Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 19-04-2023, n° 21-23.483

Cass. soc., Conclusions, 19-04-2023, n° 21-23.483

A86032R3

Référence

Cass. soc., Conclusions, 19-04-2023, n° 21-23.483. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105409176-cass-soc-conclusions-19042023-n-2123483
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AVIS DE Mme LAULOM, AVOCATE GÉNÉRALE

Arrêt n° 498 du 19 avril 2023 – Chambre sociale Pourvoi n° 21-23.483 Décision attaquée : Tribunal judiciaire de Bobigny du 12 octobre 2021 L'Anneau C/ M. [S] [G] _________________

Selon l'article L. 2142-1-1 du code du travail, dernier alinéa, “le mandat du représentant de la section syndicale prend fin, à l'issue des premières élections professionnelles suivant sa désignation, dès lors que le syndicat qui l'a désigné n'est pas reconnu représentatif dans l'entreprise. Le salarié qui perd ainsi son mandat de représentant syndical ne peut pas être désigné à nouveau comme représentant syndical au titre d'une section jusqu'aux six mois précédant la date des élections professionnelles suivantes dans l'entreprise”. Cet article s'oppose-t-il à ce qu'un salarié, qui a été représentant de section syndicale d'un syndicat, qui n'a pas été reconnu représentatif à l'issue des élections professionnelles, puisse être désigné représentant de section syndicale d'un autre syndicat non représentatif avant l'expiration du délai défini par l'article L. 2142-1-1 du code du travail?

Le représentant de la section syndicale (RSS), dont la fonction est de représenter les organisations syndicales non représentatives dans l'entreprise, est une innovation de la position commune du 9 avril 2008 sur la représentativité, le développement du dialogue social et le financement du syndicalisme. Le passage d'un système de représentativité présumée à une représentativité prouvée a amené à reconnaître, dans les entreprises, des représentants des organisations syndicales non représentatives qui pourront oeuvrer à l'acquisition des voix nécessaires pour l'obtention de la qualité représentative. La mission de ce représentant a donc été essentiellement conçue dans ce but et il en résulte que le mandat de représentant de section syndicale est temporaire. Si à l'issue des élections professionnelles, la représentativité est acquise, le représentant de la section syndicale n'a plus lieu d'être et le syndicat pourra

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désigner un délégué syndical. Si la représentativité n'est pas acquise, le mandat prend également fin. Ainsi, selon l'article 10-2 de la position commune: “si l'organisation syndicale qui a désigné le représentant de la section syndicale n'est pas reconnue représentative dans l'entreprise à l'occasion des premières élections suivant sa désignation, il est mis fin aux attributions de l'intéressé” (article 10-2 de la position commune). La loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail a précisé les modalités de la disparition du mandat de représentant de section syndicale et elle a prévu un mécanisme spécifique, introduit par un amendement parlementaire: le salarié qui perd son mandat de représentant syndical ne peut pas être désigné à nouveau comme représentant de section syndicale “jusqu'aux six mois précédant la date des élections professionnelles suivantes dans l'entreprise”. Il ressort des débats parlementaires, analysés par Mme la conseillère rapporteure, que l'interdiction, à la suite des élections, d'être désigné comme représentant de section syndicale, semble plutôt avoir été conçue comme une interdiction générale qui concernerait toutes les sections syndicales (la sienne ou une autre), ce qui se refléterait dans l'énoncé même de l'article L. 2142-1-1 du code du travail (le salarié ne peut être désigné à nouveau, ..., au titre “d'une section”). Ainsi, selon Y. Pagnerre, “cette déchéance ne vise que le salarié, sanctionnant ainsi un échec jugé personnel et non collectif. Le salarié ne peut pas être désigné en qualité de représentant même au titre d'une section syndicale formée par un autre syndical”1. Selon Y. Ferkane, s'appuyant également sur les débats parlementaires, “il s'agit d'empêcher qu'un salarié ne parvenant pas à faire établir la représentativité de son organisation aux élections continue de bénéficier de tous les droits et protections liés au statut de représentant de section alors même que les salariés refusent de lui accorder la représentativité”2. Cependant, cette interprétation de l'article L. 2142-1-1 du code du travail, qui désigne le salarié, représentant de section syndicale, comme seul responsable de la non acquisition de la représentativité de l'organisation syndicale, ne semble pas cohérente au regard du rôle reconnu aux élections professionnelles dans la reconnaissance de la représentativité syndicale. L'objet premier de ces élections professionnelles est d'élire les membres du comité social et économique. Les résultats de cette élection servent également à la mesure de la représentativité des organisations syndicales et à la mesure de la légitimité électorale des candidats qui seront ensuite éventuellement désignés comme délégués syndicaux. Concernant le contentieux de la désaffiliation d'une organisation syndicale, la chambre sociale a estimé que “l'affiliation confédérale sous laquelle un syndicat a présenté des candidats au premier tour des élections des membres titulaires du comité d'entreprise constitue un élément essentiel du vote des électeurs ; qu'il s'ensuit qu'en cas de désaffiliation après ces élections le syndicat ne peut continuer à se prévaloir des suffrages ainsi recueillis pour se prétendre représentatif”3. En revanche, le score électoral exigé d'un candidat par l'article L. 2143-3 du code du travail pour la désignation en qualité de délégué syndical est un score personnel qui l'habilite à recevoir mandat de représentation par un syndicat représentatif4.

