Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 26-01-2022, n° 20-20.369

Cass. soc., Conclusions, 26-01-2022, n° 20-20.369

A83702RG

Référence

Cass. soc., Conclusions, 26-01-2022, n° 20-20.369. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105408943-cass-soc-conclusions-26012022-n-2020369
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AVIS DE M. DESPLAN, AVOCAT GÉNÉRAL

Arrêt n° 111 du 26 janvier 2022 – Chambre sociale Pourvoi n° 20-20.369 Décision attaquée : 24 janvier 2020 de la cour d'appel de Besançon société Colas France C/ M. [L] [J] _________________

1 - RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE Il convient à propos de ces éléments de se reporter au rapport de madame le Conseiller Rapporteur.

2 - PRÉSENTATION DES MOYENS : Le pourvoi en cassation de la société Colas France s'articule en deux moyens.

Dans un premier moyen, composé d'une branche unique, la société Colas fait grief à l'arrêt de la cour d'appel de Besançon du 24 janvier 2020 d'avoir jugé le licenciement de son salarié, M. [J], sans cause réelle et sérieuse et de l'avoir condamnée à lui verser diverses sommes à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, au titre de l'indemnité de préavis et des congés payés afférents, alors que lorsqu'un salarié, victime d'un accident du travail, d'une maladie professionnelle ou non professionnelle, est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel il appartient et cette proposition prend en compte, après avis des représentants du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise ; que l'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi dans ces conditions ; que pour considérer que la société Colas Nord-Est n'avait pas respecté son obligation de reclassement à l'égard de M. [J] déclaré inapte par le médecin du travail à occuper son poste de manoeuvre TP, la cour d'appel a estimé que l'employeur aurait dû proposer au salarié souffrant d'une hernie discale reconnue comme maladie professionnelle, un poste de conducteur d'engins qui correspondait au premier poste cité par le médecin du travail après une évaluation du niveau des vibrations (arrêt, p. 4 à 6) ; qu'en statuant ainsi, alors qu'elle relevait (arrêt, p. 5) que le médecin n'avait pas seulement envisagé le reclassement du salarié en tant que conducteur d'engins mais également dans d'autres fonctions, dont des postes administratifs, en sorte qu'il lui appartenait de rechercher si les trois postes proposés par l'employeur (technicien d'enrobage, géomètre projeteur et technicien de laboratoire) au-delà de ses obligations légales puisqu'il n'était tenu de proposer qu'un seul poste de reclassement, étaient conformes aux préconisations du médecin du travail, la cour d'appel a violé les articles L. 1226-2, L. 1226-10, L. 1226-2-1 et L. 1226-12 du code du travail en leur rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 et de l'ordonnance no 2017-1387 du 22 septembre 2017.

Dans un second moyen, également articulé en une branche unique, la société Colas fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à verser au salarié diverses sommes à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, au titre de l'indemnité de préavis et des congés payés afférents sur le fondement des articles L. 1226-2, L.1234-5 et L. 1235-3 du code du travail, alors que l'objet du litige est déterminé par les conclusions respectives des parties fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense ; que le juge doit trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ; qu'en se fondant sur les 2

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articles L. 1226-2, L. 1234-5 et L. 1235-3 du code du travail relatifs au licenciement jugé abusif d'un salarié inapte à la suite d'une maladie non professionnelle, alors que ces dispositions n'étaient pas applicables, les parties s'accordant à reconnaître que l'inaptitude était consécutive à une maladie professionnelle (hernie discale : p. 4, 9 à 11 des conclusions de l'employeur et p. 4 des conclusions du salarié), en sorte que seuls étaient applicables les articles L. 1226-10, L. 1226-12, L. 1226-14 du code du travail prévoyant le versement d'une indemnité qui n'a pas la nature d'une indemnité de préavis et qui n'ouvre pas droit à congés payés et enfin l'article L. 1226-15 du code du travail, la cour d'appel a violé les articles 4 et 12 du code de procédure civile.

3 - DISCUSSION :

Le présent avis ne portera que sur le premier moyen, le second n'apparaissant pas devoir être retenu.

