Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 10-07-2024, n° 23-15.453

Cass. soc., Conclusions, 10-07-2024, n° 23-15.453

A98456BA

Référence

Cass. soc., Conclusions, 10-07-2024, n° 23-15.453. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/112300705-cass-soc-conclusions-10072024-n-2315453
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AVIS DE M. GAMBERT, AVOCAT GÉNÉRAL

Arrêt n° 783 du 10 juillet 2024 (B) – Chambre sociale Pourvoi n° 23-15.453⚖️ Décision attaquée : 15 mars 2023 de la cour d'appel de Versailles Mme [W] [S] C/ la société Circet _________________

Faits et procédure Mme [S] a été engagée, par contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de conductrice de travaux, à compter du 18 juin 2011, par la société Gobé, aux droits de laquelle vient désormais la société Circet. Du 12 septembre 2016 au 31 août 2017, Mme [S] a bénéficié d'un congé formation au titre du FONGECIF. A son retour, l'employeur lui a confié un poste différent de celui qu'elle occupait antérieurement. Le 2 octobre 2017, Mme [S] a été placée en arrêt maladie. Le 26 mars 2018, elle a été déclarée inapte par le médecin du travail avec dispense de recherche de reclassement au motif que « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ».

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Par une lettre du 28 mars 2018, la société Gobe a informé Mme [S] de l'impossibilité de la reclasser. Licenciée pour inaptitude par lettre du 23 avril 2018, elle a saisi le conseil de prud'hommes de demandes tendant à la requalification de son licenciement en licenciement nul et au paiement de diverses sommes au titre de la rupture de son contrat de travail ainsi que de dommages-intérêts pour préjudice moral. Elle a, par la suite, sollicité le versement d'un rappel de salaire pour violation des dispositions conventionnelles relatives à sa classification ainsi que des dommages et intérêts, pour la période du 24 avril 2015 au 24 avril 2018. Par un jugement du 21 janvier 2021, le conseil de prud'hommes a débouté Mme [S] de l'ensemble de ses demandes. Par arrêt du 15 mars 2023, la cour d'appel a infirmé le jugement mais seulement en ce qu'il a déclaré recevables les demandes additionnelles de la salariée aux fins de condamnation de l'employeur à lui payer différentes sommes au titre de rappel de salaire pour la période du 24 avril 2015 au 24 avril 2018, des congés payés afférents et de dommages-intérêts, pour violation des dispositions conventionnelles relatives à sa classification et en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de dommagesintérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité. Elle a confirmé le jugement pour le surplus. Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant, elle a : - déclaré irrecevables, comme ne se rattachant pas aux prétentions originaires par un lien suffisant, les demandes additionnelles de la salariée aux fins de condamnation de l'employeur à lui payer différentes sommes pour violation des dispositions conventionnelles relatives au salaire minimum en raison de sa classification ; - condamné l'employeur à payer à la salariée une somme au titre de dommages intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité ; - débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Pourvoi La salariée a formé en pourvoi en cassation divisé en deux moyens : - le premier moyen qui comprend une seule branche fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevables, au regard de l'article 70 du code de procédure civile🏛, les demandes additionnelles aux fins de condamnation de la société à payer différentes sommes pour violation des dispositions conventionnelles relatives à la classification et au salaire minimum qui en découle ; - le second moyen qui comprend trois branches fait grief à l'arrêt attaqué de ne pas avoir prononcé la nullité du licenciement pour harcèlement moral. Le rapport propose le rejet non spécialement motivé du second moyen qui ne tend qu'à remettre en cause le pouvoir souverain des juges du fond d'apprécier les preuves du harcèlement et les justifications apportées par l'employeur. Le présent avis ne remet pas en cause cette proposition. La discussion ne portera que sur le premier moyen.

