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par Anne Lebescond - Journaliste juridique
le 27 Mars 2014
Ce statut serait ouvert à tout juriste titulaire du certificat d'aptitude à la profession d'avocat (CAPA) et, pendant une période transitoire, à tous les juristes actuellement en poste, sous réserve du consentement de leur employeur. Il permettrait aux avocats d'intégrer une entreprise pour lui fournir des prestations de conseil, tout en conservant leur statut. Cette approche s'inspire, fortement, de la conception anglo-saxonne de la profession d'avocat, qui ne fait pas de distinction statutaire ni sémantique entre le lawyer exerçant en cabinet et le lawyer exerçant en entreprise. A l'époque où les travaux de la commission étaient en cours, l'Association française des juristes d'entreprise -AFJE-, auditionnée par le groupe de travail sur le sujet, avait pris le parti de la création d'un statut d'avocat/juriste en entreprise. Lexbase Hebdo - édition privée générale avait, alors, fait le point avec Alain-Marc Irissou, Président de l'AFJE, sur les enjeux d'un tel rapprochement et sur les propositions formulées par l'association (3). Nous avons souhaité le rencontrer, à nouveau, pour recueillir son sentiment sur le dispositif proposé récemment par la commission.
Lexbase : Il existe déjà un dispositif de "passerelle" entre la profession de juriste d'entreprise et d'avocat. Quel est-il ? Est-il concerné par les propositions de réforme du rapport de la "commission Darrois" ?
Alain-Marc Irissou : Le système actuel de "passerelle" est prévu par l'article 98, 5°, du décret du 27 novembre 1991 (décret n° 91-1197, organisant la profession d'avocat, art. 98 N° Lexbase : L0281A9B), qui prévoit une dispense de la formation théorique et pratique et du CAPA pour les juristes d'entreprise justifiant de huit ans au moins de pratique professionnelle au sein du service juridique d'une ou plusieurs entreprises.
La procédure permet à tous les juristes d'entreprise qui répondent aux critères définis par la jurisprudence et aux conditions d'ancienneté de devenir avocat. En revanche, les avocats qui entrent au service d'entreprises sont mis en omission du barreau, leur statut étant, en quelque sorte, mis entre parenthèses.
Le rapport de la "commission Darrois" propose de créer un statut d'avocat en entreprise ouvert aux titulaires du CAPA, ainsi qu'à "l'ensemble des juristes d'entreprises actuellement en exercice", sous réserve de répondre aux critères actuels définis par la jurisprudence de la Cour de cassation élaborée à partir du dispositif de "passerelle"-être titulaire de la maîtrise en droit ou d'un diplôme reconnu comme équivalent pour l'exercice de la profession d'avocat et justifier de huit années d'expérience professionnelle acquises dans le service juridique d'une ou plusieurs entreprises (4)-, en y ajoutant la prise en considération de l'expérience professionnelle acquise à l'étranger. Ce bénéfice serait ouvert pendant une période transitoire de huit ans. L'admission d'un juriste d'entreprise au barreau ou le maintien dans son statut d'avocat d'un titulaire du CAPA serait subordonné au consentement de l'employeur.
L'AFJE est favorable à la création d'un tel statut, sous réserve de préciser de nombreux points, d'importance capitale. Il en va, notamment, ainsi, de la question du maintien, ou non, de la "passerelle" existante. Le rapport est muet sur le sujet. Or son silence peut s'interpréter, aussi bien, en faveur du maintien, qu'en sa défaveur. L'AFJE est, bien entendu, pour un tel maintien.
Sous réserve que toutes nos craintes soient dissipées, nous nous prononçons en faveur d'un nouveau statut, non pour des raisons corporatistes, mais bien parce qu'il satisfait à l'intérêt de l'entreprise. A cet égard, le rapport prévoit que les avocats en entreprise soient soumis aux obligations et aux droits du secret professionnel, comme les avocats libéraux, En conséquence, les avis du juriste d'entreprise, devenu avocat d'entreprise, bénéficieraient de la confidentialité, permettant ainsi à l'entreprise de solliciter des avis écrits de la part de ses juristes, sans avoir à craindre que ces écrits puissent être saisis par des autorités judiciaires ou administratives et produits en justice. Ce droit, correspondant peu ou prou au "legal privilege" anglo-saxon, permettrait le renforcement de la sécurité juridique des entreprises et, partant, de favoriser toutes mesures internes destinées à élever le niveau de conformité au droit. D'autre part, le positionnement et l'autorité de la fonction juridique de nos entreprises en seraient renforcées, les mettant, ainsi, à armes égales avec les entreprises étrangères.
Lexbase : Outre la confidentialité, quels seraient les autres attributs et modalités d'exercice du statut d'avocat en entreprise ?