Le premier moyen soulève la question juridique de l'appréciation de l'emploi que doit proposer l'employeur dans le cadre de l'obligation de reclassement qui s'impose à lui à l'égard du salarié déclaré inapte à son poste de travail par le médecin du travail. Le mémoire ampliatif soutient que l'employeur a satisfait à cette obligation de reclassement dès lors qu'il a proposé un emploi ( et même trois : technicien d'enrobage, géomètre projeteur et technicien de laboratoire ) approprié aux capacités du salarié en prenant en compte les conclusions écrites du médecin du travail et ses indications quant aux capacités du salarié à exercer un emploi au sein de l'entreprise et que la cour d'appel aurait dû se limiter à examiner si les trois postes proposés au salarié ( alors qu'une seule proposition est exigée par la loi ) étaient conformes, ou non, aux conclusions et indications du médecin du travail. La cour d'appel a jugé que la société Colas France n'avait pas rempli loyalement son obligation de reclassement dès lors qu'elle n'avait pas proposé également au salarié un poste de conducteur d'engins conforme à ses qualifications et au souhait qu'il avait exprimé à propos de son reclassement, poste existant au sein de l'entreprise, situé à proximité du domicile du salarié, et pour lequel le médecin du travail avait proposé d'effectuer une évaluation afin de déterminer s'il était compatible en termes d'exposition et de vibrations avec l'état de santé du salarié.

Ainsi, le pourvoi en cassation doit amener la Chambre Sociale à décider si les juges du fond, souverains dans le cadre de leur pouvoir d'appréciation, doivent seulement examiner si l'employeur a bien proposé, conformément à la loi, un emploi qui corresponde aux préconisations et indications du médecin du travail ou s'ils doivent encore aller plus loin, en recherchant si l'employeur ne devait pas proposer un autre poste plus attractif pour le salarié afin de remplir sérieusement et loyalement son obligation de reclassement.

Les textes législatifs qui s'appliquent au litige et qui sont visés par le premier moyen du pourvoi en cassation sont issus de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 et de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017; ils sont les suivants :

Article L1226-2 : Modifié par Ordonnance n°2017-1718 du 20 décembre 2017 - art. 1 Modifié par Ordonnance n°2017-1386 du 22 septembre 2017 - art. 4

“Lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce. Cette proposition prend en compte, après avis du comité social et économique lorsqu'il existe, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté. L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail”.

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Article L1226-2-1 : Création loi n°2016-1088 du 8 août 2016 - art. 102 (V) “Lorsqu'il est impossible à l'employeur de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent à son reclassement. L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 12262, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi. L'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail. S'il prononce le licenciement, l'employeur respecte la procédure applicable au licenciement pour motif personnel prévue au chapitre II du titre III du présent livre”.

Article L1226-10 : Modifié par Ordonnance n°2017-1718 du 20 décembre 2017 - art. 1 Modifié par Ordonnance n°2017-1386 du 22 septembre 2017 - art. 4

“Lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. Cette proposition prend en compte, après avis du comité économique et social, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 23316 du code de commerce”.

Article L1226-12 : Version en vigueur depuis le 01 janvier 2017 Modifié par LOI n°2016-1088 du 8 août 2016 - art. 102 (V) “Lorsque l'employeur est dans l'impossibilité de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent au reclassement. L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi. L'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail. S'il prononce le licenciement, l'employeur respecte la procédure applicable au licenciement pour motif personnel prévue au chapitre II du titre III”.

Il résulte de l'examen de ces textes que l'employeur a satisfait à son obligation de reclassement dès lors qu'il a proposé un emploi qui remplit différentes conditions, si, bien évidemment, ces conditions peuvent être réunies.

Ces conditions sont les suivantes :

- l'emploi doit être approprié aux capacités du salarié. - l'emploi doit être situé dans l'entreprise du salarié ou, le cas échéant, du groupe auquel appartient l'entreprise.

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-l'emploi doit être aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé. - l'emploi doit correspondre aux conclusions écrites et indications du médecin du travail.

La jurisprudence de la Chambre Sociale a précisé les modalités de mise en oeuvre par l'employeur de cette obligation de reclassement en jugeant que cette obligation devait être effectuée “réellement et sérieusement”.

