Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 19-04-2023, n° 21-60.127

Cass. soc., Conclusions, 19-04-2023, n° 21-60.127

A84282RL

Référence

Cass. soc., Conclusions, 19-04-2023, n° 21-60.127. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105409001-cass-soc-conclusions-19042023-n-2160127
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AVIS DE Mme LAULOM, AVOCATE GÉNÉRALE

Arrêt n° 499 du 19 avril 2023 – Chambre sociale Pourvoi n° 21-60.127 Décision attaquée : Tribunal judiciaire de Nîmes du 05 mars 2021

M. [Y] [C] C/ la société Medard Berton Gued Elaidouni _________________

Ce pourvoi vous donne l'occasion de préciser, une nouvelle fois, le sens de l'article L. 2143-3 du code du travail, s'agissant des conditions de désignation d'un délégué syndical qui n'a pas été candidat aux dernières élections des représentants du personnel.

I. Faits et procédure Lors des dernières élections professionnelles, en janvier 2018, au sein d'une SCP employant plus de 70 salariés, le syndicat CGT a présenté 4 candidats. 2 candidats ont ensuite quitté l'entreprise; la 3ème a démissionné de son mandat de délégué syndical le 22 juillet 2020, le terme du délai de préavis intervenant le 2 août 2020. Enfin, le 4ème n'est pas à jour de ses cotisations syndicales. Le 6 août 2020, l'Union locale CGT a désigné un adhérent, qui n'avait pas été candidat aux dernières élections, comme délégué syndical. Par requête du 13 août 2020, la SCP a saisi le tribunal judiciaire afin de voir ordonner l'annulation de cette désignation. Par lettre recommandée en date du 7 septembre 2020, l'Union locale CGT a désigné de nouveau ce même salarié comme délégué syndical. Par requête du 11 septembre 2000, la SCP a saisi le tribunal judiciaire en faisant valoir une nouvelle contestation afin de voir ordonner l'annulation de la désignation. Par ordonnance du 9 septembre 2020, le tribunal judiciaire a ordonné la jonction des deux instances et le renvoi de l'affaire devant le tribunal judiciaire de Nîmes.

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Par jugement du 5 mars 2021, le tribunal judiciaire a annulé les désignations des 6 août et 7 septembre 2020. Concernant cette dernière désignation, ici en cause, le tribunal judiciaire a considéré qu'un des quatre candidats initiaux pouvait prétendre à être désigné. Le fait, qu'il ne soit pas à jour de sa cotisation syndicale comme le soutient l'union locale, n'est pas une condition légale à retenir.

