Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 05-04-2023, n° 21-10.391

Cass. soc., Conclusions, 05-04-2023, n° 21-10.391

A85432RT

Référence

Cass. soc., Conclusions, 05-04-2023, n° 21-10.391. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105409116-cass-soc-conclusions-05042023-n-2110391
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AVIS DE M. GAMBERT, AVOCAT GÉNÉRAL

Arrêt n° 330 du 5 avril 2023 – Chambre sociale Pourvoi n° 21-10.391 Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles du 12 novembre 2020

La société Iris conseil infra C/ M. [G] [H] _________________

Faits et procédure La Société IRIS CONSEIL SA, société holding, est un bureau d'études en ingénierie, maîtrise d'oeuvre et assistance à la maîtrise d'ouvrage. Elle est composée de cinq sociétés dont IRIS CONSEIL INFRA SAS, filiale à 100%, qui intervient dans le domaine des transports urbains, des infrastructures routières, de l'environnement et du déplacement. La convention collective applicable est celle des Cabinets d'Ingénieurs Conseil, Bureau d'Etudes Techniques (SYNTEC). En 2014 et 2015, la société IRIS CONSEIL INFRA a connu une diminution de son activité et des pertes d'exploitation nécessitant des mesures de restructuration susceptibles d'entraîner trois licenciements. Dans ce contexte, la société a proposé des mesures de reclassements aux salariés dont l'emploi était menacé. À l'exception de M. [H], cadre de la société IRIS CONSEIL INFRA SAS, également actionnaire à hauteur de 7,29 % de la société holding, qui occupait un poste intitulé « directeur de projets,

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responsable de l'unité opérationnelle « Routes-infrastructures », les salariés concernés ont accepté les propositions de mutation de l'employeur. M. [H], les ayant refusées, a été convoqué à un entretien préalable à son éventuel licenciement fixé au 16 octobre 2015. Lors de cet entretien, la société IRIS CONSEIL INFRA lui a remis une notice explicative énonçant les motifs économiques présidant au licenciement envisagé, ainsi que le dossier de contrat de sécurisation professionnelle auquel il a adhéré le 20 octobre 2015. M. [H] a été licencié pour motif économique le 04 novembre 2015. Par acte du 15 juillet 2016, il a saisi le Conseil de prud'hommes et a contesté l'existence du motif économique. Il a sollicité, en conséquence, la condamnation de la société IRIS CONSEIL INFRA à lui verser diverses indemnités de rupture. Par jugement du 15 octobre 2018, il a été débouté de toutes ses demandes. Sur appel, par arrêt du 12 novembre 2020, la cour d'appel de Versailles a infirmé le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, a dit que le licenciement économique ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse, puis a condamné la société à payer diverses sommes à titre de dommages et intérêts et d'indemnités compensatrices.

Le pourvoi Au soutien de son pourvoi, le demandeur développe deux moyens : Le premier moyen reproche à la cour d'avoir retenu le caractère collectif du licenciement pour motif économique dont il résulte pour l'employeur l'obligation de consulter les instances représentatives du personnel, et d'en avoir inféré l'existence d'un préjudice à réparer en dommages et intérêts, alors même qu'il a été procédé au licenciement d'un seul salarié. Le second moyen reproche à la cour d'appel d'avoir déduit l'absence de motif économique du seul maintien dans l'entreprise des fonctions exercées par le salarié licencié.

Discussion Sur le premier moyen Dans leurs versions applicables à la cause, les dispositions communes relatives au licenciement pour motif économique figurant au code du travail (Articles L1233-2 à L1233-7) disposaient : - Article L. 1233-3 al1 du code du travail : « Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques. »

