Ass. plén., Conclusions, 29-04-2022, n° 18-18.542
A85742RY
Référence
AVIS DE M. GAILLARDOT, PREMIER AVOCAT GÉNÉRAL
Arrêt n° 658 du 29 avril 2022 – Assemblée plénière Pourvoi n° 18-18.542 Décision attaquée : arrêt du 8 mars 2018 de la cour d'appel de Paris société Bank Sepah C/ société Overseas Financial Ltd société Oaktree Finance Ltd
Pourvoi n° G 18-21-814 Décision attaquée : arrêt du 8 mars 2018 de la cour d'appel de Paris société Overseas Financial Ltd société Oaktree Finance Ltd C/ société Bank Sepah
Les deux pourvois attaquant le même arrêt et étant connexes, ont été joints et sont donc traités dans un même avis. Ce dossier revient après renvoi préjudiciel à la Cour de justice de l'Union européenne.
Rappel des faits Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 mars 2018), par la résolution 1737 (2006) du 23 décembre 2006, le Conseil de sécurité des Nations Unies a décidé que la République islamique d'Iran devait suspendre toutes les activités liées à l'enrichissement et au retraitement ainsi que les travaux sur tous projets liés à l'eau lourde, et prendre certaines mesures prescrites par le Conseil des Gouverneurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique, que le Conseil de sécurité des Nations Unies a jugé essentielles pour instaurer la confiance dans le fait que le programme nucléaire iranien poursuivait des fins exclusivement pacifiques. Afin de persuader l'Iran de se conformer à cette décision contraignante, le Conseil de sécurité a décidé que l'ensemble des États membres des Nations Unies devrait appliquer un certain nombre de mesures restrictives. Conformément à la résolution 1737 (2006), la position commune 2007/140/PESC du Conseil du 27 février 2007 a prévu certaines mesures restrictives à l'encontre de l'Iran, et notamment le gel des fonds et des ressources économiques des personnes, des entités et des organismes qui participent, sont directement associés ou apportent un soutien aux activités de l'Iran liées à l'enrichissement, au retraitement ou à l'eau lourde, ou à la mise au point par l'Iran de vecteurs d'armes nucléaires. Ces mesures ont été mises en oeuvre dans la Communauté européenne par le règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil du 19 avril 2007. Par la résolution 1747 (2007) du 24 mars 2007, le Conseil de sécurité a identifié la société Bank Sepah (la banque Sepah) comme faisant partie des « entités concourant au programme nucléaire ou de missiles balistiques » de l'Iran auxquelles devait s'appliquer la mesure de gel des avoirs. Cette résolution a été transposée dans le droit communautaire par le règlement (CE) n° 441/2007 de la Commission du 20 avril 2007 modifiant le règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil. Par arrêt du 26 avril 2007, devenu irrévocable, la cour d'appel de Paris a condamné la banque Sepah, ainsi que diverses personnes physiques, à payer à la société Overseas Financial (la société Overseas) la contrevaleur en euros de la somme de 2 500 000 USD, et à la société Oaktree Finance (la société Oaktree) la contrevaleur en euros de la somme de 1 500 000 USD, le tout avec intérêts au taux légal à compter de cet arrêt.
Le 17 janvier 2016, le Conseil de sécurité a radié la banque Sepah de la liste des personnes et entités faisant l'objet de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran. Cette décision a été transposée dans le droit de l'Union par le règlement d'exécution (UE) n° 2016/74 du Conseil du 22 janvier 2016, entré en vigueur le 23 janvier 2016. En vertu de l'arrêt du 26 avril 2007, les sociétés Overseas et Oaktree ont, le 17 mai 2016, fait délivrer des commandements de payer aux fins de saisie-vente contre la banque Sepah et, le 5 juillet 2016, fait pratiquer entre les mains de la Société générale des saisies-attributions et des saisies de droits d'associés et valeurs mobilières, au préjudice de la banque Sepah, saisies dénoncées le 8 juillet 2016.
