Jurisprudence : Cass. civ. 1, Conclusions, 06-12-2023, n° 22-19.372

Cass. civ. 1, Conclusions, 06-12-2023, n° 22-19.372

A86042R4

Référence

Cass. civ. 1, Conclusions, 06-12-2023, n° 22-19.372. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105409177-cass-civ-1-conclusions-06122023-n-2219372
Copier

AVIS DE M. APARISI AVOCAT GÉNÉRAL RÉFÉRENDAIRE

Arrêt n° 661 du 6 décembre 2023 (B) – Première chambre civile Pourvoi n° 22-19.372 Décision attaquée : Cour d'appel de Bordeaux du 31 mai 2022

M. [I] [T] C/ M. [D] [O] _________________ Audience en formation restreinte du 17 octobre 2023

M. [I] [T] et M. [D] [O], avocats au barreau de Bordeaux, ont exercé en commun leur profession au sein d'une société civile professionnelle (la SCP), laquelle a par la suite intégré un troisième associé. Ils ont en outre constitué une société civile immobilière (SCI) propriétaire des locaux occupés par la SCP. A la suite de divergences entre les associés et du souhait de deux d'entre eux de se retirer des sociétés ainsi constituées, un protocole d'accord a été conclu le 18 janvier 2016. Par jugement en date du 10 novembre 2020, le tribunal judiciaire d'Agen, saisi par M. [T] d'une demande de retrait judiciaire de la SCI, a déclaré ce dernier irrecevable en sa demande à défaut de saisine préalable du bâtonnier en application de la clause compromissoire figurant au protocole d'accord. Par requête en date du 4 août 2021, M. [T] a saisi le bâtonnier du barreau de Bordeaux d'une demande principale de dissolution anticipée de la SCI et d'une demande subsidiaire de retrait de la SCI.

1

Par décision du 6 décembre 2021, le bâtonnier du barreau de Bordeaux a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par M. [O] et retenu sa compétence, renvoyant l'affaire pour qu'il soit statuer sur le fond. M. [O] a formé appel. Par arrêt du 31 mai 2022, la cour d'appel de Bordeaux a infirmé la décision et dit que le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Bordeaux était incompétent pour statuer sur une demande de dissolution et renvoyé M. [T] à se pourvoir devant le tribunal judiciaire de Bordeaux. *** Le litige porte sur la compétence du bâtonnier pour connaître de la demande de dissolution de la SCI sollicitée à titre principal par M. [T]. A cet égard, plusieurs observations procédurales doivent d'emblée être formulées. D'abord, les demandes formulées par M. [T] dans la première procédure ayant abouti au jugement du 10 novembre 2021 et dans la seconde procédure soumise au bâtonnier ne sont en réalité pas identiques puisque dans la première de ces procédures, il sollicitait à titre principal son retrait de la SCI et à titre subsidiaire, la dissolution de cette dernière, alors que dans la procédure soumise au bâtonnier, ses demandes étaient formulées dans un ordre inverse, la dissolution étant demandée à titre principal et le retrait à titre subsidiaire. Il convient en effet de rappeler, à l'instar du Professeur Bolard : “En application du principe dispositif le classement des demandes s'impose au juge. Il ne peut examiner la demande subsidiaire que s'il rejette la demande principale1”. Or, lorsque le juge déclare irrecevable une demande ou se déclare incompétent pour la connaître, par définition, il ne la rejette pas. Autrement dit, dans ces hypothèses, le juge qui n'a pas examiné la demande principale, ne saurait, a fortiori, s'être prononcé sur la demande subsidiaire. Il en découle nécessairement que la décision du 10 novembre 2021 n'a déclaré M. [T] irrecevable qu'en sa demande de retrait de la SCI et ne s'est pas prononcé s'agissant de la demande de dissolution. Réciproquement, le bâtonnier de Bordeaux ne s'est déclaré compétent que pour connaître de la demande de dissolution de cette même SCI. Il n'y a donc aucun risque de “déni de justice” à retenir l'incompétence du bâtonnier de Bordeaux. Ensuite, la question posée par le présent pourvoi relative à la compétence du bâtonnier pour connaître de la dissolution d'une SCI renvoie à la question du

1

Dalloz Action - Droit et pratique de la procédure civile - Georges et Vincent Bolard - § 32131

