification, dans les Etats membres, de toute(s) autre(s) personne(s) susceptible(s) d’être concernée(s) par le dispositif et les Etats membres liés à cette (ces) personne(s).

Certains de ces éléments ne sont pas sans rappeler ceux requis dans le cadre de l’obligation déclarative en matière de fusions transfrontières[41], à savoir : l’identification des personnes concernées par l’opération, la date de réalisation et la nature de l’opération, mais également ses motifs et buts, et enfin, les conséquences de l’opération tant sur le plan économique, que sur le plan fiscal.

Il semble toutefois que l’obligation française prise en application de la Directive DAC 6, aille plus loin que la précédente.

4 - Quelles sanctions en cas d’omission déclaratives ? [42]

L’intermédiaire et/ou le contribuable omettant de respecter l'obligation de déclaration ou de notification de cette obligation qui lui incombe[43] encourt une amende de 10 000 euros par manquement commis au titre de cette obligation.

Lorsqu’il s’agit de la première infraction de l'année civile en cours et des trois années précédentes, celle-ci peut être réduite à la somme de 5 000 euros.

En tout état de cause, le montant de l'amende appliquée à un même intermédiaire ou à un même contribuable concerné ne peut excéder 100 000 euros par année civile.

Conclusion

Nonobstant les commencements d’éclaircissement récemment publiés par l’administration fiscale française sur son champ d’application, la directive DAC 6 demeure malgré tout particulièrement complexe.

En effet, les marqueurs, nombreux, nonobstant les commentaires du BOFIP, restent peu précis, avec une absence d’exhaustivité des schémas susceptibles d’entrer dans le champ d’application de l’obligation déclarative. La question se pose particulièrement s’agissant des dispositifs transfrontières les plus simples.

Il pourrait en découler un important risque d’arbitraire par l’administration fiscale française s’agissant du champ d’application de l’ordonnance[44] qui a transposé la Directive.

Tout d’abord sur la notion « d’avantage principal », notion floue, qui semble se rapprocher de celle du nouveau mini abus de droit de l’article L. 64 A du Livre des procédures fiscales à la sémantique similaire. Ses contours seront à préciser, peut-être à partir de cas types, tant la casuistique est susceptible d’être large au vu de la lettre du texte.[45] En outre, pourrait apparaitre un risque accru d’insécurité juridique en raison de possibles divergences d’interprétation du champ d’application rationae materiae, notamment entre les Etats membres, s’agissant notamment de la définition des marqueurs ou de la notion « d’avantage principal ». Ainsi, par exemple, le fait que le droit interne français considère (comme susmentionné) qu’il n’y a pas d’avantage fiscal principal dans le cas où le dispositif en cause est « conforme à l'intention du législateur français », ce qui constitue un ajout au texte initial de la Directive DAC 6, peut-être non existant dans les autres pays de l’UE où ce motif pourrait ne pas être une cause exonératoire de déclaration. Ces absences de clarté pourraient également entraîner des divergences d’interprétation et une confusion dans la mise en œuvre de l’obligation déclarative entre les intermédiaires présents au sein de différents Etats membres.

On attendra donc avec impatience la finalisation, attendue pour le 31 mai, des commentaires publiés par l’administration suite à la consultation publique ouverte depuis le 9 mars, notamment concernant les différents marqueurs.

Au final, l’obligation déclarative de la Directive DAC 6 présente un champ d’application potentiellement (très) étendu, tant pour les contribuables comme pour les conseils et intermédiaires, source d’insécurité juridique !

 

[1] DAC 6 (Directive on administrative cooperation) étend la Directive n° 2011/16/UE du 25 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal (et abrogeant la Directive 77/799/CEE) aux « dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration ».

[2] Ordonnance n° 2019-1068 du 21 octobre 2019, relative à l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l'objet d'une déclaration (N° Lexbase : L9809LS4), arts. 1649 AD à 1649 AH (N° Lexbase : L9976LSB) et 1729 C ter (N° Lexbase : L9977LSC) du CGI.

