TA Versailles, du 23-01-2024, n° 2302877
A90112H9
Référence
Par une requête et quatre mémoires, enregistrés les 11 avril 2023, 13 juillet 2023, 27 septembre 2023, 26 octobre 2023 et 10 novembre 2023, ainsi qu'un mémoire non communiqué, enregistré le 1er décembre 2023, M. A B et Mme C B, représentés par Me Duffour, demandent au tribunal :
1°) d'annuler l'arrêté du 8 décembre 2022 par lequel le maire de la commune de Villemoisson-sur-Orge a délivré à la SAS Prim'Arte un permis de construire un ensemble immobilier de 57 logements destinés aux séniors et personnes à mobilité réduite, un local médical et un parking d'une surface de plancher total de 2 575 mètres carrés ;
2°) de mettre à la charge de la commune de Villemoisson-sur-Orge la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Ils soutiennent que :
- leur requête est recevable dès lors qu'ils justifient d'un intérêt à agir ;
- le permis de construire est entaché d'un vice de procédure dès lors qu'il n'a pas été précédé de l'avis de l'architecte des bâtiments de France en méconnaissance de l'article R. 423-54 du code de l'urbanisme🏛 ;
- il méconnaît les dispositions de l'article UE 13 du règlement du plan local d'urbanisme (PLU) dès lors que le projet ne comporte pas une surface destinée aux espaces verts en proportion suffisante ;
- il méconnaît les dispositions de l'article UE 13 du règlement du PLU dès lors que le projet ne prévoit pas de maintenir les 14 plantations existantes sur le terrain d'assiette du projet.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 9 juin et 3 août et 2023, la SAS Prim'Arte, représentée par Me Baillon, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge des requérants au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par quatre mémoires en défense, enregistré les 3 juillet 2023, 7 septembre 2023, 9 octobre 2023 et 30 novembre 2023, le dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la commune de Villemoisson-sur-Orge, représentée par Me Corneloup, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge des requérants au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête est irrecevable dès lors qu'elle est tardive ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 13 novembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 4 décembre 2023 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du patrimoine ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Maljevic, conseiller,
- les conclusions de Mme Amar-Cid, rapporteure publique,
- les observations de Me Donatella, représentant M. et Mme B,
- et les observations de Me Calvo, représentant la commune de Villemoisson-sur-Orge.
1. Par un arrêté du 8 décembre 2022, le maire de la commune de Villemoisson-sur-Orge a délivré à la SAS Prim'Arte un permis de construire, valant permis de démolir, un ensemble immobilier de 57 logements destinés aux séniors et personnes à mobilité réduite, un local médical et un parking, sur les parcelles cadastrées section AH n° 603 et 736 situées 82 route de Corbeille sur le territoire de la commune, pour une surface de plancher totale de 2 575 mètres carrés. Par un courrier du 2 février 2023, notifié le même jour, M. et Mme B ont demandé au maire de la commune de retirer cet arrêté. Par un courrier du 28 février 2023, le maire de la commune a rejeté ce recours gracieux. Par la présente requête, M. et Mme B demandent au tribunal d'annuler le permis de construire délivré le 8 décembre 2022.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne l'avis de l'architecte des Bâtiments de France :
2. Aux termes de l'article R. 423-54 du code de l'urbanisme : " Lorsque le projet est situé dans le périmètre d'un site patrimonial remarquable ou dans les abords des monuments historiques, l'autorité compétente recueille l'accord ou, pour les projets mentionnés à l'article L. 632-2-1 du code du patrimoine🏛, l'avis de l'architecte des Bâtiments de France ".
3. Aux termes de l'article L. 621-30 du code du patrimoine🏛 : " I. - Les immeubles ou ensembles d'immeubles qui forment avec un monument historique un ensemble cohérent ou qui sont susceptibles de contribuer à sa conservation ou à sa mise en valeur sont protégés au titre des abords. / La protection au titre des abords a le caractère de servitude d'utilité publique affectant l'utilisation des sols dans un but de protection, de conservation et de mise en valeur du patrimoine culturel. / II. - La protection au titre des abords s'applique à tout immeuble, bâti ou non bâti, situé dans un périmètre délimité par l'autorité administrative dans les conditions fixées à l'article L. 621-31. Ce périmètre peut être commun à plusieurs monuments historiques. / En l'absence de périmètre délimité, la protection au titre des abords s'applique à tout immeuble, bâti ou non bâti, visible du monument historique ou visible en même temps que lui et situé à moins de cinq cents mètres de celui-ci. / La protection au titre des abords s'applique à toute partie non protégée au titre des monuments historiques d'un immeuble partiellement protégé. / La protection au titre des abords n'est pas applicable aux immeubles ou parties d'immeubles protégés au titre des monuments historiques ou situés dans le périmètre d'un site patrimonial remarquable classé en application des articles L. 631-1 et L. 631-2. / Les servitudes d'utilité publique instituées en application de l'article L. 341-1 du code de l'environnement🏛 ne sont pas applicables aux immeubles protégés au titre des abords ".
