Jurisprudence : Cass. civ. 1, Conclusions, 06-12-2023, n° 22-19.285

Cass. civ. 1, Conclusions, 06-12-2023, n° 22-19.285

B8536BC7

Référence

Cass. civ. 1, Conclusions, 06-12-2023, n° 22-19.285. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/123101322-cass-civ-1-conclusions-06122023-n-2219285
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AVIS DE M. APARISI, AVOCAT GÉNÉRAL RÉFÉRENDAIRE

Arrêt n° 647 du 6 décembre 2023 (B) – Première chambre civile Pourvoi n° 22-19.285⚖️ Décision attaquée : Cour d'appel de Toulouse du 10 mai 2022 la société Opti'Cotis (SARL) C/ M. [I] [C] le Conseil national des barreaux (CNB) _________________

Audience en formation de section du 17 octobre 2023

Le 15 juillet 2010, M° [C], a conclu une convention de prestations juridiques avec la société Opti'Cotis dont la gérante, Mme [Y], était alors son épouse. Cette convention a été dénoncée par M° [C] le 24 septembre 2019, après la séparation du couple intervenue en janvier 2019. Sur requête de la société Opti'Cotis qui arguait de faits de concurrence déloyale imputés à M° [C], le président du tribunal judiciaire de Toulouse a, par une ordonnance en date du 8 octobre 2020, désigné un huissier de justice avec pour 1

mission de se rendre au cabinet professionnel de M° [C], aux fins de recherche, saisine et séquestre de divers pièces et documents. L'ordonnance a été exécutée le 13 novembre 2020 en présence du bâtonnier, appelé par M° [C]. Par une ordonnance en date du 15 juin 2021, le juge des référés a dit n'y avoir lieu à rétractation de l'ordonnance du 8 octobre 2020 et a rejeté la demande de dommages et intérêts formée par la société Opti'Cotis. Par un arrêt du 10 mai 2022, la cour d'appel de Toulouse a, pour l'essentiel, reçu le Conseil national des barreaux en son intervention volontaire et infirmé l'ordonnance du 15 juin 2021 en toutes ses dispositions puis, statuant à nouveau, elle a prononcé la rétractation de l'ordonnance du 8 octobre 2020 et la nullité du procès verbal dressé par l'huissier puis ordonné la restitution des pièces saisies. *** Le pourvoi renvoie principalement à la question de la confrontation du droit à la preuve avec le secret professionnel de l'avocat, le moyen estimant, en sa première branche -les autres branches ayant été écartées par le rapport, que : il incombe au juge saisi d'une demande de mesure d'instruction in futurum de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence ; qu'en rétractant l'ordonnance ayant fait droit à la mesure d'investigation sollicitée par la société Opti'Cotis au prétexte qu'elle n'était pas légalement admissible puisqu'elle portait sur des pièces couvertes par le secret professionnel des avocats, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si la mesure était nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la requérante et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 145 du code de procédure civile🏛, de l'article 66-5 de la loi n 71-1130 du 31 décembre 1971🏛 et de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme🏛 et du citoyen.

*** Le pourvoi pose la question du régime et de l'étendue du secret professionnel de l'avocat à l'occasion d'une mesure d'instruction civile portant sur des pièces détenues au sein d'un cabinet d'avocat. Il est acquis que, nonobstant son importance cardinale dans un Etat de droit, le secret professionnel de l'avocat n'est pas, en tant que tel, un droit fondamental constitutionnellement garanti1. “16. Considérant qu'il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et des infractions, nécessaire à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des droits et des libertés constitutionnellement garantis ; qu'au nombre de ces derniers figurent le droit au respect de la vie privée et le secret des correspondances, la liberté d'expression, les droits de la défense et le droit à un procès équitable, protégés par les articles 2, 4, 11 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; qu'en revanche, aucune disposition constitutionnelle ne consacre spécifiquement un droit au secret des échanges et correspondances des avocats et un droit au secret des sources des journalistes ;” - Décision n° 2015-478 QPC du 24 juillet 2015⚖️ 1

