Cass. civ. 1, Conclusions, 23-11-2022, n° 21-19.490
A83992RI
Référence
AVIS DE Mme MALLET-BRICOUT, AVOCATE GÉNÉRALE
Arrêt n° 831 du 23 novembre 2022 – Première chambre civile Pourvoi n° 21-19.490 Décision attaquée : Cour d'appel de Reims du 26 mai 2021
M. [H] [S] C/ le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Reims _________________
Il convient de se référer à l'énoncé détaillé des faits et de la procédure tel qu'il résulte du rapport de madame la conseillère rapporteure, de l'arrêt attaqué et des écritures des parties. Le pourvoi est développé en trois moyens, qui concernent la procédure disciplinaire à l'égard des avocats.
1. Sur le premier moyen de cassation – Avis du ministère public Le pourvoi reproche à l'arrêt attaqué de n'avoir pas précisé si le ministère public avait émis un avis écrit ou oral et si cet avis avait été communiqué à l'avocat afin qu'il puisse y répondre utilement. Plus précisément, le grief soulevé par le pourvoi est ainsi rédigé : « Me [S] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré constituées certaines fautes disciplinaires reprochées (…) et d'avoir prononcé à son encontre les peines d'interdiction temporaire d'exercice pour une durée de douze mois dont dix mois assortis du sursis (…) ALORS QUE l'exigence d'un procès équitable et le principe de la contradiction imposent qu'en matière disciplinaire, lorsque le procureur général émet un avis, l'arrêt précise si cet avis est oral ou écrit et si, en ce cas, le professionnel poursuivi en a reçu communication afin de pouvoir y répondre utilement ; en l'espèce, l'arrêt se borne à mentionner que l'affaire a été régulièrement communiquée au ministère public, représenté lors des débats par M. Guérin, avocat général, qui a fait connaître son avis ; qu'en procédant ainsi, sans préciser si l'avis du ministère public était écrit ou oral et si, dans cette dernière hypothèse, Me [S] en a reçu communication afin d'être en mesure d'y répondre utilement, la cour d'appel a violé les articles 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'homme et 16 du code de procédure civile. » Le pourvoi reconnaît donc que l'arrêt attaqué a relevé que le ministère public avait émis un avis lors de l'audience, mais il critique l'absence de précision, dans l'arrêt attaqué, sur l'existence d'un avis écrit ou oral. La cour d'appel a toutefois souligné, dans une même phrase, que le ministère public était « représenté lors des débats » et qu'il avait « fait connaître son avis »1 : la réalité d'un avis oral à l'audience ne paraît pas douteuse à la lecture de cette formulation. Mais le pourvoi va plus loin, estimant que si l'avis était oral (« dans cette dernière hypothèse »), la cour aurait dû préciser si l'avocat en avait reçu communication afin d'être en mesure d'y répondre utilement. On peut observer sur ce point une distorsion entre le pourvoi et le mémoire ampliatif, car le mémoire considère quant à lui qu' « Il est impossible de savoir à la lecture de l'arrêt si le ministère public a fait connaître son avis par oral ou par écrit et a fortiori si des conclusions écrites ont été déposées par l'avocat général avec l'assurance que M. [S] en a reçu communication pour pouvoir y répondre », mettant ainsi l'accent sur la communication à l'avocat de l'éventuel avis écrit du ministère public. Dans l'hypothèse d'un avis oral lors des débats, il est admis que la personne concernée (ou son conseil) a pu y répondre utilement lors de l'audience (elle doit
1 Arrêt attaqué, page 1 : “l'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats
par M. Guérin, avocat général, qui a fait connaître son avis.”
notamment avoir eu la parole en dernier), outre la possibilité de déposer des observations après la clôture des débats. Ce n'est que dans le cas d'un avis écrit que la question peut se poser de sa communication effective à l'avocat, afin que celui-ci puisse y répondre utilement. Dès lors, la seule question susceptible d'être posée en l'espèce était celle de savoir si la cour d'appel aurait dû préciser si un avis écrit avait été également transmis par le ministère public avant l'audience et, le cas échéant, si cet avis écrit avait bien été communiqué à l'avocat concerné afin que celui-ci puisse en prendre connaissance et y répondre utilement. Le premier moyen, tel qu'énoncé dans le pourvoi, ne soulève pas précisément cette problématique, s'en tenant à l'avis oral du ministère public. Sur cet aspect de la procédure, le droit à un procès équitable et le principe du contradictoire ont en l'espèce été respectés. Le moyen qui reproche à l'arrêt attaqué d'avoir violé les articles 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'homme et 16 du code de procédure civile pour ne pas avoir « précisé si l'avis du ministère public était écrit ou oral et si, dans cette dernière hypothèse, Me [S] en a reçu communication afin d'être en mesure d'y répondre utilement », doit donc être rejeté. Au regard de ces éléments, mon avis est dans le sens du rejet non spécialement motivé du premier moyen ainsi que le propose madame la conseillère rapporteure.
II. Sur le deuxième moyen de cassation – Droit à la parole en dernier Le deuxième moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré constituées certaines fautes disciplinaires reprochées à Me [S] et d'avoir prononcé certaines peines à son encontre, « ALORS QUE l'exigence d'un procès équitable implique qu'en matière disciplinaire la personne poursuivie ou son avocat soit entendu à l'audience et puisse avoir la parole en dernier, et que mention en soit faite dans la décision ; qu'en l'espèce, l'arrêt qui condamne Me [S] à une peine disciplinaire ne constate pas que ce dernier ou son conseil a été invité à prendre la parole en dernier ; en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 6§ 1 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Sur le fondement du droit au procès équitable, la première chambre civile considère de longue date, en matière disciplinaire, que la personne poursuivie ou son avocat doit être entendu(e) à l'audience et qu'elle puisse avoir la parole en dernier. La première chambre civile précise même régulièrement que mention doit être faite (ou qu'il doit être constaté) dans l'arrêt que l'avocat a effectivement eu la parole en dernier2. La cour d'appel doit ainsi s'assurer, sous peine de violation de 1
V. notamment, Civ.1. 25 février 2010, n° 09-11180, publié (discipline des greffiers titulaires de
l'article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l'homme, du respect de cette exigence. La jurisprudence de la première chambre civile est en outre transversale sur ce point, elle s'applique à diverses procédures disciplinaires. On peut citer pour exemple topique, l'arrêt rendu par la première chambre civile le 25 mars 2020, n° 19-14413 (discipline des avocats) qui a jugé :
« Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : 5. Selon ce texte toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement. L'exigence d'un procès équitable implique qu'en matière disciplinaire la personne poursuivie ou son avocat soit entendu à l'audience et puisse avoir la parole en dernier, et que mention en soit faite dans la décision. 6. L'arrêt qui condamne Mme F. à une peine disciplinaire, ne constate pas que celle-ci ou son conseil a été invité à prendre la parole en dernier. 7. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »
Ou encore l'arrêt de cassation Civ.1. 20 février 2019, n° 18-12298, publié (discipline des avocats), qui marque également la position stricte de la Cour et dont la rédaction est très générale : « Sur le moyen unique : Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales; Attendu que l'exigence d'un procès équitable implique qu'en matière disciplinaire la personne poursuivie ou son avocat soit entendu à l'audience et puisse avoir la parole en dernier, et que mention en soit faite dans la décision ; que le dépôt d'une note en délibéré par la personne poursuivie n'est pas de nature à supprimer cette exigence ; Attendu que l'arrêt condamne M. B. à une peine disciplinaire, après avoir relevé que l'intéressé a produit une note en délibéré en réponse aux observations du ministère public ; Qu'en statuant ainsi, sans constater que M. B. ou son conseil avait été invité à prendre la parole en dernier, la cour d'appel a violé le texte susvisé »
Néanmoins, dans certaines circonstances, la jurisprudence de la Cour de cassation fait preuve de souplesse sur cette question. En premier lieu, il arrive que la Cour de cassation se réfère au contenu de notes d'audience ou du registre d'audience pour constater que la personne soumise à une procédure disciplinaire a effectivement eu la parole en dernier : Civ.1. 27 mars 2019, n° 17-24242, publié (discipline des commissaires-priseurs) : charge) ; Civ.1. 20 février 2019 (n° 18-12298, publié (discipline des avocats) ; Civ.1. 1 er juillet 2020, n° 19-12034 (discipline des notaires) ; Civ.1. 25 mars 2020, n° 19-11911 (discipline des notaires) ; Civ.1. 25 mars 2020, n° 19-14413 (discipline des avocats) ; Civ.1. 24 octobre 2019, n° 18-22032 (discipline des notaires).