Les 13 juin et 15 juillet 2016, la banque Sepah a assigné les sociétés Overseas et Oaktree devant le juge de l'exécution aux fins de contester ces mesures d'exécution forcée. Les deux procédures ont été jointes. Par jugement du 9 janvier 2017, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris a validé toutes les saisies pratiquées par les sociétés Overseas Financial et Oaktree Finance et leur montant. Par arrêt du 8 mars 2018, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement du 9 janvier 2017 et dit que la société Bank Sepah était tenue au paiement des intérêts tels que prévus par l'arrêt du 26 avril 2007 et des intérêts majorés prévus par l'article L. 313-3 du code monétaire et financier. La cour d'appel a ajouté que les intérêts antérieurs au 17 mai 2011 étaient prescrits et les a retranchés des causes des saisies. C'est dans ce contexte que se sont pourvues en cassation d'une part, la société Bank Sepah (pourvoi B 18-18.542) et d'autre part, les sociétés Overseas Financial et Oaktree Finance (pourvoi G 18-21.814).
Rappel des moyens Pourvoi n° B 18-18.542 formé par la société Bank Sepah Le pourvoi présente deux moyens. Le premier moyen porte sur le paiement des intérêts moratoires et retient un manque de base légale au regard des articles 1153-1 et 1148 du code civil dans leur rédaction applicable à la cause, devenus les articles 1231-6 et 1218 du code civil. Le second moyen porte sur la majoration du taux d'intérêt prévue par l'article L. 313-3 du code monétaire et financier. Pourvoi n° G 18-21.814 formé par les sociétés Overseas Financial et OakTree Finance Le pourvoi présente un moyen unique qui fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit prescrits les intérêts antérieurs au 17 mai 2011 et d'avoir retranché des causes des saisies les intérêts antérieurs au 17 mai 2011, en violation de l'article 2234 du code civil, ensemble les articles 1 et 7 du règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil du 19 avril 2007, repris par les articles 1 et 16 du règlement (UE) n° 961/2010 du Conseil du 25 octobre 2010.
Rappel des questions posées à l'Assemblée plénière de la Cour de cassation Le moyen invite à s'interroger sur le paiement, dans un contexte de gel des avoirs suite à une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies, des intérêts produits au titre de la condamnation du 26 avril 2007, qu'ils soient au taux légal (1153-1 devenu 1231-7 du code civil), de droit depuis le prononcé du jugement devenu exécutoire et majorés, sous le contrôle et la modulation éventuelle du juge au regard de la situation du débiteur, sur le fondement des dispositions de l'article L 313-3 alinéa 1er du code monétaire et financier. D'où cette référence commune de la société Bank Sepah comme des sociétés Overseas et Oaktree, dans leur pourvoi respectif, au gel des fonds et des ressources économiques, dit “gel des avoirs” tel que mis en oeuvre par la résolution n°1747 (2007) du Conseil de sécurité et transposée en droit européen par un règlement (CE) n°423/2007 du Conseil du 19 avril 2007, complété par le règlement (UE) n°441/2007 de la Commission du 20 avril 2007. Selon la société Bank Sepah cette circonstance représente un “cas de force majeure”, ce gel de ses avoirs ne lui permettant plus d'honorer librement et normalement sa dette et encore moins les intérêts courants. (pourvoi n° B 18-18.542, premier et second moyen) Selon les sociétés Overseas et Oaktree, ce gel leur interdit de mettre en oeuvre toute mesure d'exécution forcée (saisie attribution ou saisie conservatoire) qui leur aurait permis de vaincre l'obstacle de la prescription que leur oppose désormais la cour d'appel de Paris. (moyen unique du pourvoi n° G 18-21.814) Deux questions étaient soumises à l'Assemblée plénière : 1/La mise en oeuvre du gel des fonds et ressources économiques de la société Bank Sepah par le règlement (CE) n°423/ 2007 du 19 avril 2007 constitue-t-elle une cause étrangère à la société Bank Sepah présentant les caractères de la force majeure dont elle peut se prévaloir pour justifier de son impossibilité à verser les intérêts légaux et majorés dus au titre de l'exécution de l'arrêt définitif de la cour d'appel de Paris du 26 avril 2007 et par voie de conséquence pour s'en exonérer ? (pourvoi n° B 1818.542, premier et second moyens) 2/ La mise en oeuvre du gel des fonds et ressources économiques de la société Bank Sepah par le règlement (CE) n°423/ 2007 du Conseil du 19 avril 2007 constitue-t-elle une impossibilité pour les sociétés Overseas et Oaktree, créancières de la banque de prendre des mesures d'exécution sur les avoirs gelés afin de suspendre la prescription des intérêts ? (moyen unique du pourvoi n° 18-21.814)