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Maître Barthélémy, avocat honoraire au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, après avoir fait ce même constat, observait néanmoins, dans une publication récente du Conseil constitutionnel : “14. Observons tout de même qu'il n'est pas insignifiant que le secret professionnel soit indirectement protégé par ces droits et libertés constitutionnellement garantis que sont le droit à la vie privée, le secret des correspondances, les droits de la défense, le droit à un procès équitable. 15. Il est encore conforme à sa nature que le secret professionnel de l'avocat soit regardé comme d'ordre public, général, absolu, illimité dans le temps. Ces qualifications classiques, inspirées de la doctrine la plus autorisée, notamment Émile Garçon, sont d'abord celles de la jurisprudence la mieux établie 2”. Et de fait, en droit interne, l'article 66-5 de la loi de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971🏛 (modifié par la loi du 28 mars 2011🏛) présente, dans son premier alinéa, une conception très large et tout à fait absolue du secret professionnel de l'avocat : “En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celuici, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention " officielle", les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel.” Il existe certes des exceptions à ce principe. Ainsi, l'article 66-5 lui-même a connu deux ajouts venant limiter sa portée : - lorsque l'avocat exerce une activité de fiducie (ajout d'un deuxième alinéa par l'ordonnance n°2009-112 du 30 janvier 2009) - lorsque l'avocat exerce l'activité d'agent sportif (ajout d'un troisième alinéa loi n°2011-331 du 28 mars 2011). Il existe en outre d'autres exceptions dans divers codes, que ce soit en matière de procédure pénale pour la recherche de certaines infractions3 ou, par exemple, en matière de lutte contre le blanchiment4.

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In Titre VII n°10 - avril 2023 (publié par le Conseil constitutionnel) : Le secret professionnel de l'avocat

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Cf. article 56-1-2 du code de procédure pénale🏛 : “Dans les cas prévus aux articles 56-1 et 56-1-1, sans préjudice des prérogatives du bâtonnier ou de son délégué prévues à l'article 56-1 et des droits de la personne perquisitionnée prévus à l'article 56-1-1, le secret professionnel du conseil n'est pas opposable aux mesures d'enquête ou d'instruction lorsque celles-ci sont relatives aux infractions mentionnées aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts🏛🏛 et aux articles 4212-2, 433-1, 433-2 et 435-1 à 435-10 du code pénal🏛🏛🏛🏛 ainsi qu'au blanchiment de ces délits, sous réserve que les consultations, correspondances ou pièces détenues ou transmises par l'avocat ou son client établissent la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission desdites infractions.” 4

Articles L. 561-2 13° et L. 561-3 du code monétaire et financier

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En outre, l'on trouve une exception réglementaire au principe du secret professionnel de l'avocat mais au seul bénéfice de ce dernier, au sein de l'article 4 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 20055 : « Sous réserve des strictes exigences de sa propre défense devant toute juridiction et des cas de déclaration ou de révélation prévues ou autorisées par la loi, l'avocat ne commet, en toute matière, aucune divulgation contrevenant au secret professionnel.” Il sera observé à ce stade, à toutes fins, que si cette exception réglementaire au texte législatif ne paraît pas trouver d'accroche dans la loi, c'est sans doute car elle puise son fondement dans les principes supra législatifs du contradictoire et des droits de la défense. Il en ressort que la loi, quelles que soient les imperfections de rédaction de l'article 66-5 dont l'imprécision a pu être source de difficultés6, confère en effet au secret professionnel de l'avocat un caractère très général et très absolu que les quelques exceptions expressément prévues par les textes ne sauraient remettre en cause et ce, à raison de leur spécificité, de leur caractère très limité et des précautions dont elles sont toutes entourées. Ainsi : - les exceptions que comporte l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, sont ainsi cantonnées à des champs d'activités très particuliers et très identifiables et correspondent à des activités dont les avocats n'ont d'ailleurs pas le monopole d'exercice, ce qui contribue à expliquer qu'elles ne bénéficient pas du secret professionnel de l'avocat et, par là, d'un régime plus favorable que les autres professionnels exerçant également ces mêmes activités (fiducie, agent sportif), - le code de procédure pénale limite également les possibilités d'accès aux éléments détenus par un avocat à certaines infractions seulement et en entourant cet accès 5