« Attendu que l'OVV et le commissaire-priseur font grief à l'arrêt de confirmer la décision du CVV, alors, selon le moyen, que l'exigence d'un procès équitable implique qu'en matière disciplinaire, la personne poursuivie ou son avocat soit entendu à l'audience et puisse avoir la parole en dernier, et que mention en soit faite dans la décision ; qu'en l'espèce, faute de toute mention de l'arrêt indiquant que le conseil du commissaire-priseur et de l'OVV, non comparants, aurait été invité à prendre la parole en dernier, la cour d'appel, qui statuait en matière disciplinaire, a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales; Mais attendu qu'aux termes de l'article 459 du code de procédure civile, l'omission ou l'inexactitude d'une mention destinée à établir la régularité du jugement ne peut entraîner la nullité de celui-ci s'il est établi par les pièces de la procédure, par le registre d'audience ou par tout autre moyen que les prescriptions légales ont été, en fait, observées ; Et attendu que, si l'arrêt ne mentionne pas que l'avocat des personnes poursuivies, non comparantes, a eu la parole en dernier, il ressort cependant de l'extrait du registre d'audience signé du greffier et du président, certifié conforme par le greffier en chef, que tel a été le cas ; que le moyen n'est pas fondé »
V. aussi, sur la prise en compte de notes d'audience, Civ.2. 4 mars 2021, n° 1924789 (cautionnement) : « Réponse de la Cour 6. En premier lieu, en application des articles 727 et 968 du code de procédure civile, les notes d'audience constituent un acte de la procédure versé au dossier de première instance qui est joint à celui de la cour d'appel, dont chaque partie peut demander la communication, sans que le juge ait à solliciter les observations des parties. 7. C'est donc sans méconnaître le principe de la contradiction que la cour d'appel s'est fondée sur des notes d'audience pour juger les exceptions de nullité irrecevables. »
L'article 459 du code de procédure civile dispose en effet : « L'omission ou l'inexactitude d'une mention destinée à établir la régularité du jugement ne peut entraîner la nullité de celui-ci s'il est établi par les pièces de la procédure, par le registre d'audience ou par tout autre moyen que les prescriptions légales ont été, en fait, observées. » V. aussi l'article 727 CPC. En second lieu, un mouvement plus net d'évolution de la jurisprudence sur cette question est perceptible depuis récemment au sein de la Cour de cassation. Ainsi, la chambre commerciale s'est récemment opposée à cette rigueur formelle à propos de sanctions professionnelles3 demandées par un liquidateur : Com. 29 septembre 2021, n° 19-25112, publié : « l'exigence d'un procès équitable, issue de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, n'implique pas le droit 2 Ces sanctions sont comparables à celles prononcées dans le cadre des procédures disciplinaires
dont le contrôle relève de la première chambre civile. En l'espèce : interdiction de gérer et faillite personnelle.
pour la personne contre qui il est demandé le prononcé d'une sanction professionnelle, ou son avocat, d'avoir la parole en dernier avant la clôture des débats » (cité par le MD, p.
7). Plus récemment encore, la première chambre civile a décidé, dans un arrêt rendu le 15 juin 2022, n° 21-16513, publié (discipline des huissiers de justice) : « 3. M. M. fait grief à l'arrêt de prononcer sa suspension provisoire et de commettre MM. d'H. et R. en qualité d'administrateurs pour le remplacer dans ses fonctions, alors « que l'exigence d'un procès équitable commande que l'officier public dont la suspension provisoire est sollicitée, ou son avocat, soit entendu à l'audience et puisse avoir la parole en dernier ; qu'en ce qu'il ne constate pas que l'avocat de M. M., huissier de justice, a pu avoir la parole en dernier, l'arrêt ne met pas la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, de sorte qu'il est dépourvu de base légale au regard de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. Réponse de la Cour 4. L'article 32 de l'ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels dispose : « Tout officier public ou ministériel qui fait l'objet d'une poursuite pénale ou disciplinaire peut se voir suspendre provisoirement l'exercice de ses fonctions. En cas d'urgence, la suspension provisoire peut être prononcée, même avant l'exercice des poursuites pénales ou disciplinaires, si des inscriptions ou vérifications ont laissé apparaître des risques pour les fonds, effets ou valeurs qui sont confiés à l'officier public ou ministériel à raison de ses fonctions. » 5. Selon l'article 35 de l'ordonnance précitée, le tribunal judiciaire peut, à tout moment, à la requête soit du procureur de la République, soit de l'officier public ou ministériel, mettre fin à la suspension provisoire. Celle-ci cesse de plein droit dès que les actions pénale et disciplinaire sont éteintes et, dans le cas prévu au dernier alinéa de l'article 32 précité, si, à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de son prononcé, aucune poursuite pénale ou disciplinaire n'a été engagée. 6. Il ressort de ces textes que cette suspension provisoire n'est pas une sanction, mais une mesure de sûreté conservatoire, d'une durée limitée à celle des actions pénale ou disciplinaire engagées. 7. Il s'en déduit que l'exigence d'un procès équitable, issue de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, n'implique pas le droit pour la personne contre qui il est demandé le prononcé d'une telle mesure, ou son avocat, d'avoir la parole le dernier avant la clôture des débats. 8. Le moyen n'est donc pas fondé. »
Certes, la première chambre civile justifie le refus d'appliquer sa jurisprudence traditionnelle fondée sur l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sur la circonstance qu'en l'espèce, la suspension provisoire d'exercice professionnel n'était pas une sanction, mais cet arrêt marque à tout le moins la volonté de la chambre de ne pas étendre davantage sa jurisprudence sur ce point. En outre, la mesure de sûreté conservatoire de suspension provisoire est certes d'une durée limitée, mais celle-ci peut être longue, et elle porte en tout état de
