Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 10-01-2024, n° 22-15.782

Cass. soc., Conclusions, 10-01-2024, n° 22-15.782

A84132RZ

Référence

Cass. soc., Conclusions, 10-01-2024, n° 22-15.782. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105408986-cass-soc-conclusions-10012024-n-2215782
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AVIS DE Mme MOLINA, AVOCATE GÉNÉRALE RÉFÉRENDAIRE

Arrêt n° 23 du 10 janvier 2024 (B) – Chambre sociale Pourvoi n° 22-15.782 Décision attaquée : 10 février 2022 de la cour d'appel d'Angers la société Eurac C/ M. [T] [L] _________________

M. [T] [L] a été embauché par la société Eurac le 1er octobre 2016 par contrat de travail à durée indéterminée à temps plein, comportant une convention de forfait en jours, à hauteur de 214 jours par an. Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 4 juillet 2018, l'employeur a notifié son licenciement au salarié, pour insuffisance professionnelle. Le 24 janvier 2019, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Laval aux fins de faire juger nulle sa convention de forfait en jours et de contester son licenciement. Par jugement du 6 décembre 2019, le conseil de prud'hommes a notamment dit que la convention de forfait en jours est valide ; débouté le salarié de ses demandes de rappel de salaire sur heures supplémentaires et congés payés afférents, de contrepartie financière liée au temps de déplacements professionnels, de contrepartie obligatoire en repos, de dommages et intérêts pour violation des

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dispositions légales relatives aux durées minimales de repos quotidien et hebdomadaire, de dommages et intérêts pour violation des dispositions légales relatives aux durées maximales de travail quotidien et hebdomadaire, d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, d'indemnité légale de licenciement ; dit que le licenciement du salarié ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse ; condamné l'employeur à verser au salarié des sommes au titre du rappel de prime sur objectifs, outre congés payés afférents, au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour circonstances vexatoires du licenciement. Sur appel du salarié, la cour d'appel d'Angers, dans un arrêt prononcé le 10 février 2022 a notamment confirmé le jugement déféré, sauf en ce qu'il a dit que la convention de forfait en jours est valide, débouté le salarié de ses demandes de rappel de salaire sur heures supplémentaires et congés payés afférents, de contrepartie financière liée au temps de déplacements professionnels, de contrepartie obligatoire en repos, de dommages et intérêts pour violation des dispositions légales relatives aux durées minimales de repos quotidien et hebdomadaire, de dommages et intérêts pour violation des dispositions légales relatives aux durées maximales de travail quotidien et hebdomadaire et de rappel d'indemnité légale de licenciement ; statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant, dit que la convention individuelle de forfait en jours du salarié est nulle ; condamné l'employeur à payer au salarié différentes sommes à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires pour une certaine période, outre au titre des congés payés afférents, de la contrepartie financière liée au temps de déplacements professionnels pour une certaine période outre au titre des congés payés afférents, à titre d'indemnité de contrepartie obligatoire en repos pour une certaine période outre congés payés afférents, à titre de dommages et intérêts pour violation du repos hebdomadaire, à titre de dommages et intérêts pour violation de la durée maximale quotidienne et hebdomadaire de travail, à titre de rappel d'indemnité légale de licenciement. L'employeur s'est pourvu en cassation. L'article L. 3121-58 du code du travail1 permet la conclusion de conventions de forfait exprimées en jours de travail pour certains salariés, selon certaines conditions.

Article L. 3121-58 du code du travail : “Peuvent conclure une convention individuelle de forfait en jours sur l'année, dans la limite du nombre de jours fixé en application du 3° du I de l'article L. 3121-64 : 1° Les cadres qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés ; 2° Les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées.” 1

