Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 08-02-2023, n° 21-17.971

Cass. soc., Conclusions, 08-02-2023, n° 21-17.971

A83872R3

Référence

Cass. soc., Conclusions, 08-02-2023, n° 21-17.971. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105408960-cass-soc-conclusions-08022023-n-2117971
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AVIS DE M. HALEM, AVOCAT GÉNÉRAL RÉFÉRENDAIRE

Arrêt du 8 février 2023 – Chambre sociale Pourvoi n° 21-17.971 Décision attaquée : 31 mars 2021 de la cour d'appel de Paris Société TV5 Monde C/ M. [J] [F] __________________

Engagé par la société TV5 Monde (ci-après “l'employeur”) depuis le 28 mai 2006 dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée (ci-après “CDD”), M. [F] (ci-après “le salarié”) a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en requalification de ceux-ci en contrat à durée indéterminée (ci-après “CDI”) et en paiement de diverses sommes. Par jugement du 7 octobre 2016, le conseil de prud'hommes de Paris l'a débouté de ses demandes. Par lettre du 20 février 2019, l'employeur a informé le salarié de la fin de la relation de travail. Par arrêt du 31 mars 2021, la cour d'appel de Paris a infirmé le jugement, requalifié les contrats en CDI et condamné l'employeur au paiement d'indemnités de requalification, de licenciement sans cause réelle et sérieuse, compensatrice de préavis, conventionnelle de licenciement et de dommages-intérêts pour circonstances brutales et vexatoires de la rupture. L'employeur a formé un pourvoi en cassation le 11 juin 2021.

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DISCUSSION Le pourvoi développe quatre moyens de cassation : - (i) la requalification en CDI de CDD d'un travailleur intermittent lui confère rétroactivement le statut de travailleur permanent recruté dès l'origine en CDI ; la condamnation par la cour d'appel de l'employeur à un arriéré de primes de sujétion, de fin d'année et d'ancienneté, alors que la rémunération due à ce titre était inférieure à celle effectivement perçue par le salarié en qualité d'intermittent, viole l'article L. 1245-1 du code du travail ; - le salaire de référence devant être celui d'un salarié engagé dès l'origine en CDI, le calcul par la cour d'appel, sur la base du salaire moyen perçu par le salarié en qualité d'intermittent, (ii) de l'indemnité compensatrice de préavis, (iii) de l'indemnité conventionnelle de licenciement et (iv) de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, viole respectivement (i) les articles L. 1245-1, L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9 du code du travail et I/8.6 de l'accord d'entreprise du 28 décembre 2012, (ii) L. 1245-1 et I/8.3 de l'accord d'entreprise précité, ainsi que (iii) L. 1245-1 et L. 1235-3 du code précité.

Il pose donc la question suivante : les indemnités versées au salarié par suite de la requalification de ses CDD en CDI doivent-elles être calculées sur la base du salaire perçu en qualité de salarié intermittent en CDD ou de celui dû au titre du statut de salarié permanent de l'entreprise recruté en CDI ? La requalification de CDD successifs en CDI soumet rétroactivement le salarié au régime du salariat permanent à durée indéterminée, à l'exception des sommes fondées sur la situation contractuelle antérieure à celle-ci (I). Dès lors, si les rappels de salaires de base et leurs accessoires sont calculés selon les conditions contractuelles issues de la requalification, les indemnités résultant de la rupture de la relation de travail le sont en fonction de celles en vigueur au jour de cette rupture (II).

I. La requalification de CDD successifs en CDI soumet le salarié dès le premier contrat irrégulier au régime du salariat permanent en CDI, à l'exception des sommes fondées sur la situation contractuelle antérieure à celle-ci La requalification prononcée en vertu de l'article L. 1245-1 du code du travail est une sanction (1) dont les effets obéissent à un triple principe d'unicité, de rétroactivité et de relativité, notamment pour les sommes trouvant leur fondement dans la période antérieure à celle-ci (2). 1. Distincte de la “requalification-interprétation” consistant pour le juge à donner ou restituer aux faits et actes litigieux leur exacte qualification 1, la “requalificationsanction” consiste dans l'“attribution à un acte juridique, à titre de sanction de la 1

Sur le fondement du second alinéa de l'article 12 du code de procédure civile, aux termes duquel le juge “(...) doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée”. Elle ne se confond pas non plus avec la “requalification-reconduction” en CDI, lorsque la relation de travail à durée indéterminée se poursuit après l'échéance du terme (article L. 1243-11 du code du travail), ou avec la “requalification-conversion”, faisant produire un effet à l'acte nul qui remplit les conditions requises pour la validité d'un autre acte, par exemple dans le cadre de périodes d'essai stipulées à l'occasion d'une promotion professionnelle (Soc, 30 mars 2005, n° 02-46.103).

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violation d'une règle de droit, d'une qualification qui ne correspond pas à ses caractéristiques intrinsèques”2. Dans ses effets, elle “(...) doit priver l'employeur des “avantages” qu'il croyait pouvoir tirer de la conclusion d'un contrat de travail dérogatoire”3. Garantissant le caractère exceptionnel du recours au statut précaire du CDD4, la requalification a été imposée à titre automatique par l'ordonnance n° 82-130 du 5 février 1982 en cas de poursuite de la relation contractuelle après l'échéance du terme5, puis, par l'ordonnance n°86-948 du 11 août 1986, à titre de sanction en cas de méconnaissance des dispositions du code du travail relatives aux conditions de recours à cette forme contractuelle6. L'actuel article L. 1245-1, alinéa 1er, du code du travail, dans sa version applicable aux faits de l'espèce7, reprend cette sanction en prévoyant qu'“Est réputé à durée indéterminée tout contrat de travail conclu en méconnaissance des dispositions des articles L. 1242-1 à L. 1242-4, L. 1242-6 à L. 1242-8, L. 1242-12, alinéa premier, L. 1243-11, alinéa premier, L. 1243-13, L. 1244-3 et L. 1244-4”, le premier de ces textes interdisant le recours au CDD pour “(...) pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise”. 2. En tant qu'elle constitue une substitution judiciaire de qualification permettant de rétablir une légalité contournée, les multiples effets de la requalification-sanction peuvent être articulés autour de trois principes.