cause une atteinte importante à l'activité professionnelle de l'officier public ou ministériel concerné, à l'instar d'une interdiction temporaire d'exercice qui serait prononcée à titre de sanction. La solution retenue dans cet arrêt préfigure peut-être une évolution du positionnement de la première chambre civile sur la question du constat indispensable, par les juges du fond, que la parole a effectivement été donnée en dernier à la personne poursuivie (ou à son avocat), en matière disciplinaire. Dans cette affaire, l'avocat général Pierre Lavigne4 avait notamment souligné la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui n'exige pas, pour que le principe du contradictoire soit respecté, que la personne poursuivie disciplinairement ait eu la parole en dernier. Il convient seulement de s'assurer qu'elle a pu s'exprimer sur tous les points abordés lors de l'audience. M. Lavigne soulignait ainsi : « La CEDH a reconnu à plusieurs reprises que les exigences du procès équitable étaient applicables à des procédures disciplinaires lorsqu'était en jeu le droit de continuer à pratiquer une profession, considérant que de telles procédures portaient alors sur des contestations réelles et sérieuses sur des droits et obligations à caractère civil. Elle a ainsi notamment jugé que l'article 6 § 1 trouvait à s'appliquer lorsqu'était prononcée à l'encontre du requérant une interdiction temporaire d'exercer. (…) Mais s'agissant précisément du droit d'avoir la parole en dernier, force est de constater, au vu de la jurisprudence de la CEDH, qu'il n'a jamais été reconnu en tant que tel comme un droit absolu dont l'application serait requise dès qu'une personne encourt une sanction qu'elle soit pénale, disciplinaire ou professionnelle même s'il a été jugé qu'en matière pénale, il revêt une importance certaine5. Le droit d'avoir la parole en dernier s'analyse plus exactement, aux yeux de la CEDH, comme une des composantes du principe de la contradiction. Comme le précise Madame la conseillère rapporteure Kloda, la jurisprudence de la CEDH nous enseigne que ce principe et celui de l'égalité des armes, étroitement liés entre eux, sont des éléments fondamentaux du droit à un procès équitable et exigent un juste équilibre entre les parties : “chacune doit se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son ou ses adversaires.” (Cour EDH, arrêt de Grande Chambre du 19 septembre 2017, Regner c. République Tchèque, n°35289/11, § 146 ; Cour EDH, arrêt du 6 juin 2000, Morel c. France, n°34130/96, § 27). Il semble donc permis de retenir au terme de cette analyse que le droit d'avoir la parole en dernier ne fait pas systématiquement partie des exigences du procès équitable. C'est en considération des garanties présentées par la procédure dans son ensemble qu'il convient de rechercher si le respect du contradictoire implique ou non le droit de la personne qui fait l'objet de cette procédure d'avoir la parole en dernier. »6
3 V. avis rendu sur le pourvoi n° 21-16513. 4 En effet, le droit à la parole en dernier présente un intérêt particulier en matière pénale en raison de
l'absence d'ordonnance de clôture et d'une évolution possible des débats. 5 C'est
uniquement le principe de la contradiction (droit de répondre) qui parait essentiel pour la CourEDH (v. CEDH. 20 février 19968, Req. n° 19075/91, Vermeulen c. Belgique).
Il convient toutefois d'observer, en dernier lieu, que le récent décret n° 2022-965 du 30 juin 2022 (dont les dispositions sont entrées en vigueur le 2 juillet 2022, applicables aux nouvelles procédures), a modifié l'article 193 du décret du 27 novembre 1991 en y ajoutant un nouvel alinéa selon lequel : « L'avocat poursuivi a la parole en dernier ». Une telle modification marque la volonté du pouvoir réglementaire d'inscrire désormais clairement dans les textes applicables cette exigence procédurale, en matière disciplinaire pour les avocats. Il n'est toutefois pas imposé par le décret que la décision constate que l'avocat a eu effectivement la parole en dernier, en dépit de la jurisprudence stricte, citée plus haut, de la première chambre civile. En l'espèce, l'arrêt attaqué ne fait nulle mention de la prise de parole, en dernier, par Me [S]. Certes, l'arrêt souligne expressément (p. 8) que Me [S] a pu s'exprimer lors de l'audience, répondre aux questions, s'expliquer sur les griefs qui lui étaient reprochés, mais il n'est pas formellement précisé qu'il a eu la parole en dernier. Toutefois, les notes d'audience7, page 8, révèlent que Me [S] a non seulement pu s'exprimer sur tous les griefs qui lui étaient reprochés, mais a effectivement eu la parole en dernier lors des débats. En conclusion, au regard de l'ensemble des éléments développés, il me semble que le deuxième moyen peut être rejeté, sur le fondement de la prise en compte des notes d'audience en l'espèce, dans la ligne de la jurisprudence précitée de la Cour de cassation. Néanmoins, il m'apparaît important que la première chambre civile justifie, le cas échéant, ce rejet, afin d'éviter toute difficulté d'interprétation de la décision à venir, et ce d'autant plus au regard de la toute récente modification de l'article 193 du décret de 1991, qui marque l'importance attachée par le droit français à la règle selon laquelle l'avocat poursuivi disciplinairement doit avoir la parole en dernier.
III. Sur le troisième moyen de cassation Le troisième moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré constituées certaines fautes disciplinaires reprochées à Me [S] et d'avoir prononcé certaines peines à son encontre, 1°) ALORS QUE selon l'article 188 du décret du 27 novembre 1991, le conseil de l'ordre désigne un rapporteur qui a pour mission de procéder à une instruction objective et contradictoire de l'affaire ; le rapport, obligatoire, est déterminant du sort ultérieurement réservé aux poursuites par la formation de jugement et le cas échéant, par la cour d'appel saisie du recours contre la décision rendue par 6 V. Mémoire de production en défense.