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Discussion Le premier moyen pose la question de la recevabilité des demandes additionnelles formées en première instance au regard des principes énoncés aux articles 4 et 70 du code de procédure civile🏛. Depuis la réforme de la procédure prud'homale, introduite par le décret n° 2016-660 du 20 mai 2016🏛, qui a supprimé le principe d'unicité de l'instance prud'hommale, et, avec elle, la possibilité de formuler des demandes nouvelles en cours de procédure, telle que prévue auparavant par les articles R. 1452-6 et R. 1452-7 du code du travail🏛🏛, le régime de droit commun prévu aux articles 4 et 70 du code de procédure civile, relatif à la recevabilité des demandes additionnelles ou reconventionnelles présentées en cours d'instance, s'applique aux actions introduites devant le conseil des prud'hommes.

A - Les conditions de recevabilité de la demande additionnelle en première instance Selon l'article 4 du Code de procédure civile, l'objet du litige est déterminé par l'ensemble des prétentions des parties. Il est fixé par l'acte introductif d'instance mais également par les conclusions en défense. L'objet de la demande s'entend du résultat qui est recherché, de la fin vers laquelle tend la demande en justice. Le texte ajoute dans l'alinéa 2 que « l'objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant ». L'article 65 du code de procédure civile🏛 spécifie que les demandes incidentes sont « la demande reconventionnelle, la demande additionnelle et l'intervention » et l'article 70 du même code précise « les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant ». Ces textes traduisent en droit positif le principe d'immutabilité de la demande selon lequel les éléments du litige ne doivent pas être modifiés en cours d'instance. Mais ce principe, s'il subsiste, ne revêt plus un caractère absolu, désormais les parties peuvent faire évoluer l'objet du litige initialement fixé par l'introduction de demandes incidentes en première instance. Pour être recevables, Il est cependant nécessaire que ces demandes incidentes se « rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant ». Le principe d'immutabilité absolue du litige a laissé place à une immutabilité atténuée. Si les raisons du principe de l'immutabilité de la demande sont moins fortes en première instance qu'en appel, où le principal fondement du principe réside dans le double degré de juridiction, deux arguments militent en faveur de la limitation de la recevabilité des demandes additionnelles : - d'une part il évite d'obliger les parties à entamer un autre procès sur une question en rapport avec la première en autorisant l'évolution du litige dans des limites raisonnables ; - d'autre part, il empêche que l'instance s'éternise en raison de la multiplication excessive et dilatoire des demandes incidentes venant entraver la bonne marche de la justice. 3

