TA Grenoble, du 16-06-2023, n° 2303794
A876493Y
Référence
Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés le 16 juin 2023, Europe écologie les verts (EELV), ATTAC Savoie, et l'association Vivre et agir en Maurienne (VAM), représentés par Me Alimi et Me Ogier demandent au juge des référés, sur le fondement des dispositions de l'article L.521-2 du code de justice administrative🏛 :
- de suspendre l'exécution de l'arrêté préfectoral n°DS-BSIRA/2023-58 du 15 juin 2023 portant interdiction de toute manifestation et de tout rassemblement du vendredi 16 juin 20h au lundi 19 juin 2023 à 8 h sur les communes de Saint-Jean-de-Maurienne, Villargondran, Saint-André,Villarodin-Bourget, Modane, Saint-Julien Montdenis, Saint-Martin-la-porte, Avrieux et Bramans du vendredi 16 juin 2023 (14h) au lundi 19 juin 2023 (8h) ;
- d'enjoindre au préfet de Savoie d'adopter toutes mesures propres à lever les restrictions apportées aux libertés fondamentales en cause dans le présent recours ;
- mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Ils soutiennent que :
- Il est porté une atteinte grave et manifestement illégale la liberté d'aller et venir ainsi qu'à la liberté personnelle, de manifester, d'expression collective des idées et des opinions ;
- La mesure n'est pas nécessaire, elle n'est ni adaptée ni proportionnée et repose sur des motifs et appréciations erronés.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 16 juin 2023, la Ligue des droits de l'Homme, représentée par Me Ogier s'associe aux conclusions de la requête.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 16 juin 2023, la France Insoumise, représentée par Me Alimi s'associe aux conclusions de la requête.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, et notamment son Préambule ;
- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative ;
Le président du tribunal a désigné Mme Jourdan, vice-présidente, pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique tenue en présence de Mme Rouyer, greffière d'audience, Mme Jourdan a lu son rapport et entendu les observations de :
- Me Alimi pour les requérants, la Ligue des droits de l'Homme et La France Insoumise ;
- Mme A représentant le préfet de la Savoie. Mme A a notamment présenté les éléments contenus dans le mémoire en défense, qui venait juste d'être adressé à la juridiction par le préfet de la Savoie et remis en format papier au représentant des requérants avant l'audience.
Un mémoire en défense présenté par le préfet de la Savoie a été communiqué aux parties à 15h12.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ".
2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure🏛 : " Sont soumis à l'obligation d'une déclaration préalable, tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et d'une façon générale toutes manifestations sur la voie publique () ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 211-4 du même code🏛 : " Si l'autorité investie du pouvoir de police estime que la manifestation projetée est de nature à troubler l'ordre public, elle l'interdit par un arrêté qu'elle notifie immédiatement aux signataires de la déclaration au domicile élu () ".
3. La liberté d'expression et de communication, garantie par la Constitution et par les articles 10 et 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et dont découle le droit d'expression collective des idées et des opinions, constitue une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Son exercice, notamment par la liberté de manifester ou de se réunir, est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect d'autres droits et libertés constituant également des libertés fondamentales au sens de cet article. Il doit cependant être concilié avec les exigences qui s'attachent à l'objectif à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public. Les atteintes portées, pour des exigences d'ordre public, à l'exercice de ces libertés fondamentales doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées.
Sur les interventions :
4. La Ligue des droits de l'Homme et La France Insoumise, justifient eu égard à leur objet, d'un intérêt suffisant à la suspension de la décision attaquée, de sorte que leur intervention à l'appui de la requête est recevable.
