Jurisprudence : Cass. crim., Conclusions, 12-07-2022, n° 21-83.805

Cass. crim., Conclusions, 12-07-2022, n° 21-83.805

A83512RQ

Référence

Cass. crim., Conclusions, 12-07-2022, n° 21-83.805. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105408924-cass-crim-conclusions-12072022-n-2183805
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AVIS DE M. AUBERT, AVOCAT GÉNÉRAL RÉFÉRENDAIRE

Arrêt n° 774 du 12 juillet 2022 – Chambre criminelle Pourvoi n° 21-83.805 Décision attaquée : chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 6e section, du 27 mai 2021 M. [R] [Y] C/ _________________

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE Il est fait référence à cet égard au rapport de M. le conseiller. Les soulignements et caractères gras ci-après sont ajoutés.

ANALYSE SUCCINCTE DES MOYENS Le mémoire ampliatif propose deux moyens de cassation. Par le premier moyen, en quatre branches, il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit n'y avoir lieu à annulation de l'autorisation de géolocalisation en temps réel et des actes subséquents, alors que : 1°) l'article 230-33 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, est inconventionnel en ce qu'il donne compétence au procureur de la République, dont la mission est de diriger l'enquête et d'exercer, le cas

échéant, l'action publique lors d'une procédure ultérieure, pour autoriser, sans un contrôle préalable par une autorité indépendante, une mesure de géolocalisation en temps réel – qui constitue une ingérence grave dans la vie privée du suspect – dans le cadre d'une enquête, en particulier dans le cadre d'une enquête préliminaire ; qu'en l'espèce, sur le fondement de ce texte, la géolocalisation en temps réel de la ligne téléphonique de M. [Y] a été autorisée, dans le cadre d'une enquête préliminaire, par décision du procureur de la République du 5 décembre 2019 ; et qu'en rejetant la requête tendant à l'annulation de l'autorisation de cette mesure, la chambre de l'instruction a violé l'article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002, telle que modifiée par la directive 2009/136/CE du 25 novembre 2009, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ensemble l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ; 2°) une mesure portant atteinte à la vie privée d'une personne, telle qu'une mesure de géolocalisation en temps réel de sa ligne téléphonique, ne peut être prise que si elle est proportionnée à la gravité des faits qui lui sont reprochés ; qu'en l'espèce, la géolocalisation en temps réel de la ligne téléphonique de M. [Y] qui a été ordonnée est une mesure disproportionnée à la gravité des faits qui lui sont reprochés consistant en une gifle et en une atteinte matérielle aux biens d'autrui ; qu'en rejetant néanmoins la requête tendant à l'annulation de l'autorisation de cette mesure de géolocalisation, la chambre de l'instruction a violé les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 230-32 et 230-33 du code de procédure pénale ; 3°) pour qu'il puisse être recouru à une mesure de géolocalisation en temps réel dans le cadre d'une enquête, l'article 230-32 du code de procédure pénale exige que l'enquête porte sur un crime ou un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement ; et qu'en l'espèce, à la date à laquelle la géolocalisation en temps réel de la ligne téléphonique de M. [Y] a été autorisée, aucune des qualifications pouvant être retenues à son encontre ne lui faisait encourir une peine d'au moins trois ans d'emprisonnement ; qu'en rejetant néanmoins la requête, la chambre de l'instruction a violé le texte susvisé et l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ; 4°) en omettant de vérifier si les décisions du procureur de la République et du juge des libertés et de la détention, qui ont autorisé puis prolongé cette mesure, étaient motivées par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que l'opération de géolocalisation était nécessaire, cependant que l'existence de cette motivation au sein même de ces décisions était contestée par l'exposant dans sa requête en annulation, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard de l'article 230-33 du code de procédure pénale et violé les articles 591 et 593 du même code. Le second moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit n'y avoir lieu à annulation de l'autorisation de procéder à des mesures de perquisition sans assentiment, alors que : pour qu'il puisse être recouru à une telle mesure dans le cadre d'une enquête préliminaire, l'article 76 alinéa 4 du code de procédure pénale exige que l'enquête porte sur un crime ou un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement ; qu'en l'espèce, à la date à laquelle la perquisition sans assentiment du domicile de M. [Y] a été autorisée, aucune des qualifications pouvant être retenues à son encontre ne lui faisait encourir

une peine d'au moins trois ans d'emprisonnement ; et qu'en rejetant néanmoins la requête, la chambre de l'instruction a violé le texte susvisé et l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