l'instance disciplinaire ; il en résulte que saisie du recours de l'avocat contre la décision l'ayant condamné à une peine disciplinaire, la cour d'appel, qui annule le rapport d'instruction, la citation et la décision de l'instance disciplinaire, ne peut, sans violer l'exigence d'une procédure équitable, se prononcer sur les poursuites disciplinaires ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et a violé les articles 23 de la loi du 31 décembre 1971, 188, 189, 191,192,197 du décret du 27 novembre 1991, 562 du code de procédure civile et 6§1 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; 2°) ALORS QUE la juridiction disciplinaire, et le cas échéant la juridiction d'appel, ne sont saisies que des faits mentionnés dans la citation délivrée à l'avocat poursuivi après dépôt du rapport d'instruction ; qu'après avoir annulé le rapport d'instruction, la cour d'appel a annulé les citations délivrées à Me [S] les 10 décembre 2019 et 8 janvier 2020, lesquelles visaient expressément ce rapport ainsi que la décision rendue par le conseil de discipline ; qu'en retenant néanmoins qu'en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, elle devait se prononcer sur les poursuites disciplinaires engagées par le bâtonnier devant le conseil de discipline, alors qu'aucune instance disciplinaire régulière n'avait été ouverte, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et a violé les articles 562 du code de procédure civile, 192 du décret du 27 novembre 1991 et 6§1 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; 3°) ALORS QUE la procédure disciplinaire est soumise à l'exigence d'une procédure équitable et qu'à cette fin, la séparation des fonctions de poursuite, d'instruction et de jugement doit être garantie au professionnel poursuivi ; dès lors, après avoir annulé le rapport d'instruction, les citations et la décision du conseil de discipline, la cour d'appel, qui s'est estimée investie par l'effet dévolutif de l'appel du pouvoir d'instruire et de juger les faits pour lesquels M. [S] a été poursuivi disciplinairement, a violé les articles 23 de la loi du 31 décembre 1971, 188, 189, 191, 192,197 du décret du 27 novembre 1991, 562 du code de procédure civile et 6§1 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ce moyen, développé en trois branches soulève donc des questions relatives aux conséquences de l'annulation du rapport d'instruction sur la procédure d'appel, et notamment pour ce qui concerne l'effet dévolutif de l'appel. Le mémoire ampliatif rappelle l'historique de la législation relative à la procédure disciplinaire des avocats, notamment la loi du n° 2004-130 du 11 février 2004, qui a eu pour objet de mettre le droit français en conformité avec les exigences de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatives au droit à un procès équitable, et notamment aux garanties d'impartialité. La mémoire en défense retrace avec précision le déroulé de la procédure disciplinaire applicable aux avocats depuis cette loi (et jusqu'aux très récentes modifications réalisées par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 et le décret précité du 30 juin 2022, non applicables à l'espèce). A la lecture des textes, il apparaît que le rapport d'instruction, dont la régularité a été mise en cause en l'espèce, constitue une étape déterminante et obligatoire de la procédure disciplinaire : le rapport résulte en effet d'une instruction contradictoire,
objective et impartiale (v. art. 23 Loi 1971 et art. 189 et suiv. Décret 19918) et permet ensuite au conseil de discipline (ou à la formation disciplinaire du conseil de l'ordre à Paris) de fonder les poursuites éventuelles à l'encontre de l'avocat concerné. C'est en effet sur la base du rapport d'instruction que le président du conseil de discipline9 va décider de réunir l'instance disciplinaire (v. art. 191 du décret). Dès lors, et ainsi que le souligne le mémoire ampliatif, si le rapport d'instruction est annulé, toute la procédure tombe (citations, jugement disciplinaire - v. arrêt attaqué p. 7-8). Le demandeur considère que la cour d'appel, saisie d'un recours contre le jugement et qui a prononcé la nullité du rapport ainsi que d'autres actes de la procédure, ne pourrait alors statuer au fond sur les fautes reprochées à l'avocat poursuivi. Il conviendrait de laisser l'instance disciplinaire reprendre convenablement les différentes étapes de la procédure, en nommant un nouveau rapporteur et en procédant à une nouvelle instruction. Une telle analyse apparaît respectueuse de l'intention du législateur français de soumettre la discipline des avocats à l'ordre professionnel dont ceux-ci relèvent, la cour d'appel n'intervenant qu'en cas de recours exercé contre le jugement disciplinaire rendu par le conseil de discipline (ou son équivalent à Paris). L'article 23 de la loi de 1971 est très clair en ce sens, lorsqu'il dispose : « L'instance disciplinaire statue par décision motivée, après instruction contradictoire. (al. 3) Sa décision peut être déférée à la cour d'appel par l'avocat intéressé, le bâtonnier dont il relève ou le procureur général. (al. 4) ». L'article 197 al. 1er du décret de 1991 va pareillement en ce sens : « L'avocat qui fait l'objet d'une décision en matière disciplinaire, le procureur général et le bâtonnier peuvent former un recours contre la décision. La cour d'appel est saisie et statue dans les conditions prévues à l'article 16 10, le procureur général entendu. » Néanmoins, une disposition du décret de 1991, l'article 195, autorise l'autorité qui a 1 Les caractères d'objectivité et d'impartialité ont été expressément ajoutés par le décret du 30 juin
2022 à l'article 189, mais étaient relevés auparavant par la jurisprudence. 2 Ou à Paris, le doyen des présidents des formations disciplinaires du conseil de l'ordre. 3 Article 16 du décret : « Le recours devant la cour d'appel est formé par lettre recommandée avec
demande d'avis de réception adressée au secrétariat-greffe de la cour d'appel ou remis contre récépissé au greffier en chef. Il est instruit et jugé selon les règles applicables en matière contentieuse à la procédure sans représentation obligatoire. Le délai du recours est d'un mois. Sauf en matière disciplinaire, le conseil de l'ordre est partie à l'instance. La cour d'appel statue en audience solennelle dans les conditions prévues à l'article R. 212-5 COJ et en la chambre du conseil, après avoir invité le bâtonnier à présenter ses observations. Toutefois, à la demande de l'intéressé, les débats se déroulent en audience publique ; mention en est faite dans la décision. La décision de la cour d'appel est notifiée par le secrétariat-greffe par lettre recommandée avec demande d'avis de réception au procureur général, au bâtonnier et à l'intéressé. Le délai d'appel suspend l'exécution de la décision du conseil de l'ordre. L'appel exercé dans ce délai est également suspensif. »
engagé l'action disciplinaire à saisir la cour d'appel, en quelque sorte par défaut, dans l'hypothèse où le conseil de discipline n'a pas statué dans un certain délai. L'article 195 pose alors une présomption de rejet de la demande par l'instance disciplinaire dans une telle hypothèse, et l'autorité qui a engagé l'action disciplinaire peut décider de saisir la cour d'appel : Art. 195 décret (dans sa version applicable à l'espèce): « Si dans les huit mois de la saisine de l'instance disciplinaire celle-ci n'a pas statué au fond ou par décision avant dire droit, la demande est réputée rejetée et l'autorité qui a engagé l'action disciplinaire peut saisir la cour d'appel. Lorsque l'affaire n'est pas en état d'être jugée ou lorsqu'elle prononce un renvoi à la demande de l'une des parties, l'instance disciplinaire peut décider de proroger ce délai dans la limite de quatre mois. La demande de renvoi, écrite, motivée et accompagnée de tout justificatif, est adressée au président de l'instance disciplinaire ou, à Paris, au président de la formation disciplinaire du conseil de l'ordre. Dans les cas prévus aux alinéas précédents, la cour d'appel est saisie et statue, le procureur général entendu, dans les conditions prévues à l'article 197 [appel contre les décisions disciplinaires]. »
Comme l'a souligné Mme la conseillère Wallon dans un rapport concernant cette disposition11, l'article 195 « prévoit une procédure dérogatoire destinée à éviter que l'autorité de poursuite ne se heurte à l'inertie du conseil de discipline. » La cour d'appel vient en quelque sorte se substituer au conseil de discipline dans une telle hypothèse, afin de juger la demande au fond. Mais son intervention dans la procédure reste juridiquement fondée sur une présomption de rejet de la demande initiale par l'instance disciplinaire (v. al. 1 er), donc elle s'apparente là encore à un recours. D'ailleurs l'article 195 renvoie expressément à l'article 197 relatif à l'appel contre les décisions disciplinaires. III.1. Sur le caractère obligatoire du rapport d'instruction Dans l'hypothèse relativement dérogatoire de l'article 195, sur le constat que cette disposition ne prévoit pas expressément l'obligation pour la cour d'appel de réaliser une instruction et donc de statuer sur la base d'un rapport d'instruction, la première chambre civile a décidé à deux reprises qu'un tel rapport n'était pas indispensable dans le cadre de la procédure mise en œuvre devant la cour d'appel. Dans la première décision (Civ.1. 6 septembre 2017, n° 16-13624), aucun rapport n'avait été établi et remis au conseil de discipline ; dans la seconde décision (Civ.1. 12 novembre 2020, n° 19-14599, arrêt de cassation, publié), comme en l'espèce, un rapport avait été établi mais avait ensuite été annulé. Les deux décisions (2017 et 2020) sont clairement rendues en application de l'article 195 du décret. Civ.1. 12 novembre 2020 :
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Rapport sur pourvoi n° 16-13624 (Civ.1. 6 septembre 2017).