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Système dérogatoire au décompte effectif du temps de travail et à certaines dispositions relatives à la durée légale de travail2, le recours au forfait annuel en jours peut laisser craindre des abus. En effet, la flexibilité de leur temps de travail et la large autonomie dont ils bénéficient dans l'organisation de celui-ci, pourraient mener les salariés qui sont soumis au forfait annuel en jours à supporter une surcharge de travail, de nature à porter un risque à leur santé. C'est pourquoi, le recours au forfait annuel en jours doit obéir à des règles strictes. Ainsi, la conclusion d'une convention individuelle de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif d'entreprise3, être établie par écrit et avoir recueilli l'accord du salarié4. En outre, le législateur ayant conçu, l'accord collectif comme la pierre angulaire du dispositif, la Cour, au visa de l'alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ainsi que de l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui se réfère à la Charte sociale européenne révisée ainsi qu'à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989, a subordonné sa validité au respect d'exigences non prévues par la loi dans un premier temps en lui assignant la mission de garantir “le respect des durées maximales de travail ainsi que des repos tant journaliers qu'hebdomadaires” (Soc., 29 juin 2011, pourvoi n° 09-71.107), afin d'assurer “la protection de la sécurité et de la santé du salarié” (Soc., 24 avril 2013, pourvoi n° 11-28.398). La Cour juge de façon constante que tel n'est pas le cas “d'un accord d'entreprise qui ne prévoit pas un suivi effectif et régulier par la hiérarchie du salarié des états récapitulatifs de son temps travaillé qui lui sont transmis, permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable.” (Soc., 5 octobre 2017, pourvoi n° 1623.110, 16-23.111, 16-23.106, 16-23.107, 16-23.108, 16-23.109); (Soc., 17 janvier 2018, pourvoi n° 16-15.124) et qu'un accord collectif “qui n'institue pas de suivi effectif et régulier permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge Article L. 3121-62 du code du travail : “Les salariés ayant conclu une convention de forfait en jours ne sont pas soumis aux dispositions relatives : 1° À la durée quotidienne maximale de travail effectif prévue à l'article L. 3121-18 ; 2° Aux durées hebdomadaires maximales de travail prévues aux articles L. 3121-20 et L. 3121-22 ; 3°À la durée légale hebdomadaire prévue à l'article L. 3121-27.” 2

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Article L. 3121-63 du code du travail (précédemment Article L. 3121-39 dans sa version issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008) : “Les forfaits annuels en heures ou en jours sur l'année sont mis en place par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche.” 4

Article L. 3121-55 du code du travail (précédemment Article L. 3121-40 dans sa version issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008) : “La forfaitisation de la durée du travail doit faire l'objet de l'accord du salarié et d'une convention individuelle de forfait établie par écrit.”

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de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, n'est pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé.” (Soc., 15 avril 2016, pourvoi n° 15-12.588 ; Soc., 14 décembre 2022, pourvoi n_ 21-10.251, 20-20.572Soc., 14 décembre 2022, pourvoi n° 21-10.251, 20-20.572). À la suite, le législateur a souhaité “sécuriser le dispositif du forfait en jours en intégrant dans le code du travail les recommandations formulées par la Cour de cassation à travers sa jurisprudence”5. Ainsi, la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dans sa version en vigueur jusqu'au 22 décembre 2017, a créé notamment dans le code du travail l'article L. 3121-60 qui dispose “l'employeur s'assure régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail” ainsi que l'article L. 3121-64 II6 Page 38 de l'Etude d'impact de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels. Page 39 : “Ensuite, le projet de loi précise, afin de sécuriser les employeurs, les clauses obligatoires de l'accord collectif instaurant un forfait en jours. Ces clauses visent à garantir le droit à la santé et au repos des salariés tel que rappelé par la Cour de cassation.” https://www.legifrance.gouv.fr/contenu/Media/Files/autour-de-la-loi/legislatif-etreglementaire/etudes-d-impact-deslois/ei_art_39_2016/ei_libertes_protections_entreprises_actifs_cm_24.03.2016.pdf.pdf 5

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Article L. 3121-64 du code du travail dans sa version issue de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 : “I.-L'accord prévoyant la conclusion de conventions individuelles de forfait en heures ou en jours sur l'année détermine : 1° Les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, dans le respect des articles L. 3121-56 et L. 3121-58 ; 2° La période de référence du forfait, qui peut être l'année civile ou toute autre période de douze mois consécutifs ; 3° Le nombre d'heures ou de jours compris dans le forfait, dans la limite de deux cent dixhuit jours s'agissant du forfait en jours ; 4° Les conditions de prise en compte, pour la rémunération des salariés, des absences ainsi que des arrivées et départs en cours de période ; 5° Les caractéristiques principales des conventions individuelles, qui doivent notamment fixer le nombre d'heures ou de jours compris dans le forfait. II.-L'accord autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours détermine : 1° Les modalités selon lesquelles l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ; 2° Les modalités selon lesquelles l'employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l'organisation du travail dans l'entreprise ; 3° Les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion prévu au 7° de l'article L. 2242-8. L'accord peut fixer le nombre maximal de jours travaillés dans l'année lorsque le salarié renonce à une partie de ses jours de repos en application de l'article L. 3121-59. Ce nombre de jours doit être compatible avec les dispositions du titre III du présent livre relatives au

