Cass. com., Conclusions, 25-01-2023, n° 21-12.220
A83892R7
Référence
AVIS DE Mme GUÉGUEN, PREMIÈRE AVOCATE GÉNÉRALE
Arrêt n° 91 du 25 janvier 2023 – Chambre commerciale, financière et économique Pourvoi n° 21-12.220 Décision attaquée : Cour d'appel de Douai, 17 décembre 2020 M. [K] [S] C/ La caisse de Crédit Mutuel de Le Quesnoy _________________
Les faits et la procédure ayant été parfaitement exposés par le rapporteur, il n'y a pas lieu d'y ajouter. En un moyen unique, M. [K] [S], en sa qualité de caution des sommes dues à la Caisse de Crédit mutuel de Le Quesnoy par la SARL [S], fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté ses demandes de mainlevée de l'indisponibilité du certificat d'immatriculation de quatre véhicules dont il est propriétaire et de la saisie-attribution de ses comptes ouverts au Crédit du Nord. Il fait valoir que si la caution solidaire ne peut opposer la compensation de ce que le créancier doit à son cofidéjusseur, elle peut se prévaloir de l'extinction totale ou partielle, par compensation, de la dette garantie et qu'en jugeant le contraire la cour d'appel a violé l'article 1234 du code civil. A l'appui de son raisonnement, il invoque un arrêt de notre chambre du 13 décembre 2005 (Com., 13 décembre 2005, pourvoi n° 04-19.234, Publié, Bull. IV n° 248 p. 273), 1
dont il déduit que si la caution solidaire ne peut opposer la compensation de ce que le créancier doit à son cofidéjusseur, elle peut se prévaloir de l'extinction totale ou partielle, par compensation, de la dette garantie. Il précise que par conséquent si la caution solidaire ne peut pas déclencher le mécanisme de la compensation dans les rapports du créancier avec une autre caution, elle peut, en revanche, invoquer, comme le débiteur principal, l'effet extinctif d'une compensation qui a déjà été opposée avec succès au créancier par un cofidéjusseur, de sorte que le créancier ne saurait poursuivre son action contre les autres cautions et obtenir ainsi un second paiement. Le Crédit Mutuel rétorque que la jurisprudence invoquée a été clairement infirmée par un arrêt postérieur du 13 mars 2012 (Com., 13 mars 2012, n°10-28.635, Bull. 2012, IV, n° 51) venu réaffirmer une position qui avait déjà été retenue dans un arrêt du 8 décembre 1998 (Com., 8 décembre 1998, pourvoi n° 96-12.481), aux termes de laquelle la compensation entre la dette que le créancier a envers une caution et les sommes qui lui sont dues par celle-ci en exécution du cautionnement a pour seul effet de libérer la caution concernée de son obligation à l'égard du créancier, mais non d'éteindre la dette commune et de libérer ses codébiteurs solidaires. La question posée est donc celle de savoir si, lorsqu'une compensation a été invoquée par une caution solidaire, pour quelque cause que ce soit, puis a été réalisée, son effet extinctif des dettes et créances réciproques profite à tous ceux qui sont tenus à la dette du débiteur principal ou seulement à cette caution en la libérant à due concurrence de son obligation à l'égard du créancier. Comme le rappellent les parties, la jurisprudence de notre chambre a évolué sur ce point. La doctrine a d'ailleurs abondamment commenté cette évolution, mais il apparaît inutile d'en reprendre ici l'exposé dès lors qu'il a déjà été très clairement fait par le rapporteur. En revanche, il me semble intéressant de rappeler la teneur des avis rédigés par Mme Anne-Marie Batut (avis et avis complémentaire) sur le pourvoi n°10-28.635 (arrêt du 13 mars 2012) qui reflètent totalement mon propre raisonnement à l'exception des quelques interrogations conclusives dont elle fait part. Dans son avis initial, Mme Batut indiquait ceci : “La caution ou le débiteur principal, poursuivi(e) par le créancier, ne peut opposer à ce dernier la compensation de ce que celui-ci doit à un autre cofidéjusseur. / En revanche, si l'une des cautions ou le débiteur principal a invoqué la compensation à l'encontre du créancier poursuivant, les autres