Aujourd'hui codifié à l'article 4 du code de déontologie qui est ainsi rédigé : “L'avocat est le confident nécessaire de son client. Le secret professionnel de l'avocat est d'ordre public, absolu, général et illimité dans le temps. L'avocat ne peut en être relevé par son client ni par quelque autorité ou personne que ce soit, sauf dans les cas prévus par la loi. L'avocat ne commet, en toute matière, aucune divulgation contrevenant au secret professionnel, sous réserve des strictes exigences de sa propre défense devant toute juridiction et des cas de déclaration ou de révélation prévues ou autorisées par la loi.” 6

Sur ce point, voir Thierry Wickers, ancien président du Conseil national des barreaux : "Le texte protecteur du secret professionnel a été retouché à plusieurs reprises depuis son introduction par la loi du 31 décembre 1990🏛
(« les consultations adressées par un avocat à son client et les correspondances échangées entre le client et son avocat sont couvertes par le secret professionnel ») sans que cessent les difficultés qu'il suscite. La place que joue le secret dans la définition de la profession serait déjà suffisante pour l'expliquer. Mais on sait que ce texte souffre au surplus de plusieurs vices. Il traite du secret professionnel sans définir cette notion. Il confond secret professionnel et confidentialité des correspondances. Il mêle obligations de l'avocat et protection de l'instrumentum. Il prétend à la fois embrasser la notion la plus essentielle pour la profession et gérer le statut des courriers échangés quotidiennement entre avocats... En 2003, en en faisant une stricte application, la Cour de cassation (Civ. 1re, 14 févr. 2003, n° 00-10.057⚖️, D. 2003. IR 601) avait déjà contraint les bâtonniers à renoncer à la pratique de la « déconfidentialisation ». La profession n'avait été sortie de ce mauvais pas que par la loi n° 2004-130 du 11 février 2004🏛 créant la notion de courrier « officiel »". - in Recueil Dalloz 2013, p. 136 - Avocat - Chronique d'octobre 2010 à novembre 2012.

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de diverses garanties procédurales, dont, notamment, la démonstration que les éléments consultés “établissent la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission des dites infractions”, ce qui limite grandement la portée de l'exception, - l'article L. 561-3 du code monétaire et financier🏛 prend quant à lui expressément la peine d'exclure du dispositif de lutte contre le blanchiment l'ensemble de l'activité des avocats se rattachant à une procédure juridictionnelle “y compris dans le cadre de conseils relatifs à la manière d'engager ou d'éviter une telle procédure, non plus que lorsqu'ils donnent des consultations juridiques, à moins qu'elles n'aient été fournies à des fins de blanchiment (...)” , - enfin, l'article 4 du décret du 12 juillet 2005🏛 précité limite son application aux “strictes exigences” de la propre défense de l'avocat. Du côté de la jurisprudence, comme le relève le rapport, il a été admis que soient ordonnées des mesures d'instruction portant sur des pièces couvertes par un secret protégé, lorsqu'elles sont la condition, pour une partie, de l'exercice d'une action, dans le cadre d'un droit à la preuve qui a été reconnu par la Cour européenne des droits de l'Homme avant d'être consacré par la Cour de cassation. Néanmoins, la Cour de cassation n'a jamais reconnu la possibilité d'ordonner une mesure d'instruction portant sur des pièces couvertes par le secret professionnel de l'avocat, même en s'appuyant sur le droit à la preuve. Et lorsque la jurisprudence admet une telle mesure d'instruction, elle prend généralement la peine de rappeler au préalable que le secret mis en cause ne constitue pas en lui-même un obstacle à toute mesure d'instruction, au besoin d'ailleurs en opposant le secret concerné aux dispositions plus intransigeantes qui régissent, précisément, le secret professionnel de l'avocat qui, lui, fait bien obstacle à la mise en oeuvre de toute mesure d'instruction. Ainsi dans l'arrêt rendu par la première chambre civile le 3 novembre 2016 : “Le secret des affaires et le secret professionnel ne constituent pas en eux-mêmes un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile. La seule réserve à l'appréhension et à la communication de documents sur le fondement de ces dispositions tient au respect du secret des correspondances entre avocats ou entre un avocat et son client, tel qu'édicté par l'article 66-5 de la loi n° 711130 du 31 décembre 1971.7” Il convient de souligner que dans cette affaire, d'une part, la saisie n'intervenait pas au sein d'un cabinet d'avocat, ce qui renverse totalement la perspective s'agissant des conditions de sa réalisation, d'autre part, la cour d'appel avait retenu que les documents saisis, précisément, ne relevaient pas du secret professionnel de l'avocat s'agissant de “correspondances ou messages adressés pour information en copie à un avocat”.

