Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 08-12-2021, n° 20-11.738

Cass. soc., Conclusions, 08-12-2021, n° 20-11.738

A84702R7

Référence

Cass. soc., Conclusions, 08-12-2021, n° 20-11.738. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105409043-cass-soc-conclusions-08122021-n-2011738
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AVIS DE Mme LAULOM, AVOCAT GÉNÉRAL

Arrêt n° 1415 du 8 décembre 2021 – Chambre Sociale Pourvoi n° 20-11.738 Décision attaquée : arrêt du 27 novembre 2019 - Cour d'appel de Paris M. [N] [E] C/ la société La Banque centrale populaire du Maroc _________________

L'arrêt de la cour d'appel de Paris du 27 novembre 2019, rendu sur renvoi suite à une première décision de la chambre sociale du 8 mars 2017 (pourvoi n°15-28.021), a retenu que la loi française était applicable au contrat de travail. Elle a, en effet, estimé la loi française plus protectrice, dans la mesure où la loi marocaine ne prévoit pas le mécanisme français de la prise d'acte motivée par des fautes autres que celles visées à l'article 40 du code du travail marocain (insulte grave, pratique de toute forme de violence ou d'agression dirigée contre le salarié, harcèlement sexuel, incitation à la débauche). La jurisprudence française a, elle, consacré ce droit du salarié s'il est démontré que le manquement de l'employeur était suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat, ce qui englobe un plus large champ d'hypothèses. C'est ce que reproche le pourvoi incident qui est préalable.

1. Pourvoi incident 1.1. Selon le premier moyen du pourvoi incident, en décidant que le contrat de travail était régi, dans son ensemble, par le droit français, quand les parties avaient choisi la loi marocaine, les juges du fond ont violé l'article 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980. Le pourvoi se fonde sur le dispositif de l'arrêt de la cour d'appel qui a “confirmé le jugement entrepris du 27 fév. 2013 en ce qu'il a dit le droit français applicable au contrat de travail”. Le dispositif d'un arrêt est éclairé par ses motifs qui en sont le soutien nécessaire. Il ressort des motifs de la décision en cause que la cour d'appel, pour retenir l'application du droit français, a opéré la comparaison nécessaire entre le droit choisi par les parties (le droit marocain) et les dispositions impératives de la loi qui serait applicable au salarié à défaut de choix (le droit français) . Elle a, en effet, constaté que: “La loi marocaine ne prévoit pas le mécanisme français de la prise d'acte motivée par des fautes autres que celles visées à l'article 40 ci-dessus rappelé, alors que la jurisprudence française est venue consacrer ce droit du salarié s'il est démontré que le manquement de l'employeur était suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat, ce qui englobe un plus large champ d'hypothèses”. Elle conclut alors: “En conséquence, la cour estime que la loi français dans le cas d'espèce doit recevoir application, la loi marocaine se révélant moins protectrice des droits du travailleur salarié”. Par ailleurs, comme le relève le rapport, les chefs de condamnation sont afférents à la seule prise d'acte de la rupture et à ses conséquences financières. La cour d'appel a donc considéré que les dispositions françaises relatives à la prise d'acte de la rutpure étaient plus favorables et elle a conclu à leur application. Le moyen est donc inopérant. Par conséquence, il n'y a pas lieu de poser une question préjudicielle à la Cour de Justice, comme le demande le mémoire ampliatif. Comme le relève d'ailleurs le rapport, nous ne sommes pas dans un champ où un recours préjudiciel s'imposerait. 1.2. Le second moyen du pourvoi incident met lui en cause la méthode de comparaison retenue par la cour d'appel pour conclure au caractère plus favorable du droit français. Selon le moyen, la comparaison entre les deux droits, doit s'effectuer “bloc par bloc: à supposer même que le droit français ait été applicable comme plus protecteur du salarié en tant qu'il assimilait, au titre des modes de rupture, la prise d'acte à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de toute façon, une fois ce constat opéré, le droit marocain, choisi par les parties, recouvrait son empire”. “Les juges du fond devaient dès lors l'appliquer sauf à constater, au stade des droits indemnitaires, que le droit français assurait une protection non prévue par le droit marocain”. En d'autres termes, il ne suffisait pas de constater le caractère plus protecteur du droit français en matière de prise d'acte de la rupture du contrat de travail, il était nécessaire de comparer également les droits indemnitaires pour conclure à l'application du droit français, si celui-ci s'avérait bien plus protecteur. Il conviendrait donc de dissocier les modes de rupture, d'une part, et les régimes indemnitaires de

3 l'autre et d'analyser si, s'agissant des droits indemnitaires du salarié, les dispositions impératives du droit français étaient plus favorables que celles du droit marocain.