DISCUSSION 1. Sur l'autorisation de géolocalisation par le procureur de la République, en violation du droit de l'Union europénne. 1.1. Sur la recevabilité du grief. 1.1.1. La nouveauté du grief. On relève en premier lieu que la non-conformité de l'autorisation de géolocalisation donnée par le procureur de la République est alléguée par le demandeur au pourvoi sur le fondement de l'arrêt dit Prokuratuur de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), rendu le 2 mars 20211. Le mémoire ampliatif rappelle en outre que la CJUE exige un contrôle préalable, par une autorité indépendante, de toute mesure d'accès à des données relatives aux communications électroniques depuis l'arrêt de la CJUE Digital Rights Ireland du 8 avril 20142. On sait par ailleurs que les parties ont la possibilité de déposer par mémoire, jusqu'à la veille de l'audience devant la chambre de l'instruction, de nouveaux moyens de nullité 3. En l'occurrence, la requête aux fins d'annulation de pièces a été déposée au greffe de la chambre de l'instruction le 8 juin 2020, puis les débats devant cette juridiction se sont tenus le 15 avril 2021. Ainsi, au regard des termes de la requête aux fins d'annulation et de ceux de l'arrêt attaqué, le grief de cette première branche apparaît sans conteste nouveau, ce qui pose la question de sa recevabilité. 1.1.2. L'absence d'incidence de la primauté du droit de l'Union. On observe que le principe de la primauté du droit de l'Union européenne, tel qu'il résulte de l'arrêt Costa4 de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), 1

CJUE, 2 mars 2021, H.K. c. Prokuratuur, n° C-746/18

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CJUE, 8 avril 2014, Digital Rights Ireland / Seitlinger, n°C293/12 / C594/12

3

Crim., 6 mai 2009, n° 08-88.467

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CJCE, 15 juill. 1964, Costa c. Enel, n° 6/64

ne saurait impliquer un traitement différencié dans l'appréciation des conséquences de la nouveauté du moyen de cassation. Ainsi, la CJCE juge que le droit communautaire n'impose pas aux juridictions nationales de soulever d'office un moyen tiré de la violation de dispositions communautaires, lorsque l'examen de ce moyen les obligerait à sortir des limites du litige tel qu'il a été circonscrit par les parties, sauf lorsque les juridictions nationales ont l'obligation ou la faculté de le faire par rapport à une règle contraignante de droit national5. Le droit de l'Union est en effet marqué par le principe de l'autonomie procédurale, selon lequel, en l'absence d'un véritable corpus de règles processuelles propres, le droit communautaire, pour les besoins de son application par les juridictions nationales, renvoie aux règles de procédure de droit national qui permettent sa mise en oeuvre effective au sein de chaque État membre. Cette autonomie procédurale est assortie des principes d'équivalence et d'effectivité. Or, s'agissant du principe d'équivalence, la CJUE énonce, à l'occasion d'une question préjudicielle relative à un moyen tiré du droit de l'Union soulevé pour la première fois à hauteur de cassation, que le respect du principe d'équivalence implique « un traitement égal des recours fondés sur la violation du droit national et de ceux, similaires, fondés sur une violation du droit de l'Union.6 ». Quant au principe d'effectivité, la CJCE juge que : « [...] le principe d'effectivité n'impose pas, dans les affaires telles que celles au principal, l'obligation aux juridictions nationales de soulever d'office un moyen tiré d'une disposition communautaire, indépendamment de l'importance de celle-ci pour l'ordre juridique communautaire, dès lors que les parties ont une véritable possibilité de soulever un moyen fondé sur le droit communautaire devant une juridiction nationale. Comme les requérants au principal ont eu une véritable possibilité de soulever des moyens tirés de la directive 85/511, le principe d'effectivité n'impose pas à la juridiction de renvoi d'examiner d'office le moyen fondé sur les articles 11 et 13 de cette directive7 ».

