La lettre juridique n°812 du 6 février 2020 : Droits fondamentaux

[Brèves] Surpopulation carcérale : la France condamnée par la CEDH en raison des conditions de détention indignes

Réf. : CEDH, 30 janvier 2020, Req. 9671/15, J.M.B. et autres c/ France (N° Lexbase : A83763C9)

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par June Perot

le 26 Février 2020

► La France est condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme pour violation des articles 13 (droit à un recours effectif N° Lexbase : L4746AQT) et 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants N° Lexbase : L7558AIR) en raison des conditions de détention de ses établissements pénitentiaires ;

la Cour conclut notamment que le Gouvernement n’a pas démontré que le référé-liberté peut être considéré comme le recours préventif qu’exige la Cour ; il en va de même du référé mesures-utiles qui, outre son caractère subsidiaire par rapport au référé-liberté et le caractère limité du pouvoir du juge, se heurte aux mêmes obstacles pratiques ;

s’agissant de l’article 3, la Cour observe que, pour l’ensemble des prisons concernées, le Gouvernement donne une explication sécuritaire à l’absence de cloisonnement complet des sanitaires, en particulier des toilettes ; elle estime que cette justification n’est pas compatible avec l’exigence de protection de l’intimité des détenus lorsqu’ils partagent des cellules sur-occupées (CEDH, 30 janvier 2020, Req. 9671/15, J.M.B. et autres c/ France N° Lexbase : A83763C9).

Résumé des faits. Les trente-deux requérants dans cette affaire sont 29 ressortissants français, un ressortissant cap verdien, un ressortissant polonais et un ressortissant marocain. Concernant les différents centres, les requérants se plaignent d’un manque d’espace personnel, celui-ci se réduisant en moyenne à moins de 3 m² par personne selon les centres. Étaient également en cause la vétusté des locaux, la proximité de la table à manger avec les toilettes, séparées du reste de la cellule par un rideau ; l’insalubrité des cellules, la présence de nuisibles (rats, cafards, souris et fourmis) ; la saleté des toilettes, le manque d’hygiène et d’aération, l’absence d’eau chaude et d’eau potable, des rations insuffisantes de nourriture.

Certains requérants se plaignent également d’un manque de lumière. D’autres craignent un climat de violence. Certains se plaignent de l’absence de soins ou de leur insuffisance. Tous affirment être enfermés entre quinze heures et vingt-deux heures par jour.

Plusieurs recours administratifs ont été entrepris, souvent vainement et ont permis d’obtenir de faibles réparations.

Les requérants et d’autres détenus ont écrit à l’OIP pour alerter l’association sur leurs conditions de détention puis ont saisi la CEDH, invoquant une violation des articles 3, 8 (N° Lexbase : L4798AQR) et 13 de la Convention.

Statistiques. Selon les chiffres du ministère de la Justice, au 1er janvier 2019, 70 059 personnes étaient détenues pour 60 151 places opérationnelles. La densité carcérale globale était donc de 116,5 % (dont 140 % en maison d'arrêt (MA) et quartier MA et 90 % en CD et quartier CD). Elle s'élevait à 115,4 % au 1er janvier 2018, 116,6 % au 1er janvier 2017, 113,9 % au 1er janvier 2016 et 114,6 % au 1er janvier 2015.

La surpopulation carcérale concerne surtout les MA. La densité carcérale en MA était de 136,5 % en 2018 et 138,5 % en 2017. Selon le rapport 2018 de la Commission de suivi de la détention provisoire, le nombre de personnes placées en détention provisoire a fortement augmenté depuis 2010. À titre d'illustration, cet accroissement a été de 9 % entre janvier 2016 et janvier 2018. Au 1er avril 2018, près de 30 % des personnes incarcérées en France étaient en détention provisoire.

Encellulement individuel. En France, le principe de l'encellulement individuel a été introduit par une loi du 5 juillet 1875 mais sa concrétisation n'a cessé d'être reportée. Il a été réaffirmé par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, qui y a cependant dérogé durant cinq ans, soit jusqu'au 25 novembre 2014. Ne pouvant être respecté à cette date, la ministre de la Justice a proposé un moratoire jusqu'au 31 décembre 2019, ce que le Parlement a accepté par la loi n° 2014-1655 du 29 décembre 2014 (N° Lexbase : L2844I7H). La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (N° Lexbase : L6740LPC) a finalement prorogé ce moratoire jusqu'au 31 décembre 2022.

Le 20 septembre 2016, le ministre de la Justice a rendu public son rapport sur l'encellulement individuel, intitulé « En finir avec la surpopulation carcérale ». Pour mettre fin à cette situation et généraliser l'encellulement individuel, qui s'impose pour des raisons de sécurité et de réinsertion, mais aussi améliorer les conditions de détention, le garde des Sceaux a prévu de construire d'ici 2025 entre 10 309 et 16 143 cellules supplémentaires, principalement dans les maisons d'arrêt. Il a souhaité également revoir la doctrine architecturale des établissements pénitentiaires, améliorer l'accès aux activités des détenus, mesurer l'impact des peines alternatives et créer des quartiers de préparation à la sortie pour les courtes peines afin d'améliorer les sorties de prison.