Selon les articles 3 et 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980, ici applicable, le choix de la loi applicable par les parties à un contrat de travail ne peut avoir pour effet de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi qui lui serait applicable, à défaut de choix. Les dispositions impératives d'une loi sont celles auxquelles cette loi ne permet pas de déroger par contrat1. Ainsi que l'a indiqué la Cour de cassation dans son arrêt du 8 mars 2017, à la suite duquel la cour d'appel de Paris a été saisi sur renvoi, il appartient au juge de rechercher en quoi la loi étrangère est moins protectrice que la loi française. Il faut donc, lorsque les parties ont choisi la loi applicable, comparer ses dispositions avec les règles impératives de la loi objectivement applicable, pour appliquer les règles les plus protectrices, en d'autres termes les dispositions les plus favorables au travailleur.

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Soc., 12 novembre 2002, pourvoi n° 99-45.821, 99-45.888, Bull. 2002, V, n° 339.

La méthode de comparaison a été définie dans l'arrêt du 12 novembre 2002 2. La détermination du caractère plus favorable d'une loi doit résulter d'une appréciation globale des dispositions de cette loi ayant le même objet et se rapportant à la même cause. La comparaison est donc analytique, catégorie d'avantages par catégorie d'avantages3. Il ne peut donc y avoir de comparaison globale des ensembles législatifs: il serait absurde de dire que la loi française est globalement plus avantageuse qu'une autre loi ou l'inverse. “Le texte de la convention exclut d'ailleurs un tel raisonnement puisqu'il vise les dispositions impératives de la loi et non la loi dans son ensemble”. La méthode de comparaison ne doit pas non plus remettre en cause la cohérence des règles qui coexistent dans chaque système juridique. “Ainsi, il ne faudrait pas que le salarié puisse cumuler les garanties offertes par chacune des lois en présence et obtenir une solution qui n'existe dans aucune d'entre elles”4. La comparaison s'arrête nécessairement à des éléments partiels des deux ensembles. Elle est en ce sens toujours analytique, la question demeurant de savoir jusqu'où peut ou doit aller la décomposition des systèmes en présence5. Si la détermination de l'étendue de la comparaison pose parfois des difficultés, il semble bien ici que les dispositions à comparer englobent tant l'admission de la prise d'acte de la rupture que son régime indemnitaire, les deux étant indissociables. Ces dispositions ont bien le même objet et se rapportent à la même cause. Dans la mesure où la prise d'acte de la rupture a un champ d'application beaucoup plus restreint en droit marocain qu'en droit français, raison pour laquelle l'application du droit français a été retenue, le régime indemnitaire marocain ne pourrait que très difficilement trouver à s'appliquer. Ainsi que l'indique le rapport, le régime indemnitaire de la rupture s'évince de la rupture elle-même. Enfin, je suis d'avis de ne pas soumettre la question préjudicielle, comme le demande le pourvoi. D'une part, il n'y a pas de doute raisonnable quant à l'interprétation ici du droit de l'Union. D'autre part, ainsi que l'indique le rapport, la Cour de cassation a la faculté et non l'obligation de saisir la Cour européenne des questions en interprétation de la Convention de Rome.

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Soc., 12 novembre 2002, pourvoi n° 99-45.821, 99-45.888, Bull. 2002, V, n° 339.

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F. Jault, Répertoire Dalloz de droit du travail, Contrat de travail international, § 106 et suivants, fév. 2019. F. Jault, “Application de la loi française à un contrat de travail international”, Revue critique de DIP, 2003, p. 446. 4

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P. Rodière, Jurisclasseur, Droit International, Fasc. 573-10, Conflits de lois en droit du travail, § 47.

Nous concluons donc au rejet du pourvoi incident 2. Pourvoi principal Nous renvoyons au rapport concernant les propositions de rejet non spécialement motivé des première, deuxième et quatrième branche du premier moyen. 2.1. La 3ème branche du moyen reproche à la cour d'appel de ne pas avoir réintégré la somme précomptée par l'employeur au titre de l'impôt sur le revenu dans le salaire de référence. Le montant de l'indemnité de licenciement doit être déterminé sur la base de la rémunération perçue par le salarié dont peuvent seulement être déduites les sommes représentant le remboursement de frais. Comme l'indique le rapport, le prélèvement à la source par l'employeur de l'impôt sur le revenu dû par le salarié s'opère au même titre que le précompte des cotisations sociales dues par ce dernier, lesdits prélèvement et précompte s'effectuant au bénéfice d'un tiers. Or, il est constant que c'est la rémunération brute, avant précompte des cotisations qui constitue l'assiette de calcul des indemnités de rupture, qui sont elles-mêmes exprimées en brut et soumises à cotisations. La cour d'appel ne pouvait donc pas exclure la somme précomptée par l'employeur au titre de l'impôt sur le revenu dans le salaire de référence. 2.2. La 5ème branche du moyen reproche à la cour d'appel d'avoir retenu, après avoir jugé le droit français applicable, qu'il n'était pas établi que la banque centrale populaire du Maroc ait souscrit à la convention collective nationale française des banques. Dès lors que la convention collective était étendue, il importait seulement de déterminer si la banque entrait dans son champ d'application. Comme l'indique le rapport, les dispositions d'une convention collective obligatoire constituent des normes impératives au sens des articles 3 et 6 de la convention de Rome. Par ailleurs, dans un arrêt du 27 novembre 2019 6, opérant un revidement de jurisprudence, vous avez estimé que le juge judiciaire n'a pas à vérifier, en présence d'un accord professionnel étendu, que l'employeur, compris dans le champ d'application professionnel et territorial de cet accord en est signataire ou relève d' une organisation patronale représentative dans le champ de l'accord et signataire de celuici. C'est donc par un motif inopérant que la cour d'appel a écarté l'application de la convention collective de la banque en considérant “qu'aucun élément ne permet de dire que la Banque Centrale Populaire y a souscrit”.