La Chambre Sociale affirme aussi que l'appréciation de la bonne exécution de cette obligation par l'employeur et du caractère réel et sérieux de sa mise en oeuvre relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Cette jurisprudence est rappelée au Répertoire Dalloz :

“ Répertoire Dalloz : Objet de l'obligation de reclassement : 292. Si le salarié est inapte à un type d'emploi, il ne l'est pas nécessairement à tout emploi (sauf indication en ce sens du médecin du travail). La loi oblige donc l'employeur à chercher une solution de reclassement de l'intéressé avant d'envisager son licenciement. Le champ de cette obligation de reclassement fait l'objet de plusieurs précisions légales. 293. Types d'emploi. - L'employeur doit proposer au salarié « un autre emploi approprié à ses capacités » (Code du travail., art. L. 1226-2 , pour l'inaptitude d'origine non professionnelle ; Code du travail, art. L. 1226-10 , pour l'inaptitude d'origine professionnelle). Ces mêmes dispositions ajoutent que l'emploi doit être « aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé » et que le reclassement peut nécessiter, « au besoin […] la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail ... / ...

Mise en œuvre de l'obligation de reclassement :

300. Recherche réelle et sérieuse. - L'obligation de reclassement n'a de sens qu'une fois le salarié déclaré inapte. Selon une jurisprudence constante, « seules les recherches de reclassement compatibles avec les conclusions du médecin du travail au cours de la visite de reprise peuvent être prises en considération pour apprécier le respect par l'employeur de son obligation de reclassement » (Soc. 22 février 2000,

n° 97-41.827 . – Soc. 26 nov. 2008, no 07-44.061 . – Soc. 6 janvier 2010, n° 08-44.177 . – Dans le même sens pour les salariés protégés, CE 7 avril. 2011 n° 334211 ). À l'époque où l'avis d'inaptitude n'était délivré qu'à l'issue de deux visites, la Cour de cassation en déduisait que l'employeur ne pouvait pas se prévaloir des recherches qu'il avait éventuellement menées dès la première visite, y compris lorsque l'avis d'inaptitude est identique à celui émis par le médecin du travail à l'occasion de la première visite (Soc. 4 novembre 2015, n° 14-11.879 ). La réforme de la procédure d'inaptitude intervenue en 2016 ne devrait pas conduire la Cour de cassation à modifier sa jurisprudence. Si le principe d'une seule visite, l'organisation de deux visites espacées de 15 jours, étant désormais l'exception, devrait éviter aux employeurs de se voir opposer leur précipitation, c'est toujours à partir de la déclaration d'inaptitude que les juges devraient continuer à apprécier la réalité des recherches de reclassement.

301. Dans cet esprit, il y a lieu de considérer qu'aucune tentative de reclassement n'a pu être réellement effectuée lorsque la procédure de licenciement a été engagée avant que le médecin du travail se soit prononcé définitivement sur l'aptitude du salarié à son poste de travail (Soc. 26 janvier 2006, n° 03-40.332).

302. La recherche de reclassement ne doit pas seulement être réelle, elle doit aussi être sérieuse ; caractère dont les juges peuvent douter lorsqu'il s'est écoulé un très bref délai entre l'avis d'inaptitude et l'engagement de la procédure (Soc. 30 avril 2009, n° 07-43.219 ). Notons, sur ce point, que « l'appréciation du caractère sérieux de la recherche de reclassement relève du pouvoir souverain des juges du fond » (Soc. 23 novembre 2016, n° 15-18.092 et n° 14-26.398 ) “.

Dans ces deux arrêts en date du 23 novembre 2016, la Chambre Sociale a en effet confirmé que l'appréciation du caractère sérieux de la recherche de reclassement relevait du pouvoir souverain des juges du fond.

Il est à noter que ces arrêts ouvrent aussi la possibilité de tenir compte des souhaits exprimés par le salarié quant à son reclassement ; leur motivation est en effet la suivante :

“ Mais attendu qu'il appartient à l'employeur, qui peut tenir compte de la position prise par le salarié déclaré inapte, de justifier qu'il n'a pu, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de poste de travail ou aménagement du temps de travail, le reclasser dans un emploi approprié à ses

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capacités au terme d'une recherche sérieuse, effectuée au sein de l'entreprise et des entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent entre elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie du personnel ; que l'appréciation du caractère sérieux de la recherche de reclassement relève du pouvoir souverain des juges du fond ; Et attendu qu'ayant constaté que le salarié avait refusé des postes proposés en France en raison de leur éloignement de son domicile et n'avait pas eu la volonté d'être reclassé à l'étranger, la cour d'appel, qui a souverainement retenu que l'employeur avait procédé à une recherche sérieuse de reclassement, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi”.