2. Discussion 2.1. Sur la question préalable de la recevabilité Le mémoire en défense soutient que le pourvoi est irrecevable, tout d'abord car le délai de 10 jours applicable en matière d'élections professionnelles (art. 999 du code de procédure civile) n'a pas été respecté. Si ce délai court à compter de la notification de l'acte, c'est à la condition que le délai de recours et les modalités selon lesquels celui-ci doit être exercé soient bien mentionnés dans l'acte de notification. En l'absence de ces mentions, le délai n'a pas commencé à courir et le pourvoi est bien recevable, ce qui est le cas ici. Le mémoire en défense invoque une deuxième cause d'irrecevabilité tenant à l'irrégularité du pouvoir donné à l'avocat, par le secrétaire de l'union locale, pouvoir qui ne serait pas conforme à l'article 13 des statuts du syndicat. Comme l'indique le rapport, en réponse Me [X] a produit le 30 juillet 2020, en annexe à son mémoire complémentaire, un nouveau document, intitulé “pouvoir spécial en vue d'un pourvoi en cassation” portant la date du 5 mai 2021 et signé par M. [L], et comportant, en plus des indications soutenues dans le pouvoir spécial annexé à la déclaration de pourvoi, la mention suivante: “Le présent pouvoir est dressé et donné conformément aux délibérations prises lors de la commission exécutive du 04 mai 2021". Ces pièces étaient bien recevables dans la mesure où, comme nous l'avons indiqué précédemment, le délai pour former le pourvoi n'avait pas commencé à courir. Par ailleurs, comme l'indique ici encore le rapport, il ressort de la jurisprudence que si un tiers défendeur peut se prévaloir des statuts d'une personne morale pour justifier du défaut de pouvoir d'une personne à figurer dans un litige comme représentant de celle-ci, il ne peut en revanche invoquer, sur le fondement de ces mêmes statuts, l'irrégularité de la nomination de ce représentant pour contester sa qualité à agir en justice. Je conclus donc à la recevabilité du pourvoi. 2.2. Sur le fond L'une des grandes innovations de la loi du 20 août 2008, issue de la position commune du 9 avril 2018, est d'avoir accordé un rôle central aux élections professionnelles et à l'audience électorale dans le système français de relations professionnelles. Jusqu'alors le syndicat (représentatif) était seul juge du choix des salariés qu'il entendait désigner en qualité de délégué syndical (sous réserve du respect des conditions légales, notamment d'âge et d'ancienneté). La loi de 2008 a introduit une condition tenant à l'audience électorale que doit avoir recueilli le salarié personnellement pour pouvoir être désigné. L'article L. 2143-3 du code du travail traduit ce principe: “Chaque organisation syndicale représentative dans l'entreprise ou l'établissement d'au moins cinquante salariés, qui constitue une section syndicale, désigne parmi les candidats aux élections professionnelles qui ont recueilli à titre personnel et dans leur collège au moins 10% des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité social et économique, quel que soit le nombre de votants, dans les limites fixées à l'article L. 2143-12, un ou plusieurs délégués syndicaux pour la représenter auprès de l'employeur”. L'objectif est d'assurer une légitimité démocratique, par la prise en compte d'une audience électorale, aux représentants du syndicat. Il s'agit de permettre aux salariés de participer à la détermination des personnes qu'ils estiment les plus aptes à les représenter notamment dans

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la négociation collective. L'action syndicale doit recueillir à travers la personne même du délégué syndical, la reconnaissance d'un nombre minimum de salariés. L'introduction de cette exigence électorale n'a pas été sans poser des difficultés d'interprétation de l'article L. 2143-3 du code du travail, qui a d'ailleurs été modifié en conséquence. Il s'agit, en effet, de concilier la liberté syndicale dont le corollaire est la liberté d'organisation du syndicat, qui doit donc être libre de choisir ses représentants, avec la prise en compte de l'audience électorale du salarié désigné, tout en s'assurant également que l'article L. 2143-3 du code du travail ne soit pas un frein à l'exercice du droit syndical dans l'entreprise et à la présence de délégués syndicaux dans l'entreprise. La conformité de la version initiale de l'article L. 2143-3 du code du travail à la convention (fondamentale) de l'OIT relative à la liberté syndicale (convention n°87) a d'ailleurs été discutée. Saisi par la CGT-FO, le comité de la liberté syndicale1, en novembre 2011, avait émis des réserves sur l'article L. 2143-3: “le comité considère que le droit des organisations syndicales d'organiser leur gestion et leur activité conformément à l'article 3 de la convention n°87 comprend la liberté pour les organisations reconnues comme représentatives de choisir leurs délégués syndicaux aux fins de la négociation collective”. Le comité appelait à la vigilance sur la restriction que l'obligation des 10% apportait au libre choix de leur représentant syndical par les organisations syndicales. En 2016, dans son rapport annuel, le comité de la liberté syndicale demandait une réforme législative2. Saisi à son tour, le comité européen des droits sociaux partage la même analyse. Les deux organes considèrent aujourd'hui que l'interprétation souple retenue par la Cour de cassation de l'article L. 2143-3 du code du travail et la réforme intervenue en 2018 assurent le respect de l'article 3 de la convention n° 87 et de l'article 5 de la Charte sociale européenne (révisée)3. L'article L. 2143-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 28 mars 2018, prévoit la possibilité pour une organisation syndicale de nommer un adhérent (non candidat) comme délégué syndical dans plusieurs hypothèses: - si aucun des candidats présentés par l'organisation syndicale aux élections professionnelles ne remplit les conditions définies à l'article L. 2143-3 du code du travail; - s'il ne reste plus aucun candidat remplissant ces conditions; - si l'ensemble des élus qui remplissent les conditions mentionnées renoncent par écrit à leur droit d'être désigné délégué syndical.