Il résulte de ces principes que, dès lors que le demandeur au pourvoi avait effectivement le loisir , comme en l'espèce, de soulever le grief pris de la violation du droit de l'Union devant la chambre de l'instruction, l'examen de la recevabilité de ce moyen, nouveau à hauteur de cassation, relève d'une analyse classique d'un moyen de cassation nouveau. 1.1.3. Le principe de l'irrecevabilité du moyen nouveau. D'emblée, il faut invoquer la jurisprudence constante de la chambre criminelle selon laquelle est irrecevable le moyen qui invoque une exception de nullité de la procédure

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CJCE, 14 déc. 1995, van Schijndel / van Veen, n° C-430/93 / C-431/93 ; 24 oct. 1996, Kraaijeveld e.a., n° C-72/95 ; 12 fév. 2008, Kempter, n° C-2/06, § 45 6

CJUE, 17 mars 2016, A. Bensada Benallal, C-161/15, §29 ; v. aussi 6 oct. 2015, Târsia, n° C-69/14, §34

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CJCE, 7 juin 2007, J. van der Weerd et autres, C-222/05 à 225/05, § 41

qui n'a pas été soumise à la cour d'appel ou à la chambre de l'instruction8, quand bien même cette dernière avait le pouvoir de la soulever d'office. On observe ensuite que le présent grief n'est aucunement révélé par l'arrêt attaqué, et qu'il ne peut donc pas être fait exception, pour cette raison, à la règle de l'irrecevabilité du moyen nouveau devant la Cour de cassation. Cependant, l'article 595 du code de procédure pénale, relatif aux nullités de l'information, consacre le droit - et non l'obligation - pour la Cour de cassation de « relever tous moyens d'office ». Ainsi le présent moyen qui invoque une exception de nullité qui n'a pas été présentée devant la chambre de l'instruction apparaît irrecevable, à moins que la chambre criminelle entende le relever d'office9. 1.1.4. L'exception des moyens d'ordre public. La doctrine s'accorde sur le fait que la chambre criminelle relève d'office les moyens nouveaux uniquement lorsqu'il s'agit de moyens d'ordre public, et qu'ils sont de pur droit10, outre qu'ils n'excèdent pas la saisine par le pourvoi et ne heurtent pas l'autorité de la chose jugée Ces trois dernières conditions sont incontestablement remplies en l'espèce, notamment en ce que le moyen apparaît bien de pur droit en sa première branche, s'agissant de la question de la primauté d'une norme juridique sur une autre. Pour examiner plus avant l'éventuel caractère d'ordre public du moyen, on peut d'abord citer une définition établie par MM. Boré, complémentaire de celles proposées au rapport : « Le moyen d'ordre public est celui qui est pris de la violation d'une règle établie non pour la protection d'un intérêt privé, mais dans un intérêt général et pour le bien de la justice11. » En l'absence de définition du moyen d'ordre public par la chambre criminelle, les mêmes auteurs en dressent par ailleurs un inventaire jurisprudentiel nécessairement évolutif, en reconnaissant le moyen d'ordre public « au fait qu'il est relevé d'office par le juge, que la Chambre criminelle refuse de faire application de l'article 802 du Code de

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Crim., 19 juin 1974, n° 72-91.873 ; 29 avril 1996, n° 95-82.478 ; 24 avril 1997, n° 95-82.400, Bull. 145 ; 6 sept. 2000, n° 00-82.198 ; 29 nov. 2000, n° 00-81.439 ; 9 oct. 2002, n° 02-81.441; 27 sept.2011, n° 11-81.458 ; 6 mars 2013, n° 12-87.922 9