« Vu l'article 195 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 : 8. Il résulte de ce texte que, si le rapport d'instruction est obligatoire devant le conseil de discipline, la cour d'appel peut se prononcer sur les poursuites disciplinaires malgré l'absence de ce rapport, en tenant compte des éléments de fait et de preuve contradictoirement débattus. 9. Pour déclarer irrégulière la procédure suivie contre M. D. et dire qu'il ne peut être prononcé de sanction contre celui-ci, l'arrêt retient qu'une procédure disciplinaire ne peut être régulière sans comporter un rapport valablement établi, que le rapport de l'avocat instructeur a été annulé par arrêt du 25 juin 2015 et qu'il n'a pas été remédié à cette nullité. 10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »
Civ.1. 6 septembre 2017 : « Mais attendu que, si, selon l'article 188 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, le conseil de l'ordre désigne un rapporteur, qui a pour mission de procéder à une instruction objective et contradictoire de l'affaire et d'établir un rapport avant la comparution de l'avocat poursuivi devant le conseil de discipline, cette exigence n'est pas requise, lorsque l'autorité poursuivante, constatant que le conseil de discipline n'a pas statué dans le délai imparti, saisit la cour d'appel d'un recours contre la décision implicite de rejet, dans les conditions édictées par l'article 195 du même décret ; (…) la cour d'appel a exactement décidé qu'elle pouvait se prononcer sur les poursuites disciplinaires, malgré l'absence d'un rapport d'instruction, en tenant compte des éléments d'investigation versés aux débats, résultant notamment de la procédure pénale »
En l'espèce, l'article 195 n'a pas lieu de s'appliquer, contrairement aux deux affaires précitées. Le conseil de discipline a en effet statué et prononcé des peines disciplinaires à l'encontre de Me [S]. Par la suite, dans le cadre d'un appel classique du jugement disciplinaire, la cour d'appel a décidé d'annuler le rapport d'instruction (et des actes subséquents). La question soulevée par le moyen (première branche) est alors celle de savoir si, dans toute hypothèse dans laquelle aucun rapport valablement établi ne pourrait servir de base à la réflexion de la cour d'appel, celle-ci peut néanmoins juger la demande au fond et rendre elle-même une décision. . Une première approche pourrait consister à juger l'espèce dans le prolongement des deux arrêts précités de 2017 et 2020, en considérant que la cour d'appel pouvait, pareillement en l'espèce, juger l'affaire au fond sans le support d'aucun rapport d'instruction. En effet, l'article 195 lui-même ne se présente pas, formellement, comme une exception à la procédure disciplinaire classique. La cour d'appel peut être saisie selon la procédure d'appel en matière disciplinaire (l'article 195 renvoie expressément à l'article 197), sur le fondement d'une présomption de rejet de la demande par l'instance disciplinaire comme cela a déjà été souligné. Or l'article 19712 renvoie lui-même à l'article 16 du décret, qui dispose notamment (al. 1er) : « [le recours] est instruit et jugé selon les règles applicables en matière contentieuse à la procédure sans représentation obligatoire ». 5 V. al. 1er : « L'avocat qui fait l'objet
d'une décision en matière disciplinaire, le procureur général et le bâtonnier peuvent former un recours contre la décision. La cour d'appel est saisie et statue dans les conditions prévues à l'article 16, le procureur général entendu. La publicité des débats est
Ni l'article 195, ni l'article 197, ni l'article 16 ne font référence au rapport d'instruction, et il est renvoyé au final aux règles applicables en matière contentieuse à la procédure sans représentation obligatoire pour instruire et juger le recours qui a été formé, donc au droit commun. Le caractère spécial de la situation visée à l'article 195 n'est pas si affirmé. On peut simplement déduire de ce texte qu'un rapport d'instruction peut exister comme ne pas exister le cas échéant (si l'affaire n'est « pas en état d'être jugée »)13. La Cour de cassation a considéré que l'absence de rapport, ou l'annulation du rapport, ne constituaient pas un obstacle à ce que la cour d'appel juge l'affaire au fond, sans exiger qu'une telle instruction (ou nouvelle instruction) ait lieu. Selon la première chambre civile, la cour d'appel peut alors statuer « en tenant compte des éléments de fait et de preuve contradictoirement débattus » (Civ.1. 12 novembre 2020). Au regard de ce qui vient d'être exposé, il n'y a pas d'obstacle formel à l'extension de la jurisprudence précitée aux hypothèses d'annulation du rapport d'instruction en dehors de l'hypothèse spécifique visée à l'article 195, dans le cadre d'un appel classique. . Une seconde approche de la question peut néanmoins questionner cette analyse. Le déroulement de la procédure disciplinaire classique, dans laquelle s'inscrit notre espèce, impose la désignation d'un rapporteur et la reddition d'un rapport d'instruction. Comme l'a souligné Mme la conseillère Le Gall dans son rapport sur le pourvoi jugé en 202014, « Le rapport d'instruction est une pièce maîtresse de la procédure disciplinaire. Il doit être transmis au président du conseil de discipline dans les quatre mois de la désignation du rapporteur avec faculté de prorogation de deux mois si nécessaire. », « La mission du rapporteur est d'accomplir les investigations, les auditions et les actes d'enquête nécessaires à la manifestation de la vérité de manière la plus objective qui soit. » Ce constat est confirmé à la lecture du décret du 30 juin 2022, qui conserve une place centrale dans la procédure disciplinaire au rapport d'instruction (v. les nouveaux articles 188-2 al. 4 et 188-3, ainsi que l'article 189 modifié, et les articles 190 et 191 inchangés).
assurée conformément aux dispositions de l'article 194. »
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Les deux décisions précitées de 2017 et 2020 illustrent bien ces deux hypothèses.