[3] Le projet BEPS a été lancé 2012 puis adopté en 2013 par le G20.

[4] Règles de communication obligatoire d’informations, Action 12, Rapport final 2015, p. 9 et 10.

[5] Seuls les commentaires du 29 avril 2020 font l’objet d’une consultation publique laquelle doit prendre fin le 31 mai 2020 inclus.

[6] CGI, art. 1649 AE (N° Lexbase : L9973LS8).

[7] BOI-CF-CPF-30-40-10-20 n° 40 et 60 (N° Lexbase : X0221CKE).

[8] BOI-CF-CPF-30-40-10-20 n° 100.

[9] BOI-CF-CPF-30-40-10-20 n° 120.

[10] BOI-CF-CPF-30-40-10-20 n° 220 et suivants.

[11] BOI-CF-CPF-30-40-10-10 n° 10 et suivants.

[12] BOI-CF-CPF-30-40-10-10 n° 50 et suivants.

[13] Les marqueurs prévus sont limitativement listés à l’article 1648 AH du CGI.

[14] Article 3 de la Directive.

[15] CGI art. 1649 AH.

[16] CGI, art. 1649 AH.

[17] BOI-CF-CPF-30-40-10-10 n° 120 et suivants (N° Lexbase : X0286CKS).

[18] CJUE, 26 février 2019, aff. C-115/16, C-118/16, C-119/16 et C-299/16 (N° Lexbase : A0975YZ7) et CJCE, 21 février 2006, aff. C-255/02 (N° Lexbase : A0045DNY).

[19] CGI, art. 1649 AH, II, A.

[20] BOI-CF-CPF-30-40-30-10 n° 10 à 40.

[21] BOI-CF-CPF-30-40-30-10 n° 50 à 70.

[22] BOI-CF-CPF-30-40-30-10 n° 80 à 130.

[23] CGI, art. 1649 AH, II, B.

[24] BOI-CF-CPF-30-40-30-10 n° 150.

[25] BOI-CF-CPF-30-40-30-10 n° 170 à 180.

[26] BOI-CF-CPF-30-40-30-10 n° 190 à 220.

[27] BOI-CF-CPF-30-40-30-20 n° 1 à 20 (N° Lexbase : X0264CKY).

[28] BOI-CF-CPF-30-40-30-10 n° 30 à 40 (N° Lexbase : X0227CKM).

[29] BOI-CF-CPF-30-40-30-20 n° 150 à 320.

[30] BOI-CF-CPF-30-40-30-20 n° 330 à 350.

[31] BOI-CF-CPF-30-40-30-20 n° 360 à 410.

[32] BOI-CF-CPF-30-40-30-20 n° 420 à 440.

[33] BOI-CF-CPF-30-40-30-20 n° 450 à 480.

[34] CGI, art. 1649 AG.

[35] BOI-CF-CPF-30-40-20 n° 1 à 100 (N° Lexbase : X0320CK3).

[36] Les modalités de cette mise à jour seront précisées par décret.

[37] CGI, art. 210-0 A IV (N° Lexbase : L6234LUG).

[38] CGI, art. 46 quater O ZS ter annexe III (N° Lexbase : L5350LKD).

[39] CGI, art. 344 G octies A, annexe III (N° Lexbase : L5338LWM).

[40] BOI-CF-CPF-30-40-20 n° 220 à 320.

[41] CGI, art. 46 quater O ZS ter.

[42] CGI, art. 1729 C ter.

[43] L’amende prévue par l’article 1729 C ter du Code général des impôts n’a cependant pas vocation à s’appliquer aux manquements à l'obligation incombant au contribuable de déclarer annuellement l'utilisation qu'il a faite d'un dispositif au titre de l'année précédente.

[44] Ordonnance n° 2019-1068 du 21 octobre 2019 précitée.

[45] Tant par l’administration fiscale française, que par les juridictions françaises et européennes (CE, CJUE, CC)

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