Crim., 27 novembre 1996, n° 96-83.920

10 11

Crim., 25 juin 2013, n° 11-88.037

Jacques Boré, Louis Boré, Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Pourvoi en cassation, avril 2013, actualisé en février 2022

procédure pénale ou que le moyen peut être soulevé pour la première fois devant la Cour de cassation, l'effet permettant alors de remonter à la cause 12. » Ils évoquent ainsi, au titre des moyens d'ordre public relevés par la chambre criminelle, en matière d'ordre public procédural : les règles d'organisation de la juridiction pénale, notamment l'ordre et la composition des juridictions d'instruction et de jugement, la compétence des juridictions répressives, le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires, la règle imposant la signature des actes authentiques, les règles du double degré de juridiction et de dévolution de l'appel, les conditions d'exercice de l'action publique, notamment la règle de la saisine du juge d'instruction par un réquisitoire daté et signé, les fins de non-recevoir de l'action publique, telles que la prescription ou la chose jugée au pénal, les formes, délais et effets des voies de recours, les règles de procédure spéciales édictées par la loi sur la presse, outre certaines règles fondamentales liées au procès pénal : relativement aux questions posées à la cour d'assises, à la prestation de serment des témoins, au principe de motivation des jugements, aux mentions valant jusqu'à inscription de faux, au droit d'être informé en détail des faits reprochés, à l'ordre de parole des parties ou encore au caractère contradictoire de la procédure. S'il ne semble pas, d'emblée, que le moyen proposé en l'occurrence puisse relever de ces catégories, il convient néanmoins d'analyser la nature précise du grief considéré, en recherchant les valeurs ou les intérêts auxquels il serait porté atteinte. 1.1.5. La nature du grief en l'espèce. Le demandeur au pourvoi invoque l'article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002, telle que modifiée par la directive 2009/136/CE du 25 novembre 2009, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ensemble l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. La directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 concerne, selon son intitulé, « le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques. » Elle débute par un premier considérant évoquant la directive 95/46/CE du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, qui « exige que les États membres protègent les droits et les libertés des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel, et notamment le droit au respect de leur vie privée, afin d'assurer la libre circulation des données à caractère personnel dans la Communauté. » Selon son deuxième considérant :

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Jacques Boré, Louis Boré, La cassation en matière pénale, Dalloz action, 2018/2019, § 112.101

« La présente directive vise à respecter les droits fondamentaux et observe les principes reconnus notamment par la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. En particulier, elle vise à garantir le plein respect des droits exposés aux articles 7 et 8 de cette charte. »

L'article 7 de la Charte visé, reprend exactement les termes de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications. »

Selon l'article 8 de la Charte ensuite : « 1. Toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel la concernant. 2. Ces données doivent être traitées loyalement, à des fins déterminées et sur la base du consentement de la personne concernée ou en vertu d'un autre fondement légitime prévu par la loi. Toute personne a le droit d'accéder aux données collectées la concernant et d'en obtenir la rectification. 3. Le respect de ces règles est soumis au contrôle d'une autorité indépendante. »

L'article 11 de la même Charte reprend les termes de l'article 10 de la Convention européenne : « 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontières. 2. La liberté des médias et leur pluralisme sont respectés. »

L'article 52 de la Charte enfin, relatif à la « portée des droits garantis », énonce notamment que : « 1. Toute limitation de l'exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel des dits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union ou au besoin de protection des droits et libertés d'autrui. »

L'article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002, prévoit quant à lui, en substance, les conditions dans lesquelles les Etats membres peuvent limiter la portée des droits et obligations de la directive, dans le respect des principes généraux du droit de l'Union. Le mémoire ampliatif invoque précisément l'interprétation de cet article par la CJUE dans l'arrêt Prokuratuur précité, rendu sur questions préjudicielles : « 59 [...] l'article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, paragraphe 1, de la Charte, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale donnant compétence au ministère public, dont la mission est de diriger la procédure d'instruction pénale et d'exercer, le cas échéant, l'action publique lors d'une procédure ultérieure, pour autoriser l'accès d'une autorité publique aux données relatives au trafic et aux données de localisation aux fins d'une instruction pénale ».

