Cass. soc., Conclusions, 05-07-2023, n° 21-25.797
A84372RW
Référence
AVIS DE Mme WURTZ, AVOCATE GÉNÉRALE
Arrêt n° 783 du 5 juillet 2023 – Chambre sociale Pourvoi n° 21-25.797 Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence du 18 juin 2021
La société Eurofeu services C/ M. [R] [S] _________________
1 - FAITS ET PROCEDURE Engagé le 10 juin 1986 en qualité de VRP exclusif par la société Parfeu, devenue Eurofeu Services, M. [S] a été licencié pour inaptitude d'origine non professionnelle et impossibilité de reclassement le 6 juin 2014. Par jugement du 30 mars 2018, la juridiction prud'homale a jugé, notamment, que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse et a condamné l'employeur à verser au salarié des sommes complémentaires à titre d'indemnité de licenciement, de reprise de salaire, de congés payés afférents et d'indemnité de préavis. Par arrêt du 18 juin 2021, la cour d'appel a confirmé le jugement en ses dispositions relatives au licenciement et au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis, mais l'a infirmé sur le surplus et statuant à nouveau a condamné l'employeur à payer au salarié une somme à titre de dommages et intérêts pour défaut de reprise du paiement des salaires. C'est l'arrêt attaqué par le pourvoi formé par la société Eurofeu Services, fondé sur un moyen unique de cassation qui reproche à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer au salarié une une
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indemnité compensatrice de préavis et une indemnité compensatrice de congés payés sur le préavis : « ALORS QU'aux termes de l'article L. 1226-4 du code du travail, en cas de licenciement pour inaptitude d'origine non professionnelle, le préavis n'est pas exécuté et l'inexécution du préavis ne donne pas lieu au versement d'une indemnité compensatrice, par dérogation à l'article L. 1234-5 du code du travail ; que la cour d'appel, qui a condamné la société Eurofeu services à verser à M. [S] une indemnité compensatrice de préavis et une indemnité compensatrice de congés payés sur le préavis, au motif que cette indemnité était due en cas de non reprise du paiement du salaire à l'issue du délai d'un mois, tout en jugeant que le licenciement pour inaptitude de M. [S] reposait sur une cause réelle et sérieuse, a violé les articles L. 1226-2 et L. 1226-4 du code du travail, le premier de ces textes dans sa rédaction antérieure à la loi n°2016-1088 du 6 août 2016 applicable au litige. »
2 - DISCUSSION La non reprise du paiement des salaires par l'employeur, dans le délai d'un mois à compter de la visite médicale de reprise, ouvre-t-elle droit au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis, y compris lorsque le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse ? Pour répondre à cette question, il est utile de rappeler en premier lieu les règles gouvernant l'exigibilité d'une indemnité compensatrice de préavis, telles qu'issues de la loi et de la jurisprudence de la chambre sociale. 2.1. Les principes gouvernant le préavis D'abord, le respect d'un préavis en cas de rupture du contrat de travail s'impose, sauf exceptions, tant à l'employeur qu'au salarié. En effet, sauf faute grave, le salarié a droit à un préavis dont la durée varie selon son ancienneté1, de même qu'un salarié qui démissionne doit un préavis à l'employeur 2. Dès lors, le préavis non exécuté rend exigible une indemnité compensatrice, qu'elle soit versée par l'employeur, lorsque cette inexécution lui est imputable, le plus souvent lorsqu'il dispense le salarié de l'effectuer 3 ou versée par le salarié, si c'est ce dernier qui est à l'origine de l'inexécution, en cas de démission à effet immédiat 4. Le législateur a néanmoins pris des dispositions spécifiques pour les situations où l'exécution du préavis est rendue impossible par l'état de santé du salarié, eu égard au licenciement pour inaptitude au poste dont il a fait l'objet. Le dispositif légal institue cependant un régime distinct selon l'origine de l'inaptitude. S'agissant de l'inaptitude d'origine non professionnelle et à la suite d'une jurisprudence constante de la chambre sociale sur ce point, le législateur a posé le principe qu'en cas de licenciement « le préavis n'est pas exécuté et le contrat de travail est rompu à la date de notification du licenciement. Le préavis est néanmoins pris en compte pour le calcul de l'indemnité
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Article L.1234-5 du code du travail
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Article L.1237-1 du code du travail
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Soc.8 mars 2000, n° 99-43.091
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Soc., 18 juin 2008, n°07-42.161, Bull.2008, V, n°135