1 Le comité de la liberté syndicale est institué au sein du Conseil d'administration de l'OIT et il est plus

spécialement en charge du contrôle de l'application de deux des conventions les plus importantes de l'OIT, la convention n° 87 sur la liberté syndicale et la convention n° 98 sur le droit d'organisation et de négociation collective. 2 362ème rapport, 2011, § 947 et 377ème rapport, 2016, § 27 à 34. 3 Voir 389ème rapport du Comité de la liberté syndicale, § 38-39. :

“65.Le Comité constate que l'article L. 2143-3 du code du travail a été modifié le 29 mars 2018, c'est- dire après le dépôt de la présente réclamation. Selon cet amendement, une nouvelle exemption de la rè gle de 10% a été ajoutée et un syndicat représentatif peut désormais choisir ses représentants parmi ses membres si tous les élus qui remplissent la condition des 10% renoncent par écrit leur droit d'être désigné délégué syndical. 66. Le Comité juge que cet amendement lève les restrictions excessives imposées aux syndicats dans la désignation de leurs représentants qui font l'objet de cette réclamation et supprime par conséquent les circonstances invoquées dans lesquelles les syndicats pouvaient être privées de leur droit de désigner leurs délégués. A cet égard, le Comité prend note également du rapport du Comité de la liberté syndicale de l'OIT n° 389 de juin 2019 qui a estimé que l'amendement en question contribue, conformément aux principes de la liberté syndicale, la préservation du droit des organisations syndicales de choisir librement leurs représentants syndicaux. 67. D s lors, le Comité constate qu'il n'y a pas violation de l'article 5 de la Charte”.

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La réforme de 2018 n'a cependant pas levé toutes les incertitudes. Vous avez ainsi précisé, par un arrêt du 8 juillet 2020, que "s'il n'est pas exclu qu'un syndicat puisse désigner un salarié candidat sur la liste d'un autre syndicat, qui a obtenu au moins 10 % des voix et qui l'accepte librement, l'article L. 2143-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, n'exige pas de l'organisation syndicale qu'elle propose, préalablement à la désignation d'un délégué syndical en application de l'alinéa 2 de l'article précité, à l'ensemble des candidats ayant obtenu au moins 10%, toutes listes syndicales confondues, d'être désigné délégué syndical. En vertu du même texte, lorsque tous les élus ou tous les candidats ayant obtenu au moins 10% des voix qu'elle a présentés aux dernières élections professionnelles ont renoncé à être désignés délégué syndical, l'organisation syndicale peut désigner comme délégué syndical l'un de ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement ou l'un de ses anciens élus ayant atteint la limite de trois mandats successifs au comité social et économique. Dès lors, ayant constaté que le précédent délégué syndical désigné par le syndicat avait démissionné de ses fonctions et que les autres candidats de la liste du syndicat avaient renoncé à exercer les fonctions de délégué syndical, un tribunal d'instance en déduit à bon droit que le syndicat a valablement désigné l'un de ses adhérents en qualité de délégué syndical"4. Dans l'hypothèse où les candidats renoncent à être désignés, cette renonciation doit être antérieure à la désignation par celle-ci de l'un de ses adhérents ou de l'un de ses anciens élus en qualité de délégué syndical5. La chambre sociale avait déjà affirmé cette position, dans un arrêt du 27 février 2013, qu'elle avait rendu, après consultation de l'ensemble des organisations syndicales représentatives de salariés et d'employeurs6. Ainsi que l'indique la Lettre de la chambre sociale, il s'agit de “conserver un système où l'affiliation confédérale reste l'élément essentiel du vote des électeurs. Il en résulte qu'un syndicat n'a pas l'obligation, s'il n'a plus sur sa liste de candidats ayant obtenu plus de 10% des suffrages, de proposer aux candidats des autres listes d'être désignés délégué syndical pour le représenter”7. Ici, sur les 4 candidats présentés, deux ont quitté l'entreprise, la troisième a démissionné de sa fonction et a ainsi renoncé à remplir cette fonction. L'organisation syndicale était-elle tenue de désigner le 4ème candidat alors que celui-ci n'était pas à jour de ses cotisations syndicales, mais n'avait pas formellement renoncé à être délégué syndical ? En réalité, l'absence de cotisation syndicale démontre que le salarié en cause n'est plus membre du syndicat. Dans un arrêt non publié du 26 mars 2014, sur lequel s'appuie le pourvoi, vous avez considéré que la cour d'appel, “ayant constaté, en se fondant sur les éléments produits par le syndicat dans le respect du contradictoire, à l'exclusion des éléments susceptibles de permettre l'identification de ses adhérents, dont seul le juge a pris connaissance, que les onze candidats de la liste aux dernières élections ne cotisent plus depuis plus d'une année à la CGT ou ne sont plus dans les effectifs de la société, ce dont il résultait que la Fédération ne disposait plus de candidats en mesure d'exercer un mandat de délégué syndical à son profit, le tribunal a dit à bon droit que la désignation par la Fédération d'un adhérent qui n'avait pas été candidat aux dernières élections professionnelles était valide”8.