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G. Couturier, cité par Y. Pagnerre, La requalification de l'acte, dans La sanction en droit du travail, colloque sous la direction de B. Teyssié, éd. Panthéon Assas, n° 255. Certains auteurs ont soutenu que cette sanction s'assimilait à la nullité partielle affectant une clause de terme contraire aux dispositions impératives du code du travail (J. Mouly, La requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat, Droit social 2017, p. 1079), ce que conteste Y. Pagnerre (op. cit., n° 271), au motif que la requalification n'efface pas l'illicéité passée. 3

D. Baugard, La sanction de requalification en droit du travail, thèse, éd. IRJS, n° 745.

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L'ancien article L. 121-5 du code du travail, dans sa formulation issue de l'ordonnance n° 82-130 du 5 février 1982, prévoyait : “Le contrat de travail est conclu sans détermination de durée. Toutefois, dans les cas et aux conditions fixées à la section I du chapitre II du présent titre, il peut comporter un terme fixé avec précision dès sa conclusion ou résultant de la réalisation de l'objet pour lequel il est conclu”. La règle est reprise à l'actuel article L. 1221-2, alinéa 1er, du code du travail, selon lequel “Le contrat de travail à durée indéterminée est la forme normale de la relation de travail”. 5

Selon l'ancien article L. 122-3-11 du code du travail, alinéas 1er et 3, issu de l'ordonnance n° 82-130 du 5 février 1982 : “Si la relation contractuelle de travail se poursuit après l'échéance du terme du contrat, celui-ci devient un contrat à durée indéterminée (...). Lorsque la relation contractuelle de travail se poursuit à l'issue d'un contrat à durée déterminée, le salarié conserve l'ancienneté qu'il avait acquise au terme de ce contrat. La durée de ce contrat est déduite de la période d'essai éventuellement prévue dans le nouveau contrat”. 6

L'ancien article L. 122-3-13 du code du travail, dans sa version issue de l'ordonnance n° 86-948 du 11 août 1986, prévoyait que “Tout contrat conclu en méconnaissance des dispositions des articles L. 122-1, L. 122-1-1, L. 122-2, L. 122-3, L. 122-3-11 et L. 122-3-12 est réputé à durée indéterminée”. L'article L. 122-1, alinéa 1er, de ce code, dans sa version issue de la même ordonnance, prévoyait que “Le contrat de travail à durée déterminée peut être conclu pour l'exécution d'une tâche précise. Il ne peut avoir pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise”. 7

Version issue de la loi n°2008-67 du 21 janvier 2008.

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2.1. Un principe d'unicité, selon lequel “(...) lorsque le juge requalifie une succession de contrats précaires avec le même salarié, chaque contrat ne fait pas l'objet d'une requalification mais l'ensemble est requalifié en contrat à durée indéterminée”8. Cette unicité s'est en effet progressivement dégagée de la jurisprudence de la Cour de cassation qui a considéré que le juge ne peut accorder en ce cas qu'une seule indemnité de requalification pour l'ensemble de la période (Cass, avis, 24 janvier 2005, n° 04-00.004 ; Soc, 30 mars 2005, n° 02-45.410 ; Soc, 25 mai 2005, n° 03-43.214), de même qu'une indemnité au titre de la rupture du seul CDI (Soc, 13 avril 2005, n° 0344.996)9, ainsi que par le visa de la requalification “en un contrat de travail à durée indéterminée” (Soc, 25 mai 2005, n° 03-43.146). Il en résulte trois conséquences. D'abord, la requalification englobe les périodes interstitielles entre contrats, même en cas d'inactivité (Soc, 3 mai 2016, n° 15-12.256) ou d'interruption de la relation de travail pendant plusieurs années (Soc, 31 janvier 2018, n° 16-19.551), dès lors que le salarié s'est tenu à la disposition de l'employeur (Soc, 19 mars 2014, n° 12-29.080; Soc, 3 décembre 2014, n° 13-18.445 ; Soc, 10 décembre 2014, n° 13-22.422 ; Soc, 21 septembre 2022, n° 20-17.627), ce qu'il lui incombe de prouver (Soc, 27 juin 2018, n° 17-13.658 et n° 17-10.384, 17-10.385, 17-10.386, 17-10.387, 17-10.391 ; Soc, 13 mars 2019, n° 18-11.096 ; Soc, 21 septembre 2022, n° 21-16.821)10. Ensuite, sauf exception, l'unicité emporte l'application du régime du CDI pour fixer le montant du salaire de base et de ses accessoires pour l'ensemble de la période concernée. Ainsi, le rappel de salaire consécutif à la requalification ne peut être calculé sur la base d'un accord salarial applicable aux intermittents (Soc, 20 novembre 2012, n° 11-23.445) ou du salaire contractuel perçu en qualité d'intermittent (Soc, 19 mars 2014, n° 12-29.080 ; Soc, 2 avril 2014, n° 13-10.087 ; Soc, 3 décembre 2014, n° 1318.445). Autrement dit, “Le calcul des rappels de salaire consécutifs à la requalification de contrats à durée déterminée successifs en un contrat à durée indéterminée s'effectue selon les conditions contractuelles fixant les obligations de l'employeur telles qu'elles résultent de cette requalification” (Soc, 16 mars 2016, n° 15-11.396 ; Soc, 9 juin 2017, n° 16-17.634 ; Soc, 17 janvier 2018, n° 16-25.502 ; Soc, 15 septembre 2021, n° 19-19.979 et 19-21.410). Enfin, le salarié bénéficiera, en cas de requalification après le terme du dernier CDD, de la protection du droit du licenciement propre au CDI. L'employeur qui ne fournit plus de travail et ne paie plus les salaires est en effet responsable de la rupture qui s'analyse en un licenciement (Soc, 30 octobre 2002, n° 00-45.608 ; Soc, 16 octobre 2019, n° 17-30.918), entraînant le versement des indemnités de rupture habituelles au CDI (Soc, 3 juin 2009, n° 08-41.037). Ne pouvant obtenir l'annulation de ce licenciement (Soc, 13 mars 2001, n° 99-45.735) ni solliciter sa réintégration (Soc, 21 septembre 2017, n° 16-20.460), le salarié pourra 8

Y. Pagnerre, op. cit. , n° 327.

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Les solutions sont identiques en matière de contrat de travail temporaire : Soc, 10 mai 2012, n° 10-23.514.

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Dans le même sens (la charge de la preuve incombe au salarié) : Soc, 10 novembre 2009, n° 08-40.088 ; Soc, 28 septembre 2011, n° 09-43.385 ; Soc, 10 décembre 2014, n° 13-22.422 ; Soc, 16 septembre 2015, n° 14-16.277 ; Soc, 5 octobre 2016, n° 15-19.659 ; Soc, 19 octobre 2016, n° 14-28.883 ; Soc, 17 février 2021, n° 18-23.989. Pour un contrat de travail temporaire, voir Soc, 9 décembre 2009, n° 08-41.737.

