Réf. : Cass. soc., 19 mai 2004, n° 02-41.810, Mme Jacqueline Sausseau c/ Société Château Maucamps, F-D (N° Lexbase : A2004DC9)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Décision
Cass. soc., 19 mai 2004, n° 02-41.810, Mme Jacqueline Sausseau c/ Société Château Maucamps, F-D (N° Lexbase : A2004DC9) Cassation de CA Bordeaux (chambre sociale, section A),17 janvier 2002 Textes visés : C. trav., articles 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9) ; L. 122-45 (N° Lexbase : L5583ACR) Salarié victime d'un dommage d'origine non professionnelle ; licenciement ; conditions ; motivation de la lettre de licenciement ; insuffisance ; sanction ; défaut de cause réelle et sérieuse Liens base : |
Faits
1. Une salariée avait été embauchée en qualité d'agent polyvalent des services par la société Château Maucamps, qui exploite une maison de retraite en Gironde. Après avoir été en arrêt de travail pour maladie, elle a été licenciée 12 août 1997 pour "absences répétées dues à la maladie entraînant des répercussions dommageables sur la bonne marche de l'entreprise par application de l'article 33, alinéa 11, de la Convention collective nationale des établissements et services privés sanitaires, sociaux et médico-sociaux du 24 décembre 1993". 2. La salariée a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes au titre de son licenciement et de rappel de salaires. 3. Pour débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts au titre de son licenciement, l'arrêt attaqué retient que tant l'imprévisibilité et le nombre des arrêts de travail pour maladie et de prolongation que la nature de l'emploi occupé et l'obligation de recourir à des emplois temporaires, constituent un trouble d'organisation et de fonctionnement et que le caractère spécifique de l'activité de la maison de retraite, consistant dans l'hébergement des personnes âgées, s'accorde mal avec l'existence d'un personnel de passage, incompatible avec la stabilité qu'exige ce genre de clientèle. |
Solution
1. Cassation au visa des articles 122-14-3 et L. 122-45 du Code du travail, ensemble l'article 33 de la Convention collective nationale des établissements et services privés sanitaires, sociaux et médico-sociaux du 24 décembre 1993 . 2. "Si l'article L. 122-45 du Code du travail fait interdiction de licencier un salarié notamment en raison de son état de santé ou de son handicap, sauf inaptitude constatée par le médecin du travail dans le cadre du Titre IV du Livre II de ce même Code, ce texte ne s'oppose pas au licenciement motivé, non pas par l'état de santé du salarié, mais par la situation objective de l'entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l'absence prolongée ou les absences répétées du salarié ; que celui-ci ne peut toutefois être licencié que si ces perturbations entraînent la nécessité pour l'employeur de procéder à son remplacement définitif". 3. "En statuant ainsi, alors que l'employeur ne s'était pas prévalu de la nécessité d'un tel remplacement dans la lettre de licenciement, la cour d'appel a violé les textes susvisés". |
Commentaire
1. La justification du licenciement du salarié victime d'un dommage d'origine non-professionnelle Généralités Le licenciement d'un salarié victime d'un accident survenu dans le cadre de sa vie privée ou d'une maladie non considérée comme professionnelle au titre du livre IV du Code de la Sécurité sociale ne bénéficie, contrairement au salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle (C. trav., art. L. 122-32-2 N° Lexbase : L5519ACE), d'aucune protection générale contre le licenciement. Le Code du travail interdit simplement à l'employeur de prendre comme motif de rupture son état de santé, conformément aux dispositions de l'article L. 122-45 du Code du travail (N° Lexbase : L5583ACR). Validité du licenciement Dès lors que le motif de la rupture est étranger à l'accident ou la maladie, et ce même s'il s'agit d'un motif personnel, le licenciement sera donc valable. La Cour de cassation a précisé, à partir de 1998, les conditions exactes dans lesquelles l'employeur pouvait procéder à un tel licenciement (Cass. soc., 16 juillet 1998, n° 97-43.484, Société La Parisienne assurances c/ M. Darcy et autre, publié N° Lexbase : A3150ABB Dr. soc. 1998, p. 950, obs. A. Mazeaud ; Cass. soc., 10 novembre 1998, n° 98-40.493, Mme De L'Hamaide c/ Société Radiospares, publié N° Lexbase : A4917AG9 ; Cass. soc., 13 mars 2001, n° 99-40.110, Mme Herbaut c/ Société Adressonord, publié N° Lexbase : A9275ASC Dr. soc. 2001, p. 558, obs. J.