4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que ne peuvent être délivrées qu'avec l'accord de l'architecte des Bâtiments de France les autorisations de travaux portant sur des immeubles situés, en l'absence de périmètre délimité, à moins de cinq cents mètres d'un édifice classé ou inscrit au titre des monuments historiques, s'ils sont visibles à l'œil nu de cet édifice ou en même temps que lui depuis un lieu normalement accessible au public, y compris lorsque ce lieu est situé en dehors du périmètre de cinq cents mètres entourant l'édifice en cause.
5. Il est constant que le projet litigieux se situe à moins de cinq cents mètres du Castel d'Orgeval classé monument historique et qu'il n'existait aucun périmètre de protection à la date de délivrance du permis de construire attaqué.
6. Il ressort des pièces versées au dossier que l'architecte des Bâtiments de France a émis, le 14 novembre 2022, un avis simple dans le cadre de l'instruction de la demande de permis de construire litigieuse, celui-ci ayant considéré que son accord n'était pas obligatoire dès lors que le projet n'est situé ni dans un périmètre délimité des abords, ni dans le champ de visibilité d'un monument historique, d'un site patrimonial remarquable ou d'un site classé. Il a, en outre, formulé des recommandations au titre du respect de l'intérêt public attaché au patrimoine, à l'architecture, au paysage naturel ou urbain, à la qualité des constructions et à leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant.
7. En premier lieu, il résulte de l'extrait de la page du site internet " Wikipédia ", versée par les requérants, que le Castel d'Orgeval est une propriété privée qui ne se visite pas. Dès lors, contrairement à ce que les requérants soutiennent, il ne ressort pas des pièces du dossier que le projet litigieux serait visible, au sens de l'article L. 621-30 du code du patrimoine, depuis le balcon de la tourelle du Castel d'Orgeval.
8. En deuxième lieu, il ressort du principe rappelé au point 4 du présent jugement que la covisibilité du projet avec un monument historique s'apprécie uniquement depuis un lieu normalement accessible au public, ce qui ne saurait être le cas d'une propriété privée. Ainsi les nombreuses photographies prises, notamment, depuis la terrasse de la propriété des requérants ou depuis le terrain d'assiette du projet, ne sauraient être prises en compte, même lorsqu'elles sont prises dans le cadre d'un constat d'huissier.
9. En troisième lieu, pour établir la covisibilité du projet litigieux avec le monument historique, les requérants versent au dossier un constat d'huissier, établi le 25 septembre 2023, assorti de plusieurs photographies prises depuis la route de Corbeil. Or, soit ces photographies font apparaître sur le même cliché l'extrémité du mur de clôture du terrain d'assiette et ce qui est désigné par une flèche comme étant une infime partie du faitage de la toiture du Castel d'Orgeval sans qu'elle puisse être distinguée à l'œil nu, soit ces photographies sont prises à l'aide d'un zoom de sorte à ce que ne soit visible que l'un ou que l'autre de ces éléments bâtis, mais pas les deux à la fois. Ainsi, il ne résulte d'aucune des photographies prises sans l'aide d'un zoom que le Castel d'Orgeval sera visible et identifiable à l'œil nu depuis l'espace public en même temps que le terrain d'assiette du projet.
10. En dernier lieu, les cartes postales anciennes ne sont pas de nature à établir une covisibilité actuelle.
11. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le permis contesté ne pouvait être légalement délivré sans que soit auparavant recueilli l'accord exprès ou tacite de l'architecte des Bâtiments de France en application de l'article R. 423-54 du code de l'urbanisme.