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prétendre aux différentes indemnités liées à la rupture du CDI, mais pas à autant d'indemnités que de CDD requalifiés (Soc, 25 mai 2005, n° 03-43.146). Si la requalification est demandée après un refus de renouvellement de CDD notifié par lettre, le juge devra rechercher si les motifs énoncés dans celle-ci constituent des griefs matériellement vérifiables permettant de déterminer si la rupture de ce qui était en réalité un CDI a une cause réelle et sérieuse (Soc, 9 juillet 2008, n° 06-46.379 ; Soc, 20 octobre 2015, n° 14-23.712). 2.2. Un principe de rétroactivité, selon lequel le salarié qui réclame la requalification de son contrat doit être placé dans la situation qui serait la sienne s'il avait, dès l'origine, été recruté dans le cadre d'un CDI, notamment pour la classification conventionnelle et l'octroi des primes attachées au nouveau statut (Soc, 12 juillet 2007, n° 06-43.141 ; Soc, 19 mai 2009, n° 07-44.841 et 07-45.010 ; Soc, 19 mars 2014, n° 12-29.080, précité). En d'autres termes, les effets de la requalification en CDI remontent à la date de la conclusion du premier CDD irrégulier (Soc, 9 décembre 2020, n° 19-16.138 ; dans le même sens : Soc, 29 janvier 2020, n° 18-15.359), ce qui implique deux conséquences. D'une part, le salarié est en droit de se prévaloir d'une ancienneté remontant au jour de son engagement par un CDD irrégulier (Soc, 3 mai 2016, n° 15-12.256 ; Soc, 23 mars 2016, n° 14-22.250 ; Soc, 31 janvier 2018, n° 16-19.551 ; Soc, 9 décembre 2020, n° 19-16.138). D'autre part, il est en droit d'obtenir la reconstitution de sa carrière ainsi que la régularisation de sa rémunération (Soc, 24 juin 2003, n° 01-40.757 ; Soc, 6 novembre 2013, n° 12-15.953 ; Soc, 2 mars 2016, n° 14-18.940 ; Soc, 29 janvier 2020, n° 18-15.359 ; dans le même sens : Soc, 7 avril 1998, n° 95-43.091)11. 2.3. Un principe de relativité qui implique selon un auteur, au regard de la finalité de la sanction, que “(...) la privation des avantages doit être à la mesure de la violation de la règle conditionnant l'octroi de ces avantages”12. Il revêt trois aspects. D'abord, une indépendance entre les différents types de requalification, la Cour de cassation jugeant que : “La requalification d'un contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet ne porte que sur la durée de travail et laisse inchangées les autres stipulations relatives au terme du contrat. Réciproquement, la requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail” (Soc, 9 octobre 2013, n° 12-17.882 sommaire - ; Soc, 10 décembre 2014, n°13-22.422 ; Soc, 5 octobre 2016, n° 15-19.659 ; Soc, 24 octobre 2018, n° 16-15.898 ; Soc, 13 mars 2019, n° 18-11.096). Il s'ensuit que la détermination des jours de travail, qui résulte de l'accord des parties lors de la conclusion de chacun des CDD, nécessaire au calcul de la rémunération 11

La solution est identique en matière de missions de travail temporaire (Soc, 21 janvier 2004, n° 03-42.769, 03-42.770, 03-42.774, 03-42.776, 03-42.775, 03-42.754, 03-42.777, 03-42.756, 03-42.779, 03-42.780, 03-42.781, 03-42.782, 0342.760, 03-42.783, 03-42.784, 03-42.763, 03-42.764 et 03-42.765 ; Soc, 10 mai 2012, n° 10-23.514). 12

D. Baugard, thèse précitée, n° 745. Cet auteur précise : “En d'autres termes, la violation d'une règle conditionnant la possibilité de déroger au régime attaché au contrat de référence ne doit (...) mettre directement en cause que la dérogation spécifique recherchée, et non toutes les caractéristiques dérogatoires du contrat. La détermination de la qualification substituée à la qualification originellement retenue dépend[...] uniquement de la règle violée (...)”.

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mensuelle de référence et par suite des sommes dues au salarié en conséquence de leur requalification en un CDI, n'est pas affectée par celle-ci (Soc, 2 juin 2021, n° 1918.080).

Ensuite, la nécessité de prendre en compte, pour le calcul des sommes trouvant leur fondement dans la situation contractuelle antérieure à la requalification, la réalité des conditions contractuelles en vigueur avant celle-ci. Ainsi, le montant du rappel de salaire dû au titre des périodes interstitielles, dont dépend le montant de l'indemnité de requalification, de l'indemnité de licenciement et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, a pour base de calcul la réalité de la situation de chaque période interstitielle telle que résultant de chacun des CDD l'ayant précédée (Soc, 2 juin 2021, n° 19-16.183). Il en va de même de l'indemnité compensatrice de préavis, calculée en fonction du salaire que le salarié aurait dû percevoir s'il avait exécuté son préavis (Soc, 2 juin 2021, n° 19-16.183). Les juges doivent à cet effet vérifier la durée de travail résultant du contrat en cours lors de la rupture pour la déterminer et donc préciser si ce contrat prévoyait un temps partiel ou un temps complet (Soc, 2 juin 2021, n° 20-10.141). Enfin, l'absence d'atteinte aux situations acquises, ayant un fondement ou un objet différent du nouveau CDI substitué. Ainsi, le salarié n'a pas à restituer l'indemnité de fin de contrat déjà perçue (Soc, 9 mai 2001, n° 98-46.205 ; Soc, 30 mars 2005, n° 03-42.667) et les sommes destinées à compenser la situation dans laquelle il était placé du fait de son CDD lui restent acquises (Soc, 8 juillet 2020, n° 18-21.942 et n° 18-23.148 ; Soc, 30 mars 2005, n° 03-42.667), ce qui est notamment le cas de la prime de précarité (Soc, 9 mai 2001, n° 98-44.090 ; Soc, 24 juin 2003, n° 00-42.766). De même, le calcul des rappels de salaire consécutifs à la requalification n'est pas affecté par les sommes qui ont pu être versées au salarié au titre de l'assurance chômage (Soc, 16 mars 2016, n° 15-11.396 ; Soc, 9 juin 2017, n° 16-17.634 ; Soc, 17 janvier 2018, n° 16-25.502)13. Par ailleurs, le fait qu'il ait sollicité le paiement d'une indemnité de fin de contrat et de dommages-intérêts pour rupture abusive ne l'empêche pas de solliciter à tout moment la requalification de son CDD en CDI (Soc, 30 mai 2007, n° 06-41.403).

