La lettre juridique n°690 du 9 mars 2017 : Divorce

[Jurisprudence] Accueil de l'exception de litispendance internationale par les juridictions françaises dans le cas particulier d'une autorité religieuse libanaise première saisie d'une demande en divorce

Réf. : Cass. civ. 1, 18 janvier 2017, n° 16-11.630, F-P+B (N° Lexbase : A7032S9C)

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par Pauline Deschamps et Madeleine Diébolt, Avocats au barreau de Paris, CBBC Avocats

le 10 Mars 2017

Par un arrêt du 18 janvier 2017 qui aura la faveur d'une publication au Bulletin, la Cour de cassation est venue préciser les contours de la litispendance internationale hors convention internationale. Dans cette affaire, des époux de nationalité libanaise et de confession musulmane chiite s'étaient mariés le 8 décembre 1988 selon le rite musulman au Liban. Le 30 juin 2010, l'épouse avait saisi le juge du conseil islamique chiite au Liban d'une demande en divorce. Le 23 mars 2011, cette dernière a également déposé une requête en divorce devant le juge aux affaires familiales française. Devant le juge conciliateur, l'époux a donc décidé de soulever l'exception de litispendance internationale au profit de l'autorité religieuse première saisie.

Tant le juge conciliateur que la cour d'appel de Paris dans un arrêt en date du 27 novembre 2014, ont rejeté l'exception de litispendance en retenant qu'il n'existe pas au Liban de juridiction civile statuant en matière de divorce et que la décision du conseil islamique chiite ne pouvait être reconnue en France.

Dans son arrêt en date du 18 janvier 2017, la première chambre civile de la Cour de cassation est venue rappeler l'importance d'appliquer strictement l'exception de litispendance internationale.

Dès lors, invalidant en cela le raisonnement de la cour d'appel, la Cour de cassation relève que : "en statuant ainsi tout en constatant que les époux étaient de statut personnel musulman chiite et que leur divorce relevait de la juridiction religieuse, et alors que le litige se rattachait au juge libanais premier saisi, la cour d'appel qui s'est prononcée par motif impropre à établir que la décision à intervenir n'était pas susceptible d'être reconnue en France, a violé les textes et principes susvisées [...]".

La Cour de cassation est venu casser l'arrêt d'appel au visa désormais classique puisque repris dans de nombreux arrêts de "l'article 100 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1362H49) et des principes régissant la litispendance internationale" (Cass. civ. 1, 3 décembre 2014, n° 13-25.802, F-D N° Lexbase : A0524M7K ; Cass. civ. 1, 6 décembre 2005, n° 02-19.208, FS-P+B N° Lexbase : A9094DLE, Bull. civ. I, n° 467, p. 394).

Cet arrêt sera donc tout d'abord, le prétexte pour rappeler les règles régissant la litispendance internationale hors de toute convention internationale bilatérale, multilatérale ou européenne (I). Ensuite, il conviendra de s'attarder sur son apport particulier quant à la portée du contrôle qui doit être exercé par les juges du fond en cas de litispendance internationale (II).

I - Un rappel des principes régissant la litispendance internationale

Hors des Règlements européens et Conventions internationales, la jurisprudence française a défini le régime de la litispendance internationale par une internationalisation de l'article 100 du Code de procédure civile qui traite des cas de litispendance nationale.

La reconnaissance de la litispendance internationale a toutefois impliqué de définir son régime en l'absence de texte spécifique ; régime qui implique, pour qu'elle puisse être accueillie, qu'un certain nombre de critères soient réunis.

Dans son arrêt de principe "Société Mineria di Fragne" (Cass. civ. 1, 26 novembre 1974, n° 73-13.820 N° Lexbase : A1277CKI, Bull. civ. I, n° 312, B. Ancel et Y. Lequette, GAJDIP, Dalloz, 5ème éd., 2006, n° 54 ; Rev. crit. DIP, 1975, 491, note D. Holleaux), la Cour de cassation a donc reconnu qu'une exception de litispendance internationale "peut" être retenue par le juge français, mais qu'elle ne saurait l'être "lorsque la décision à intervenir à l'étranger n'est pas susceptible d'être reconnue en France" (voir notamment en matière de répudiation internationale, Cass. civ. 1, 23 février 2011, n° 10-14.101, F-P+B+I N° Lexbase : A4670GXA).