cofidéjusseurs peuvent se prévaloir de l'effet extinctif de la compensation. / En d'autres termes, alors que la compensation est une exception purement personnelle, en ce sens que seul le débiteur, qui peut s'en prévaloir, peut l'opposer au créancier poursuivant, elle devient une exception commune inhérente à la dette, et a pour effet de libérer entièrement tous les codébiteurs, lorsqu'elle a été invoquée avec succès par l'un d'entre eux. / Dans la présente affaire, la dette du débiteur principal a été partiellement éteinte par compensation avec la créance de dommages et intérêts de l'une des cautions sur le créancier. / Il en résulte que celui-ci pouvait, certes, poursuivre la procédure de saisie immobilière engagée contre le débiteur principal - sous réserve des offres de paiement faites par celui-ci - mais uniquement pour la part non payée de sa créance. / Or, l'arrêt confirmatif attaqué a écarté l'effet extinctif partiel de la compensation et validé le commandement de saisie immobilière pour le montant global de la créance. / La cour d'appel a méconnu les principes ci-dessus rappelés. / Je conclus dès lors à la cassation.” (gras ajouté).
Dans son avis complémentaire, elle précisait : 2
“Rappelons qu'en l'espèce, la banque a accordé à une SCI un prêt garanti par deux cautions solidaires qu'elle a poursuivies en exécution de leurs engagements après avoir prononcé la déchéance du terme. / L'une d'elles a formé, en raison du manquement par la banque à son obligation de mise en garde, une demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts qui a été accueillie par les juges du fond, lesquels ont ordonné la compensation entre les créances réciproques. / Poursuivie à son tour, la SCI a invoqué sa libération partielle par l'effet de la compensation. / L'arrêt attaqué a rejeté sa prétention en retenant que la compensation était cantonnée au rapport entre la caution et la banque. / Le pourvoi formé notamment par la débitrice principale pose la question de l'articulation des régimes de la compensation et du cautionnement. / 1 - Laissons de côté le cas, qui n'est pas celui de la présente espèce, où la compensation s'applique à la dette garantie, c'est-à-dire lorsque le débiteur principal, assigné en paiement, invoque une créance de dommages et intérêts à l'encontre du créancier. Dans une telle situation et parce que son engagement est accessoire, la caution solidaire peut, en application de l'article 1294, alinéa 1er du code civil, se prévaloir de l'extinction totale ou partielle, par compensation, de la dette garantie (Par ex. Com., 17 novembre 2009, n/ 08-70.197 P + B). / 2 Ecartons également la question de l'initiative de l'exception de compensation : on sait que, pour sortir son effet extinctif, la compensation doit être invoquée, mais qu'elle ne peut l'être que par celui qui dispose d'une créance compensable contre le créancier (application de l'article 1294, al. 2 et 3 du code civil)./ 3 - Le problème est ici de déterminer si, lorsque la compensation a été invoquée par un codébiteur ou une caution solidaire, pour quelque cause que ce soit, son effet extinctif est définitivement consolidé et profite à tous ceux qui sont tenus de la dette. / Un arrêt de la chambre commerciale du 8 décembre 1998 en a interdit le bénéfice à une caution, dans une espèce où une autre caution avait été déchargée partiellement de son obligation à l'égard du créancier, par compensation avec sa créance de dommages et intérêts à l'encontre de celui-ci (Com., 8 décembre 1998, n/ 96-12.481)./ Dès lors, il était entendu qu'une caution ne pouvait se prévaloir de l'effet extinctif attaché à la compensation invoquée avec succès par son cofidéjusseur solidaire. / Cette décision a été l'objet de critiques, ainsi : "[...] une distinction paraît devoir être faite... En dépit de son effet de plein droit (art. 1290), la compensation doit être invoquée par le créancier concerné. C'est de cette compensation virtuelle entre l'un des codébiteurs ou