En ce qui concerne les espaces libres et plantations :
12. Aux termes de l'article UE 13 du règlement du plu relatif aux espaces libres et plantations : " Les plantations existantes doivent être maintenues sinon des plantations de remplacement seront réalisées. Les arbres abattus devront être remplacés. Ces préconisations ne s'appliquent pas pour la zone UE.D. / Les terrains, à hauteur de 35% minimum de leur surface, seront obligatoirement aménagés en espaces verts distincts des aires de stationnement. / Il sera planté au moins un arbre pour 100 m² de surface de terrain libre. / Dans le cas d'une construction à usage d'activité, le stockage des matériaux à ciel ouvert sera masqué par des plantations à feuillage persistant. / Dans les lotissements réalisés sur un terrain d'une surface supérieure à un hectare, 10% minimum du terrain seront traités en espace vert commun à tous les lots et plantés. / Dans le cas de la présence d'un espace boisé classé sur la parcelle, les constructions devront être implantées avec un retrait minimum de 4 mètres par rapport à la limite de l'espace boisé classé. / Pour la zone UE.D : / Les terrains, à hauteur de 20% minimum de leur surface, seront obligatoirement aménagés en espaces verts distincts des aires de stationnement ".
13. Il résulte de ces dispositions que 35% de la surface du terrain doit être traitée en espaces verts, ce qui correspond pour le projet, dont le terrain dispose d'une superficie de 1 687 mètres carrés, à une surface minimale de 590 mètres carrés.
14. D'une part, il résulte des dispositions de l'article UE 13 que les auteurs du PLU ont uniquement entendu distinguer les espaces verts des aires de stationnement, les espaces de pleine terre ne faisant pas l'objet de prescription particulière dans le cadre de ces dispositions. Ce faisant, les requérants ne sauraient soutenir que seuls les espaces de pleine terre devaient être pris en compte au titre des espaces verts. Dès lors, et contrairement à ce que soutiennent les requérants, la société pétitionnaire pouvait, au sein de la notice paysagère, comptabiliser au titre des espaces verts les 476 mètres carrés de végétation sur dalle prévus par le projet qui, couplés aux 165 mètres carrés d'espaces verts de pleine terre, permettent d'atteindre les 35% d'espaces verts exigés, sans qu'il soit besoin de comptabiliser les 744 mètres carrés de toitures terrasses végétalisées. Enfin, l'erreur figurant dans le premier tableau joint à la notice paysagère est dépourvue d'incidence dès lors qu'elle ne présente pas de caractère substantiel, le second tableau permettait au service instructeur d'apprécier la superficie d'espaces verts exigée par les dispositions de l'article UE 13.
15. D'autre part, si les requérants soutiennent que le projet ne prévoit pas de maintenir les 14 plantations existantes, il ressort toutefois du plan de l'état existant que figurent 13 arbres ou arbustes présents sur le terrain, dont 2 arbres de haute tige situés en retrait de la rue et qui n'ont donc pas été omis. A cet égard, il ressort du plan de masse que le projet autorisé prévoit d'abattre l'ensemble des plantations existantes et de les remplacer par 13 autres sujets dont 2 arbres de haute tige et 6 arbres de moyenne tige en pleine terre auxquels s'ajouteront 5 arbustes. Dès lors, le projet prévoit d'opérer le remplacement de ces plantations conformément aux dispositions précitées de l'article UE 13. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.
16. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée en défense, que M. et Mme B ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêté du 8 décembre 2022 par lequel le maire de la commune de Villemoisson-sur-Orge a délivré à la SAS Prim'Arte un permis de construire.
Sur les frais liés au litige :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Villemoisson-sur-Orge, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par les requérants au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des requérants une somme de 1 000 euros à verser à la commune de Villemoisson-sur-Orge et une somme de 1 000 euros à verser à la SAS Prim'Arte au titre des mêmes dispositions.
Article 1er : La requête de M. et Mme B est rejetée.
Article 2 : Les requérants verseront la somme de 1 000 euros à la commune de Villemoisson-sur-Orge et la somme 1 000 euros à la SAS Prim'Arte au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. A B et Mme C B, à la SAS Prim'Arte et à la commune de Villemoisson-sur-Orge.
Délibéré après l'audience du 9 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Boukheloua, présidente,
Mme Caron, première conseillère,
M. Maljevic, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 janvier 2024.
Le rapporteur,
signé
S. Maljevic
La présidente,
signé
N. Boukheloua
La greffière,
signé
B. Bartyzel
La République mande et ordonne au préfet de l'Essonne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.