Ainsi, l'accueil de l'exception de litispendance internationale n'est pas subordonnée à la simple existence d'un juge étranger premier saisi d'un litige entre les mêmes parties ayant le même objet et la même cause, mais au respect de l'ensemble des conditions de reconnaissance des jugements étrangers en France telles qu'elles ressortent aujourd'hui du célèbre arrêt "Cornélisen" (Cass. civ. 1, 20 février 2007, n° 05-14.082, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2537DUI, Bull. civ. I, n° 68).

Pour mémoire, cet arrêt assouplissait les règles de reconnaissance des jugements étrangers et fixait à trois le nombre des conditions nécessaires à l'obtention d'un jugement d'exequatur : le litige doit se rattacher par un lien suffisant au juge saisi (compétence indirecte), il ne doit pas y avoir de fraude à la loi et enfin la décision rendue doit être conforme à l'ordre public de fond et de procédure.

En l'espèce, la cour d'appel, pour rejeter l'exception de litispendance, s'était contentée de soutenir qu'une décision de divorce prononcée par une autorité religieuse était insusceptible d'être reconnue en France. Il sera noté que la cour d'appel n'a pas spécifiquement évoqué la contrariété à l'ordre public pour fonder sa décision, mais uniquement, la nature religieuse de l'autorité amenée à prononcer le divorce, comme si elle se cachait en réalité derrière la nature même de la décision et donc, l'incompétence du juge religieux.

Le pourvoi en cassation a donc amené la Cour de cassation à effectuer elle-même ce contrôle, en rappelant clairement que la cour d'appel se devait de respecter "les principes régissant la litispendance internationale" et donc, ne pouvait rejeter l'exception de litispendance hors du cadre strictement fixé par la Cour de cassation dans sa jurisprudence précitée.

Cet arrêt a donc le mérite de préciser les contours de l'exception de litispendance internationale et de rappeler son caractère impératif.

A ce titre, il sera noté que, depuis l'arrêt "Société Miniera di Fragne" la doctrine s'est maintes fois interrogée sur le fait de savoir si le juge français "pouvait" ou "devait" accueillir l'exception de litispendance internationale. En effet, entre Etats membres, l'exception de litispendance est considérée comme d'ordre public dans de nombreuses matières, notamment la désunion (cf. à ce titre, l'article 19 du Règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 N° Lexbase : L0159DYK, relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le Règlement (CE) n° 1347/2000) mais hors ce cadre conventionnel, la jurisprudence n'a jamais eu à statuer spécifiquement sur son caractère impératif.

En effet, dans l'arrêt "Société Miniera di Fragne", la Cour de cassation précisait que l'exception de litispendance internationale "peut être reçue" (nous soulignons) par le juge français, mais non pas qu'elle doit être reçue. De manière beaucoup plus ferme, dans un arrêt du 17 juin 1997, la première chambre civile de la Cour de cassation énonçait que : "la litispendance internationale [impose] le désistement du juge français" (Cass. civ. 1, 17 juin 1997, n° 95-17.031 N° Lexbase : A0583ACL, Bull civ. I, n° 200 ; Rev. crit., DIP, 1998, 452, obs. Ancel ; D., 1997, 166). Finalement, semblant clairement refuser le caractère obligatoire de l'exception de litispendance internationale, dans un arrêt du 6 décembre 2005, la Cour de cassation venait simplement affirmer qu'en présence d'une exception de litispendance, le juge français "peut estimer devoir se dessaisir" (Cass. civ. 1, 6 décembre 2005, n° 03-17.542 N° Lexbase : A9123DLH, Bull. civ. I, n° 466).

Suivant ce courant, une partie de la doctrine moderne considère que le dessaisissement n'est qu'une faculté pour le juge français. Elle considère que le juge français saisi en second doit pouvoir écarter en opportunité l'exception de litispendance s'il constate que la saisine du juge étranger fait apparaître une précipitation suspecte du demandeur ou s'il s'estime mieux placé pour connaître du litige, notamment en raison de la vocation de sa décision à être exécutée en France (Droit de la famille, n° 511, 226, P. Murat, 2016).

Pourtant l'ensemble de la jurisprudence récente semble confirmer l'obligation faite au juge français d'accueillir l'exception de litispendance ; approche que l'arrêt présentement commenté ne fait que renforcer.

II - La portée de cet arrêt sur l'accueil des divorces religieux en France

Comme rappelé précédemment, il appartient aux juges du fond saisis d'une exception de litispendance internationale de se prêter à une analyse prospective de la décision étrangère à intervenir : sera-t-elle susceptible d'être reconnue en France ?