l'une des cautions solidaires et le créancier qu'un autre débiteur ou caution ne peut se prévaloir. En revanche, si la compensation a été invoquée et a produit son effet extinctif, la dette est, à due concurrence, éteinte. Tout se passe comme s'il y avait eu, de part et d'autre, versement réciproque des sommes correspondantes. D'où l'expression usuelle "paiement par compensation". Or, il ne saurait faire de doute qu'un paiement total ou partiel, fait par un codébiteur ou une caution solidaire, libère les coobligés. Tel était le cas en l'espèce, puisqu'il avait été jugé que la dette de l'autre caution était éteinte à concurrence du montant des dommages et intérêts accordés. D'ailleurs, dans le prolongement de la solution retenue, il faudrait admettre que la seconde caution, ayant par hypothèse payé la totalité de sa dette, pourra se retourner contre la première pour moitié, de sorte que celle-ci n'aura finalement retiré aucun avantage de la compensation obtenue et que le créancier condamné à des dommages-intérêts n'aura éprouvé aucune perte". (M. Simler, note portant sur Com., 8 décembre 1998 préc., JCP 1999, I, 116, n° 7). / Sept ans après, dans une situation de fait identique, la chambre a opéré un revirement en affirmant, au visa de l'article 1234 du code civil qui énumère les causes d'extinction des obligations, que "l'extinction de la dette garantie bénéficiait à tous les cofidéjusseurs" (Com., 13 décembre 2005, n°04-19.234 P + B + R) / [...] / *Com., 21 novembre 2006 : Un jugement avait condamné solidairement plusieurs cautions à payer diverses sommes à un établissement de crédit qui avait consenti à une société des prêt et crédit de trésorerie, mais il avait accueilli la demande reconventionnelle de dommages et intérêts de l'une d'entre elles et ordonné la compensation entre les créances réciproques. / La cour d'appel avait confirmé la condamnation
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des autres cautions en retenant que la compensation ordonnée par le jugement avait dispensé la caution-créancière seule du règlement de son obligation de caution solidaire à l'égard de la banque, en raison de la faute exclusivement commise par celle-ci à son égard, et qu'une autre caution ne pouvait donc opposer au créancier l'extinction de la dette par application de l'article 1200 du code civil en se prévalant de la seule dispense de contribution au paiement de la dette dont avait bénéficié son cofidéjusseur. / L'arrêt a été cassé : "Vu l'article 1234 du code civil ; / Attendu que si la caution ne peut opposer la compensation de ce que le créancier doit à son cofidéjusseur, elle peut se prévaloir de l'extinction totale ou partielle, par compensation, de la dette garantie ; [...] ; Attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'extinction de la dette garantie à la suite de la compensation ordonnée par le jugement devenu irrévocable de ce chef, bénéficiait à tous les cofidéjusseurs, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;" Cet arrêt a été rendu conformément à un autre, en date du 3 mai 2006, portant sur une affaire dans laquelle les juges du fond avaient dénié à des cautions solidaires le droit de se prévaloir de la compensation opérée de plein droit entre la créance de la banque et leur créance réciproque de dommages et intérêts, "alors que par l'effet de la compensation qui emporte extinction de l'obligation principale, [la banque] avait déjà reçu la somme restant due par la débitrice principale". (Com., 3 mai 2006, n° 05-11.960). / * Com., 3 novembre 2010 (n°0916.173) : Après la liquidation d'une société, débitrice principale, l'établissement prêteur avait assigné en exécution de ses engagements la dirigeante de cette société qui s'était portée caution solidaire au même titre que les autres associés. Alors que celle-ci avait été condamnée, la demande formée par la banque à l'encontre des autres cautions avait été rejetée par compensation avec le préjudice subi par celles-ci en