1/ Sur la force majeure - Premier moyen du pourvoi n° B 18-18.542 Par arrêt du 10 juillet 2020, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a jugé, sur le premier moyen du pourvoi n° B 18-18.542, que :
“9. Ne constitue pas un cas de force majeure pour celle qui le subit, faute d'extériorité, le gel des avoirs d'une personne ou d'une entité qui est frappée par cette mesure en raison de ses activités. 10. L'arrêt relève que, par sa résolution 1747 (2007) du 24 mars 2007, transposée par le règlement (CE) n° 441/2007, le Conseil de sécurité a ordonné le gel des fonds et des ressources économiques de la banque Sepah. Aux termes de cette résolution, la banque Sepah est désignée comme entité concourant au programme nucléaire ou de missiles balistiques iranien en tant qu'entité d'appui à l'Organisation des industries aérospatiales (AIO) et aux entités placées sous son contrôle, y compris le Groupe industriel Shahid Hemmat (SHIG) et le Groupe industriel Shahid Bagheri (SBIG), tous deux mentionnés dans la résolution 1737 (2006). 11. Il en résulte que l'impossibilité où se serait trouvée la banque Sepah, qui n'a pas contesté sa désignation devant les juridictions de l'Union, d'utiliser ses avoirs gelés pour exécuter l'arrêt du 26 avril 2007, ne procède pas d'une circonstance extérieure à son activité. 12. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée. 13. Par conséquent, le moyen ne peut être accueilli.” La Cour de cassation a rejeté le premier moyen du pourvoi n° B 18-18-542.
2/ Sur l'interruption de la prescription des intérêts- moyen unique du pourvoi n° G 18-21.814 Le moyen unique du pourvoi 18-21.814 porte sur la seconde question relative à la mise en oeuvre de mesures conservatoires sur des fonds ou des ressources économiques gelés et par voie de conséquence sur l'interruption de la prescription des intérêts en diligentant telle une mesure. Sur cette question, la Cour de cassation par arrêt du 10 juillet 2020 a posé une question préjudicielle à la CJUE comme suit : “ 1°) Les articles 1er, sous h) et j), et 7, paragraphe 1, du règlement (CE) °423/2007, 1er, sous i) et h), et 16, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 961/2010 ainsi que 1er, sous k) et j), et 23, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 267/2012 doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à ce que soit diligentée sur des avoirs gelés, sans autorisation préalable de l'autorité nationale compétente, une mesure dépourvue d'effet attributif, telle une sûreté judiciaire ou une saisie conservatoire, prévues par le code des procédures civiles d'exécution français ? 2°) La circonstance que la cause de la créance à recouvrer sur la personne ou l'entité dont les avoirs sont gelés soit étrangère au programme nucléaire et balistique iranien et
antérieure à la résolution 1737 (2006) du 23 décembre 2006 du Conseil de sécurité des Nations Unies est-elle pertinente aux fins de répondre à la première question ?” Par arrêt du 11 novembre 2021, la Cour de justice de l'Union euopéenne a dit que : 1) L'article 7, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil, du 19 avril 2007, concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran, lu en combinaison avec l'article 1er, sous h) et j), du règlement n° 423/2007, l'article 16, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 961/2010 du Conseil, du 25 octobre 2010, concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran et abrogeant le règlement n° 423/2007, lu en combinaison avec l'article 1er, sous