II. Si les rappels de salaires de base et leurs accessoires sont calculés selon les conditions contractuelles issues de la requalification, les indemnités résultant de la rupture de la relation de travail le sont en fonction de celles en vigueur au jour de cette rupture Au-delà du rejet de l'exception d'irrecevabilité des trois derniers moyens devant être prononcé (1), il convient de distinguer les rappels de salaires de base et de primes, soumis aux conditions contractuelles du salariat permanent issues de la requalification (2 - moyen 1) des indemnités attachées à la rupture de la relation de travail, qui suivent le régime contractuel en vigueur au jour de celle-ci (3 - moyens 2 à 4). 13

Dans le même sens, pour l'allocation d'aide au retour à l'emploi : Soc, 21 septembre 2017, n° 16-20.460.

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1. Sur l'exception d'irrecevabilité des trois derniers moyens 1.1. Selon le premier alinéa de l'article 619 du code de procédure civile, “Les moyens nouveaux ne sont pas recevables devant la Cour de cassation”. Il en résulte qu'un moyen de cassation est irrecevable lorsqu'il est contraire à ceux qui ont été soutenus dans les conclusions d'appel du demandeur au pourvoi (Civ 1 ère, 28 mars 2006, n° 03-10.072 ; Soc, 21 novembre 2007, n° 06-40.489 ; Civ. 2ème, 23 octobre 2008, n° 07-15.769). 1.2. En l'espèce, le mémoire en défense soutient que “la société (...) a elle-même admis devant la cour d'appel que les indemnités de rupture éventuellement dues [au salarié] devaient être calculées sur la base du salaire perçu par le salarié au titre de son statut d'intermittent, c'est à dire sur la base du salaire perçu avant la rupture” (p.9). Cependant, la lecture des conclusions de l'employeur ne laisse aucun doute sur le fait qu'il soutenait devant la cour d'appel que la requalification ouvrait droit au salarié aux seuls salaires et avantages liés au salariat permanent : “(...) [S]i les relations contractuelles sont requalifiées en contrat à durée indéterminée, [le salarié] doit être replacé dans la situation qui aurait été la sienne s'il avait, à partir de mai 2006, poursuivi sa collaboration dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée et se voir appliquer, dans ce cadre, les dispositions conventionnelles en vigueur au sein de [l'entreprise]. Une fois les CDD requalifiés en CDI, [le salarié] ne peut en effet prétendre qu'aux salaires et avantages dus aux salariés embauchés en contrat à durée indéterminée (...). La Cour de cassation tire ainsi toutes les conséquences de la requalification en jugeant que le salarié dont la relation de travail se trouve requalifiée ne peut exiger le maintien du salaire contractuel par référence au salaire journalier perçu dans le cadre des CDD. Une fois les contrats de travail à durée déterminée requalifiés en un unique contrat à durée indéterminée, le salarié ne peut prétendre qu'aux salaires et avantages dus aux salariés embauchés en contrat à durée indéterminée depuis l'origine” (p. 23).

La référence faite dans ces conclusions au salaire contractuel passé visait essentiellement à souligner une différence de régime entre le calcul des rappels de salaires de base et des indemnités de rupture, compte tenu par ailleurs des sommes déjà reçues par le salarié à la suite de la rupture : “(...) il y a, juridiquement, une différence entre le salaire qui aurait été celui [du salarié] s'il avait été en contrat à durée indéterminée depuis l'origine et qui sert de base à un éventuel rappel de salaire sur les périodes interstitielles et l'assiette de calcul d'indemnités liées à la fin de la collaboration ! La Cour notera d'ailleurs que l'indemnité versée [au salarié] à la fin de sa collaboration a été calculée en fonction des rémunérations perçues en sa qualité d'intermittent” (p. 31).

En outre, le visa d'une somme de 5076,76 euros équivalente à un mois de rémunération perçue au titre du statut d'intermittent s'inscrivait dans le cadre d'un moyen de défense subsidiaire visant à voir cantonner l'effet de la requalification, au cas où son rejet sollicité à titre principal serait refusé à l'employeur :

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“Si par impossible la Cour décidait de faire droit à la demande de requalification des contrats en contrat à durée indéterminée, il lui serait demandé de limiter le montant de l'indemnité sollicitée à l'équivalent d'un mois de rémunération, soit la somme de 5076,76 €” (p. 32).

Dans ces conditions, la référence au stade de l'appel à cette somme pour le calcul de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de l'indemnité de préavis ne peut être interprétée comme étant manifestement contraire aux trois derniers moyens du pourvoi contestant le recours au salaire moyen du statut d'intermittent pour fixer ces indemnités. De plus, l'équivalence entre cette somme de 5076,76 euros et celle de 45 310,06 euros, également proposée en défense à titre subsidiaire pour le calcul de l'indemnité de licenciement, ne ressort pas directement de l'un des trois paragraphes des conclusions critiqués14. Il résulte de ces éléments que la nouveauté des trois derniers moyens, par suite d'une thèse contraire à celle soutenue devant les juges du fond, n'apparaît pas suffisamment caractérisée pour justifier une sanction aussi radicale que l'irrecevabilité, s'agissant de surcroît de questions utiles pour préciser le régime de la sanction de requalification. Il y aura lieu en conséquence de rejeter l'exception d'irrecevabilité.

2. Les rappels de salaires de base et de leurs accessoires sont calculés selon les conditions contractuelles issues de la requalification (moyen 1)

2.1. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation analysée ci-dessus que le calcul des rappels de salaires consécutifs à la requalification s'effectue selon les conditions contractuelles résultant de celle-ci. A cet égard, les primes et gratifications, dès lors qu'elles procèdent d'une obligation de l'employeur et présentent un caractère de périodicité, constituent un élément du salaire dont elles suivent le régime juridique. Constitue ainsi un élément du salaire toute prime instituée par un accord d'entreprise lui conférant un caractère obligatoire pour l'employeur, indépendamment de la possibilité reconnue par l'accord de faire varier son montant (Soc, 27 janvier 1994, n° 91-17.528). Le salarié doit alors être positionné dès l'origine au niveau indiciaire correspondant à la nouvelle qualification pour déterminer son “salaire [auquel doivent] s'ajouter les primes, indemnités et accessoires de salaire légaux et conventionnels accordés dans l'entreprise aux salariés employés par contrat de travail à durée indéterminée à temps complet se trouvant dans une situation identique à la sienne” (Soc, 12 juillet 2007, n° 06-43.141). Il est notamment éligible à des rappels de primes d'ancienneté, de fin d'année et de supplément familial attachées au nouveau statut même s'il a perçu sur la même période des rémunérations en qualité d'intermittent (Soc, 19 mai 2009, n° 07-44.841 et 07-45.010).