La Chambre Sociale rappelle également que cette obligation doit être remplie par l'employeur avec loyauté. Ce devoir de loyauté dans la mise en oeuvre de l'obligation de reclassement qui s'impose à l'employeur découle naturellement des dispositions de l'article 1104 du code civil qui imposent aux parties d'exécuter de bonne foi leurs obligations contractuelles, la bonne foi et la loyauté relevant du même principe.

Plusieurs arrêts rappellent la nécessité de procéder à cette obligation de reclassement de manière loyale.

Ainsi, un arrêt du 7 mai 2014 ( Soc. 13-10.808 ) mentionne : “Mais attendu qu'ayant constaté, sans modifier l'objet du litige, que la salariée avait occupé durant cinq mois un poste à titre de reclassement , sans que la société ait mis en oeuvre tous les efforts de formation et d'adaptation nécessaires, et qu'aucune proposition de reclassement écrite et précise n'avait été adressée à la salariée, la cour d'appel en a exactement déduit que la société n'avait pas accompli son obligation de reclassement avec loyauté et que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse ; que le moyen n'est pas fondé”.

De même, un arrêt plus récent du 27 novembre 2019 ( Soc. 18-16.400 ) fait référence à ce devoir de loyauté dans l'exécution de l'obligation de reclassement :

“ Sur le moyen unique, ci-après annexé : Attendu qu'ayant relevé, sans dénaturation, qu'après que le salarié avait adressé sa candidature pour le poste de directeur du site de […], la société avait retiré la proposition de ce poste puis l'avait attribué à une autre personne sans l'avoir reproposé au salarié, la cour d'appel a pu déduire de ces seuls motifs que la société n'avait pas accompli son obligation de reclassement avec loyauté et que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse ; que le moyen n'est pas fondé”. Ainsi, il doit être considéré comme constant que l'obligation de reclassement doit être mise en oeuvre par l'employeur de manière réelle, avec sérieux et loyauté, l'appréciation de ces éléments relevant du pourvoir souverain des juges.

Comme l'a noté le Répertoire Dalloz cité plus haut ( cf § 300 de l'ouvrage ), les réformes issues de la loi du 8 août 2016 et de l'ordonnance du 22 septembre 2017 ne justifient pas de changer cette jurisprudence, les modifications n'étant pas de nature à retirer aux juges du fond leur pouvoir d'apprécier le caractère sérieux, réel et loyal de la proposition de reclassement.

Il ne saurait être envisagé que le contrôle du juge soit limité à un examen superficiel de la proposition d'emploi, se bornant à constater que l'emploi proposé correspond aux capacités du salarié, est comparable à son précédent emploi et répond aux demandes du médecin du travail, alors que, dans la réalité, cette proposition ne serait pas acceptable pour le salarié et que l'employeur serait en revanche en mesure d'effectuer une proposition de meilleure qualité s'il avait agit avec sérieux et loyauté.

Il ne faut pas oublier que l'objet de la loi n'est pas seulement de proposer un autre emploi mais bel et bien de procéder au reclassement du salarié, bien évidemment si cela est possible.

Le contrôle du juge doit tenir compte aussi de la dimension de l'entreprise et de ses capacités à offrir un ou plusieurs emplois au titre du reclassement; la société Colas France dispose à l'évidence de capacités de reclassement plus importantes qu'une PME.

Il doit tenir compte enfin du niveau de responsabilité et de rémunération du salarié. En effet, si l'on est en droit d'attendre d'un salarié, cadre moyen ou supérieur, d'être prêt à une mobilité géographique et professionnelle d'une certaine importance, il apparaît difficile d'exiger cela d'un salarié employé comme manoeuvre, ce qui était le cas de M. [J].

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Et au cas d'espèce, il apparaît, comme l'a jugé la cour d'appel, que si l'employeur, une très grande entreprise, avait agi de manière loyale au sens de la jurisprudence, le reclassement du salarié aurait pu être effectif.