h) et i), du règlement n° 961/2010, et l'article 23, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 267/2012 du Conseil, du 23 mars 2012, concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran et abrogeant le règlement n° 961/2010, lu en combinaison avec l'article 1er, sous j) et k), du règlement n° 267/2012, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à ce que soient diligentées, sur des fonds ou des ressources économiques gelés dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune, sans autorisation préalable de l'autorité nationale compétente, des mesures conservatoires qui instaurent, au profit du créancier concerné, un droit d'être payé par priorité par rapport aux autres créanciers, même si de telles mesures n'ont pas pour effet de faire sortir des biens du patrimoine du débiteur. 2) La circonstance que la cause de la créance à recouvrer sur la personne ou l'entité dont les fonds ou les ressources économiques sont gelés est étrangère au programme nucléaire et balistique iranien et antérieure à la résolution 1737 (2006) du Conseil de sécurité des Nations unies, du 23 décembre 2006, n'est pas pertinente aux fins de répondre à la première question préjudicielle. Sur le recouvrement des créances
L'article 2234 du code civil, dans sa rédaction issue de la réforme de la prescription du 17 juin 2008, dispose que : « La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure. » En l'espèce, l'arrêt attaqué retient que les sociétés Overseas Financial Limited et Oaktree Finance ont tenté de recouvrer les sommes dues par la société Bank Sepah au titre de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 26 avril 2007. Elles se sont heurtées au gel des fonds et ressources économiques de la société Bank Sepah au titre d'une résolution n°1747 (2007) du Conseil de sécurité des Nations unies du 24 mars 2007 prise à l'encontre de la République islamique d'Iran. A cet égard, elles ont, par lettre du 2 décembre 2011, demandé au ministre de l'économie d'autoriser le déblocage des fonds et des ressources économiques de la société Bank Sepah dans la limite de leur créance, conformément à l'article 8 du règlement du 19 avril 2007, ayant instauré les sanctions à l'égard de cette banque, dont les dispositions ont été reprises à l'article 17 du règlement (UE) n° 961/2010 du Conseil du 25 octobre 2010.
Leur demande est restée sans réponse. Ainsi, le 17 mai 2016, les sociétés Overseas Financial et Oaktree Finance ont poursuivi l'exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 26 avril 2007 et fait signifier deux commandements de payer à l'encontre de la société Bank Sepah. En exécution de ces commandements, le 20 mai 2016, la société Bank Sepah a déposé sur un compte Carpa les sommes de 2 193 379,91 euros pour la société Overseas Financial et de 1 316 192,78 euros pour la société Oaktree Finance, sommes correspondant au principal réclamé par chacune des sociétés, et fait valoir, par lettre du 19 mai 2016, qu'elle ne pouvait être tenue pour redevable des intérêts prévus par l'arrêt du 26 avril 2017 et sollicitait l'arrêt des poursuites en recouvrement. Par acte du 13 juin 2016, la société Bank Sepah a assigné les sociétés Overseas Financial et Oaktree Finance afin de solliciter l'arrêt des poursuites engagées contre elle. Le 5 juillet 2016, les sociétés Overseas Financial et Oaktree Finance ont fait procéder entre les mains de la société Générale à une nouvelle procédure de saisie- attribution et de saisies de droits d'associé et valeurs mobilières détenus au nom de la société Bank Sepah par cette banque, ces saisies ont été dénoncées le 8 juillet 2016. Par acte du 15 juillet 2016, la société Bank Sepah a assigné les sociétés Overseas Financial et Oaktree Finance devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris aux fins de contester ces mesures d'exécution forcée. Le juge de l'exécution a joint les deux procédures de contestation de saisies de la société Bank Sepah. Devant le juge de l'exécution, la société Bank Sepah a soutenu qu'elle ne pouvait être tenue au paiement des intérêts prévus par l'arrêt du 26 avril 2007 