14

“Si la Cour devait requalifier la collaboration et juger que [le salarié] a fait l'objet d'un licenciement, l'indemnité de licenciement ne pourrait être supérieure à 45 310,06 euros, compte tenu de l'indemnité déjà versée”, sans autre précision (p. 41 des conclusions d'appel de l'employeur).

8

Pour en apprécier le principe, le juge peut être conduit à comparer les sommes dues au titre du CDI et celles effectivement reçues en qualité d'intermittent pour en déduire que “le salarié avait perçu au titre des contrats à durée déterminée, eu égard à son statut d'intermittent, une rémunération supérieure à celle qu'il aurait perçue dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée pour la même durée effective de travail” (Soc, 19 mai 2010, n° 09-41.464). 2.2. En l'espèce, il résulte des écritures des parties devant la cour d'appel 15 que les primes de sujétion, de fin d'année et d'ancienneté litigieuses correspondent à des accessoires de salaires prévus par la convention collective applicable16, attachés au statut de salarié permanent de l'entreprise employé en CDI. Selon une prémisse exacte, la cour d'appel rappelle : “La requalification opérée par la cour confère au salarié le statut de travailleur permanent de l'entreprise et a pour effet de replacer ce dernier dans la situation qui aurait la sienne s'il avait été recruté dès l'origine dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. Ainsi, [le salarié] ne peut prétendre à un rappel de salaire calculé sur la base de celle correspondant au statut d'intermittent mais à celui qu'il aurait perçu s'il avait été engagé par un contrat à durée indéterminée” (p. 7 de l'arrêt attaqué).

Pour se prononcer sur le bien-fondé de la demande de rappels de ce chef, la cour d'appel a ensuite procédé à la comparaison des sommes perçues en qualité d'intermittent hors primes et indemnités spécifiques et de celles dues au titre du statut de salarié permanent, en ces termes : “En fonction de ces éléments et en prenant en compte le temps partiel retenu soit de 65,78 % par la cour, son salaire de base mensuel brut doit être fixé à 1 733,22 €en 2006 et à la date de la fin de sa collaboration à 2 145,83 €. En tenant compte de l'ancienneté, des revalorisations et des compléments de salaires compris dans les accord et convention d'entreprise aurait perçu entre le 28 mai 2006 et le 1er mai 2019 [le salarié] aurait perçu sur une base de 30 898,34 € de salaire annuel moyen brut alors qu'en tant qu'intermittent il percevait 55 733€ à titre de salaire de base, congés payés compris et sans y inclure les primes et indemnités spécifiques. Ces primes demandées par [le salarié] soit pour la prime d'ancienneté 11 235 €, congés payés sur la prime d'ancienneté 1 123 €, pour la prime de fin d'année 11 833 €, et pour la prime de sujétion 48 059 € soit une somme totale de 72 138 € sont dus mais doivent être calculés sur le temps partiel retenu ce qui permet de les fixer à la somme de soit 47 452,37€.

Ainsi, si aucun rappel de salaire n'est dû, en revanche, la cour considère au vu des pièces que les primes qu'il aurait perçus en tant que salarié permanent sont dues. En conséquence, il convient de condamner [l'employeur] à verser [au salarié] la somme de 47 452,37€ au titre des primes dues du fait de la requalification”.

Il y a lieu de relever, au-delà d'erreurs matérielles en altérant le sens, que ces motifs ne précisent pas clairement si les “compléments de salaire” pris en compte pour fixer la rémunération due au salarié en application des dispositions conventionnelles relatives aux salariés permanents incluent les trois primes réclamées. En toute hypothèse, la cour d'appel a constaté un différentiel positif en faveur du salarié entre les sommes effectivement versées à celui-ci en qualité d'intermittent (55 15

Voir conclusions de l'employeur, § B.6.1., p. 32, et celles du salarié, § 6°, p. 51-52.

16

Accord d'entreprise du 28 décembre 2012.

9

733 euros de salaire de base par an) et celles lui étant dues par l'effet de la requalification (30 898,34 euros par an), qui servent de base de calcul aux rappels d'accessoires de salaires tels que les primes, de l'ordre de 24 834,66 euros (55 733 30 898,34). Dès lors, si les trois primes litigieuses avaient été incluses dans les “compléments de salaire” afférents au salaire d'un CDI pris pour référence, la perception par le salarié au titre de ses CDD, même dans le cadre de son salaire de base, d'une somme supérieure à celle due en vertu de la requalification ne pouvait la conduire à constater l'existence d'un arriéré lié à ces primes. A supposer même qu'elles n'aient pas été incluses dans ces “compléments”, la cour d'appel ne pouvait condamner l'employeur à un rappel de l'intégralité de ces primes alors que le salarié avait été au moins en partie désintéressé, du fait du différentiel en sa faveur susvisé, des sommes qui lui étaient dues en conséquence de la requalification. Elle a dans ces conditions, ainsi que le soutient le premier moyen, violé l'article L. 1245-1 du code du travail dans sa rédaction applicable à l'espèce. L'arrêt s'expose donc à la cassation sur ce fondement.

3. Les indemnités résultant de la rupture de la relation de travail sont calculées selon les conditions contractuelles en vigueur au jour de celle-ci (moyens 2 à 4) Dans ses trois arrêts du 2 juin 2021 précités, la Cour de cassation a choisi de donner la primauté à la situation réelle du salarié et aux termes du contrat initial pour calculer les sommes ne trouvant pas leur fondement direct dans la nouvelle situation contractuelle issue de la requalification, s'agissant en particulier des périodes interstitielles et des indemnités consécutives à la rupture de la relation de travail. Ces dernières sont en effet rattachées par le législateur, pour leur liquidation, à la situation contractuelle en cours au moment de la rupture ou aux salaires réellement perçus antérieurement à celle-ci. Leur montant peut, pour certaines d'entre elles, être modulé en fonction du préjudice effectivement subi, ce qui conduit à devoir prendre en compte la réalité des conditions contractuelles dans lesquelles elles prennent leur source. Dans son commentaire relatif à l'une des trois espèces précitées (n° 19-18.080), la chambre sociale de la Cour de cassation a précisé, pour censurer l'absence de prise en compte de la baisse du nombre de jours de travail résultant des CDD conclus par les parties, que : “Les juges du fond doivent appliquer les règles légales ou conventionnelles de calcul de chacune des indemnités de rupture au regard de la réalité des conditions contractuelles des contrats déterminant la durée et la rémunération du travail pendant la période prise en considération, quitte à prendre en compte les périodes interstitielles dans le cas où ils jugeraient, qu'en réalité, le salarié se tenait à la disposition de l'employeur”17. 17

Lettre n° 10 - mai/juin/juillet 2021 (Contrat de travail, durée déterminée, p. 2), “CDD requalifié et calcul des indemnités de rupture”, commentaire sur Soc, 2 juin 2021, n° 19-18.080.