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qui prévoit l'insertion dans les accords collectifs de stipulations relatives au renforcement du suivi de la charge de travail des salariés soumis aux conventions de forfait en jours. L'article L. 3121-65 du code du travail, dans sa version créée par la loi précitée, dispose par ailleurs, “I.- À défaut de stipulations conventionnelles prévues aux 1° et 2° du II de l'article L. 3121-64, une convention individuelle de forfait en jours peut être valablement conclue sous réserve du respect des dispositions suivantes : 1° L'employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l'employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ; 2° L'employeur s'assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ; 3° L'employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l'organisation de son travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération. II.-À défaut de stipulations conventionnelles prévues au 3° du II de l'article L. 312164, les modalités d'exercice par le salarié de son droit à la déconnexion sont définies par l'employeur et communiquées par tout moyen aux salariés concernés. Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, ces modalités sont conformes à la charte mentionnée au 7° de l'article L. 2242-8.” De plus, l'article 12 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels a prévu deux mécanismes de “sécurisation” des conventions individuelles de forfait adossées à un accord collectif conclu avant l'entrée en vigueur de la loi et donc non conforme à ses nouvelles exigences. Il dispose notamment “I. - Lorsqu'une convention ou un accord de branche ou un accord d'entreprise ou d'établissement conclu avant la publication de la présente loi et autorisant la conclusion de forfaits annuels en heures ou en jours est révisé pour être mis en conformité avec l'article L. 3121-64 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la présente loi, l'exécution de la convention individuelle de forfait annuel en heures ou en jours se poursuit sans qu'il y ait lieu de requérir l'accord du salarié. II. - Les 2° et 4° du I de l'article L. 3121-64 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la présente loi, ne prévalent pas sur les conventions ou accords de branche ou accords d'entreprise ou d'établissement autorisant la conclusion de conventions de forfait annuel en heures ou en jours et conclus avant la publication de la présente loi. III. - L'exécution d'une convention individuelle de forfait en jours conclue sur le fondement d'une convention ou d'un accord de branche ou d'un accord d'entreprise ou d'établissement qui, à la date de publication de la présente loi, n'est pas conforme aux 1° à 3° du II de l'article L. 3121-64 du code du travail peut être poursuivie, sous réserve que l'employeur respecte l'article L. 3121-65 du même code. Sous ces mêmes réserves, l'accord collectif précité peut également servir de fondement à la conclusion de nouvelles conventions individuelles de forfait.” repos quotidien, au repos hebdomadaire et aux jours fériés chômés dans l'entreprise et avec celles du titre IV relatives aux congés payés.”