V. rapport de Mme Wallon, précité : « Il est vrai que, si la procédure s'est normalement déroulée, le rapport d'instruction a été déposé avant la décision implicite de rejet, dès lors que le conseil de l'ordre doit désigner un rapporteur dans les quinze jours de la notification des poursuites, lequel a quatre mois pour exécuter sa mission, sauf prorogation du délai à sa demande dans la limite de deux mois. Néanmoins, il peut arriver, comme en l'espèce, sans la moindre erreur commise par l'autorité de poursuite, que le rapport n'ait pas été déposé. » 7 Rapport sur le pourvoi n° 19-14599 (Civ.1. 12 novembre 2020).
Il est aussi appuyé par la doctrine professionnelle lorsqu'elle présente la procédure disciplinaire des avocats15. Celle-ci souligne en outre que la désignation de l'un des membres du conseil de l'ordre pour procéder à l'instruction de l'affaire est un acte d'administration judiciaire, qui ne relève pas du recours, fondé sur l'article 15 du décret de 1991, ouvert à l'avocat dont les intérêts sont lésés par une décision ou une délibération du conseil de l'ordre ; cet acte peut seulement être critiqué devant la cour d'appel à l'occasion d'un recours contre la décision se prononçant sur la poursuite disciplinaire16. Il n'est donc pas possible à l'avocat poursuivi de demander, en première instance, la nomination d'un nouveau rapporteur (en cas de partialité par exemple). Si la cour d'appel était autorisée à statuer en appel sur le fondement d'aucun rapport valable, l'avocat poursuivi apparaîtrait bien démuni dans un tel cas. Statuer en prenant en considération des éléments de fait et de preuve contradictoirement débattus ne saurait par ailleurs équivaloir à la réalisation d'une véritable instruction, comportant notamment des auditions (v. art. 189 du décret) et réalisée par un membre désigné du conseil de l'ordre (v. art. 188 al. 4 et 5), donc par un pair, choisi pour son objectivité et son impartialité, connaissant parfaitement le milieu professionnel et les obligations déontologiques des avocats, comme l'a souhaité le législateur. Or la cour d'appel, saisie d'un recours, statue dans sa formation classique, l'appel est donc jugé par des magistrats professionnels (v. art. 23 al. 4 Loi 1971). Ainsi, admettre que la cour d'appel, après avoir annulé le rapport d'instruction et les actes subséquents, puisse statuer au fond sur la base d'aucun rapport d'instruction établi par un pair, reviendrait à ignorer la réglementation légale sur la procédure disciplinaire des avocats, clairement fondée sur une appréciation ordinale du comportement de l'avocat mis en cause. Une telle solution aboutirait à ce que la cour d'appel n'exerce pas un rôle de juridiction d'appel, mais bien celui de première instance disciplinaire, sans se conformer pour autant aux textes impératifs régissant la procédure applicable, et sans plus de possibilité de recours pour l'avocat ainsi jugé disciplinairement par une juridiction composée uniquement de magistrats professionnels. La récente réforme de la procédure disciplinaire des avocats a certes introduit l'échevinage en appel17 (et même en première instance disciplinaire dans deux V. JurisCl.Civil, Fasc. 30 : Avocats . – Obligations et prérogatives, 19 avril 2022, par Raymond Martin - Docteur en droit - Avocat honoraire, Actualisé par Daniel Landry Avocat honoraire - Ancien bâtonnier - Ancien membre du CNB, spéc. n° 147 : « L'instruction sera menée par un membre du conseil de l'Ordre dont relève l'avocat ; Le choix du rapporteur est important. Il doit être consciencieux et impartial, et bien entendu n'avoir aucun antagonisme avéré avec le confrère sur la sellette. » 8
16Ibidem, citant Civ.2. 12 octobre 2016, n° 15-24450. 10 Pour les procédures engagées à compter du 2 juillet 2022 (cf . art. 28 du décret du 30 juin 2022),
voir la nouvelle rédaction de l'article 23 al. 5 de la loi de 1971 et celle de l'article 197 al. 2 du décret de 1991 (« La formation de jugement de la cour d'appel comprend trois magistrats du siège de cette cour et deux membres des conseils de l'ordre du ressort de la cour »). L'article 22-1 nouveau de la loi de 1971 indique par ailleurs que l'instance disciplinaire (conseil de discipline) devient une
cas), mais elle n'est pas applicable à l'espèce et, en tout état de cause, le rapport d'instruction conserve sa place centrale dans la procédure et reste nécessairement confié à un membre du conseil de l'ordre (v. nouvel article 188-3 du décret). Le législateur de 2021-22 n'est toutefois pas allé au bout de la défense d'une procédure disciplinaire proprement ordinale applicable aux avocats, puisqu'il a laissé les articles 197 et 16 du décret de 1991 inchangés sur la question de l'exigence d'un rapport d'instruction valablement établi comme support indispensable de la réflexion de la cour d'appel saisie d'un recours. . En conclusion, le contenu et l'articulation des textes applicables, le silence du législateur - y compris récemment - sur cette question importante, permettent de conclure dans le sens du rejet de la première branche de ce troisième moyen, en dépit de la légitimité du rapport d'instruction dans le cadre d'une justice ordinale et de l'importance qui lui est accordée dans le décret de 1991, en première instance disciplinaire.
III.2. Sur l'effet dévolutif de l'appel Le pourvoi soulève également la question de savoir dans quelle mesure l'effet dévolutif de l'appel peut être appliqué en l'espèce. Le demandeur observe en effet que les deux citations qui lui ont été délivrées ont été annulées par l'arrêt attaqué, celles-ci ayant été délivrées après le dépôt du rapport, lui-même annulé. Il en déduit que la cour d'appel s'est prononcée sur les poursuites disciplinaires « alors qu'aucune instance disciplinaire régulière n'avait été ouverte », en violation des articles 562 du code de procédure civile, 192 du décret de 1991, et 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. On sait qu'en vertu de l'article 562 CPC : « L'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible. »
Toutefois, il convient de distinguer deux situations : Lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement, il produit un effet dévolutif dans l'hypothèse où le jugement est annulé pour une autre cause que la nullité affectant l'acte introductif d'instance, ou l'absence d'un tel acte. Au contraire, l'appel ne produit pas d'effet dévolutif sur le fond lorsque le jugement est annulé en raison d'une irrégularité affectant l'acte introductif d'instance 18. L'annulation du jugement est dans ce cas la conséquence de l'irrégularité de la juridiction. 11 Comme le souligne le rapport, il
existe toutefois une exception à cette règle, lorsque l'appelant a conclu au fond à titre principal devant la cour d'appel. En l'espèce, en tout état de cause, Me Brun n'avait conclu au fond qu'à titre subsidiaire devant la cour d'appel (v. production 4, MA).