4 Soc., 8 juillet 2020, pourvoi n° 19-14.605, FS-P+B. 5 Soc., 9 juin 2021, pourvoi n° 19-24.678, 6 Soc., 27 février 2013, pourvoi n° 12-17.221, Bull. 2013, V, n° 66. 7 Lettre de la chambre sociale n° 5 Juin/Juillet 2020, pp. 18/19, commentaire de l'arrêt Soc., 8 juillet

2020, pourvoi n° 19-14.605, FS-P+B. 8 Soc., 26 mars 2014, pourvoi n° 13-20.398.

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L'absence de cotisations démontre en effet que le salarié n'est plus adhérent du syndicat. En ce sens, l'absence de cotisation n'est pas une condition légale d'application des exceptions définies à l'article L. 2143-3 mais renvoie à l'hypothèse où le syndicat ne dispose plus de candidat en son sein. Exiger dans cette hypothèse que le salarié renonce également expressément à être désigné comme délégué syndical pourrait ne pas être sans conséquence. On ne peut exclure que dans un contexte conflictuel, l'absence de renonciation devienne une stratégie visant à priver l'organisation syndicale de son droit à désigner son représentant. L'objectif, poursuivi par le législateur en 2018, et par la Cour de cassation, est de faciliter la désignation de représentants syndicaux par les syndicats représentatifs en entreprise9. Cet objectif ne serait pas atteint s'il l'on admettait que la seule alternative d'un syndicat est de désigner un candidat qui n'en est plus membre. Le choix pourrait alors être de se priver d'un représentant au sein de l'entreprise. Dès lors que le syndicat peut démontrer que le salarié, candidat à l'élection et ayant obtenu 10 % des voix, n'est plus membre du syndicat, l'organisation syndicale représentative n'est pas tenue de le désigner. Cette interprétation est cohérente avec votre jurisprudence. Elle conforte le principe selon lequel l'affiliation confédérale reste l'élément essentiel du vote des électeurs. Elle s'inscrit dans la lignée de la jurisprudence issue de l'arrêt du 8 juillet 2020 qui permet aux organisations syndicales de ne pas désigner des candidats qui seraient membres d'une autre organisation. Enfin, elle protège la liberté syndicale et son corollaire le droit de l'organisation syndicale de choisir ses délégués syndicaux aux fins de la négociation collective. Si le syndicat peut décider de nommer un salarié, qui s'est présenté sur une autre liste syndicale, il ne doit pas être contraint de désigner, pour le représenter, un salarié qui n'est plus membre de ce syndicat. Dès lors que le syndicat peut prouver que le salarié n'est plus adhérent, ce qui est démontré ici par l'absence de paiement de cotisation pendant plus d'un an, il pourra préférer désigner un adhérent, qui n'a pas été candidat aux dernières élections professionnelles. Je suis donc d'avis de casser la décision du tribunal judiciaire. AVIS DE CASSATION

9 Voir la Lettre de la Chambre sociale (n ° 5 - Mai/Juin/Juillet 2020).

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