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Dès lors, s'ils sont entrés en vigueur avant la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, les accords collectifs doivent permettre d'assurer que l'amplitude et la charge de travail du salarié restent raisonnables et de garantir une bonne répartition, dans le temps, du travail ainsi que prévoir un contrôle effectif et régulier de la charge de travail du salarié par sa hiérarchie permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable. Postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi, ces exigences sont maintenues et désormais légales, mais les dispositions de l'article L. 3121-65 du code du travail permettent à l'employeur de suppléer à la carence des partenaires sociaux dans la conclusion d'une convention ou d'un accord conforme, s'agissant des éléments relatifs à la charge de travail notamment (article L. 3121-64 II 1° et 2°). De plus, la convention de forfait se poursuit sans qu'il y ait lieu de requérir l'accord du salarié lorsqu'un accord collectif conclu antérieurement à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 est révisé afin d'être mis en conformité avec les dispositions de l'article L. 3121-64 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi. En l'espèce, le pourvoi soumet tout d'abord à la Cour la question de l'appréciation de la mise en place d'un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées et de la conséquence de sa validation par le salarié ainsi que la question de la sanction de l'absence de preuve par l'employeur de l'exécution de l'obligation d'organiser un entretien portant sur la charge de travail du salarié. Il soutient que l'employeur a valablement appliqué la convention de forfait en jours en mettant en place un document de contrôle validé par le salarié et que la cour d'appel aurait dû caractériser en quoi les erreurs y figurant n'étaient pas imputables à ce dernier, au regard de sa validation. Les dispositions de l'article L. 3121-65 1° énoncent que si le document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées, établi par l'employeur, peut-être renseigné par le salarié, cette faculté reste sous la responsabilité de l'employeur. Ainsi, ce dernier, dans le cadre d'une convention de forfait en jours, ne peut diluer son obligation de contrôle du temps de travail des salariés, corollaire de son pouvoir de direction, en attribuant au salarié une responsabilité en cas de validation d'un document inexact mentionnant son temps de travail. Il appartient à l'employeur de s'assurer de la fiabilité du document relevant le temps de travail du salarié, même dans le cadre d'un aménagement du temps de travail laissant une certaine liberté d'organisation au salarié, tel que le forfait en jours. L'employeur doit être d'autant plus vigilant dans ce cadre que l'autonomie dont bénéficie le salarié peut le conduire à une amplitude de travail de nature à remettre en cause ses droits à la santé, au repos et à la sécurité, dont l'employeur doit pourtant assurer la protection. Dès lors, je considère que le pourvoi ne peut reprocher à la cour d'appel d'avoir considéré que le document produit ne permettait pas à l'employeur de s'assurer que la charge de travail du salarié était compatible avec le respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire alors qu'elle avait retenu qu'il n'était pas renseigné correctement.

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➤ Je conclus au rejet sur les deux premières branches réunies du premier moyen du pourvoi principal. Par ailleurs, la cour d'appel a constaté que l'accord relatif à la réduction et l'aménagement du temps de travail du 5 septembre 2003 de la convention collective nationale des commerces de détail non alimentaires, applicable au contrat de travail du salarié, n'était pas conforme aux dispositions de l'article L. 3121-64 du code du travail, ne prévoyant notamment aucune modalité de communication périodique entre l'employeur et le salarié sur la charge de travail de ce dernier. Elle a donc ensuite fait valablement application de l'article L. 3121-65 du code du travail puisque le contrat de travail datait du 1er octobre 2016. A-t-elle néanmoins retenu la sanction idoine en prononçant la nullité de la convention individuelle de forfaits en jours après avoir relevé que le document de contrôle du temps de travail du salarié n'était pas renseigné correctement, que ce dernier n'avait pas bénéficié d'un entretien individuel annuel avec l'employeur pour évoquer sa charge de travail et que la convention de forfait en jours ne comportait pas de modalités d'exercice de son droit à déconnexion ? La Cour juge qu'antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 8 août 2016 : - la nullité de la convention individuelle de forfait en jours est encourue lorsque les conditions d'éligibilité du salarié concerné par le dispositif ne sont pas remplies, en l'absence d'un accord collectif permettant de recourir à un forfait en jours, en l'absence d'un accord collectif contenant les garanties suffisantes en termes de repos et de santé au travail, à défaut d'une convention individuelle écrite, précisant le nombre de jours inclus dans le forfait ; - la convention de forfait en jours est privée d'effet pendant la durée de la défaillance de l'employeur, en cas de manquement de celui-ci à ses obligations de suivi de la charge de travail du salarié telles que prévues par l'accord collectif ouvrant le recours au forfait en jours, alors que ce recours est régulier. Quelle sanction retenir en cas de manquement de l'employeur aux dispositions de l'article L. 3121-65 du code du travail ? Cet article dispose notamment “À défaut de stipulations conventionnelles prévues aux 1° et 2° du II de l'article L. 3121-64, une convention individuelle de forfait en jours peut être valablement conclue sous réserve du respect des dispositions suivantes : [...], tandis qu'il ressort de l'article 12 III de la loi du 8 août 2016 qu'une convention ou un accord de branche ou un accord d'entreprise ou d'établissement, qui à la date de publication de la loi n'est pas conforme aux 1° à 3° du II de l'article L. 3121-64 du code du travail, peut servir de fondement à la conclusion de nouvelles conventions individuelles de forfait, sous réserve que l'employeur respecte l'article L.3121-65 du même code. Je considère que, ce faisant, par le dispositif de sécurisation qu'il a mis en oeuvre, cherchant à réduire les risques d'annulation des futures conventions de forfait, le législateur a souhaité que les dispositions légales pallient les lacunes

