Cass. soc., Conclusions, 19-04-2023, n° 21-23.092
A84162R7
Référence
AVIS DE M. GAMBERT, AVOCAT GÉNÉRAL
Arrêt n° 489 du 19 avril 2023 – Chambre sociale Pourvoi n° 21-23.092 Décision attaquée : 17 août 2021 du conseil de prud'hommes d'Haguenau la société Catalent France [Localité 3] C/ M. [U] [W] _________________
Faits et procédure Le 11 mai 2006, la SA Catalent France [Localité 3] (la société) a embauché M. [U] [W] en qualité d'opérateur encapsulation. Le 1er octobre 2018, M. [W] a été licencié pour motif économique. Comme prévu par le PSE, l'employeur lui a proposé un congé de reclassement d'une durée de douze mois. La lettre de licenciement indiquait qu'en cas d'adhésion le congé commencerait 8 jours après la notification du licenciement, que le salarié serait alors dispensé de l'exécution du préavis et que la date de rupture du contrat de travail serait reportée à l'issue du congé de reclassement. Le salarié a adhéré au congé de reclassement qui a débuté le 10 octobre 2018 pour prendre fin le 13 octobre 2019 en ce compris la période de préavis de deux mois. Par une décision unilatérale du 28 janvier 2019, la société Catalent France [Localité 3] a mis en oeuvre le dispositif prévu par la loi n°2018-1213 du 24 décembre 2018 ayant institué la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat (prime PEPA, dite aussi prime Macron). 1
La société a soumis l'allocation de cette prime aux conditions suivantes : « Article 3 - PERSONNEL BÉNÉFICIAIRE Le montant de la prime exceptionnelle est alloué aux salariés liés à l'entreprise par un contrat de travail en vigueur au 31 décembre 2018. Article 4 - MODE DE CALCUL La prime est versée en conjuguant les deux prorata suivants : - prorata du temps de travail contractuel pour les salariés à temps partiel - prorata au temps de présence pour les personnes entrées au courant de l'année 2018 ou absentes, selon la règle qui suit : 100% du montant pour 12 mois de présence 80% pour 11 mois 0 % pour 10 mois et moins. » Estimant avoir droit à cette prime exceptionnelle en totalité, soit 800 euros, le salarié en a sollicité le versement près de son employeur qui lui a objecté le défaut de présence effective dans l'entreprise depuis le 10 octobre 2018. Dans ces circonstances, le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 19 août 2020. Par jugement rendu en dernier ressort le 17 août 2021, le conseil de prud'hommes de Haguenau a fait droit à la demande du salarié et a condamné l'employeur à payer le montant prévu pour 12 mois de présence outre des dommages intérêts en réparation du préjudice.
Pourvoi A l'appui de son pourvoi l'employeur développe deux moyens de cassation. Je souscris à la proposition de rejet non spécialement motivé du second moyen exprimé par le rapporteur, en conséquence, le présent avis portera sur le premier moyen. Dans le premier moyen, l'employeur reproche au conseil des prud'hommes d'avoir assimilé le congé de reclassement, période pendant laquelle l'employé conserve sa qualité de salarié de l'entreprise, à un temps de présence effective qui conditionne l'octroi de la PEPA.
Question La notion de présence effective dans l'entreprise pendant le congé de reclassement, y compris lorsqu'il inclut la période de préavis.
Discussion A - Le congé de reclassement (articles L.1233-71 et suivants du code du travail) Le congé de reclassement permet au salarié concerné par un licenciement collectif pour motif économique de bénéficier d'actions de formation et des prestations d'une cellule d'accompagnement dans la recherche d'emploi. 2
Malgré la dispense de travail accordée au salarié, le lien contractuel avec l'employeur est maintenu, la rémunération, diminuée, reste à la charge de l'employeur et les droits à indemnisation du chômage, qui pourraient survenir à l'échéance du congé, ne sont pas amputés. Selon les dispositions de l'article L. 1233-72 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, « Le congé de reclassement est pris pendant le préavis, que le salarié est dispensé d'exécuter . Lorsque la durée du congé de reclassement excède la durée du préavis, le terme de ce dernier est reporté jusqu'à la fin du congé de reclassement. Le montant de la rémunération qui excède la durée du préavis est égal au montant de l'allocation de conversion mentionnée au 3° de l'article L.5123-2. Les dispositions des articles L. 5123-4 et L. 5123-5 sont applicables à cette rémunération. » B - La prime exceptionnelle de pouvoir d'achat (PEPA) dite prime Macron. Elle a été instituée par la loi n°2018-1213 du 24 décembre 2018. Dans sa version applicable au litige, le législateur prévoyait d'en octroyer le bénéfice aux salariés liés par un contrat de travail au 31 décembre 2018 et disposait que « Son montant peut être modulé selon les bénéficiaires en fonction de critères tels que la rémunération, le niveau de classifications ou la durée de présence effective pendant l'année 2018 ou la durée de travail prévue au contrat de travail mentionnées à la dernière phrase du deuxième alinéa du III de l'article L. 241-13 du code de la sécurité sociale. Les congés prévus au chapitre V du titre II du livre II de la première partie du code du travail sont assimilés à des périodes de présence effective ; » A défaut d'un accord d'entreprise ou de groupe, les modalités pouvaient être arrêtées par décision unilatérale du chef d'entreprise au plus tard le 31 janvier 2019. Par une décision unilatérale du 28 janvier 2019, la société Catalent France [Localité 3] a soumis l'allocation de cette prime aux conditions suivantes :