saisine de la juridiction du premier degré. L'instance elle-même n'a pas ou plus lieu d'être dans un tel cas, selon une jurisprudence constante ; la juridiction du premier degré n'a pas été saisie. Afin de déterminer si l'effet dévolutif de l'appel a pu avoir lieu pour le tout en l'espèce, il convient donc de se demander si l'acte introductif d'instance a été ou non atteint par la nullité prononcée par l'arrêt attaqué. La cour d'appel (p. 8) a motivé sa décision comme suit : « L'annulation ne porte que sur les actes effectués à compter du rapport d'instruction du 27 août 2019 inclus. L'acte qui introduit la phase de poursuite, lui est antérieur et saisit la juridiction disciplinaire, est constitué par le document intitulé "acte de saisine concernant M. [H] [S], avocat au barreau de Reims", qui a été adressé à la présidente du conseil régional de discipline le 24 avril 2019, et qui mentionne l'ensemble des griefs reprochés à l'avocat. Par l'effet dévolutif de l'appel prévu à l'article 562 alinéa 2 du code de procédure civile, la cour est saisie de l'entier litige et elle doit se prononcer dès lors qu'elle dispose d'éléments de fait et de preuve qui ont été contradictoirement débattus devant elle. » La cour d'appel considère donc que l'introduction de l'instance n'a pas été atteinte par l'annulation du rapport et subséquemment des deux citations. Selon le pourvoi, au contraire, l'annulation des deux citations délivrées à l'avocat poursuivi en conséquence de l'annulation du rapport d'instruction, permet de considérer que l'effet dévolutif n'a pas eu lieu. Le rapport (p. 8) soulève ainsi la question de savoir quel acte constitue l'acte introductif d'instance dans le cadre de cette procédure disciplinaire : « est-ce la saisine initiale (acte prévu à l'art. 188 du décret) ou bien la citation à comparaître délivrée à l'avocat poursuivi (acte prévu à l'art. 192 du décret) ? » . En procédure civile, selon la doctrine19, la naissance de l'instance comporte deux aspects : la demande introductive d'instance ou demande initiale, qui consiste à avertir l'adversaire du déclenchement de la procédure, et la saisine du tribunal, soit l'accomplissement de certaines formalités par le demandeur ou le défendeur pour saisir le tribunal. Les deux éléments peuvent dans certains cas résulter d'un même acte. La demande initiale est définie à l'article 53 CPC comme « celle par laquelle un plaideur prend l'initiative d'un procès en soumettant au juge ses prétentions ». Elle délimite l'objet du litige et fixe l'étendue de l'office du juge. Normalement, cette demande est formalisée par une assignation ou une requête. L'article 53 alinéa 2 précise : « Elle introduit l'instance ».
12
C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer, S. Guinchard, Procédure civile, 35e éd. Précis Dalloz, 2020, n° 902.
La demande initiale crée donc le lien d'instance, « elle instaure un rapport juridique propre »20 et permet de saisir le juge (qui ne peut en principe se saisir lui-même). Néanmoins, il convient de distinguer cette demande, qui crée le lien d'instance, de la saisine du juge21. La demande initiale « marque l'ouverture proprement dite de l'instance ». Elle met à la charge des parties certaines obligations (obligation de comparaître, obligation d'accomplir certains actes). La saisine de la juridiction désigne quant à elle « le moment où le juge est effectivement saisi d'une demande et est dès lors soumis à l'obligation de mettre en œuvre ses prérogatives et de statuer »22. Parfois, les deux moments coïncident23, mais dans d'autres cas (en particulier l'assignation), « la saisine est différée dans le temps par rapport à la demande ; le lien d'instance existe dès la demande en justice mais il ne comprend que les parties »24 et c'est avec l'enrôlement que le juge est saisi. Ainsi, dans l'hypothèse de l'assignation, la notification de l'assignation à l'autre partie introduit l'instance, tandis que l'enrôlement de cette assignation au greffe de la juridiction (le placement) saisit cette dernière. Par ailleurs, l'article 55 CPC dispose que « l'assignation est l'acte d'huissier de justice par lequel le demandeur cite son adversaire à comparaître devant le juge ». La citation à comparaître est donc incluse dans l'assignation, elle permet de mettre le défendeur en situation de mener l'instruction du procès contradictoirement avec le demandeur25. La citation en justice est indispensable dès lors qu'on veut agir sur un plan contentieux et obtenir une condamnation contre une personne. . En procédure pénale, la décision de poursuivre est fréquemment prise par le procureur de la République. « La poursuite va consister pour le procureur de la République dans la saisine d'une juridiction »26, qui peut être soit une juridiction de jugement, soit une juridiction d'instruction, selon les hypothèses. Pour saisir une juridiction de jugement en matière correctionnelle et contraventionnelle (l'instruction n'étant pas obligatoire), le procureur de la République dispose de plusieurs moyens juridiques pour faire comparaître la personne suspectée d'infraction directement devant une juridiction de jugement : 13
Op. cit., n° 338.
14
Op. cit., n° 425 et suiv.
15
Ibidem.
16
Par exemple, en cas de requête unilatérale ou conjointe remise au secrétariat de la juridiction, ou devant la cour d'appel quand elle est saisie par voie de déclaration. 17
Ibidem.
18
Op. cit., n° 908.
19
V. Juriscl. Procédure pénale, Fasc. 9 : Notions fondamentales, 2015, mise à jour avril 2022, par E. Garçon, Professeure à l'université de Bordeaux, spéc. n° 85.
notamment la citation directe, la convocation par procès-verbal, ou encore la comparution immédiate. La citation directe constitue « une assignation du prévenu à comparaître devant une juridiction à la date prévue, faite par exploit d'huissier de justice, signifiée à la personne même du prévenu »27 ; elle est de ce point de vue comparable à l'assignation en matière civile. Le procureur de la République peut (s'il l'estime utile et obligatoirement en matière de crime), saisir le juge d'instruction afin qu'il conduise une information judiciaire. « L'acte de saisine de la juridiction d'instruction porte le nom de réquisitoire introductif d'instance. Il s'agit d'un acte daté et signé par le procureur de la République ou son représentant, à peine de nullité, délivré généralement contre toute personne que l'instruction fera connaître. Le contenu de ce réquisitoire est très important car il va fixer l'étendue de la saisine du juge d'instruction. Aussi, le réquisitoire doit contenir l'énoncé des faits faisant l'objet des poursuites. »28 . Dans la procédure disciplinaire des avocats, qui est une procédure spéciale, deux textes du décret de 1991 s'intéressent à la façon dont l'instance disciplinaire est saisie et dont l'avocat est cité à comparaître : Article 188 (dans sa version applicable à l'espèce) : « Dans les cas prévus à l'article 183, directement ou après enquête déontologique, le bâtonnier dont relève l'avocat mis en cause ou le procureur général saisit l'instance disciplinaire par un acte motivé. Il en informe au préalable l'autorité qui n'est pas à l'initiative de l'action disciplinaire. L'acte de saisine est notifié à l'avocat poursuivi par l'autorité qui a pris l'initiative de l'action disciplinaire, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Copie en est communiquée au conseil de l'ordre dont relève l'avocat poursuivi aux fins de désignation d'un rapporteur. Dans les quinze jours de la notification, le conseil de l'ordre dont relève l'avocat poursuivi désigne l'un de ses membres pour procéder à l'instruction de l'affaire. A défaut de désignation d'un rapporteur par le conseil de l'ordre, l'autorité qui a engagé l'action disciplinaire saisit le premier président de la cour d'appel qui procède alors à cette désignation parmi les membres du conseil de l'ordre. »
Article 192 (dans sa version applicable à l'espèce) : « Aucune peine disciplinaire ne peut être prononcée sans que l'avocat mis en cause ait été entendu ou appelé au moins huit jours à l'avance. L'avocat est convoqué par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par citation d'huissier de justice.29
20
Op.cit., n° 86.