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En effet, il ressort des constatations de la cour d'appel que le salarié, qui demeurait dans le Territoire de Belfort et avait occupé un poste de conducteur d'engins jusqu'en 2011, souhaitait être reclassé dans ce type de poste et qu'il se trouvait qu'un poste de conducteur d'engins était disponible et que ce poste était situé à proximité du domicile du salarié. La cour d'appel a en effet noté :

“ Attendu qu'il est rappelé que de 1992 à 2011 le salarié a occupé un poste de conducteur d'engins; Que contrairement aux affirmations de l'employeur, la demande du salarié de ne plus occuper ce poste en 2011 ne saurait en aucun cas le priver d'une possibilité de reclassement sur un tel poste six ans plus tard, dans le cadre d'une recherche de reclassement suite à une inaptitude ; Attendu en outre qu'il apparaît que le salarié n'a eu de cesse, avant le licenciement, de réclamer un reclassement sur un tel poste ; Que par courrier du 3 novembre 2017 il rappelait être apte à la conduite d'engins, et avoir été embauché en tant que tel, relevant qu'un intérimaire remplit depuis de nombreux mois cette fonction dans un poste à proximité de son domicile qu'il souhaite occuper ; Qu'à nouveau le 15 novembre 2017 il écrivait à son employeur être dans l'attente d'un rendez-vous pour reprendre son travail”. ** De même, la cour d'appel a observé que le médecin du travail avait, dès le 1er août 2017, dans son avis d'inaptitude, mentionné principalement le poste de conducteur d'engins comme possibilité de reclassement et avait par la suite précisé à l'employeur se tenir à sa disposition pour évaluer si ce poste de travail convenait au salarié démontrant ainsi que les préconisations du médecin du travail allaient vers un reclassement dans un tel poste :

“ Attendu que l'avis du médecin du travail en date du 1er août 2017 est le suivant : ' Inaptitude définitive au poste de manoeuvre TP : ne peut pas porter de charges lourdes, ni travailler de façon prolongée ou répétée le buste penché en avant ou en torsion. Serait apte à la conduite d'engins. Peut travailler ponctuellement au sol .'; Attendu par mail du 30 août 2017 l'employeur interrogeait le médecin du travail plus précisément sur le poste de conducteur d'engins en écrivant notamment : ' Vous déclarez également qu'il 'serait apte à la conduite d'engins. Peut travailler ponctuellement au sol'. Or nous portons à votre connaissance le dossier de maladie professionnelle que M. [J] a déposé et qui nous est parvenu le 11 août 2017 soit postérieurement à la visite de reprise du 01 août 2017. Ce dossier de demande de reconnaissance de maladie professionnelle indique : ' suite hernie discale opérée ; hernie discale L5-S1". Cette pathologie est inscrite au tableau 97 du régime général et la lecture de ce tableau fait apparaître que cette maladie pourrait trouver son origine dans l'exposition aux vibrations et moyennes fréquences transmises au corps entier par l'utilisation ou la conduite des engins et véhicules tout-terrain : chargeuse, pelleteuse, niveleuse, rouleau vibrant, camion tombereau, décapeuse, chariots élévateurs, chargeuses sur pneus ou sur chenilles, bouteur, tracteur agricole ou forestier, chariot automoteur à conducteur porté, engins et matériels industriels, tracteur routier... Sans préjuger de l'issue de la reconnaissance du caractère professionnel de cette pathologie, nous nous interrogeons sur la capacité physique de M. [J] à pouvoir tenir un poste de conducteur d'engins dans ces conditions sans aggraver son état de santé actuel ' Pouvez-vous nous donner votre avis sur ces nouvelles données à prendre en considération. '

Attendu que le médecin du travail répondait le 4 septembre 2017 de la manière suivante: ' Vous vous interrogez sur la légitimité d'un poste de reclassement comme conducteur d'engins chez un salarié qui cherche à faire reconnaître sa pathologie 'hernie discale' comme étant d'origine professionnelle (vibrations transmises au corps entier par la conduite d'engins) lorsqu'il était auparavant conducteur d'engin. Les fortes secousses et vibrations sont effectivement contre indiquées de son état. Les niveaux d'exposition aux vibrations varient selon les types d'engins et les conditions d'utilisation.