1 Y. Pagnerre, “Le représentant de la section syndicale”, JCP S n° 15, 7 avril 2009, qui se réfère sur ce

point aux débats parlementaire, B. Apparu : JOAN CR, 2 juill. 2008, préc., p. 4170. – Rapp. Sénat n° 470, préc. note 4, p. 58. Voir également en ce ce sens, F. Petit, “La fin du mandat du représentant de la section syndicale”, Dr. Soc., 2014, p. 862. 2 Y. Ferkane, Répertoire du droit du travail, Syndicats professionnels : droit syndical dans l'entreprise , §

257 et suivants - Le représentant de la section syndicale (avril 2021, Actualisation sept. 2022). 3 Soc., 18 mai 2011, pourvoi n° 10-60.069, Bull. 2011, V, n° 125. Soc., 18 mai 2011, pourvoi n° 10-

21.705, Bull. 2011, V, n° 124. 4 Soc., 28 septembre 2011, pourvoi n° 10-26.762, Bull. 2011, V, n° 212: “si l'affiliation confédérale sous

laquelle un syndicat a présenté des candidats aux élections des membres du comité d'entreprise constitue un élément essentiel du vote des électeurs en ce qu'elle détermine la représentativité du syndicat, le score électoral exigé d'un candidat par l'article L. 2143-3 du code du travail pour sa

Admettre qu'un salarié ne puisse être désigné comme représentant de section syndicale d'un autre syndicat que celui qui l'a investi une première fois, fait du vote des salariés un vote personnel, alors même qu'il s'agit bien de déterminer si le syndicat peut prétendre être représentatif et non de déterminer la légitimité du salarié à représenter les salariés. Le législateur aurait ainsi fait une confusion entre la “sanction électorale du syndicat qui a désigné ce représentant et celle du salarié qui a représenté l'organisation syndicale”5. Cette incohérence est d'ailleurs soulignée ici par le fait, que comme l'indique le mémoire ampliatif, le syndicat n'avait présenté aucune liste de candidats et sa représentativité ne pouvait dès lors être établie. D'ailleurs, si les conditions légales sont remplies, rien n'exclut qu'un salarié, qui a été RSS et dont le syndicat n'a pas atteint le seuil électoral nécessaire pour être reconnu représentatif, puisse être désigné comme délégué syndical par un autre syndical (il peut avoir obtenu 10% des voix dans un collège, alors que ce seuil n'est pas atteint dans l'entreprise). Une interprétation large de l'interdiction posée par l'article L. 2142-1-1 du code du travail ne semble pas non plus très cohérente au regard de la jurisprudence de la chambre sociale qui autorise un salarié à représenter un autre syndicat que celui pour lequel il s'est présenté6. Enfin, vous avez déjà retenu une interprétation assez stricte de l'article L. 2142-1-1 du code du travail, en considérant que si le périmètre où se sont déroulées les nouvelles élections a été modifié par rapport au périmètre sur lequel le RSS avait été précédemment désigné, la règle de l'article L. 2142-1-1 n'est pas applicable7. Cette affaire avait donné lieu à une consultation des partenaires sociaux, dont la plupart ont été d'ailleurs critiques de la solution retenue par le législateur. En considérant l'objectif général du législateur et des partenaires sociaux de faciliter l'accès à la représentativité des organisations syndicales et la cohérence d'ensemble de la jurisprudence, il est donc possible de considérer que l'article L. 2142-1-1 du code du travail n'interdit pas à un salarié d'être, après de nouvelles élections, désigné par un autre syndicat non représentatif comme représentant d'une section syndicale, peu important qu'il ait exercé ce même mandat précédemment pour un autre syndicat. L'interdiction de l'article L. 2142-1-1 est limitée : elle exclut seulement une nouvelle désignation d'un même salarié pour un même syndicat. Le syndicat et le salarié sont bien sanctionnés si la représentativité n'est pas acquise à l'issue des élections professionnelles. Certes le syndicat pourra désigner un autre salarié comme représentant de la section syndicale, mais il ne sera pas toujours facile pour une organisation syndicale de trouver un remplaçant. Le salarié ne pourra plus être désigné comme RSS du syndicat qu'il a représenté, mais il pourra envisager une nouvelle appartenance syndicale qui pourra éventuellement conduire, si l'organisation syndicale l'estime pertinent, à une nouvelle désignation. Le tribunal judiciaire a admis que le salarié, qui avait déjà été représentant de section syndicale pour un premier syndicat non représentatif pouvait être désigné RSS par un autre syndicat non représentatif. Je suis donc d'avis de rejeter le pourvoi.

désignation en qualité de délégué syndical est un score personnel qui l'habilite à recevoir mandat de représentation par un syndicat représentatif”. 5 Y. Ferkane, op. cit. 6 Soc., 13 janvier 2010, pourvoi n° 09-60.108, Bull. 2010, V, n° 12. 7 Soc., 25 septembre 2013, pourvoi n° 12-26.612, Bull. 2013, V, n° 219. Soc., 6 janvier 2016, pourvoi

n°15-60.138, 15-60.139, Bull. 2016, V, no 3. Soc., 9 septembre 2020, pourvoi n° 19-13.926, publié au Bulletin. Une même solution est retenue lorsque la nouvelle désignation intervient à la suite des élections professionnelles nouvellement organisées à la suite d'une annulation : Soc., 4 novembre 2020, pourvoi n° 19-13.15, publié au Bulletin.

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