21
Op.cit., n° 90-91.
22
Dans sa nouvelle version, l'article 192 al. 1er dispose désormais : « L'avocat est
La convocation ou la citation comporte, à peine de nullité, l'indication précise des faits à l'origine des poursuites ainsi que la référence aux dispositions législatives ou réglementaires précisant les obligations auxquelles il est reproché à l'avocat poursuivi d'avoir contrevenu, et, le cas échéant, une mention relative à la révocation du sursis. »
La procédure disciplinaire applicable aux avocats présente ainsi, dans son déroulé, certaines similitudes avec la procédure pénale : à l'instar du procureur de la République qui prend la décision de poursuivre, le cas échéant par un réquisitoire introductif d'instance qui saisit la juridiction d'instruction et énonce les faits reprochés, le bâtonnier ou le procureur général « saisit l'instance disciplinaire » par un acte motivé, qualifié d'« acte de saisine » par le décret. La doctrine professionnelle considère ainsi que « le bâtonnier décide s'il y a lieu ou non à poursuite » et saisit le conseil de discipline30, le cas échéant après une enquête déontologique. L'acte de saisine est notifié à l'avocat concerné et une copie est transmise au conseil de l'ordre. Un rapporteur est ensuite désigné pour réaliser une instruction, et c'est sur la base de son rapport que le président de la juridiction disciplinaire, (à Paris, le bâtonnier doyen, membre du conseil de l'ordre) va fixer une date d'audience (v. art. 191 du décret). L'avocat concerné est alors convoqué à l'audience, par LRAR ou par une citation, qui doit comporter, à peine de nullité, l'indication précise des faits et des textes dont la violation fonde les poursuites disciplinaires. . Si l'on résume le déroulé de la procédure, une première étape consiste à saisir l'instance disciplinaire par un acte motivé (exposant donc les faits reprochés), puis la deuxième étape est celle de l'instruction, enfin la troisième étape est la fixation d'une date d'audience, le cas échéant, par l'instance disciplinaire. C'est certes lors de la troisième étape que l'avocat concerné reçoit une citation ou une convocation avec l'indication précise des faits reprochés et des textes qui fondent les poursuites à peine de nullité. Mais le premier document établi (« acte de saisine ») a bien pour objet de saisir le conseil de discipline, donc de créer un lien d'instance en saisissant la juridiction compétente sur la base d'un acte dûment motivé et dont l'avocat concerné est dûment informé. Une instruction va ensuite avoir lieu, au cours de laquelle des auditions peuvent avoir lieu et l'avocat concerné peut demander à être entendu par le rapporteur, dans le but de cerner précisément les faits et leur contexte.
convoqué un mois avant l'audience par tout moyen conférant date certaine à sa réception. » V. JurisCl.Civil, Fasc. 30 : Avocats . – Obligations et prérogatives, précité, spéc. n° 146147. Les auteurs précisent que dans la très grande majorité des cas, c'est le bâtonnier, non le procureur général, qui engage la poursuite. 23
Le conseil de discipline est donc formellement « saisi » par l'autorité de poursuite (bâtonnier ou procureur général) dès la première étape31, même s'il reste ensuite dans l'attente du rapport d'instruction pour fixer une date d'audience et convoquer l'avocat concerné. La convocation comporte « l'indication précise des faits reprochés ainsi que la référence aux dispositions législatives ou réglementaires précisant les obligations auxquelles il est reproché à l'avocat poursuivi d'avoir contrevenu » (cf. art. 192), mais il ne s'agit à ce stade, comme l'exprime l'article 192, que de préciser les faits reprochés, car l'acte initial de saisine a d'ores et déjà fait mention de ces faits (il doit être « « motivé », cf. art. 188). La nouvelle version de l'article 192 n'évoque même plus la « citation » ; elle se contente désormais de prévoir une « convocation » à l'audience (avec les mêmes exigences de précisions qu'avant la réforme), dans la suite directe des précédentes étapes de la procédure. Ainsi, le terme « citation », employé dans l'ancienne version de l'article 192 applicable à l'espèce, ne renvoie pas strictement à la citation à comparaître qui résulte de l'assignation introductive d'instance au sens de la demande initiale de l'article 53 CPC. La citation de l'article 192 constitue davantage une convocation à l'audience, dans le prolongement des précédentes étapes de la procédure disciplinaire, qui est déjà engagée. L'instance disciplinaire a bien été saisie initialement par le bâtonnier ou le procureur général, ainsi que l'article 188 du décret l'énonce clairement. Le nouvel article 188 dispose d'ailleurs désormais et encore plus clairement : « Dans les cas prévus à l'article 183, directement ou après enquête déontologique, la juridiction disciplinaire est saisie par requête du bâtonnier dont relève l'avocat mis en cause, du procureur général ou de l'auteur de la réclamation. ». On peut considérer que l'instance est née à partir de ce moment. En conclusion, l'analyse effectuée par la cour d'appel de Reims (page 8), citée plus haut32, qui aboutit à reconnaître l'effet dévolutif de l'appel pour l'entier litige en dépit de l'annulation du rapport, des deux citations et du jugement rendu par le conseil de discipline, me paraît justifiée. Aucune irrégularité n'a affecté, en l'espèce, l'acte de saisine de l'instance disciplinaire, lequel, comme son nom même l'indique, a saisi la juridiction compétente et donc créé le lien d'instance. Mon avis est ainsi dans le sens du rejet de la seconde branche du troisième moyen du pourvoi. . La troisième branche du troisième moyen pourra également être rejetée sur le fondement de l'effet dévolutif de l'appel, dans la mesure où l'on a vu que la cour d'appel de Reims était saisie de l'entier litige et devait statuer au fond, sans que la
L'article 193 al. 3 du décret considère que le bâtonnier ou le procureur général « a pris l'initiative d'engager l'action disciplinaire ». 24
25
V. supra, p. 17.
procédure disciplinaire ne prévoit de règles spéciales concernant la procédure d'appel. L'article 197 du décret dispose en effet « La cour d'appel est saisie et statue dans les conditions prévues à l'article 16, le procureur général entendu. (…) », et l'article 16 al. 1er précise que le recours « est instruit et jugé selon les règles applicables en matière contentieuse à la procédure sans représentation obligatoire ». La séparation des fonctions de poursuite, d'instruction et de jugement dans la procédure disciplinaire n'a été consacrée par la jurisprudence que pour la première instance disciplinaire33. Devant la cour d'appel, qui a statué au vu des éléments de faits et de preuves contradictoirement débattus devant elle, cette règle ne trouve pas d'écho. Pour ces raisons, mon avis est également dans le sens du rejet de la troisième branche du troisième moyen du pourvoi.
26
V. notamment Civ.1. 9 avril 2002, n° 99-19717 ; Civ.1. 5 octobre 1999, n° 97-15277.