Il semble s'agir d'un exercice divinatoire. Pourtant, la Cour de cassation paraît poser une limite importante en imposant un contrôle in concreto de la décision à intervenir. Les juges du fond doivent se fonder sur les éléments qui sont en leur possession et ne peuvent donc se contenter de spéculer sur le contenu de la décision à intervenir (Cass. civ. 1, 4 décembre 2013, n° 12-16.899, FS-D N° Lexbase : A8280KQQ).

Pour bien comprendre la portée de cet arrêt, il apparaît utile de le mettre en perspective avec un arrêt rendu six ans plus tôt par la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 23 février 2011, n° 10-14.101, F-P+B+I N° Lexbase : A4670GXA, Bull. civ. I, n° 33). A l'instar de l'espèce de l'arrêt qui nous occupe, il était invoqué une situation de litispendance en raison d'une procédure de divorce engagée au Liban par un mari chiite à l'encontre de son épouse de la même confession.

Cependant, dans cet arrêt, la Cour de cassation avait rejeté le pourvoi et approuvé les juges du fond d'avoir écarté l'exception de litispendance internationale au motif qu'il y avait une atteinte au principe d'égalité entre époux et de respect des droits de la défense, la procédure intentée au Liban par le mari étant une répudiation unilatérale, et l'épouse n'ayant eu qu'un délai de quinze jours entre la requête et la première audience. Ainsi, la violation de l'ordre public ressortait déjà clairement de sorte que le juge français pour refuser cette exception s'était bien basé sur une situation concrète.

Six ans plus tard et dans l'affaire dont question ici, la cour d'appel déduit de la seule circonstance que le divorce soit soumis à une autorité confessionnelle que cela emportera une méconnaissance de l'ordre public international de fond et de procédure.

La Cour de cassation sanctionne ce raccourci. L'analyse à faire doit être spécifique à chaque espèce et non en des termes généraux. D'ailleurs en l'espèce, l'épouse elle-même avait saisi l'autorité religieuse libanaise d'une demande de divorce avant de finalement saisir le juge français d'une demande similaire.

Ce rappel de la nécessité d'une appréciation in concreto de chaque espèce semble d'autant plus opportun, qu'au Liban, l'ensemble des mariages et des divorces sont confessionnels. Ainsi, bannir les divorces confessionnels reviendrait donc à écarter d'office toute possibilité de reconnaissance d'une décision de divorce libanaise.

Au Liban, en effet, chaque communauté dispose d'un statut personnel qui lui est propre et qui relève des tribunaux de chaque confession.

Cela signifie que tout ce qui touche l'état des personnes ou la famille : le mariage, la désunion, la filiation et dans une certaine mesure, les successions, relève de lois établies par les diverses communautés, et ce par une délégation de l'Etat libanais. De même, les problèmes touchant ces questions sont tranchées par les tribunaux religieux (communautés religieuses et système politique au Liban, Nabil Maamari, Université Saint Joseph - Beyrouth, accessible via le site de jafbase).

Attention, cette admission d'une possible reconnaissance des divorces religieux étrangers ne signifie en aucune façon qu'un divorce prononcé par une autorité religieuse sur le sol français pourrait être reconnu en France. En effet, la Cour de cassation a décidé qu'"il ne peut y avoir en France de divorce sans décision judiciaire et que les actes des autorités religieuses y sont en la matière dénués d'effet civil" (arrêt "Zagha", Cass. civ. 1, 15 juin 1982, n° 81-12.611 N° Lexbase : A5800CHB, Bull. civ. I, n° 224).

De plus, l'affirmation de l'absence de contrariété à l'ordre public d'un divorce religieux dans son principe, ne constitue pas un revirement de jurisprudence puisque la Cour de cassation admet et reconnaît les divorces religieux qui ont eu lieu hors du territoire français (v. pour la cassation d'un arrêt qui n'aurait pas vérifié le contenu de la loi israélienne en matière de divorce religieux : Cass. civ. 1, 4 décembre 2013, n° 12-16.899, FS-D N° Lexbase : A8280KQQ), à condition qu'ils respectent les conditions posées par l'arrêt "Cornélisen".

L'accueil de l'exception de litispendance à ce stade n'est évidemment aucunement une garantie de reconnaissance de la future décision sur le territoire français.

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