10

Entrent ainsi dans cette catégorie l'indemnité compensatrice de préavis (3.1), l'indemnité conventionnelle de licenciement (3.2) et l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (3.3) objet des trois derniers moyens. 3.1. Sur l'indemnité compensatrice de préavis (moyen 2) 3.1.1. Selon l'article L. 1234-5 du code du travail : “Lorsque le salarié n'exécute pas le préavis, il a droit, sauf s'il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice. L'inexécution du préavis, notamment en cas de dispense par l'employeur, n'entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise. L'indemnité compensatrice de préavis se cumule avec l'indemnité de licenciement et avec l'indemnité prévue à l'article L. 1235-2”.

Pour calculer l'indemnité compensatrice, le juge doit prendre en compte le salaire brut, assujetti au paiement par l'employeur des cotisations sociales, que le salarié aurait dû percevoir s'il avait exécuté son préavis (Soc, 2 juin 2021, n° 19-16.183; Soc, 21 février 1990, n° 85-43.285). S'y ajoutent tous les compléments de salaire et avantages qui auraient été versés au salarié s'il était resté à son poste, y compris les compléments subordonnés à une condition de présence dans l'effectif, dès lors que leur date de versement se situe pendant le délai-congé (Soc, 19 octobre 2010, n° 0942.225)18, à l'exclusion des remboursements de frais non exposés par le salarié. Elle est de même fixée à partir de la durée du travail contractuellement prévue (Soc, 16 février 1999, n° 96-45.594), ce qui impose au juge de rechercher si, au moment de la rupture, le salarié était engagé à temps complet ou à temps partiel (Soc, 2 juin 2021, n° 20-10.141 et 20-10.142). 3.1.2. En l'espèce, l'indemnité de préavis compense la dispense d'exécution par le salarié, à l'initiative de l'employeur, du préavis fixé par la convention collective applicable, l'article I/8.6 de la convention d'entreprise du 28 décembre 2012 prévoyant que : “En cas de rupture à l'initiative de l'employeur, y compris pour le licenciement, les délais de préavis sont de : - deux mois pour les non cadres - trois mois pour les cadres et journalistes” (§2), et que “[celui-ci] peut décider de dispenser le salarié de l'exécution totale ou partielle de son préavis mais, dans ce cas, il doit verser le salaire correspondant à la fraction du préavis à courir” (§7).

Compte tenu de la rupture de collaboration notifiée par l'employeur le 20 février 201919 et en application de la durée conventionnelle de trois mois dont l'application au salarié 18

S'y incorporent notamment les augmentations de salaire décidées en cours de préavis (Soc, 12 mars 1981, n° 7941.478), les primes de fin d'année (Soc, 5 juillet 1995, n° 93-46.720), l'indemnité de congés payés et la prime de vacances (Soc, 4 juin 1987, n° 84-41.839), les heures supplémentaires habituelles et constantes (Soc, 31 mai 2017, n° 15-25.538) et les gratifications prévues par une convention collective (Soc, 11 octobre 1989, n° 85-45.095). 19

La lettre de fin de collaboration remise au salarié le 20 février 2019 mentionne notamment, après avoir énuméré un certain nombre de griefs : “Vous êtes donc dispensé d'effectuer les vacations prévues les 21, 22 25 et 26 février” (production n° 7 du demandeur au pourvoi).

11

n'était pas contestée, la cour d'appel a pris pour base de calcul le salaire moyen attaché au régime du CDD, correspondant à la situation du salarié au jour de la rupture : “Au vu de l'ensemble des éléments versés aux débats, compte tenu du fait que [le salarié] a plus de deux ans d'ancienneté, en l'espèce 12 ans et 9 mois que la cour fixe à 13 ans en incluant la période de préavis non exécutée, pour l'application du barème, et que la société (...) occupait habituellement au moins onze salariés au moment du licenciement, et qu'il a subi une perte de revenu brutale qu'il estime 5 000€ par mois, le salaire moyen touché dans le cadre de ces contrats à durée déterminée étant fixé à 5 637 €, la Cour dispose des éléments nécessaires et suffisants pour fixer à 39 549 € le montant de la réparation du préjudice subi en application de l'article L.1 235-3 du code du travail, compris dans les montants admis par cet article. Il est accordé au salarié au vu des pièces versées aux débats et de l'application de l'accord d'entreprise (...) du 28 décembre 2012 une indemnité compensatrice de préavis de 16 911 € à laquelle s'ajoutent 1 691 € de congés payés” (arrêt attaqué, p. 10).

Les conclusions du salarié devant la cour d'appel confirment que le salaire de référence de 5637 euros retenu correspond à “la moyenne des 12 derniers mois (mars 2018 à février 2019), plus favorable [de 5125 euros]” à laquelle “il convient d'ajouter les congés payés par le truchement de la Caisse des Congés Spectacles [de 512 euros]” (p. 24), ensuite appliqué à la durée conventionnelle de préavis de trois mois, de sorte qu'“Il en résulte une indemnité compensatrice de préavis de : 3 mois x 5637 € = de 16 911 € (...) auxquels s'ajoutent 1691 € de congés payés” (p. 68). Il en résulte qu'en se fondant pour déterminer l'indemnité de préavis sur la réalité de la situation du salarié, alors soumis au régime du CDD, au moment de la rupture de la relation de travail, seule représentative des sommes qu'il aurait réellement perçues en cas d'exécution du préavis, plutôt que sur le salaire théorique attaché au bénéfice d'un CDI, la cour d'appel a fait une exacte application de l'article L. 1234-5 du code du travail. Il ne saurait donc lui être reproché, ainsi que le soutient le second moyen, une violation des articles L. 1245-1, L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9 du code du travail et I/8.6 de l'accord d'entreprise du 28 décembre 2012, de sorte qu'il y aura lieu de le rejeter. 3.2. Sur l'indemnité conventionnelle de licenciement (moyen 3) 3.2.1. L'article L. 1234-9 du code du travail dispose : “Le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte 8 mois d'ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement. Les modalités de calcul de cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail. Ce taux et ces modalités sont déterminés par voie réglementaire”.