raison des fautes du créancier à leur égard. / Un arrêt de cour d'appel, qui avait rejeté la demande de la caution condamnée tendant, par référence à la décision rendue au profit de ses cofidéjusseurs, à la mainlevée de l'hypothèque judiciaire prise par le créancier à son encontre, a été cassé : "Vu les articles 1234, 1294 et 2021 devenu l'article 2298 du code civil ; / Attendu que la caution peut se prévaloir de l'extinction totale ou partielle, par compensation, de la dette garantie ; / [...] / "Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que [...] les demandes de [la banque] avaient été rejetées contre les autres cautions par compensation avec le préjudice subi par ces cautions du fait des manquements de [la banque] à leur égard, de sorte que Mme L... était fondée à opposer l'extinction de sa dette, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé ;” / La présente affaire offre la même configuration, avec toutefois cette différence que c'est le débiteur principal, et non un cofidéjusseur, qui se prévaut de la compensation invoquée avec succès par l'une des deux cautions solidaires. / Au vu des éléments qui précèdent, cette différence ne justifie pas à elle seule une modification de jurisprudence : dès lors que la compensation judiciairement ordonnée dans les rapports du créancier et d'une caution solidaire en raison de la faute du premier envers la seconde emporte extinction, totale ou partielle, de l'obligation principale, le débiteur principal est en droit d'invoquer cet effet à son profit. / [...] / Mais surgit alors une autre difficulté, celle du recours, contre ses cofidéjusseurs ou le débiteur principal, de la caution-victime dont l'engagement a été judiciairement diminué à titre de sanction de la faute du créancier à son égard. / L'effet extinctif de la compensation n'emporte libération du débiteur principal et des cofidéjusseurs que vis-à-vis du créancier, de sorte que la caution dont la créance a permis la compensation conserve ses recours car elle a payé la dette, fût-ce par voie de compensation. Dès lors, le débiteur principal est exposé à un recours à concurrence de la compensation réalisée et les cofidéjusseurs à proportion et dans la limite de leur part contributive. / Et il faut bien convenir que, lorsque la créance opposée en compensation consiste en une créance de réparation du préjudice subi par la caution par la faute du créancier à l'occasion du cautionnement, la caution-victime dont le recours est admis bénéficie d'un enrichissement, non pas parce que son patrimoine ne s'est pas appauvri - il l'a été par le jeu de la compensation survenant après l'octroi des dommages et intérêts - mais parce que le recours se cumule avec l'indemnisation de son préjudice. / Pour éviter cet écueil, il faudrait privilégier la solution consistant à autoriser la caution à opposer la faute du créancier exclusivement par voie de défense au fond plutôt que par voie de demande reconventionnelle, pour lui permettre d'obtenir
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une décharge plutôt qu'une compensation et éviter un recours source d'enrichissement. / Mais une telle solution serait contraire à celle qui a été consacrée par la Cour de cassation (Cass. ch. mixte, 21 février 2003, n/ 99-18.759 P + B + R). / A défaut, resterait alors à réorganiser le recours de la caution dans une telle situation.../ En l'état de ces quelques brefs éléments de réflexion, la solution préconisée par mon avis de cassation me paraît aller dans le sens de la sécurité juridique d'une jurisprudence issue d'un revirement et qui a été depuis lors réaffirmée. / Pour autant, les difficultés mises en exergue par les opinions doctrinales émises sur cette question, ainsi que la résistance apparente des juges du fond, pourraient susciter un nouveau débat qui, à mon sens, devrait alors être abordé par une formation élargie de la Cour, tant le sujet n'intéresse pas seulement la chambre commerciale, financière et économique.”