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- Article L1233-4 : « Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie. Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises. » - Article L1233-5 : « Lorsque l'employeur procède à un licenciement collectif pour motif économique et en l'absence de convention ou accord collectif de travail applicable, il définit les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements, après consultation du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel. Ces critères prennent notamment en compte : 1° Les charges de famille, en particulier celles des parents isolés ; 2° L'ancienneté de service dans l'établissement ou l'entreprise ; 3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés ; 4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie. L'employeur peut privilégier un de ces critères, à condition de tenir compte de l'ensemble des autres critères prévus au présent article. Pour les entreprises soumises à l'obligation d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi mentionné aux articles L. 1233-61 à L. 1233-63, le périmètre d'application des critères d'ordre des licenciements peut être fixé par l'accord collectif mentionné à l'article L. 1233-24-1 ou par le document unilatéral mentionné à l'article L. 1233-24-4. Dans le cas d'un document unilatéral, ce périmètre ne peut être inférieur à celui de chaque zone d'emploi dans laquelle sont situés un ou plusieurs établissements de l'entreprise concernés par les suppressions d'emploi. Les conditions d'application de l'avant-dernier alinéa du présent article sont définies par décret. » - Article L.1233-7 : « Lorsque l'employeur procède à un licenciement individuel pour motif économique, il prend en compte, dans le choix du salarié concerné, les critères prévus à l'article L. 1233-5. » Dans sa version applicable à la cause, antérieure à l'ordonnance du 22 septembre 2017, l'article L.1233-8 du code du travail relatif à la procédure de consultation des représentants du personnel propre au licenciement collectif disposait : « L'employeur qui envisage de procéder à un licenciement collectif pour motif économique de moins de dix salariés dans une même période de trente jours réunit et consulte le comité d'entreprise dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, les délégués du personnel dans les entreprises de moins de cinquante salariés, dans les conditions prévues par la présente sous-section. » 3

L'article L.2313-7 indiquant quant à lui : « Dans les entreprises de moins de 50 salariés, lorsque l'employeur envisage de procéder à un licenciement collectif pour motif économique, les délégués du personnel sont consultés dans les conditions prévues par le titre III du livre II de la première partie. » (articles précités). Dans le cadre d'une restructuration, quand et sur quelles bases peut on attribuer au licenciement pour motif économique un caractère collectif ? En cas de difficultés économiques nécessitant des mesures de restructuration le droit du travail ne conçoit le licenciement que comme une mesure ultime qui ne doit intervenir qu'en dernière extrémité lorsque tous les efforts d'adaptation, de reclassement et de formation ont été effectués. Le licenciement pour motif économique est nécessairement postérieur aux propositions faites par l'employeur pour éviter la rupture du contrat de travail, il est consécutif à l'échec du reclassement dans le cadre de l'entreprise ou, le cas échéant, dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient, ce que traduit la rédaction de l'article L.1233-4 du code du travail. Par ailleurs, la loi distingue le cas du licenciement individuel et celui du licenciement collectif (cf C. trav art. L. 1233-5 et L. 1233-7). Lorsque l'employeur décide de licencier plusieurs salariés, il est tenu de consulter les instances représentatives du personnel, ce qui n'est pas prévu par les textes en cas de licenciement économique individuel. Dans le cadre d'une restructuration pour cause économique susceptible de générer plusieurs licenciements, dès lors que les mesures de reclassement permettent d'éviter de recourir à la rupture du contrat de travail de plusieurs salariés de telle sorte que l'employeur ne procédera en définitif qu'à un seul licenciement, il y a lieu de considérer qu'il s'agit d'un licenciement individuel pour motif économique tel que prévu par les dispositions de l'article L.1233-7 du code du travail. En effet, l'attribution du caractère individuel ou collectif dépend du nombre de salariés dont le licenciement est effectivement envisagé, et non pas du nombre de salariés qui se sont vu proposer une modification de leur contrat de travail pour un motif économique. Cette interprétation conforme à l'esprit des textes, est, au surplus, analogue à celle adoptée par votre chambre dans l'arrêt Soc., 24/01/2018 n°16-22.940 qui fixe le seuil de déclenchement de l'obligation de présenter et de mettre en oeuvre un PSE au regard du nombre de licenciement après décompte des reclassements. Dans notre espèce, la cour d'appel juge que la perspective éventuelle de procéder à plusieurs licenciements entraîne pour l'employeur l'obligation d'appliquer les règles du licenciement collectif. Or en omettant de tenir compte du nombre de licenciement effectif la cour d'appel fait une fausse interprétation de la loi. En conséquence, je conclus à la cassation sur le fondement de la première branche du premier moyen dont il n'y a donc pas lieu d'examiner la seconde branche.