À la suite de ce rapport, en avril 2017, la Commission du Livre Blanc sur l'immobilier pénitentiaire a rendu un document au ministre de la Justice. Dans ses remarques liminaires, ce rapport indique que « pour juguler l'inflation carcérale, le programme immobilier doit être accompagné d'une politique pénale ambitieuse ». Il préconise de réguler les flux d'incarcération afin de « respecter strictement les capacités d'accueil des nouveaux établissements et d'accompagner la résorption de la surpopulation dans les établissements existants ». Selon les auteurs du rapport, la commission d'exécution des peines en formation élargie (magistrats du tribunal de grande instance et direction des services pénitentiaires de son ressort) « doit être le lieu réel de régulation carcérale ». Cette concertation concernerait « les procédures d'orientation des condamnés et les délais de mise à exécution de certaines peines ou de certains aménagements de peine, qui devront tenir effectivement compte des conditions de surpeuplement et d'insalubrité ». Toujours selon ce rapport, l'objectif d'encellulement individuel doit s'accompagner d'une nouvelle conception de la journée de détention, principalement en dehors de la cellule, avec une proposition d'« ériger l'objectif de cinq heures d'activités en norme contraignante ».

Violation de l’article 13. La Cour relève qu’à la faveur d’une évolution de la jurisprudence, la saisine du juge du référé-liberté a permis la mise en oeuvre de mesures visant à remédier à des atteintes graves auxquelles sont exposées les personnes détenues, notamment en matière d’hygiène. Ce contexte jurisprudentiel est principalement dû aux recours engagés par l’OIP en vue de la défense collective des détenus. La question est de savoir si ce recours permet de mettre réellement fin à des conditions de détention contraires à la Convention.

La Cour examine en détail la portée de ce recours et conclut que finalement, les injonctions prononcées par le juge référé-liberté, dans la mesure où elles concernent des établissements pénitentiaires surpeuplés, s’avèrent en pratique difficiles à mettre en oeuvre. La surpopulation des prisons et leur vétusté, a fortiori sur des territoires où n’existent que peu de prisons et où les transferts s’avèrent illusoires, font obstacle à ce que l’emploi du référé-liberté offre aux personnes détenues la possibilité de faire cesser pleinement et immédiatement les atteintes graves portées à l’article 3 ou d’y apporter une amélioration substantielle.

Violation de l’article 3. Après avoir rappelé que, lorsque la description faite par les requérants des conditions de détention est crédible et raisonnablement détaillée, la charge de la preuve est transférée au Gouvernement défendeur, seul à avoir accès aux informations susceptibles de confirmer ou infirmer les allégations du requérant, la Cour observe que, pour l’ensemble des prisons concernées, le Gouvernement donne une explication sécuritaire à l’absence de cloisonnement complet des sanitaires, en particulier des toilettes. Elle estime que cette justification n’est pas compatible avec l’exigence de protection de l’intimité des détenus lorsqu’ils partagent des cellules sur-occupées.

Arrêt pilote ? Si l’arrêt demeure important, il ne s’agit toutefois pas d’un arrêt pilote comme beaucoup l’auraient souhaité. Il est à noter cependant que le même jour, la CEDH a rendu dans une autre affaire concernant l’Ukraine, un arrêt pilote condamnant l’Ukraine en raison de ses conditions de détention provisoire (CEDH, 30 janvier 2020, Req. 14057/17, Sukachov c/ Ukraine - disponible en anglais uniquement). Dans cette affaire, la Cour constate en particulier que le problème des conditions inadéquates de détention provisoire ne concerne pas uniquement le requérant. Il s’agit d’un problème répandu qui perdure au moins depuis 2005 - date à laquelle la Cour a rendu son premier arrêt sur cette question - sans qu’aucune solution concrète n’ait apparemment été trouvée pour l’instant.

Ce problème a touché et est susceptible de toucher encore à l’avenir de nombreuses personnes et il y a un besoin urgent d’offrir un redressement rapide et suffisant à l’échelon national. La Cour décide donc d’appliquer la procédure d’arrêt pilote en l’espèce et demande aux autorités ukrainiennes d’instaurer des recours préventifs et compensatoires effectifs permettant de contester des conditions de détention inadéquates, au plus tard dans un délai de dix-huit mois à compter de la date à laquelle le présent arrêt sera devenu définitif. Elle indique également des mesures à caractère général pour affronter ce problème structurel.

Il s’agit du huitième arrêt pilote rendu par la Cour concernant les conditions de détention.

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