« Article 3 - PERSONNEL BÉNÉFICIAIRE Le montant de la prime exceptionnelle est alloué aux salariés liés à l'entreprise par un contrat de travail en vigueur au 31 décembre 2018. Article 4 - MODE DE CALCUL La prime est versée en conjuguant les deux prorata suivants : - prorata du temps de travail contractuel pour les salariés à temps partiel - prorata au temps de présence pour les personnes entrées au courant de l'année 2018 ou absentes, selon la règle qui suit : 100% du montant pour 12 mois de présence 80% pour 11 mois 0 % pour 10 mois et moins. » De cette règle, il se déduit que pour un salarié à temps complet, le versement total de la prime ne suppose aucune absence au cours de l'année 2018 tandis que le versement partiel de la prime est acquis en cas d'absence inférieure à 2 mois. A partir de 2 mois d'absence et au delà, plus aucune prime n'était versée. 3
C - La notion de temps de présence effective Le temps de présence effective comprend les périodes de travail effectif et les périodes de travail assimilées au travail effectif par la loi et la jurisprudence. Selon les dispositions de l'article L.3121-1 du code du travail, «La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles». Certains temps non travaillés sont assimilés légalement ou conventionnement à des périodes de présence effective, tel est le cas des absences résultant de la maternité, des congés payés, des jours de récupération du temps de travail ou de repos supplémentaires, des congés d'ancienneté, des congés conventionnels, des congés de formation prévus au plan de formation. 1 - Pendant le congé de reclassement Selon votre jurisprudence, dont le rapport fait une analyse exhaustive, les titulaires d'un congé de reclassement demeurent salariés de l'entreprise jusqu'à l'issue de ce congé en application de l'article L. 1233-72 du code du travail, pour autant le congé de reclassement n'est pas légalement assimilé à une période de temps de travail effectif ( Soc. 07/11/2018, n°17-18.936 - Soc. 23/05/2017, n°16-12.369 - Soc. 01/06/2022, n°20-16.404). Par ailleurs, l'allocation de congé de reclassement, lorsque celui-ci excède la durée du préavis, constitue un revenu de remplacement et non pas un salaire, elle n'est pas soumise à la taxe sur les salaires prévue par l'article 231 bis D du code général des impôts, en vertu de l'article L.5123-5 du code du travail auquel renvoie l'article L.123372 (cf. Supra).
2 - Pendant la période de préavis. En revanche s'agissant de la période de préavis, l'article L.1234-5, al 1 et 2, du code du travail dispose : «Lorsque le salarié n'exécute pas le préavis, il a droit, sauf s'il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice. L'inexécution du préavis, notamment en cas de dispense par l'employeur, n'entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise.». En application de ce texte, « l'inexécution du préavis n'entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis, indemnités de congés payés comprises » (Soc.28/09/2022, n°21-11.042). Au surplus, l'indemnité compensatrice de préavis est soumise au régime juridique du salaire tant en ce qui concerne les garanties (superprivilège, insaisissabilité) que les cotisations sociales. Le salaire à payer est le salaire brut que le salarié aurait perçu s'il avait travaillé pendant la durée du délai congé ; les heures supplémentaires doivent être prises en compte dans la base de calcul de l'indemnité compensatrice de préavis dans la mesure où elles constituaient un élément stable et constant de la rémunération 4
(Soc 20/04/2005, n°04-45.683) et le salarié doit bénéficier des augmentations de salaire qui peuvent prendre effet pendant le délai-congé. Enfin, le salarié dispensé de préavis a droit au maintien de l'avantage en nature constitué par la mise à disposition d'un véhicule de fonction pour usage professionnel et personnel (Soc.24/03/2021, n°19-18.930). En conséquence, il découle, tant de la formulation de la loi que de son interprétation jurisprudentielle, que le préavis, même lorsqu'il n'est pas travaillé, est assimilé à un temps de travail effectif, sauf en cas de faute grave du salarié.
D - Application dans notre espèce Dans notre cas d'espèce, l'inexécution de toute prestation de travail pendant le préavis résulte de l'application de la loi elle-même (art L. 1233-72 du code du travail), elle n'est pas imputable à l'employeur, ni au salarié. Par ailleurs, la mise en oeuvre immédiate du congé de reclassement ne fait pas disparaître la période de préavis sur laquelle se greffe le congé de reclassement (art L. 1233-72 du code du travail). De la combinaison des textes et de votre jurisprudence, le congé de reclassement n'est pas légalement assimilé à une période de temps de travail sauf durant le préavis. En l'espèce, il y a lieu de juger que le contrat de travail de M. [W] était en vigueur le 31 décembre 2018 mais que sa présence effective avait cessé le 10 décembre 2018. Faute d'avoir été présent durant 12 mois au cours de l'année, il ne pouvait pas prétendre à la totalité de la prime mais au versement de 80% du montant comme prévu par la décision unilatérale du 28 janvier 2019 dans cette hypothèse. Je conclus à la cassation et j'estime que votre chambre pourrait envisager de statuer au fond.
Avis de cassation
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