En tant que demande incidente, la demande additionnelle doit exposer les prétentions et les moyens de la partie qui la forme et indiquer les pièces justificatives (CPC, art. 67). Elle est formée « à l'encontre des parties à l'instance de la même manière que sont présentés les moyens de défense » (CPC, art. 68) c'est-à dire selon les règles de forme régissant les conclusions devant les divers tribunaux. La nature de la procédure, écrite ou orale, a aussi une influence sur recevabilité de la demande additionnelle. En procédure écrite, le juge ne sera saisi que des demandes présentées par écrit dans les conclusions remises avant l'ordonnance de clôture. À l'inverse, dans les procédures orales, la demande additionnelle sera recevable jusqu'à la clôture des débats (CPC, art. 446-1). Ayant à articuler le principe d'oralité de la procédure en matière prud'homale et les dispositions de structuration et de consolidation des écritures issues des décrets n° 2016-660 du 20 mai 2016 et n° 2017-892 du 6 mai 2017, la chambre sociale considère que « le requérant est recevable à formuler contradictoirement des demandes additionnelles qui se rattachent aux prétentions originaires, devant le juge lors des débats, ou dans ses dernières conclusions écrites réitérées verbalement à l'audience lorsqu'il est assisté ou représenté par un avocat. » ( Soc. 19/10/2022, n° 21-13.060⚖️ ). Lorsque la demande incidente est formée au cours d'une instance, l'existence d'un « lien suffisant » entre la demande incidente et la demande initiale est une condition de recevabilité posée par l'article 4 alinéa 2, du Code de procédure civile et rappelée pour la demande reconventionnelle ou additionnelle (CPC, art. 70, al. 1er). Le moyen pris de l'irrecevabilité de la demande additionnelle tiré de l'absence de lien suffisant entre la demande initiale et la demande incidente est une fin de nonrecevoir qui n'a pas un caractère d'ordre public, elle ne peut pas être relevée d'office ( Civ 2ème 24/01/2008, n°07-15.433⚖️ ). Il appartient au défendeur de l'invoquer. Elle peut être invoquée, en tout état de cause, sans que la partie ait à justifier d'un grief (CPC, art. 125 et 124). Toutefois, cette fin de non-recevoir ne peut être invoquée pour la première fois devant la Cour de cassation (Civ.3ème 15/04/1980, n° 7815.836 ). Pour la Cour de cassation, l'appréciation du lien suffisant entre la demande originaire et les demandes incidentes relève du pouvoir souverain des juges du fond ( Civ.1ère 20/09/2017, n°16-18.442⚖️ ; Civ.3ème 04/04/2002, n° 96-12.284⚖️ ; Com. 11/09/2012, n°11-11.141⚖️ ; Soc. 09/04/2014, n° 13-60.189⚖️ ). Cependant, l'affirmation du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond n'empêche pas la Cour de vérifier le caractère propre et adapté des motifs retenus pour admettre ou écarter l'existence du lien suffisant entre les prétentions originaires et les prétentions additionnelles. Une distinction s'impose entre la demande additionnelle qui tend à augmenter ou modifier l'objet tout en se greffant sur la demande initiale et la demande additionnelle qui tend à modifier la demande originaire dans sa cause.

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Quand la demande additionnelle modifie l'objet, c'est dans le fondement des prétentions qu'il faut rechercher la connexité. L'objet de la demande additionnelle peut être différent de celui de la demande principale du moment qu'il a un lien suffisant avec les prétentions originaires. Par voie de demande additionnelle, on peut aussi bien en première instance qu'en appel, dans le cadre d'une action en responsabilité, passer de la responsabilité délictuelle à la responsabilité contractuelle et inversement ( Civ.1ère 30/06/1970, n° 69-10.630⚖️ ). Le lien suffisant résulte, ici, de ce qu'on agit toujours dans le cadre d'une action en responsabilité conçue globalement. De même l'objet peut être modifié dans son quantum, dans ce cas, la demande additionnelle a un lien suffisant avec la demande principale. En revanche, le changement d'objet matériel aboutit en général à l'irrecevabilité de la demande additionnelle. Par contre, lorsque la demande additionnelle modifie la demande principale dans sa cause, c'est à dire dans le fait juridiquement qualifié qui en est la raison, elle paraît d ‘emblée irrecevable. En effet si on s'attache à la lettre du texte, l'article 70 du code de procédure civile parle de la demande additionnelle comme celle qui se rattache aux prétentions originaires par un lien suffisant. Or nous savons que l'objet du litige est déterminé par les prétentions des parties (art. 4 CPC), c'est donc sous l'angle de l'objet de la demande que l'article 70 envisage l'existence d'un lien suffisant, c'est à travers son objet que la recevabilité de la demande additionnelle doit être examinée.

B - Application au cas d'espèce Au cas d'espèce, la demande originaire trouve sa cause dans la rupture du contrat de travail tandis que la demande additionnelle trouve sa cause dans l'exécution du contrat de travail. Quant à son objet la demande originaire vise à obtenir l'indemnisation du préjudice occasionné par un licenciement injustifié tandis que la demande additionnelle vise à obtenir un rappel de salaire. En conséquence, la demande additionnelle est sans aucun rapport avec la demande originaire. C'est avec raison que la décision de la cour d'appel retient l'absence de lien suffisant entre les demandes originaires et les demandes additionnelles. Je conclus au rejet du pourvoi.

Avis de rejet

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