De ces développements et surtout de la rédaction de l'article 1294 du code civil applicable à l'époque des faits, il me semble qu'il faut retenir que : - lorsqu'une compensation peut s'opérer au profit du débiteur principal parce qu'il détient une créance de dommages et intérêts à l'encontre du créancier, la caution, dont l'engagement n'est qu'accessoire à celui du débiteur, peut, en application de l'article 1294, alinéa 1er du code civil, se prévaloir de cette possibilité de compensation même si elle n'a pas été demandée par le débiteur ; en effet, telle que rédigée cette disposition conduit à se situer en amont même de la réalisation de la compensation: “ La caution peut opposer la compensation de ce que le créancier doit au débiteur principal ” (soulignement ajouté) ; a fortiori, bien entendu, lorsque la compensation intervient, elle éteint partiellement ou totalement la dette garantie par la caution qui se trouve libérée à due concurrence ; - en revanche, les personnes dont l'engagement n'est pas simplement accessoire à celui du débiteur principal, mais qui sont tenues solidairement avec celui-ci ne peuvent pas se prévaloir d'une possibilité de compensation entre la dette du débiteur principal et une créance de celui-ci à l'encontre de son créancier si cette compensation n'a pas été demandée par le débiteur lui-même. C'est ce qu'affirme l'alinéa 3 de l'article 1294 du code civil : “Le débiteur solidaire ne peut pareillement opposer la compensation de ce que le créancier doit à son codébiteur.” ; ici encore, la rédaction du texte situe l'opposition en amont de la réalisation de la compensation ; - de la même manière, en amont de la réalisation de la compensation, l'alinéa 2 de l'article 1294 du code civil refuse au débiteur principal la possibilité d'opposer à son créancier la dette que ce dernier a à l'encontre de la caution, car l'obligation de celle-ci envers le créancier n'est qu'accessoire et sa mise à exécution nécessite la défaillance préalable du débiteur principal : “Mais le débiteur principal ne peut opposer la compensation de ce que le créancier doit à la caution.” ; - mais ces règles qui sont applicables en amont de la demande de compensation ne couvrent pas la situation dans laquelle la compensation a bien été demandée et prononcée judiciairement avant d'être exécutée, car une fois celle-ci intervenue la dette est, à due concurrence, éteinte ; tout se passe comme s'il y avait eu, de part et d'autre, versement réciproque des sommes qui sont venues se compenser ; la compensation équivaut à un véritable paiement. Quelles conclusions tirer de ces observations préalables lorsqu'une compensation avec une dette du créancier s'opère au profit d'une caution ? En application du mécanisme de la compensation, le créancier condamné au paiement de dommages et intérêts à l'égard d'une des cautions à laquelle il réclame parallèlement le paiement de sommes dues par le débiteur principal, doit, lorsque la
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compensation est ordonnée judiciairement, être considéré comme ayant acquitté les dommages et intérêts dont il était redevable envers la caution, alors que celle-ci, de son côté, doit être considérée comme s'étant ainsi acquittée, à concurrence du montant de ces dommages et intérêts, de la dette du débiteur pour le compte duquel elle s'est portée caution. C'est bien la dette du débiteur principal qui est ainsi payée au créancier par la caution en raison de son obligation accessoire, ce qui va d'ailleurs permettre à la caution de se retourner vers le débiteur pour lui réclamer la somme qu'elle a payé en ses lieu et place. En conséquence, rien ne justifie que le créancier, qui a déjà reçu paiement total ou partiel de sa créance sur le débiteur principal auprès d'une caution de celui-ci, conserve le droit de réclamer une somme équivalente soit aux autres cautions solidaires soit au débiteur lui-même. Admettre le contraire, c'est admettre que le créancier puisse recevoir deux fois le paiement de sa dette. Considérer, comme l'a fait la chambre dans l'arrêt précité du 13 mars 2012, que la compensation entre la dette que le créancier a envers une caution et les sommes que celle-ci s'est engagée à lui payer en lieu et place du débiteur en cas de défaillance de ce dernier a pour seul effet de libérer la caution concernée de son obligation à l'égard du créancier, mais n'a pas pour