Ces dispositions réglementaires se réfèrent pour son calcul aux sommes réellement perçues par le salarié avant la rupture, à savoir, selon la formule la plus favorable, à la moyenne des douze derniers mois ou au tiers des trois derniers mois de salaire 20.

20

Le régime de l'indemnité est fixé par les articles R. 1234-1 à R. 1234-5 du code du travail. L'article R. 1234-4 du code du travail dispose notamment : “Le salaire à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié :

12

De plus, l'indemnité de licenciement revêt le caractère de dommages-intérêts compensant le préjudice né de la rupture du contrat de travail de sorte qu'elle ne doit pas être incluse dans l'assiette des cotisations de sécurité sociale (Soc, 4 mai 1988, n° 85-15.322). Elle est la contrepartie du droit de l'employeur de résiliation unilatérale du contrat de travail (Soc, 27 janvier 2021, n° 18-23.535)21. Dans ce cadre, le régime de l'indemnité est déterminé, sous réserve que ses clauses soient plus avantageuses pour le salarié, par la convention collective applicable22 ou le contrat de travail (Soc, 2 décembre 2003, n° 01-46.079) et à défaut par référence aux règles de l'indemnité légale de licenciement 23. 3.2.2. En l'espèce, l'article I/8.3 de la convention d'entreprise du 28 décembre 2012 prévoit qu'“A l'exception de la faute grave ou lourde, tout salarié, à l'issue de la période d'essai, en cas de licenciement prononcé par [l'employeur], perçoit une indemnité de licenciement correspondant à un mois de salaire par année d'ancienneté entre un et quinze an, par référence à son ancienneté telle que calculée à l'article I/3.5” (§ 4), en précisant que “la rémunération prise en compte pour le calcul de l'indemnité de licenciement est, selon le calcul le plus avantageux, la moyenne des rémunérations brutes (tout élément compris) perçues au cours des douze derniers mois ou celle des trois derniers mois” (§ 10). Le salarié expose dans ses conclusions d'appel qu'“Après son éviction, [l'employeur] [lui] a versé (...) une somme de 15 611 € correspondant à une “indemnité de rupture conventionnelle”, qui correspondrait à une indemnité de rupture des CDD de longue durée” et ajoute être “(...) fondé à solliciter la différence entre l'indemnité de licenciement perçue et l'indemnité due, soit 73 281 24 € - 15 611 € = 57 670 €“ (p. 68 des écritures d'appel). 1° Soit la moyenne mensuelle des douze derniers mois précédant le licenciement, ou lorsque la durée de service du salarié est inférieure à douze mois, la moyenne mensuelle de la rémunération de l'ensemble des mois précédant le licenciement ; 2° Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n'est prise en compte que dans la limite d'un montant calculé à due proportion”. 21

Elle n'est pas la contrepartie du travail fourni et ne constitue pas un salaire (Soc, 22 mai 1986, n° 83-42.341), de sorte qu'elle est saisissable et cessible en totalité, et peut être compensée avec les sommes dues par le salarié (Soc, 23 juin 1988, n° 85-44.158). 22

Pour pouvoir être étendue, une convention de branche conclue au niveau national doit obligatoirement comporter une clause relative aux conditions de la rupture du contrat de travail (article L. 2261-22, 7°, du code du travail). 23

Voir sur ce point G. Vachet, Rép. de droit du travail Dalloz, Contrat de travail à durée indéterminée: préavis de rupture et indemnité de licenciement, n° 226, 233, et 234 : “Les conditions d'attribution et le montant des indemnités de licenciement institués par voie de convention collective ou dans le contrat de travail dépendent de la volonté des parties lors de la conclusion de l'accord sous réserve de ne pas être moins favorables que le minimum légal. C'est donc à la convention ou au contrat individuel qu'il faut se référer pour vérifier si le salarié peut prétendre à l'indemnité (...). L'indemnité conventionnelle de licenciement n'est en principe due qu'en cas de licenciement, c'est-à-dire lorsque la rupture est imputable à l'employeur (...). Les modalités de calcul de l'indemnité conventionnelle sont celles que les signataires de la convention ou du contrat qui l'institue ont fixées. Il est donc difficile de déterminer les règles applicables, puisqu'elles varient d'une convention à une autre, d'un contrat de travail à un autre. Toutefois, en l'absence de dispositions expresses de la convention, les règles d'appréciation des éléments de rémunération à prendre en compte pour le calcul de l'indemnité légale de licenciement s'appliquent (Soc. 19 juill. 1988, Bull. civ. V, n° 472) (...)”. 24

Dans les conclusions d'appel du salarié : “5637 x 13 ans [d'ancienneté] =73 281€” (p. 68).

13

Suivant la même base de calcul, la cour d'appel a retenu le “salaire moyen touché dans le cadre de ces contrats à durée déterminée (...) fixé à 5637 €” en déduisant de l'indemnité totale due la somme reçue, selon la formule suivante : “Pour l'indemnité conventionnelle de licenciement, la cour retient que l'accord l'a fixé à un mois de salaire par année d'ancienneté soit 5 637 € x 13 = 73 281 €, somme à laquelle il faut déduire les 15 611 € déjà versés le 29 février 2019 par l'employeur ce qui permet de fixer l'indemnité conventionnelle de licenciement à 57 670 €” (arrêt attaqué, p. 10). La cour d'appel ayant ainsi exactement statué, conformément aux règles conventionnelles, par référence à la rémunération attachée au salariat sous CDD, qui correspondait à la situation réelle du requérant avant la rupture, plutôt qu'aux conditions contractuelles issues de la requalification propres aux salariés titulaires d'un CDI, il ne peut lui être reproché par le troisième moyen une violation des articles L. 1245-1 du code du travail et I/8.3 de l'accord d'entreprise du 28 décembre 2012. Il conviendra par conséquent de le rejeter. 3.3. Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (moyen 4) 3.3.1. Selon l'article L. 1235-2, alinéa 4, du code du travail : “En l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, le préjudice résultant du vice de motivation de la lettre de rupture est réparé par l'indemnité allouée conformément aux dispositions de l'article L. 1235-3”.