Sur la demande de suspension :
5. A la suite d'une demande adressée par le préfet de la Savoie à quatre associations, une déclaration préalable a été adressée par voie électronique le 9 juin 2023, au préfet de la Savoie, pour une manifestation festive dénommée " La montagne se soulève " devant se dérouler les 17 et 18 juin entre Villarodin-Bourget et Bramans, émanant d'un collectif contestant le projet de liaison ferroviaire entre Lyon et Turin, composé des onze associations et partis organisateurs suivants :" Vivre et agir en Maurienne ", " Collectif contre le Lyon Turin Chapareillan " " Attac Savoie ", " Collectif Contre le Lyon Turin Maurienne ", " CIPRA France ", " Les Amis de la Terre France ", " GL Greenpeace Chambéry ", " Confédération Paysanne Savoie ", " Sud Rail ", " La France Insoumise ", " Europe Écologie Les Verts ". L'évènement comprend une marche pacifique et festive le 17 juin 2023 de 10h à 17h sur les communes du Bourget, d'Avrieux et de Bramans, un concert le 17 juin de 20h à 1h du matin, et des rencontres scientifiques avec conférences et ateliers le 18 juin de 10h à 17h. La déclaration mentionne l'engagement de ne pas faire intrusion sur les chantiers. Une rencontre s'est déroulée avec deux organisateurs et le préfet de la Savoie le 13 juin 2023 à 10h30 en préfecture puis à 20h par l'intermédiaire d'un dispositif de visioconférence. Par un courrier du 13 juin 2023, le préfet de la Savoie a informé les organisateurs de l'événement qu'il envisageait d'interdire cette manifestation dès lors que le parcours du cortège, bien que modifié n'offrait pas les garanties suffisantes en terme de sécurité des personnes et des biens, dès lors qu'il empruntait des voies trop étroites, ne garantissant pas le passage des véhicules de secours, et qu'il se situait à proximité des sites du tunnel euralpin Lyon Turin, ce qui était susceptible de favoriser les intrusions. Par ailleurs, le préfet de la Savoie a relevé notamment l'absence d'indications données sur les modalités d'accès au lieu de rendez-vous, les difficultés de stationnement, et l'absence d'indication sur le lieu du concert. Par l'arrêté n°2023-58 du 15 juin 2023 en litige, le préfet de la Savoie a interdit toute manifestation et tout rassemblement du vendredi sur les communes de Saint-Jean-de-Maurienne, Villargondran, Saint-André, Villarodin-Bourget, Modane, Saint-Julien Montdenis, Saint-Martin-la-porte, Avrieux et Bramans du vendredi 16 juin 2023 (14h) au lundi 19 juin 2023 (8h).
6. Le tracé du parcours, débute au rocher des amoureux au Bourget et emprunte ensuite des voies étroites, notamment la D215G et la D215E. Malgré la modification proposée par les organisateurs, et bien que situé en surplomb du projet, ce tracé conserve une proximité d'accès avec les sites du tunnel euralpin Lyon Turin. Il résulte de l'instruction que le préfet de la Savoie, en se référant à une note blanche, a estimé que le nombre de personnes attendues pour l'occasion plus de 3000 manifestants, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté par les requérants. Ainsi la configuration du parcours qui comporte des difficultés pour la circulation de véhicules de secours et de sécurité, ne garantit pas, ainsi que le préfet l'avait mentionné dans son courrier du 13 juin 2023, la sécurité suffisante d'un cortège dont le nombre peut être évalué à 3000 personnes, alors qu'au surplus seules 40 personnes bénévoles étaient annoncées par le service d'ordre interne. Par ailleurs, ledit parcours n'ôte pas le risque d'intrusion des sites particulièrement sensibles, susceptibles de faire l'objet d'atteintes. Enfin, le lieu de rassemblement de la manifestation, puis du concert n'ayant pas été précisé, en dépit de la demande du préfet en date du 13 juin 2023, l'autorité administrative ne disposait pas des éléments nécessaires pour la mise place des dispositifs préventifs permettant de garantir le bon déroulement de l'évènement. L'interdiction s'inscrit dans un contexte particulier où des mouvements radicaux ne sont pas à exclure, le préfet de la Savoie faisant état, en se référant à la note blanche de l'éventuelle présence de 400 manifestants radicaux dont le comportement est de nature à compromettre le caractère pacifique de la manifestation et à créer un risque de confrontation avec les sympathisants du projet. Ainsi, en décidant, au vu de l'ensemble des éléments, d'interdire la manifestation à certaines communes, situées à proximité du projet de ligne férroviaire Lyon-Turin, l'arrêté en cause porte à la liberté de manifester une atteinte qui n'est pas manifestement illégale.
7. Par suite, l'ensemble des conclusions ne peuvent en conséquence qu'être rejetées, y compris celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 1er : L'intervention de la Ligue des droits de l'Homme et de La France Insoumise est admise.
Article 2 : La requête est rejetée.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à Europe écologie les verts (EELV), ATTAC Savoie, et l'association Vivre et agir en Maurienne (VAM), à la Ligue des droits de l'Homme, à La France Insoumise, au ministre de l'intérieur et au préfet de la Savoie.
Fait à Grenoble, le 16 juin 2023.
La juge des référés, La greffière,
D. JourdanL. Rouyer
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2303794
Article, L521-2, CJA Article, L211-1, C. sécur. int. Arrêté, 2023-58, 15-06-2023 Liberté personnelle Mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale Personne morale de droit public Service public Obligation de déclaration Déclaration préalable Voie publique Autorité investie d'un pouvoir de police Ordre public Liberté d'expression Sauvegarde de l'ordre public Intervention recevable Projet de liaison Offre de garanties Absence d'indication Voie de circulation