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Sur le second moyen L'article L.1233-3 du code du travail définit les motifs économiques pouvant justifier un licenciement. Il résulte des termes de cet article que le motif économique comprend deux composantes : - la cause économique (les difficultés économiques ou les mutations technologiques), - l'incidence sur l'emploi (une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail ). Le licenciement pour motif économique est légitime si le contexte économique conduit à une suppression d'emploi (article L.1233-3 du code du travail). Pour être qualifié de licenciement pour motif économique, la suppression ou la transformation d'emploi, ou la modification d'un élément essentiel du contrat de travail refusé par le salarié, doit avoir pour cause justificative des difficultés économiques ou des mutations technologiques. La suppression d'emploi vise l'emploi et non le poste, peu importe la dénomination donnée à l'emploi (Soc. 18/11/2009, n°08-44.089). Elle n'implique pas nécessairement que les tâches du salarié licencié soient supprimées. Ainsi, il peut s'agir d'une cause économique de licenciement même si le poste est par la suite occupé par un bénévole, Cass Soc 20 janvier 1998, n° 94-45.094. De même, les tâches peuvent être redistribuées, réparties entre d'autres salariés de l'entreprise : « La suppression d'un poste, même si elle s'accompagne de la répartition des tâches à accomplir par le salarié licencié entre les salariés demeurés dans l'entreprise, est une suppression d'emploi » Soc., 29 janvier 1992, pourvoi n° 9142.128, Constitue un licenciement pour motif économique résultant d'une suppression d'emploi le licenciement d'un salarié prononcé en raison de l'intégration de ses fonctions dans un autre emploi existant dans l'entreprise, Cass Soc, 29 janvier 1992, pourvoi n° 90-41.087, Enfin la jurisprudence admet que le regroupement de deux emplois qui entraîne la suppression d'un poste est un motif économique, Cass Soc, 22 mars 1995, pourvoi n° 93-41.918 . S'il est nécessaire qu'il y ait suppression ou modification de l'emploi, il n'est pas exigé qu'il y ait globalement, dans l‘entreprise ou dans l'établissement une diminution du nombre global des emplois. En revanche la suppression d'emploi n'est pas effective lorsque le salarié est remplacé dans son emploi ou dans un emploi de même nature par un autre salarié recruté peu de temps avant (Soc. 24 septembre 2008, n°07-41.321) ou peu de temps après la rupture de son contrat de travail (Soc. 8 juillet 2008, n°06-45.564). Il faut néanmoins que les emplois pourvus soient de même nature et de même niveau (Soc.30 janvier 2019, n°17-28.050). Les juges du fond apprécient souverainement les éléments de fait et de preuve, hors toute dénaturation, qui établissent la suppression effective d'emploi (Soc. 15 décembre 2010, n°09-43.076 ; Soc. 18 novembre 2009, n°07-44.417). En l'espèce - S'agissant de la composante économique.

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Sur le fondement de ses constatations souveraines la cour d'appel a estimé que : « il est établi que les secteurs d'activités dans lesquels intervenait la société Iris Conseil Infra connaissaient de réelles difficultés économiques. » - S'agissant de la suppression de l'emploi. La cour d'appel constate que l'intitulé du poste : « directeur de projets, responsable de l'unité opérationnelle « Routes-infrastructures », ne correspondait pas aux fonctions réellement exercées par l'intéressé à savoir celles de « Responsable de l'unité opérationnelle infrastructures et VRD ». Elle prend acte de l'accord des parties qui admettent que les tâches précédemment attribuées à M. [H] ont été confiées à un autre salarié déjà présent dans l'entreprise. Il ressort donc de ses constatations que M. [H] n'a pas été remplacé dans son emploi par un autre salarié recruté à cette fin et que les tâches qu'il effectuait ont été confiées à un salarié déjà présent qui occupait un emploi identique. Cependant, tirant partie de la dénomination impropre de l'emploi et du maintien des fonctions exercées précédemment exercées par M. [H], la cour d'appel en déduit que le licenciement pour motif économique n'est pas justifié. Or en se déterminant ainsi, elle confond la fonction (cad l'ensemble des tâches confiées) et l'emploi et tire des éléments de fait des conséquences erronées. Ce faisant elle méconnaît le sens et la portée de l'article 1233-3 du code du travail. Peu importe le caractère inapproprié de la dénomination donnée à l'emploi, le regroupement des fonctions qui entraîne la suppression d'un emploi est un motif économique. Je conclus également à la cassation sur le fondement du second moyen.

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