Il résulte de l'article L. 1235-3 du même code, dans sa rédaction postérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 applicable en l'espèce 25, que si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis ou, en cas de refus de l'une des parties, octroyer au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans un tableau en fonction de l'ancienneté du salarié et sur la base du salaire brut, selon que l'entreprise emploie plus ou moins de onze salariés. L'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse présente le caractère de dommages-intérêts et répare le préjudice résultant du caractère injustifié de la perte de l'emploi (Soc, 27 janvier 2021, n° 18-23.535). Un auteur souligne à cet égard, s'agissant de la version de l'article L. 1235-3 précité antérieure à l'instauration d'un “barème”, qui prévoyait une indemnité minimum équivalant aux six derniers mois de salaire26, la portée réparatrice de la somme au-delà de la sanction : 25

L'article 40, I, de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 énonce notamment que son article 2, ayant réécrit les articles 1235-1 à 1235-3-2 et 1235-5 du code du travail, est applicable aux licenciements prononcés postérieurement à sa publication, le 23 septembre 2017, la fin de la collaboration étant en l'espèce bien intervenue postérieurement, le 20 février 2019. 26

Selon l'ancien article L. 1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 : “Si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l'employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité de licenciement prévue à l'article L. 1234-9”. Voir en ce sens : Soc, 22 juin 1993, n° 91-43.560 ; Soc, 13 juillet 2004, n° 0343.780.

14

“(...) [L]'indemnité que le juge devait condamner l'employeur à verser au salarié ne pouvait être inférieure aux six derniers mois de salaire. L'établissement d'un tel plancher donnait à l'indemnité des airs de peine privée (...). Mais le mécanisme d'indemnisation mis en place n'était pas entièrement déconnecté de toute logique réparatrice. Le chiffre des six derniers mois de salaire ne constituant qu'un minimum, le juge pouvait aller au-delà si le salarié rapportait la preuve d'un préjudice plus important, le plus souvent lié aux problèmes causés par la perte de son emploi ou aux difficultés à retrouver un autre emploi”27.

L'indemnité est calculée en fonction de la rémunération brute du salarié précédant la rupture de son contrat de travail (Soc, 22 juin 1993, n° 91-43.560 ; Soc, 13 juillet 2004, n° 03-43.780), incluant la rémunération fixe et variable (Soc, 10 avril 1991, n° 8741.433), les primes et avantages en nature alloués en sus du salaire de base (Soc, 3 décembre 1992, n° 91-45.617), ainsi que les heures supplémentaires (Soc, 21 septembre 2005, n° 03-43.585). Les limites basse et haute du barème étant exprimées en mois de salaire brut, le juge ne peut accorder au salarié un montant net égal à la limite haute de celui-ci (Soc, 15 décembre 2021, n° 20-18.782). Dans les limites du barème, il appartient au juge d'apprécier souverainement l'étendue du préjudice que la perte injustifiée de son emploi cause au salarié (Soc, 13 septembre 2017, n° 16-13.578 ; Soc, 14 mai 1998, n° 96-42.104 ; Soc, 25 septembre 1991, n° 88-41.251), de sorte que “le salarié n'a pas à établir le préjudice résultant de l'absence de cause réelle et sérieuse ; ce préjudice existe de lui-même, seule l'évaluation du montant des dommages-intérêts relevant de l'appréciation souveraine des juges du fond”28. 3.3.2. En l'espèce, le salarié revendiquait dans ses conclusions d'appel “un préjudice moral et financier en raison de l'éviction irrégulière imposée par l'Entreprise” (p. 67), qu'il évaluait forfaitairement à 82 700 euros. Pour fixer une fourchette d'indemnisation comprise entre trois et onze mois et demi de salaire brut, la cour d'appel s'est d'abord fondée, conformément au barème légal, sur “le fait que le salarié avait 12 ans et 9 mois au moment du licenciement et [que] la société qui l'emploie comprend plus de onze salariés” (p. 7 et 8 de l'arrêt attaqué). La relation de travail étant caractérisée par des CDD successifs d'une durée annuelle variable29, la juridiction a, pour évaluer à 39 549 euros le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, retenu le salaire moyen reçu par le salarié avant la rupture de la collaboration, qu'il aurait continué à percevoir en cas d'exécution du préavis :

27

Rép. de droit du travail Dalloz, A. Fabre, Contrat de travail à durée indéterminée : rupture - licenciement - droit commun, n° 295 et 296. 28

A. Fabre, op. cit., n° 298.

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Voir sur ce point l'exposé du litige du jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 7 octobre 2016 : “Différents CDD se sont ensuite succédés jusqu'y compris 2016, pour une charge de travail annuelle oscillant entre 28 jours (2007) à 132 (2013 et 2014), et 49 jours en 2016 à la date 31 mai” (p. 2).

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“Au vu de l'ensemble des éléments versés aux débats, compte tenu du fait que [le salarié] a plus de deux ans d'ancienneté, en l'espèce 12 ans et 9 mois que la cour fixe à 13 ans en incluant la période de préavis non exécutée, pour l'application du barème, et que la société (...) occupait habituellement au moins onze salariés au moment du licenciement, et qu'il a subi une perte de revenu brutale qu'il estime 5 000€ par mois, le salaire moyen touché dans le cadre de ces contrats à durée déterminée étant fixé à 5 637 €, la Cour dispose des éléments nécessaires et suffisants pour fixer à 39 549 € le montant de la réparation du préjudice subi en application de l'article L.1 235-3 du code du travail, compris dans les montants admis par cet article” (p. 10 de l'arrêt attaqué).

S'agissant d'une somme ayant le caractère de dommages-intérêts, dont le montant est librement déterminé par le juge dans les limites du barème fixé par l'article L. 1235-3 du code du travail, en fonction du préjudice effectif attaché à la privation d'un emploi déterminé, il ne saurait lui être reproché de ne pas s'être fondée sur les conditions contractuelles théoriques issues de la requalification en CDI. La violation des articles L. 1245-1 et L 1235-3 du code du travail, dans leur rédaction applicable à l'espèce, alléguée par le quatrième moyen n'étant pas caractérisée, il conviendra de rejeter celui-ci. Il résulte de l'ensemble de l'analyse développée ci-dessus que le premier moyen du pourvoi étant de nature à justifier la censure de l'arrêt attaqué, il y aura lieu, nonobstant le rejet des trois derniers, de prononcer la cassation de l'arrêt attaqué.

PROPOSITION Cassation.

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