effet d'éteindre la dette commune, c'est à la fois nier le mécanisme de la compensation et nier la nature même de la condamnation au paiement de dommages et intérêts prononcée à l'encontre du créancier. Cela nie le mécanisme de la compensation qui a pour but d'éviter matériellement le paiement croisé entre deux personnes de sommes équivalentes dont elles sont redevables chacune l'une envers l'autre. Mais surtout, cela nie la nature même de la condamnation au paiement de dommages et intérêts prononcée à l'encontre du créancier, car la solution retenue lui substitue en réalité une simple réduction de l'étendue de la garantie dont il bénéficiait auprès de la caution, tout en lui donnant la possibilité de continuer à poursuivre la demande en paiement de la même somme auprès du débiteur principal ou/et des autres cautions, de sorte qu'il pourra ainsi éventuellement se faire “rembourser” le montant des dommages et intérêts qu'il a été condamné à verser à la caution et sortir financièrement indemne de cette condamnation. C'est sans doute la raison pour laquelle l'arrêt du 13 décembre 2005 (précité) et les arrêts rappelés par Madame Batut du 3 mai 2006, du 21 novembre 2006, et du 3 novembre 2010 ont retenu une solution différente fondée sur les effets de la compensation. Mme Batut, qui soutenait cette dernière solution, se montrait néanmoins sensible à un argument contraire soulevé par certains auteurs également cités par le rapporteur, selon lequel la solution retenue en décembre 2005 présentait l'inconvénient de permettre à la “caution-victime” de s'enrichir. En effet, selon eux, le recours contre le débiteur principal et les cofidéjusseurs, dont bénéficie la caution qui a payé le créancier par compensation de sa créance de
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réparation envers lui, s'il est couronné de succès conduira à un enrichissement de cette “caution-victime”. Toutefois, je ne suis absolument pas convaincue par cet argument qui méconnaît une fois encore les effets de la compensation. Certes, à raison des effets de celle-ci, ordonnée judiciairement, la caution condamnée au paiement des sommes dues par le débiteur principal défaillant n'a pas eu à “décaisser” le montant des dites sommes à concurrence de la créance de dommages et intérêts qu'elle détenait contre le créancier, mais il n'en reste pas moins qu'elle a, de cette manière, payé le créancier, et que le recours dont elle dispose à due concurrence contre le débiteur principal et le cas échéant ses cofidéjusseurs a justement pour effet de lui restituer l'équivalent des dommages et intérêts dont elle doit bénéficier au terme d'une décision de justice, mais qui ont été absorbés par le biais de la compensation. En l'absence de prononcé de la compensation, le créancier aurait indemnisé la caution à concurrence d'une certaine somme, et la caution aurait, quant à elle, versé au créancier une somme au moins équivalente en exécution du cautionnement, somme à concurrence de laquelle elle aurait légitimement pu exercer un recours contre le débiteur principal et le cas échéant ses cofidéjusseurs. Elle aurait donc bien encaissé les dommages et intérêts auxquels elle a droit, et le remboursement des sommes payées en lieu et place du débiteur et/ou des autres cofidéjusseurs, qui ont des finalités bien différentes et ne se superposent pas de manière indue. L'existence d'une compensation ne change rien à cette situation, parfaitement logique au regard des engagements des uns et des autres, et il n'y a aucun enrichissement de la caution laquelle est parfaitement légitime à recevoir, sous une forme ou une autre les dommages et intérêts qui lui ont été octroyées judiciairement pour compenser le préjudice qu'elle a subi en étant contrainte d'honorer l'engagement de caution qu'elle a été amenée à prendre dans des conditions irrégulières. Vous l'aurez compris, j'approuve pleinement la jurisprudence antérieure à l'arrêt du 13 mars 2012 qui faisait une application pleine et entière du mécanisme de la compensation en respectant l'exécution de la condamnation prononcée à l'encontre du créancier au profit de la caution. En conséquence, le moyen présenté par le demandeur m'apparaît fondé et je vous invite à casser l'arrêt attaqué sur celui-ci. Un examen en formation de section apparaît souhaitable.
Avis : cassation sur le moyen unique
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