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Soc., 27 novembre 2019, pourvoi n°17-31.442, PBRI.

En conséquence, je conclus à la cassation partielle de la décision (3 ème et 5ème branche du premier moyen). 2.3. Enfin, le second moyen reproche à l'arrêt de limiter à la somme de 50 000 euros l'indemnisation des préjudices distincts subis par M. [E], “alors que le défaut de réponses à conclusions constitue un défaut de motifs; que dans ses conclusions, M. [E] faisait valoir que dans le cadre de son règlement intérieur, la banque faisait bénéficier ses salariés d'un régime complémentaire de prévoyance auquel il avait cotisé et qui lui ouvrait donc à la somme de 370 663,27 dirhams par suite de son licenciement, qui ne lui avait pas été réglée; qu'en s'abtenant de répondre à ce moyen préremptoire pour statuer sur les préjudices distincts dont M. [E] demandait réparation, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile”. Le salarié demandait la réparation de trois préjudices distincts: - un préjudice découlant de la perte de l'indemnisation qu'aurait versé les Assedic pendant la période de chômage si son employeur avait cotisé à cet organisme et à la perte de quinze années de travail et/ou de manque à gagner. - un préjudice correspondant à un pécule, non versé, que lui devrait l'employeur au titre du régime complémentaire de prévoyance du crédit populaire du Maroc. - un préjudice découlant de l'absence de cotisation au régime d'assurance maladie français correspondant à 22 ans de cotisations auprès d'une compagnie d'assurance comparable au régime français de droit commun. La réponse de la cour d'appel est la suivante : “Il résulte des éléments produits que l'employeur n'a pas affilié M. [E] au régime de sécurité sociale français, ni à un régime de retraite complémentaire et ne cotisait pas aux Assedic, alors que compte tenu de l'exercice par M. [E] d'un travail en France pendant une aussi longue période dans le cadre d'un établissement situé en France, les dispositions dérogatoires de la convention franco-marocaine ne pouvaient s'appliquer. Les bulletins de salaires font ressortir cependant que l'employeur a cotisé pour l'ensemble de ces organismes au Maroc et le salarié reconnaît percevoir de deux caisses marocaines la somme mensuelle de 842,43 euros. Si il est exact comme le souligne la Banque Centrale Populaire que M. [E] ne peut demander à mettre rétroactivement à néant les droits et obligations nés d'une affiliation antérieure, M. [E] est en droit, au vu des manquements de son employeur concernant l'absence de diligences à le faire bénéficier des droits et avantages des régimes de protection sociale notamment en cas de chômage, de sécurité sociale, et de retraite français, manifestement plus avantageux que ceux du Maroc, à obtenir une indemnisation au titre de la perte de chance pour l'ensemble des préjudices invoqués et ce de façon distincte du préjudice issu de la perte de son emploi”. “La cour est en mesure de fixer l'indemnisation de M. [E] à la somme de 50.000 euros”.

L'arrêt de la cour d'appel n'a donc pas statué sur la demande du salarié relative au remboursement du pécule dû. Les motifs de sa décision ne font aucunement référence à cette demande. Dans la mesure où l'omission de statuer est bien relative à une demande et non à un moyen présenté à l'appui d'une prétention, qui caractèrise le défaut de réponses à conclusions, nous sommes bien en présente d'une omission de statuer, de sorte que le second moyen est irrecevable. Nous concluons donc au: - REJET DU POURVOI INCIDENT - REJET NON SPECIALEMENT MOTIVE des 1er, 2ème et 4ème branche du premier moyen - CASSATION PARTIELLE (3ème et 5ème branche du premier moyen du pourvoi principal) - IRRECEVABILITE du second moyen du pourvoi principal

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