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1re Civ., 3 novembre 2016, pourvoi n° 15-20.495⚖️, Bull. 2016, I, n° 203

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Cet arrêt n'applique donc pas le principe de proportionnalité au secret professionnel de l'avocat (le sommaire ne traduit pas tout à fait la teneur de l'arrêt sur ce point) et ne consacre en rien un caractère relatif prêté au secret professionnel de l'avocat8. Tous les secrets protégés par la loi et même tous les secrets professionnels envisagés par elle, ne bénéficient donc pas du même statut, ni du même degré de protection. Or, ce n'est que lorsque la levée du secret est envisageable qu'il est procédé au contrôle de proportionnalité auquel invite le moyen dans le présent pourvoi, comme l'illustre cet arrêt de la deuxième chambre civile le 10 juin 2021 rendu dans une affaire mettant en jeu le secret des affaires, lequel, au contraire du secret professionnel de l'avocat, fait l'objet de dispositions spécifiques aménageant la mise en oeuvre de mesures d'instruction qui le viseraient9 : “Si le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, c'est à la condition que le juge constate que les mesures qu'il ordonne procèdent d'un motif légitime, sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées, et ne portent pas une atteinte disproportionnée aux droits de l'autre partie au regard de l'objectif poursuivi.10” Il existe ainsi pour certains secrets professionnels une obligation qui revêt un caractère général et absolu s'imposant à tous, comme l'a jugé la chambre criminelle à propos du secret médical : 8

De même : 1re Civ., 25 février 2016, pourvoi n° 14-25.729, Bull. 2016, I, n° 45 qui se contente de rappeler ce qui est couvert par le secret professionnel de l'avocat sans remettre en cause son caractère absolu (sommaire) : “En vertu de l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, seules sont couvertes par le secret professionnel les correspondances échangées entre l'avocat et son client ou entre l'avocat et ses confrères, les notes d'entretien et les pièces du dossier. Le secret professionnel des avocats ne s'étend pas aux documents détenus par l'adversaire de leur client, susceptibles de relever du secret des affaires, dont le refus de communication constitue l'objet même du litige. Dès lors, viole le texte susvisé l'arrêt qui autorise l'avocat du demandeur à prendre connaissance des documents du défendeur, saisis et séquestrés, pour débattre équitablement de leur communication devant le juge des référés.” 9