Alain-Marc Irissou : Le rapport de la "commission Darrois" refuse à l'avocat en entreprise la possibilité de plaider pour le compte de son entreprise. La solution correspondant au statu quo ne me choque pas. Pour autant, il existe des juridictions devant lesquelles n'importe quel citoyen est autorisé à plaider (comme le tribunal de commerce, le tribunal d'instance, le conseil des prud'hommes ou le tribunal des affaires de Sécurité sociale). Retirer cette faculté aux avocats en entreprise serait illogique. Le texte mériterait, ainsi, d'être précisé sur ce point. S'il s'agit, uniquement, de dire que les avocats en entreprise ne pourront pas plaider devant les tribunaux de grande instance et les cours d'appel, nous ne voyons pas de raison de nous y opposer.
Le rapport propose, également, que l'avocat en entreprise ne puisse pas développer une activité libérale avec une clientèle personnelle. Ici, encore, la recommandation est justifiée. Le métier de juriste d'entreprise, à plus forte raison dans les groupes, demande une telle disponibilité, que nous voyons mal qu'on ne puisse y consacrer tout son temps professionnel. Toutefois, s'agissant des avocats employés à mi-temps, la mesure est discutable.
Le rapport souligne le principe de l'indépendance intellectuelle de l'avocat en entreprise qui "doit être protégée sans concession" et qui peut "cohabiter avec la dépendance juridique". Nous en sommes d'accord. Nous approuvons, aussi, que cette indépendance ne fasse pas obstacle à l'application aux avocats en entreprise du droit du travail et, donc, à la compétence exclusive des conseils des prud'hommes et, parallèlement, à l'autorité du bâtonnier, pour ce qui relève des obligations déontologiques.
Lexbase : Des craintes ont été exprimées quant à une discrimination entre les avocats en entreprise et les juristes. Le rapport rendu par la "commission Darrois" vous semble-t-il avoir suffisamment tenu compte de ces appréhensions ? De façon générale, l'AFJE est-elle satisfaite des propositions formulées par la commission ?
Alain-Marc Irissou : Si nous sommes favorables au principe de la création d'un nouveau statut, il reste à en déterminer les modalités. La prise en compte des intérêts du juriste est, ici, essentielle. Celui-ci doit avoir la garantie qu'il ne subira pas de discrimination par rapport à l'avocat, en termes d'évolution de carrière et de rapport hiérarchique, notamment. Le rapport prévoit de subordonner à l'accord du chef d'entreprise l'inscription d'un juriste à l'ordre des avocats, ce sur quoi nous exprimons de fortes réticences. L'accès du juriste au statut serait, en effet, laissé à la libre discrétion du dirigeant, apparemment, sans possibilité de recours. Ce n'est que s'il y consent, que le juriste -qui, pourtant, répondra à toutes les conditions actuelles de la "passerelle"- pourra se voir accorder le bénéfice du régime transitoire et accéder, ainsi, au statut d'avocat en entreprise. Or, le chef d'entreprise peut utiliser cette faculté comme outil de management équitable, par exemple, pour permettre à des juristes expérimentés de ne pas se faire supplanter par des avocats sans expérience, fraîchement émoulus. Il peut, tout aussi bien, en disposer de façon arbitraire. Il peut, aussi, décider de refuser l'accès au statut, pour des raisons de coûts, par exemple, pour ne pas avoir à verser la taxe relative au financement de l'aide juridictionnelle, prévu par le rapport. Il nous paraît indispensable de trouver une solution qui garantisse que tout juriste présentant les critères de la "passerelle" soit inscrit au tableau spécial de l'ordre des avocats, en toute hypothèse, quitte, par exemple, à être mis en omission, tant que son employeur actuel n'a pas donné son accord. Ainsi, il faut qu'il puisse être en mesure de bénéficier ultérieurement des prérogatives du statut, si l'accord de l'employeur est obtenu ou s'il change d'employeur, sans être forclos.
Par ailleurs, d'autres questions subsistent. Notamment, le rapport est muet sur la date à partir de laquelle débuterait la période transitoire. Si le délai de huit ans court à compter de l'entrée en vigueur du nouveau statut, alors que ne sont pas encore légalement adoptées les recommandations de la commission en matière de formation des étudiants en droit et de l'enseignement des CRFPA, les étudiants en cours de cursus se destinant au métier de juriste d'entreprise, sans envisager de passer le CAPA, se trouveraient à la charnière des deux voies possibles d'accès au statut d'avocat en entreprise. Ils pourraient, alors, risquer de ne pas avoir le temps, ni de faire valider huit années d'expérience professionnelle, ni d'être admis dans un CRFPA, pour ne pas avoir été informés assez tôt sur la nouvelle orientation à prendre.
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