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conventionnelles, sur le suivi du temps de travail du salarié, de l'accord applicable à la relation de travail, dans l'attente de sa mise en conformité. Il a cependant strictement encadré cette possibilité en imposant trois obligations à l'employeur, étant précisé que l'article 12 précité de la loi ne les mentionne pas en tant que conditions de validité des nouvelles conventions individuelles de forfait conclues. Ainsi, puisque dans le dispositif antérieur à la loi du 8 août 2016, la convention individuelle de forfait en jours était privée d'effet, alors qu'un accord prévoyait valablement les obligations de l'employeur dans le suivi de la charge de travail du salarié mais que l'employeur ne les respectait pas, je considère que cette même sanction est désormais encourue lorsque, en l'absence d'un accord collectif valable, l'employeur ne respecte pas les dispositions de l'article L. 3121-65 du code du travail, dès lors que celles-ci se substituent à l'accord collectif défaillant. À mon sens, considérer que le défaut de respect des dispositions légales fait encourir la nullité de la convention de forfait en jours, ne répondrait pas à l'objectif de sécurisation souhaité par le législateur tel que rappelé dans l'étude d'impact de la loi du 8 août 2016, au contraire de la sanction permettant de priver d'effet la convention le temps de la défaillance de l'employeur. De plus, priver d'effet une convention collective de forfait en jours permet à la fois de protéger les droits des salariés et à l'employeur de revoir le mécanisme d'organisation du temps de travail qu'il a proposé au salarié, en le suspendant jusqu'à sa mise en conformité avec les dispositions légales, sans le faire disparaître par le prononcé d'une nullité. ➤ Je conclus à la cassation sur la troisième branche du premier moyen du pourvoi principal, laquelle peut intervenir sans renvoi. En effet, les conséquences d'une convention individuelle nulle ou privée d'effet sont identiques et entraînent un retour aux règles de droit commun de la durée du travail. En l'espèce, la cour d'appel a statué sur ces conséquences. Le pourvoi principal reproche également à la cour d'appel d'avoir condamné l'employeur à verser au salarié une somme à titre d'heures supplémentaires. Il soutient que la cour d'appel a statué par voie d'affirmation, sans indiquer sur quels éléments de preuve elle se fondait pour affirmer l'existence d'heures supplémentaires et n'a pas recherché, ni évalué le nombre d'heures supplémentaires effectivement réalisées par le salarié, expressément contesté par l'employeur. Aux termes de l'article L. 3171-4 du code du travail, “En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.” En application de ce texte, la chambre a, dans un premier temps, jugé que la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des

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parties et que lorsque le salarié fournit au juge des éléments de nature à étayer sa demande, il appartient à l'employeur d'apporter des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés, étant précisé que l'examen des éléments produits par les parties relève du pouvoir souverain d'appréciation du juge du fond. Les dispositions précitées instituant un régime de preuve partagée entre le salarié et l'employeur, il n'était pas question de faire peser la preuve sur le seul salarié et si ce dernier devait préalablement produire des éléments, à l'instar de tout demandeur en justice, ceux-ci devaient être d'ordre factuel, certes suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre utilement, mais pouvant éventuellement avoir été établis par ses soins (Soc., 30 septembre 2015, pourvoi n° 14-17.748, Bull. 2015, V, n° 185). Les juges du fond doivent cependant vérifier si dans les faits, le décompte produit permet effectivement une réponse de l'employeur. Par la suite, aux fins de clarifier la mise en oeuvre de la règle probatoire, vous avez supprimé la référence à la notion d'étaiement qui pouvait renvoyer à une nécessité de prouver et pas seulement à celle de produire des éléments. Vous jugez désormais qu'“en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.” (Soc., 18 mars 2020, pourvoi n° 18-10.919 et Soc., 27 janvier 2021, pourvoi n° 17-31.046). En effet, la preuve étant partagée, il revient au salarié d'apporter des éléments factuels et non des éléments de preuve. En l'espèce, la cour d'appel a tout d'abord examiné le décompte des heures supplémentaires versé par le salarié, rappelé les explications données par ce dernier quant au contenu de ce document et relevé que ce décompte apparaissait suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre utilement en apportant ses propres éléments, rappelant qu'il appartient à ce dernier de contrôler les heures de travail effectuées. Elle a ensuite présenté les éléments avancés par l'employeur et indiqué pour chacun d'eux pourquoi elle ne le retenait pas, développant une motivation pour chacun, à l'appui des pièces produites. Elle a conclu que l'employeur n'apportait aucun élément aux débats de nature à contredire l'existence d'heures supplémentaires non rémunérées réalisées par le salarié. La cour d'appel n'a pas procédé par affirmation et la mention contestée par le pourvoi ne vient que dans la conclusion, après des développements argumentés. Je considère que la cour d'appel a donc fait une juste application de la balance de la preuve requise.