Article L. 153-1 du code de commerce🏛 : “Lorsque, à l'occasion d'une instance civile ou commerciale ayant pour objet une mesure d'instruction sollicitée avant tout procès au fond ou à l'occasion d'une instance au fond, il est fait état ou est demandée la communication ou la production d'une pièce dont il est allégué par une partie ou un tiers ou dont il a été jugé qu'elle est de nature à porter atteinte à un secret des affaires, le juge peut, d'office ou à la demande d'une partie ou d'un tiers, si la protection de ce secret ne peut être assurée autrement et sans préjudice de l'exercice des droits de la défense : 1° Prendre connaissance seul de cette pièce et, s'il l'estime nécessaire, ordonner une expertise et solliciter l'avis, pour chacune des parties, d'une personne habilitée à 'assister ou la représenter, afin de décider s'il y a lieu d'appliquer des mesures de protection prévues au présent article ; 2° Décider de limiter la communication ou la production de cette pièce à certains de ses éléments, en ordonner la communication ou la production sous une forme de résumé ou en restreindre l'accès, pour chacune des parties, au plus à une personne physique et une personne habilitée à l'assister ou la représenter ; 3° Décider que les débats auront lieu et que la décision sera prononcée en chambre du conseil ; 4° Adapter la motivation de sa décision et les modalités de la publication de celle-ci aux nécessités de la protection du secret des affaires.” 10

2e Civ., 10 juin 2021, pourvoi n° 20-11.987⚖️

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“L'obligation au secret professionnel, établie et sanctionnée par l'article 226-13 du Code pénal🏛 pour assurer la confiance nécessaire à l'exercice de certaines professions ou de certaines fonctions s'impose aux médecins, hormis les cas où la loi en dispose autrement, comme un devoir de leur état ; sous cette seule réserve, elle est générale et absolue et il n'appartient à personne de les en affranchir 11”. Il est permis d'ajouter qu'aux termes de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, le secret professionnel de l'avocat, en tout cas s'agissant de son activité de défense et de conseil, jouit également d'un statut particulier, comme elle le développe dans son arrêt Michaud c/ France : “117. La Cour rappelle à cet égard qu'elle a examiné à plusieurs occasions des griefs développés par des avocats sur le terrain de l'article 8 de la Convention dans le contexte de l'exercice de leur profession. (...). Elle a souligné dans ce contexte qu'en vertu de l'article 8, la correspondance entre un avocat et son client, quelle qu'en soit la finalité (la correspondance strictement professionnelle étant incluse : Niemietz, précité, § 32), jouit d'un statut privilégié quant à sa confidentialité (Campbell c. Royaume-Uni, 25 mars 1992, §§ 46-48, série A n° 233 ; voir aussi, notamment, Ekinci et Akalın c. Turquie, n° 77097/01, § 47, 30 janvier 2007; cela vaut, comme indiqué précédemment, pour toutes les formes d'échanges entre les avocats et leurs clients). Elle a en outre indiqué qu'elle « accorde un poids singulier au risque d'atteinte au secret professionnel des avocats car il peut avoir des répercussions sur la bonne administration de la justice » (Wieser et Bicos Beteiligungen GmbH, précité, §§ 65-66 ; voir aussi, précités, Niemietz, § 37, et André et autre, § 41) et est la base de la relation de confiance entre l'avocat et son client (André et autre, § 41, précité, et Xavier Da Silveira, § 36, précité). 118. Il en résulte que si l'article 8 protège la confidentialité de toute «correspondance» entre individus, il accorde une protection renforcée aux échanges entre les avocats et leurs clients. Cela se justifie par le fait que les avocats se voient confier une mission fondamentale dans une société démocratique : la défense des justiciables. Or un avocat ne peut mener à bien cette mission fondamentale s'il n'est pas à même de garantir à ceux dont il assure la défense que leurs échanges demeureront confidentiels. C'est la relation de confiance entre eux, indispensable à l'accomplissement de cette mission, qui est en jeu. En dépend en outre, indirectement mais nécessairement, le respect du droit du justiciable à un procès équitable, notamment en ce qu'il comprend le droit de tout « accusé » de ne pas contribuer à sa propre incrimination. 119. Cette protection renforcée que l'article 8 confère à la confidentialité des échanges entre les avocats et leurs clients et les raisons qui la fondent conduisent la Cour à constater que, pris sous cet angle, le secret professionnel des avocats – qui toutefois se décline avant tout en obligations à leur charge – est spécifiquement protégé par cette disposition.12” 11