ainsi que de la majoration prévue par l'article L. 313-3 du code monétaire et financier dès lors que, selon elle, elle avait été placée dans l'impossibilité de payer sa dette en raison des sanctions prononcées à son encontre. Par arrêt du 8 mars 2018, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement du 9 janvier 2017 du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris ayant validé les saisies et dit que la société Bank Sepah était tenue au paiement des intérêts tels que prévus par l'arrêt du 26 avril 2007 et des intérêts majorés prévus par l'article L. 313-3 du code monétaire et financier. La cour d'appel a ajouté que les intérêts antérieurs au 17 mai 2011 étaient prescrits et les a retranchés des causes des saisies aux motifs que : “ Si depuis l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, le créancier peut poursuivre pendant dix ans l'exécution du jugement portant condamnation au paiement d'une somme payable à termes périodiques, le recouvrement des arriérés échus postérieurement à la décision est soumis au délai de prescription applicable en raison de la nature de la créance. Il en résulte que le délai d'exécution d'un titre exécutoire prévu à l'article L 114-4 du code de procédure civile d'exécution, n'est pas applicable aux créances périodiques nées en application de ce titre exécutoire, en l'espèce
aux intérêts, lesquels se prescrivent par cinq ans en application de l'article 2224 du code civil. Rien n'interdisait aux sociétés Overseas Financial et Oaktree Finance, contrairement à ce qu'elles soutiennent, d'engager des mesures d'exécution, ne serait-ce qu'à titre conservatoire, sur un actif ou une créance indisponible, cette indisponibilité n'ayant alors que suspendu l'effet attributif d'une éventuelle saisie attribution.” En l'espèce, les sociétés Overseas Financial Limited et Oaktree Finance, bien fondées à recouvrer les sommes dues par la société Bank Sepah au titre de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 26 avril 2007, se sont heurtées au gel des fonds et ressources économiques de la société Bank Sepah au titre d'une résolution n°1747 (2007) du Conseil de sécurité des Nations unies du 24 mars 2007 prise à l'encontre de la République islamique d'Iran. Les sociétés Overseas Financial Limited et Oaktree Finance ont, par lettre du 2 décembre 2011, demandé au ministre de l'économie d'autoriser le déblocage des fonds et des ressources économiques de la société Bank Sepah dans la limite de leur créance, conformément à l'article 8 du règlement du 19 avril 2007, ayant instauré les sanctions à l'égard de cette banque, dont les dispositions ont été reprises à l'article 17 du règlement (UE) n° 961/2010 du Conseil du 25 octobre 2010. L'administration n'a pas répondu aux sociétés Overseas Financial Limited et Oaktree Finance, de sorte qu'elles n'ont pas obtenu d'autorisation préalable expresse de l'autorité nationale de diligenter des mesures conservatoires. La CJUE, dans sa réponse aux questions préjudicielles posées a expressément précisé que cette autorisation préalable de l'autorité nationale est requise pour engager des mesures d'exécution forcée sur des fonds ou ressources économiques gelés et même si de telles mesures n'ont pas pour effet de faire sortir des biens du patrimoine du débiteur. Il résulte de ce qui précède que les sociétés Overseas Financial Limited et Oaktree Finance étaient dans l'impossibilité de diligenter sur des fonds ou ressources économiques gelés, des mesures conservatoires même dépourvues d'effet attributif ou d'exécution forcée, sans autorisation préalable de l'autorité nationale, susceptibles d'interrompre la prescription, au sens de l'article 2234 du code civil, dans sa rédaction issue de la réforme de la prescription du 17 juin 2008. Dès lors, en statuant comme elle l'a fait, alors qu'une telle autorisation avait été sollicitée par les parties et qu'il n'est pas établi qu'une autorisation ait été accordée par les autorités nationales compétentes, la cour d'appel a violé l'article 2234 du code civil. Je suis donc à la cassation sur le moyen unique du pourvoi n° G 18-21.814.