-Y. Frouin). Ce dernier ne sera valable que s'il est motivé "non pas par l'état de santé du salarié, mais par la situation objective de l'entreprise qui se trouve dans la nécessité de pourvoir au remplacement définitif d'un salarié dont l'absence prolongée ou les absences répétées perturbent son fonctionnement". Motivation de la lettre de licenciement La Cour de cassation a encore renforcé la sévérité de la solution en en tirant les conséquences concernant la motivation de la lettre de licenciement. L'employeur doit en effet se prévaloir "de la nécessité d'un tel remplacement dans sa lettre de licenciement" (Cass. soc., 5 juin 2001, n° 99-41.603, Société Imprimerie papeteries Sauvion-Champerret (IPS) c/ Mme Josette Morand, publié N° Lexbase : A5125AGW Dr. soc. 2001, p. 1051, chron. J. Savatier). Critique de la rétroactivité de la solution On pourra discuter à l'infini de la nécessité d'une telle exigence. Nous voudrions ici simplement souligner les conséquences iniques du caractère rétroactif d'une pareille exigence. On peut, en effet, admettre que la décision concerne les licenciements notifiés postérieurement à cette décision, les employeurs étant censés avoir pris connaissance des nouvelles exigences formelles posées par la Cour de cassation. Mais, on ne saurait accepter que cette exigence soit opposée rétrospectivement à des entreprises ayant procédé à des licenciements antérieurement à la décision, c'est-à-dire à une époque où la Cour de cassation ne posait pas pareille exigence et où la notification avait été correctement réalisée. C'est ce qui s'était passé en l'espèce puisque la lettre de licenciement, que la Chambre sociale de la Cour considère comme insuffisamment motivée, avait été adressée à la salariée le 12 août 1997, c'est-à-dire 11 mois avant le premier arrêt ayant fixé les règles de fond (Cass. soc., 16 juillet 1998 : préc.) et près de 4 ans avant l'arrêt ayant imposé une mention spécifique dans la lettre de licenciement (Cass. soc., 5 juin 2001 : préc.) ! Refus de limiter dans le temps la portée des revirements Or, on sait, depuis un arrêt (non publié !) rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 7 janvier 2003 à propos de la contrepartie financière des clauses de non-concurrence (Cass. soc., 7 janvier 2003, n° 00-46.476, F-D N° Lexbase : A6000A4Y Lire Pour en finir avec la rétroactivité des revirements de jurisprudence, Lexbase Hebdo n° 55 du jeudi 23 janvier 2003 - édition sociale N° Lexbase : N5616AAA), que "la sécurité juridique, invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable prévu par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence immuable, l'évolution de la jurisprudence relevant de l'office du juge dans l'application du droit". Un refus injuste Sans revenir sur un débat largement illustré (édito préc.), nous voudrions simplement relever, de nouveau, l'injustice de l'affirmation, puisqu'elle aboutit à la condamnation d'employeurs pour des comportements qui, lorsqu'ils se sont déroulés, étaient parfaitement conformes à la jurisprudence de l'époque. Il est infiniment regrettable que la Cour de cassation, au nom de la fiction du juge se contentant d'interpréter la loi, alors qu'il la refait chaque jour un peu plus, ne soumette pas aux principes qui gouvernent l'application des lois dans le temps. Faudra-t-il attendre que la Cour de Strasbourg condamne la France pour violation de l'article 6-1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR), pour que l'on se rende enfin compte de la situation dans laquelle se trouvent les justiciables ? 2. L'interdiction d'invoquer des éléments étrangers à la lettre de licenciement Généralités sur la motivation de la lettre de licenciement L'injustice résultant de l'application rétroactive de la jurisprudence concernant la motivation de la lettre de licenciement se double d'une autre affirmation qui nous paraît également contestable. On sait, depuis l'arrêt "Rogie" (Cass. soc., 29 novembre 1990, n° 88-44.308, M. Rogie c/ Société Sermaize Distribution, publié N° Lexbase : A9329AAR D. 1991, p. 99, note J. Savatier), que le défaut d'énonciation des motifs dans la lettre de licenciement équivaut à une absence de motifs et entraîne la condamnation de l'employeur au paiement des dommages-intérêts pour absence de cause réelle et sérieuse. Or, on sait également que l'insuffisance des motifs entraîne les mêmes conséquences et que l'employeur ne peut invoquer devant le juge de nouveaux éléments, dans la mesure où la lettre de licenciement fixe définitivement les termes du litige. Une exigence excessive en soi La solution, qui se justifie par le souci -certes louable- de protéger le salarié contre les malversations de l'employeur, nous paraît à bien des égards excessive, dans la mesure où elle aboutit à la condamnation de milliers d'employeurs à verser des indemnités pour défaut de cause réelle et sérieuse, alors qu'il apparaît que ce licenciement était parfaitement justifié sur le fond, la seule erreur commise par l'employeur étant de n'avoir pas apporté à la rédaction de la lettre de licenciement le soin nécessaire. Une exigence injuste en l'espèce Cette solution, en soi excessive, devient intolérable dans l'hypothèse qui nous intéresse ici, c'est-à-dire lorsque le défaut de motivation résulte rétrospectivement d'un changement de jurisprudence intervenu postérieurement à la notification du licenciement. Sans demander l'impossible, c'est-à-dire un assouplissement de la jurisprudence "Rogie" lorsque l'employeur était de bonne foi, tout au moins pourrait-on espérer que la Cour de cassation admette une exception, précisément lorsque le défaut de motivation n'était pas caractérisé au regard de la jurisprudence applicable à l'époque des faits. Une telle solution permettrait alors, faute de mieux, de tempérer la rétroactivité des revirements de jurisprudence et de faire de nouveau coïncider justice... et justice ! |
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