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Aussi je me tiens à votre disposition pour effectuer des mesures de vibrations sur l'engin sur lequel vous envisagez de le reclasser afin de confirmer l'adéquation de ce poste avec son état de santé ( ...) Dans l'attente vous pouvez mener votre réflexion sur la base de votre évaluation des risques ainsi qu'avec l'aide de l' ED n°6018 (...) et du logiciel OSEV (logiciel permettant d'estimer pour un conducteur d'engins le niveau d'exposition aux vibrations durant une journée sans réaliser des mesures (...). Vous trouverez par ailleurs en pièces jointes un guide sur la réduction des vibrations au poste de conducteur d'engins (avec une fiche par catégorie d'engins)...' Que dans son courrier du 21 septembre 2017 en réponse à une interrogation de l'employeur sur les postes de travail éventuellement aménagés compatibles avec l'état de santé du salarié, le médecin du travail énumérait ' conduite d'engins de chantier après évaluation du niveau de vibrations de l'engin, magasinier, homme de cour, agent de bascule, poste administratif. Il est également apte à suivre une formation '; Attendu qu'il apparaît que le médecin du travail, dès son avis d'inaptitude du 1er août 2017 a mentionné le poste de conducteur d'engins comme une possibilité de reclassement; Que suite à une interrogation précisément sur ce poste il écrivait le 4 septembre 2017 certes que les fortes secousses et vibrations sont effectivement contre indiquées, mais qu'il soulignait que les niveaux d'exposition et de vibrations varient selon le type d'engins, se proposait de faire des mesures de vibrations, invitant par ailleurs l'employeur sur ce sujet précis à consulter des documents, un logiciel, ou encore un guide de réduction des vibrations ; Qu'enfin dans son énumération du 21 septembre 2017 des postes envisageables, le médecin du travail cite en premier, la conduite d'engins après évaluation du niveau de vibrations”. La cour d'appel a également observé qu'un tel poste de conducteur d'engins situé à proximité du domicile du salarié était disponible :

“Attendu que l'employeur ne conteste pas qu'un poste de conducteur d'engins était disponible”.

La cour d'appel a enfin mentionné que les trois postes proposés par l'employeur ne se situaient pas à proximité du domicile du salarié, lequel demeurait dans le Territoire de Belfort :

“ Attendu dans de telles conditions qu'en proposant au salarié un poste de technicien d'enrobage à Corbehem (62112), un poste de géomètre à Messia sur Sorne (39570), et enfin un poste de technicien de laboratoire à Châlons en Champagne (51013), alors qu'un poste de conducteur d'engin était disponible à proximité...”.

Il apparaît dans ces conditions que la cour d'appel a fait une application de la loi et de la jurisprudence de la Chambre Sociale exempte de critiques en jugeant que la société Colas France n'avait pas rempli loyalement son obligation de reclassement en ne proposant pas un poste de conducteur d'engins souhaité par son salarié, disponible, situé à proximité du domicile de l'employé, manoeuvre de son état, emploi pour lequel le médecin du travail avait spécialement donné un avis d'aptitude et en proposant, au contraire, des postes situés dans d'autres départements et, selon le salarié, ne correspondant pas à ses capacités.

Elle a, en effet, jugé :

“ Attendu dans de telles conditions qu'en proposant au salarié un poste de technicien d'enrobage à Corbehem (62112), un poste de géomètre à Messia sur Sorne (39570), et enfin un poste de technicien de laboratoire à Chalon en Champagne (51013), alors qu'un poste de conducteur d'engin était disponible à proximité, que le salarié qui disposait d'une ancienneté 19 ans dans cette fonction maîtrisait ce poste et le réclamait, et qu'il était le premier poste cité par le médecin du travail sous réserve d'évaluation des vibrations ; l'employeur n'a pas loyalement rempli son obligation de reclassement ;

Attendu qu'il résulte de ce qui précède que l'employeur n'ayant pas rempli loyalement l' obligation légale de reclassement qui est à sa charge, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, et le jugement déféré doit être infirmé sur ce point”.

Le premier moyen n'apparaît ainsi pas fondé et le pourvoi en cassation semble devoir être rejeté.

4 - PROPOSITION :

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