3/ Sur la majoration du taux d'intérêt prévue par l'article L. 313-3 du code monétaire et financier- second moyen du pourvoi n° B 18-18 542 Les cinquième et sixième branches du moyen reprochent à la cour d'appel de ne pas avoir recherché si le gel de l'ensemble des avoirs de la banque Sepah et l'impossibilité, pour les sociétés Oaktree Finance et Overseas Financial LTD, de recevoir paiement ne justifiaient pas à tout le moins l'exercice du pouvoir modérateur prévu par l'article L 313-3 alinéa 2 du code monétaire et financier et d'avoir jugé que les éléments invoqués par la banque Sepah pour démontrer qu'elle avait été dans l'impossibilité de s'exécuter ne constituaient pas, par construction, « un élément de la situation du débiteur» à l'aune duquel devait s'apprécier l'opportunité de mettre en oeuvre le pouvoir modérateur que lui reconnaissait l'article L 313-3 alinéa 2 du code monétaire et financier L'article L. 313-3 du code monétaire et financier dispose que “ En cas de condamnation pécuniaire par décision de justice, le taux de l'intérêt légal est majoré de cinq points à l'expiration d'un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, fût-ce par provision. Cet effet est attaché de plein droit au jugement d'adjudication sur saisie immobilière, quatre mois après son prononcé. Toutefois, le juge de l'exécution peut, à la demande du débiteur ou du créancier, et en considération de la situation du débiteur, exonérer celui-ci de cette majoration ou en réduire le montant.” Il appartient au juge du fond d'apprécier souverainement si la situation du débiteur permet de l'exonérer de la majoration ou d'en réduire le montant.” Si la doctrine semble divisée sur le caractère punitif ou indemnitaire de la majoration du taux légal, force est cependant de constater qu'une telle majoration ne peut qu'inciter le débiteur à satisfaire à son obligation dans les meilleurs délais, sanctionnant ainsi tout retard dans l'exécution. Il me semble que l'on ne peut ignorer le caractère incitatif, sanctionnant le retard au paiement d'une telle mesure. L'article L 313-3 laisse toutefois au juge le soin d'”exonérer” en tout ou partie le débiteur du paiement de ces intérêts majorés “en considération de la situation du débiteur”. L'appréciation de la situation du débiteur est une question de fait relevant de l'appréciation souveraine du juge, appréciation souveraine expressément soulignée par l'alinéa 3 de ce même article. La faculté d'exercer ou non son pouvoir modérateur relève dès lors de la seule appréciation du juge du fond.
Ce sont les juges du fond qui ont le plus contribué à définir cette notion. Si la plupart des décisions se réfère en premier lieu à la situation financière du débiteur, ses difficultés voire sa précarité, d'autres décisions prennent en compte “des contraintes administratives ou comptables”.
Faisant application des mêmes dispositions, le Conseil d'Etat, s'il juge “que la demande d'exonération ou de réduction de l'augmentation forfaitaire prévue à cet article est examinée par le juge de l'exécution au regard de la situation du débiteur à la date à laquelle il statue, c'est-à-dire de sa capacité financière à régler les sommes qu'il doit en exécution d'une décision de justice” considère également “que le juge peut aussi prendre en considération le comportement du créancier lorsqu'il est susceptible d'avoir rendu plus difficile le règlement de la condamnation pécuniaire“1, prenant ainsi en compte un élément qui n'est pas directement lié à la situation financière ou à la mauvaise volonté du débiteur Même si la notion de “situation du débiteur” n'est pas spécifiquement définie, il semble que, dans le cadre de son appréciation souveraine, rien ne permet d'exclure que le juge puisse prendre ou ne pas prendre en compte des circonstances ou difficultés d'exécution qui ne soient pas directement imputables à la volonté du débiteur . Dans l'appréciation de son pouvoir modérateur, le juge a dès lors pu souverainement décider de ne pas prendre en compte, au titre de la situation du débiteur, des circonstances relatives à la difficulté d'exécution. La cour d'appel a dès lors pu, sans erreur de droit ni contradiction, apprécié souverainement la situation du débiteur en jugeant que “l'indisponibilité de sa créance sur la Société Générale résultant de la sanction prononcée à son encontre par le Conseil de sécurité des Nations Unies ne constitue pas un élément de la situation de la débitrice permettant de l'exonérer de la majoration de l'intérêt légal.”
Avis de cassation sur le moyen unique du pourvoi n° G 18-21.814. Avis de rejet sur le second moyen du pourvoi n° B 18-18 542.
1 Conseil d'Etat, Sous-sections 7 et 2 réunies, 16 décembre2009, n°309774