Crim., 8 avril 1998, pourvoi n° 97-83.656⚖️, Bull. crim. 1998, n° 138 ; il sera observé que la chambre criminelle qualifie de la même façon le secret professionnel de l'avocat : “L'obligation au secret professionnel établie par l'article 378 du Code pénal🏛 s'impose aux avocats comme un devoir de leur fonction. Elle est générale et absolue même s'il s'agit d'un fait connu dans son ensemble lorsque l'intervention du dépositaire du secret entraîne la divulgation de précisions qu'il était seul à connaître” - Crim., 7 mars 1989, pourvoi n° 87-90.500⚖️, Bull. crim. 1989 N° 109 12

§ 93.

Affaire Michaud c. France - Requête no 12323/11 - 6 décembre 2012

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Et c'est la raison pour laquelle, aux yeux de la Cour européenne, l'ingérence dans le droit au respect de la vie privée lorsqu'elle protège le secret professionnel de l'avocat, n'est envisageable que "si elle est «prévue par la loi », dirigée vers un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et « nécessaire » « dans une société démocratique » pour le ou les atteindre 13". Sur la première condition, la Cour indique dans ce même arrêt : "94. La Cour rappelle que les termes « prévue par la loi » exigent avant tout que l'ingérence ait une base en droit interne (Silver et autres c. Royaume-Uni, 25 mars 1983, §§ 86-88, série A n° 61). Tel est indéniablement le cas en l'espèce : l'obligation de déclaration de soupçon à la charge des avocats est prévue par des directives européennes, transposées en droit français (notamment par la loi n° 2004130 du 11 février 2004 s'agissant de la directive 91/308/CEE du 10 juin 1991 amendée) et codifiées au code monétaire et financier ; leurs modalités sont précisées par des textes réglementaires d'application (dont les dispositions sont également codifiées) ainsi que par la décision du 12 juillet 2007 du Conseil national des barreaux précitée.14” Or, force est de constater que l'article 145 du code de procédure civile s'il permet, de façon générale, une mesure d'instruction avant tout procès, n'aborde en rien la possible saisie de pièces chez un avocat à l'encontre duquel une action est envisagée et aucun texte spécifique n'autorise une telle atteinte, dans ce contexte, au secret professionnel de l'avocat. Pourtant, ces exigences sont d'autant plus nécessaires qu'indépendamment même des enjeux du secret professionnel de l'avocat dans l'exercice de son activité juridictionnelle, les droits des tiers sont également en jeu15. Elles ne peuvent donc être laissées au seul juge des requêtes. Au total, il apparaît que le statut particulier du secret professionnel de l'avocat, en l'état du droit positif, ne peut être levé au profit d'une mesure d'instruction ordonnée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile. En conséquence, le contrôle de proportionnalité invoqué par le moyen paraît inopérant en l'état des textes. Avis de rejet.

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§ 93.

Affaire Michaud c. France - Requête no 12323/11 - 6 décembre 2012

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Affaire Michaud c. France - Requête no 12323/11 - 6 décembre 2012

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Sur ce point, voir 1re Civ., 28 juin 2012, pourvoi n° 11-14.486⚖️, Bull. 2012, I, n° 145 : "Si l'avocat est délié du secret professionnel auquel il est normalement tenu, lorsque les strictes exigences de sa propre défense en justice le justifient, ce fait justificatif ne s'étend pas aux documents couverts par le secret médical qui ont été remis à l'avocat par la personne concernée et qui ne peuvent être produits en justice qu'avec l'accord de celleci."

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