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➤ Je m'associe à la proposition de rejet non spécialement motivé présentée par Monsieur le conseiller rapporteur sur le deuxième moyen du pourvoi principal. Le pourvoi principal reproche enfin à la cour d'appel d'avoir jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il soutient que la lettre de licenciement énonçait des motifs précis et matériellement vérifiables et que la preuve étant libre en matière prud'homale, l'employeur était recevable et fondé à produire des documents émanant du supérieur hiérarchique du salarié. La lettre de licenciement doit énoncer le ou les motifs invoqués par l'employeur (article L. 1232-6 alinéa 2 du code du travail), son contenu fixe les limites du litige. Les motifs mentionnés doivent être précis, objectifs et vérifiables et, en cas de contestation, l'employeur peut invoquer toutes les circonstances de fait permettant de justifier ces motifs. Le juge a l'obligation d'examiner l'ensemble des griefs invoqués dans la lettre de licenciement et de vérifier le sérieux et la réalité de ceux sur lesquels il se fonde. En l'espèce, après avoir rappelé chacun des motifs invoqués dans la lettre de licenciement, la cour d'appel a mentionné les éléments versés aux débats par l'employeur, repris chacun des griefs en les confrontant aux pièces versées, retenu que les reproches faits au salarié n'étaient pas illustrés par des exemples ou situations clairement identifiés. Je considère que ce faisant, la cour d'appel a souverainement apprécié les éléments qui lui étaient soumis avant de conclure que l'insuffisance professionnelle qui était reprochée au salarié n'était pas caractérisée. ➤ Je m'associe à la proposition de rejet non spécialement motivé présentée par Monsieur le conseiller rapporteur sur le troisième moyen du pourvoi principal. Dans un pourvoi incident, il est reproché à la cour d'appel d'avoir débouté le salarié de sa demande en paiement d'une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé. Il argue que la dissimulation partielle d'emploi salarié est caractérisée lorsqu'il est établi que l'employeur a imposé au salarié de travailler au-delà des jours prévus dans la convention de forfait en jours sans mentionner les jours de travail sur les bulletins de paie. Il soutient encore que l'intention de l'employeur de dissimuler une partie de l'activité salariée de l'intéressé est caractérisée en l'espèce par l'utilisation délibérée par l'employeur de documents de suivi des jours de travail ne rendant pas fidèlement compte des journées de travail à l'exécution desquelles le salarié était tenu. Si aux termes de l'alinéa 3 de l'article L. 8221-5 du code du travail, “Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur : [...]

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2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ; [...]”, la chambre juge que le caractère intentionnel du travail dissimulé ne peut se déduire de la seule application d'une convention de forfait illicite (Soc., 16 juin 2015, pourvoi n° 14-16.953 ; Soc., 1 décembre 2016, pourvoi n° 15-21.609 ; Soc., 28 février 2018, pourvoi n° 16-19.054), ni de la seule application du dispositif de quantification préalable prévue par une convention collective (Soc., 5 juin 2019, pourvoi n° 17-23.228). Par ailleurs, si les juges du fond sont tenus de caractériser l'élément intentionnel, la reconnaissance de celui-ci est laissée à leur appréciation souveraine (Soc., 20 janvier 2010, pourvoi n° 08-43.476 ; Soc., 2 décembre 2015, pourvoi n° 1422.311). En l'espèce, la cour d'appel a jugé que le caractère intentionnel de la dissimulation n'était pas caractérisé, après une appréciation souveraine des éléments soumis, précisant que l'employeur pouvait considérer, même à tort, que le salarié bénéficiait d'une convention de forfait en jours. ➤ Je m'associe à la proposition de rejet non spécialement motivé présentée par Monsieur le conseiller rapporteur sur le pourvoi incident.

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