2

fondement de cette compétence, laquelle n'est pas tranchée par la cour d'appel qui exclut dans cette compétence dans tous les cas. Quant à la décision du bâtonnier de Bordeaux, elle paraît se fonder sur la clause du protocole d'accord prévoyant : “Tous différends relatifs à l'interprétation et/ou à l'exécution des présentes seront soumis au Bâtonnier du Barreau de Bordeaux conformément aux dispositions des articles 179-1 et suivants du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991.” La qualification de cette clause ne va pas tout à fait de soi car elle désigne le bâtonnier pour connaître du litige et ce, conformément à l'article 179-1 du décret du 27 novembre 1991 dont les dispositions, ainsi que le souligne d'ailleurs le rapport, institue le bâtonnier non en véritable arbitre au sens du Livre 4 du code de procédure civile, mais plutôt en autorité juridictionnelle pour connaître des différents entre avocats. Le bâtonnier n'est en effet pas réellement un arbitre et ne rend pas de sentence arbitrale dans l'exercice des attributions juridictionnelles que lui a confiées la loi : il est plutôt une sorte de premier degré de juridiction avec diverses particularités dont celle de ne pas délivrer de titre exécutoire et celle d'être dessaisi d'office de son pouvoir juridictionnel s'il ne statue pas dans les délais prescrits. La clause n'est donc sans doute pas assimilable à la clause compromissoire visée à l'article 1442 du code de procédure civile : elle se rapproche plutôt d'une clause de compétence d'attribution dont la portée est par principe limitée par les règles de compétence d'ordre public. Quoiqu'il en soit et en tout état de cause, il est permis de douter de l'application de cette clause au présent litige. En effet, celle-ci prend place au sein du protocole d'accord et vise, logiquement, “les différents relatifs à l'interprétation et/ou l'exécution” de celui-ci. Or le protocole a pour objet : - article 1er : “le retrait de la SCP et le rachat des parts de [I] [T] et d'Emmanuel Wiplier”, - article 3 : la “cession de parts de la SCI 2 A.D.I” . Ainsi le protocole ne porte à aucun moment sur la dissolution de la SCI. La demande correspondante ne saurait donc entrer dans les prévisions de la clause convenue entre les parties. Il convient donc d'examiner, dans ces conditions, si la compétence du bâtonnier peut se fonder, de façon plus générale, sur les dispositions légales ou réglementaires lui conférant un pouvoir juridictionnel. L'article 21 de la loi du 31 décembre 1971 dispose : “(...) II.-Le bâtonnier prévient ou concilie les différends d'ordre professionnel entre les membres du barreau.

3

Tout différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel est, en l'absence de conciliation, soumis à l'arbitrage du bâtonnier qui, le cas échéant,

procède à la désignation d'un expert pour l'évaluation des parts sociales ou actions de sociétés d'avocats. En cette matière, le bâtonnier peut déléguer ses pouvoirs aux anciens bâtonniers ainsi qu'à tout membre ou ancien membre du conseil de l'ordre.

La décision du bâtonnier peut être déférée à la cour d'appel par l'une des parties. Les conditions dans lesquelles le bâtonnier peut déléguer ses pouvoirs et les modalités de la procédure d'arbitrage sont déterminées par décret en Conseil d'Etat pris après avis du Conseil national des barreaux.” S'agissant d'une juridiction d'exception, la compétence d'attribution du bâtonnier doit nécessairement s'entendre de façon restrictive. Ensuite, force est de constater que la dissolution d'une société civile immobilière ne saurait entrer dans les prévisions de ces dispositions dès lors que le différent ne relève pas de l'exercice professionnel, d'une part, que la SCI n'est pas une société d'avocats d'autre part. Au demeurant, une société civile immobilière peut comporter des associés qui ne sont pas avocats et surtout, sa dissolution dépasse le cadre d'un différent entre professionnels : elle intéresse de nombreux tiers, étrangers à la profession. En outre, et en opportunité, il convient de rappeler que la décision du bâtonnier n'est pas en elle-même exécutoire et ne peut être rendue telle que par le président du tribunal judiciaire : ce régime n'est sans doute guère approprié au prononcé d'une liquidation de société. Enfin, il est exact qu'aux termes de l'article 1844-7 5° du code civil la dissolution ne peut être ordonnée que par un “tribunal” alors que le bâtonnier qui est une autorité dotée de pouvoirs juridictionnels limités, n'est pas une juridiction au sens organique du terme, ce qui, d'ailleurs a conduit à lui interdire la possibilité de transmettre des questions prioritaires de constitutionnalité. Au total, il en ressort qu'en effet, le bâtonnier ne saurait connaître de la demande de dissolution formée par M. [T].

Rejet (au besoin par substitution de motifs)

4

Agir sur cette sélection :

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus