Cass. soc., Conclusions, 08-12-2021, n° 20-17.688
A84792RH
Référence
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AVIS DE Mme LAULOM , AVOCAT GÉNÉRAL
Arrêt n° 1414 du 8 décembre 2021 – Chambre Sociale Pourvoi n° 20-17.688 Décision attaquée : 10 juillet 2020 - Tribunal judiciaire de Béthune la société Moy park france C/ M. [W] [U] __________________
Selon l'article L.2143-4 du code du travail, dans les entreprises d'au moins 500 salariés, tout syndicat représentatif dans l'entreprise peut désigner un délégué syndical supplémentaire s'il a obtenu un ou ou plusieurs élus dans le collège des ouvriers et employés lors de l'élection du comité social et économique et s'il compte au moins un élu dans l'un des deux autres collèges. L'article L. 2143-4 reste muet quand à la date à laquelle il convient de se placer pour apprécier la condition d'effectif. Faut-il se placer à la date de désignation du délégué syndical ou à la date des élections du comité social et économique, comme l'a reconnu le tribunal judiciaire de Bethune dans son jugement du 10 juillet 2020? Le silence du législateur ouvre, en effet, la voie à deux interprétations. La première interprétation, soutenue par le mémoire ampliatif, consiste à s'inspirer des modalités de désignation des autres représentants syndicaux. L'article L. 2143-3 du code du travail, relatif au délégué syndical, prévoit que “la désignation d'un
délégué syndical peut intervenir lorsque l'effectif d'au moins 50 salariés a été atteint pendant 12 mois consécutifs”. C'est donc à la date de désignation du délégué syndical qu'il convient de se placer pour apprécier si la condition d'effectif est atteinte (Voir Soc. 29 mai 2019, n° 18-19.890, F-P+B). Par analogie, c'est la même solution qui a été retenue concernant les représentants de section syndicale alors même que l'article L. 2142-1-11 reste lui aussi muet sur la période de référence à prendre en compte pour le calcul des effectifs. Cette solution a été affirmée avant les ordonnances Macron dans un arrêt du 8 juillet 2015: “Dès lors que l'article L. 2142-1-1 du code du travail subordonne la désignation d'un représentant de section syndicale à la même exigence d'un effectif de cinquante salariés ou plus, les conditions de l'article L. 2143-3 relatives à la durée et à la période pendant lesquelles ce seuil doit être atteint s'appliquent également pour la désignation d'un représentant de section syndicale”2. La similarité des deux institutions justifie ainsi que le calcul de l'effectif de l'entreprise ou de l'établissement soit effectuée de la même manière pour un représentant de section syndicale et pour un délégué syndical. Cette même solution a été retenue, après l'adoption des ordonnances Macron, alors même que les modalités de décompte des effectifs ont été redéfinies de manière plus restrictive: désormais l'effectif doit être atteint sur 12 mois consécutifs et non plus sur 12 mois, consécutifs ou non, au cours des trois années précédentes. L'arrêt du 29 mai 2019 énonce ainsi “qu'il résulte de l'alinéa 3 de l'article L. 2143-3 du code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017, applicable à compter du 1 janvier 2018, que la désignation d'un délégué syndical peut intervenir lorsque l'effectif d'au moins cinquante salariés a été atteint pendant les douze mois consécutifs précédant la désignation”, et il applique cette règle à la désignation d'un représentant de section syndicale. Ici est en cause la désignation d'un délégué syndical supplémentaire. Si ce délégué syndical supplémentaire présente quelques particularités, dans la mesure où il a vocation à représenter plus spécifiquement les salariés de l'encadrement, sa fonction reste identique. Par analogie, il conviendrait donc de se placer au moment de la désignation de ce délégué pour apprécier le respect de la condition d'effectif. Cette solution a d'ailleurs déjà été retenue dans un arrêt ancien du 26 janvier 1984 (pourvoi n° 83-60.926, Bull. 1984, V n°038). Comme le souligne le rapport, les conditions de nomination du délégué syndical et du délégué syndical supplémentaire étaient alors définies dans un même article3. La solution s'imposait d'autant plus. Art. L. 2142-1-1, “Chaque syndicat qui constitue, conformément à l'article L. 2142-1, une section syndicale au sein de l'entreprise ou de l'établissement d'au moins 50 salariés peut, s'il n'est pas représentatif dans l'entreprise ou l'établissement, désigner un représentant de la section pour le représenter au sein de l'entreprise ou de l'établissement”. 1
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Soc., 8 juillet 2015, pourvoi n° 14-60.691, Bull. 2015, V, n° 149.
Art. L. 412-11 du code du travail: “Chaque syndicat représentatif qui constitue une section syndicale dans les entreprises et organismes visés par l'article L. 421-1 qui emploient au moins cinquante salariés désigne, dans les limites fixées à l'article L. 412-13, un ou plusieurs délégués syndicaux pour le représenter auprès du chef d'entreprise. 3
3 Cette solution présenterait une certaine cohérence dans la mesure où les différents représentants syndicaux, que sont le délégué syndical, le représentant de la section syndicale et le délégué syndical supplémentaire seraient soumis à un même régime. Une deuxième interprétation est possible et peut se fonder sur une lecture textuelle de l'article L.2143-3 du code du travail. Dans la mesure où cet article est le seul à préciser le moment à prendre en compte pour apprécier le seuil d'effectif, une extension de cette règle ne s'imposerait nullement. En faveur de cette interprétation, on peut surtout relever que le délégué syndical est, aujourd'hui, le seul représentant pour lequel le législateur ait prévu des dispositions spécifiques lorsque le seuil d'effectif n'est plus atteint. Selon l'article L. 2143-11, 2ème alinéa du code du travail, “le mandat de délégué syndical prend fin au plus tard lors du premier tour des élections de l'institution représentative du personnel renouvelant l'institution dont l'élection avait permis de reconnaître la représentativité de l'organisation syndicale l'ayant désigné. En cas de réduction importante et durable de l'effectif en dessous de cinquante salariés, la suppression du mandat de délégué syndical est subordonnée à un accord entre l'employeur et l'ensemble des organisations syndicales représentatives. A défaut d'accord, l'autorité administrative peut décider que le mandat de délégué syndical prend fin”. Il faut préciser que selon l'article L.2142-1-2 du code du travail relatif au représentant de la section syndicale, le 2ème alinéa s'applique également au représentant de la section syndicale 4. Le mandat de délégué syndical (et du représentant de la section syndicale) peut donc survivre, alors même que le seuil n'est plus atteint. Ce dispositif légal assure ainsi une certaine stabilité au mandat syndical. La règle est aujourd'hui différente pour les comités sociaux et économiques. En cours de mandat, la diminution des seuils d'effectif n'a pas d'effet sur le comité social économique. A l'expiration du mandat, l'institution ne sera pas renouvelée si l'effectif La désignation d'un délégué syndical peut intervenir lorsque l'effectif d'au moins cinquante salariés a été atteint pendant douze mois, consécutifs ou non, au cours des trois années précédentes. Dans les entreprises d'au moins cinq cents salariés, tout syndicat représentatif qui a obtenu lors de l'élection du comité d'entreprise un ou plusieurs élus dans le collège des ouvriers et employés et qui, au surplus, compte au moins un élu dans l'un quelconque des deux autres collèges, peut désigner un délégué syndical supplémentaire parmi ses adhérents appartenant à l'un ou l'autre de ces deux collèges”. Art. L 2142-1-2, “Les dispositions des articles L. 2143-1 et L. 2143-2 relatives aux conditions de désignation du délégué syndical, celles des articles L. 2143-7 à L. 2143-10 et des deuxième et troisième alinéas de l'article L. 2143-11 relatives à la publicité, à la contestation, à l'exercice et à la suppression de son mandat et celles du livre IV de la présente partie relatives à la protection des délégués syndicaux sont applicables au représentant de la section syndicale”. 4
de l'entreprise ou de l'établissement est resté inférieur à 11 salariés pendant au moins 12 mois consécutifs (art. L.2313-10 du code du travail). Admettre que l'appréciation du seuil d'effectif soit faite au moment des élections serait ainsi cohérent, dans la mesure où la diminution de l'effectif serait sans incidence jusqu'aux prochaines élections. La règle permettrait une stabilité de la représentation des salariés (élective et syndicale) tout au long du cycle électoral. En faveur de cette interprétation, on peut également relever qu'en l'espèce, si le délégué syndical supplémentaire n'avait pas dû être remplacé, la question du seuil d'effectif ne se serait pas posée et son mandat se serait poursuivi jusqu'à sa fin. Enfin, cette interprétation peut s'appuyer sur les décisions de la chambre sociale du 28 septembre 2011 et du 15 avril 20155, qui ont admis que c'est à la date des dernières élections que s'apprécient les conditions d'ouverture du droit pour un syndicat de désigner un représentant au comité d'entreprise. C'est donc à cette date que s'apprécie l'effectif de l'entreprise. Le rapport sous cet arrêt relevait qu'il n'existe pas, pour le représentant syndical au comité d'entreprise, de disposition similaire à celle de l'article L. 2143-11 du code du travail, de même que l'article L. 2143-3, avant dernier alinéa, ne vise que le délégué syndical et le seuil de cinquante salariés 6. C'est en suivant cette argumentation que l'avocate générale concluait que c'est bien à la date des dernières élections que s'apprécient le seuil d'effectif que l'entreprise doit avoir atteint pour qu'un syndicat puisse désigner un représentant au comité d'entreprise. En conclusion, c'est à la date de leur désignation que les effectifs seraient appréciés pour le délégué syndical et le représentant de la section syndicale. Pour les autres représentants, qu'il s'agisse des représentants élus ou de représentants du syndicat, comme le délégué syndical supplémentaire, c'est bien à la date des élections du comité social et économique qu'il conviendrait de se placer. La différence de régime se justifie par les dispositions spécifiques existant pour le délégué syndical et le représentant de la section syndicale (article L. 2143-3, 3ème alinéa et article L. 2143-11, 2ème alinéa). Se placer au jour des élections permet également d'assurer la stabilité des mandats pendant la durée du cycle électoral. Je conclus donc au rejet du pourvoi. AVIS DE REJET.
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Soc. 28 septembre 2011, pourvoi n° 10-60.358, Bull. V n° 205; Soc., 15 avril 2015, pourvoi n° 14-19.197, Bull. 2015, V, n° 84. 6
Soc., 15 avril 2015, pourvoi n° 14-19.197, Bull. 2015, V, n° 84, Rapport de M. le conseiller rapporteur J-G. Huglo et avis de Mme M.-N. Robert.