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mentionnée à l'article L.1234-9. Par dérogation à l'article L.1234-5, l'inexécution du préavis ne donne pas lieu au versement d'une indemnité compensatrice ».5 En effet, en l'absence de prestation contractuelle due à un état de santé non imputable à l'employeur, le salarié ne peut exiger de rémunération. Inversement, s'agissant d'une inaptitude d'origine professionnelle, les dispositions de l'article L.1226-14 du code du travail pécisent que la rupture du contrat ouvre droit à une indemnité compensatrice « d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis ». Ainsi, le législateur prend donc le soin de ne pas qualifier la somme due, d'indemnité compensatrice de préavis, dès lors que ce préavis ne peut davantage être exécuté, compte tenu de l'inaptitude au poste du salarié. Le montant exigible est néanmoins fixé au regard de celui qui aurait été dû s'il avait été exécuté. Dans ce cas de figure, il s'agit de réparer le préjudice financier du salarié dont l'inaptitude, qui rend impossible l'exécution de la prestation contractuelle, est imputable au travail. C'est précisément cette notion d'imputabilité qui prévaut également dans la jurisprudence, pour des cas particuliers de non exécution du préavis, alors que le licenciement est étranger à une inaptitude. Il en est ainsi lorsque la rupture est imputable à l'employeur, notamment en raison de faits de harcèlement moral ou en raison d'un manquement grave à ses obligations contractuelles qui donne lieu : - à une prise d'acte du salarié ayant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, - à une résiliation judiciaire du contrat aux torts de l'employeur, - à la nullité du licenciement prononcé. Dans ces différents cas, le préavis non exécuté est indemnisé 6. Il s'agit en quelque sorte de retenir « la cause de la cause » de la rupture pour en déduire son imputabilité. En présence d'un licenciement pour inaptitude, la chambre sociale a également adopté une telle position pour sanctionner les manquements de l'employeur dans le processus de recherche de reclassement, y compris en matière d'inaptitude d'origine non professionnelle 7. En cas de non respect de l'obligation de reclassement, le licenciement fondé sur l'inaptitude du salarié est finalement considéré comme privé de cause réelle et sérieuse, de sorte que l'allocation de l'indemnité de préavis intervient au titre des indemnités de rupture qui sont versées pour sanctionner un licenciement infondé : « Si le salarié ne peut en principe prétendre au paiement d'une indemnité pour un préavis qu'il est dans l'impossibilité physique d'exécuter en raison d'une inaptitude à son emploi, cette indemnité est due au salarié dont le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison du manquement de l'employeur à son obligation de reclassement consécutive à l'inaptitude.»8 Comme le précise, Monsieur A.Chollet, ancien doyen de la chambre sociale, dans un rapport : « Le principe constant est que le salarié qui est dans l'impossibilité d'exécuter le préavis n'a pas 5
Article L.1226-4 dernier alinéa
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Cf jurisprudences citées par madame le conseiller rapporteur, rapport page 4
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Soc. 30 juin 2021,n°20-14.767 ; Soc.7 décembre 2017, 16-22.276 ; Soc. 26 novembre 2002, n°00-41.633, Bull.V n°354 cités dans le rapport 8
Soc.5 janvier 2022, n°20-14.927
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droit à une indemnité de préavis. La jurisprudence de la chambre sociale n'a admis qu'une seule exception, dans l'hypothèse où l'employeur a manqué à son obligation de reclassement. La solution pouvait s'expliquer par la volonté de rapprocher la solution avec celle résultant des dispositions de l'article L.122-32-6 du code du travail. Le fondement était l'idée que l'employeur ayant manqué à son obligation de reclassement, était responsable du fait que le salarié ne pouvait plus exécuter le préavis. En effet, ce salarié aurait pu, si l'obligation de reclassement avait été respectée, effectuer son préavis sur un poste de reclassement qui existait. Le but était ainsi de renforcer la sanction du défaut de reclassement et d'inciter par là même les employeurs à respecter les textes relatifs au reclassement. »9. Le même raisonnement est a fortiori appliqué lorsque le licenciement a été annulé. Ainsi, le salarié qui est dans l'impossibilité d'effectuer le préavis a droit à l'indemnité compensatrice de préavis lorsque le licenciement est nul, peu important les motifs de la rupture 10. L'indemnité versée est forfaitaire, elle ne peut donc être diminuée du montant des indemnités journalières pour maladie 11. 2.2. La non-reprise du paiement des salaires dans le délai d'un mois fixé à l'article L.1226-4 peut elle être sanctionnée par l'allocation d'une indemnité compensatrice de préavis ? L'article L.1226-4 du code du travail précise que « Lorsque, à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n'est pas reclassé dans l'entreprise ou s'il n'est pas licencié, l'employeur lui verse dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui occupait avant la suspension de son contrat de travail ». Cette obligation légale n'a pas pour objet de fixer un délai maximum pour reclasser ou licencier le salarié, mais d'inciter l'employeur à être diligent et ne pas laisser perdurer la situation du salarié qui n'est plus couvert, en principe, par un arrêt de travail et n'est donc pas davantage, sauf exception, indemnisé par la sécurité sociale ou l'employeur. L'obligation de reprendre le paiement des salaires intervient donc surtout comme une sanction d'un défaut de diligence dans une procédure qui, par définition, n'a pas encore trouvé son issue. Le pourvoi se prévaut pourtant d'un arrêt de la chambre aux termes duquel il a été jugé que : « si un salarié ne peut en principe prétendre au paiement d'une indemnité pour un préavis qu'il est dans l'impossibilité physique d'exécuter en raison de son inaptitude physique à son emploi, cette indemnité est due en cas de rupture du contrat de travail imputable à l'employeur en raison du manquement à son obligation de reclassement ou de non-reprise du paiement du salaire à l'issue du délai d'un mois, ce par application des articles L. 1226-2 à L. 1226-4 du code du travail ; que le moyen n'est pas fondé ; »12. Mais cet arrêt ne fixe pas de position de principe de la chambre. En effet, dans cette espèce, la résiliation judiciaire du contrat a été prononcée aux torts de l'employeur, la chambre a donc appliqué sa jurisprudence sur l'imputabilité finale de la rupture, en allouant à titre de sanction, une indemnité compensatrice de préavis. Comme évoqué déjà, 9
Rapport A.Chollet, sous Soc.24 juin 2009, n°08-42.618
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Soc.30 mars 2005, n° 03-41.518
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Soc. 31 octobre 2012, n° 11-12.810, Bull.n°282 ; Soc.10 mai 2006, n°04-40.901
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Soc.,24 juin 2009, n° 08-42.618, Bull. n°164
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la cause de non exécution du préavis découle, dans ce contexte, directement du fait fautif de l'employeur et non de l'impossibilité d'exécuter le préavis. Cette jurisprudence a été confirmée plus récemment mais toujours pour des cas d'espèce où l'abstention de l'employeur de reprendre le paiement des salaires a donné lieu à une résiliation judiciaire aux torts de l'employeur. Cela ne vous permet pas, pour autant, d'adopter une telle solution lorsque le licenciement pour inaptitude d'origine non professionnelle a été déclaré fondé sur une cause réelle et sérieuse, donc en dehors de tout manquement de l'employeur à son obligation de reclassement ou en dehors de toute demande de résiliation judiciaire ou de prise d'acte de la rupture par le salarié. Dans ces conditions, le licenciement étant fondé sur une cause réelle et sérieuse, la cause première de non réalisation de la période de préavis est bien l'inaptitude du salarié, laquelle n'est pas imputable à l'employeur. Par ailleurs, transposer la jurisprudence allouant une indemnité compensatrice de préavis pour sanctionner le non respect de l'obligation légale de reprise du paiement des salaires serait contraire à l'esprit du dispositif légal et à sa logique. En effet, le législateur a posé deux obligations bien distinctes qui ne s'inscrivent pas dans la même temporalité, ni la même logique : - L'obligation de reprise du paiement des salaires s'inscrit dans une procédure en cours et non achevée, elle a pour objet d'inciter l'employeur à une certaine célérité pour éviter une situation prolongée où le salarié est ni couvert par la sécurité sociale, ni rémunéré par l'employeur, alors qu'il est déclaré inapte à son poste sans pouvoir percevoir de ressources ; elle constitue donc une forme de revenus de remplacement dans l'attente de l'issue de la procédure. - L'indemnité compensatrice de préavis s'inscrit, quant à elle, dans une période postérieure au licenciement ; elle est versée au salarié, soit parce que l'inaptitude trouve sa source dans le travail accompli pour le compte de l'employeur, soit parce que ce dernier a commis des manquements graves ayant conduit à une rupture du contrat sans cause réelle et sérieuse ; c'est donc l'imputabilité finale de la rupture à l'employeur qui justifie l'allocation au salarié de l'indemnité qui relève alors d'une sanction. Ainsi, allouer une telle indemnité pour sanctionner la non reprise du paiement des salaires, dans l'hypothèse d'un licenciement déclaré fondé sur une cause réelle et sérieuse, entretiendrait une confusion sur la temporalité de la procédure ( ante/post licenciement) et la nature des sommes versées (revenus de remplacement ouvrant droit à des congés payés /indemnité-sanction forfaitaire). Une telle position ne prive nullement le salarié de la possibilité d'obtenir le paiement d'une indemnité de préavis en agissant sur l'imputabilité et le bien fondé de la rupture, le cas échéant. 2.3 Réponse au moyen En l'espèce, la cour d'appel a, pour faire droit à la demande en paiement de l'indemnité compensatrice de préavis, retenu que « si un salarié ne peut en principe prétendre au paiement d'une indemnité pour un préavis qu'il est dans l'impossibilité physique d'exécuter en raison de son inaptitude physique à son emploi, cette indemnité est due en cas de non reprise du paiement du salaire à l'issue du délai d'un mois, ce par application des articles L. 1226-2 à L. 1226-4 du code du travail. » En statuant ainsi, alors qu'elle a jugé que le licenciement du salarié est fondé sur une cause réelle et sérieuse, l'employeur ayant « loyalement, sérieusement et activement cherché à
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reclasser le salarié », la cour d'appel a violé les articles L.1226-2 et L.1226 du code du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à la loi du 8 aout 2016. Vous pourrez procéder à une cassation sans renvoi en application des articles L411-3 du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
AVIS DE CASSATION
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