Ce même arrêt énonce en outre préalablement que : « 48. Il est vrai, ainsi que la Cour l'a déjà jugé, qu'il appartient au droit national de déterminer les conditions dans lesquelles les fournisseurs de services de communications électroniques doivent accorder aux autorités nationales compétentes l'accès aux données dont ils disposent. Toutefois, pour satisfaire à l'exigence de proportionnalité, une telle réglementation doit prévoir des règles claires et précises régissant la portée et l'application de la mesure en cause et imposant des exigences minimales, de sorte que les personnes dont les données à caractère personnel sont concernées disposent de garanties suffisantes permettant de protéger efficacement ces données contre les risques d'abus. Cette réglementation doit être légalement contraignante en droit interne et indiquer en quelles circonstances et sous quelles conditions une mesure prévoyant le traitement de telles données peut être prise, garantissant ainsi que l'ingérence soit limitée au strict nécessaire [...]. 51 [...] il est essentiel que l'accès des autorités nationales compétentes aux données conservées soit subordonné à un contrôle préalable effectué soit par une juridiction soit par une entité administrative indépendante et que la décision de cette juridiction ou de cette entité intervienne à la suite d'une demande motivée de ces autorités présentée, notamment, dans le cadre de procédures de prévention, de détection ou de poursuites pénales. En cas d'urgence dûment justifiée, le contrôle doit intervenir dans de brefs délais [...]. 52. Ce contrôle préalable requiert entre autres, ainsi que l'a relevé, en substance, M. l'avocat général au point 105 de ses conclusions, que la juridiction ou l'entité chargée d'effectuer ledit contrôle préalable dispose de toutes les attributions et présente toutes les garanties nécessaires en vue d'assurer une conciliation des différents intérêts et droits en cause. S'agissant plus particulièrement d'une enquête pénale, un tel contrôle exige que cette juridiction ou cette entité soit en mesure d'assurer un juste équilibre entre, d'une part, les intérêts liés aux besoins de l'enquête dans le cadre de la lutte contre la criminalité et, d'autre part, les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel des personnes dont les données sont concernées par l'accès. »

Ainsi, il ressort de la mise en exergue, ci-dessus, des droits et valeurs protégés par les textes invoqués au moyen, que ce dernier consiste à soutenir que l'autorisation de géolocalisation doit être annulée car elle est donnée par une autorité qui n'offre pas de garanties suffisantes, selon le droit de l'Union qui prime sur la loi française, contre une atteinte abusive à la vie privée et aux données à caractère personnel de la personne géolocalisée. Il faut souligner ici que le moyen n'est pas pris précisément d'une incompétence du procureur de la République pour autoriser la géolocalisation, au sens d'une autorité qui effectuerait un acte qui ne relève pas de son domaine de compétence. En effet, la compétence du procureur de la République est en l'occurrence parfaitement établie par la loi, dans le respect d'ailleurs de la Constitution, et cette compétence n'est pas à proprement parler contestée par le mémoire ampliatif. Ce n'est donc pas l'action d'un magistrat hors de sa compétence qui est dénoncée, mais une atteinte à la vie privée sans garanties suffisantes. 1.1.6. L'irrecevabilité consécutive. L'objet des normes invoquées au soutien du moyen n'est donc pas le bien de la justice, la protection de l'intérêt général ou la bonne administration de la justice, mais la

protection de la vie privée et des données personnelles à l'occasion d'opérations de géolocalisation. Par conséquent, doit être écarté tout rapprochement avec la jurisprudence, évoquée au rapport, relative aux dispositions de l'article 77-1 du code de procédure pénale, qui sont édictées en vue de « garantir la fiabilité de la recherche et de l'administration de la preuve13 », c'est à dire dans un objectif de bonne administration de la justice. On retiendra en revanche les arrêts cités au rapport, dont il ressort que : - une partie n'est recevable à invoquer une irrégularité affectant une mesure de géolocalisation qu'à la condition d'établir qu'il aurait été porté atteinte d'une autorisation du juge des libertés et de la détention au-delà du délai de quinze jours dans lequel une opération de géolocalisation a été autorisée par le procureur de la République. De telles solutions apparaissent d'ailleurs systématiquement appliquées dans les cas où est invoquée la violation du droit à la vie privée : une personne mise en examen n'est pas recevable à demander l'annulation d'une interception de correspondances, d'une perquisition, d'une sonorisation, d'une géolocalisation ou d'une captation d'images effectuée sur une ligne ou dans un lieu appartenant à un tiers et sur lequel elle n'est titulaire d'aucun droit, dès lors que ses propres paroles n'ont pas été captées, qu'elle-même ou un objet lui appartenant n'a pas été photographié, filmé, géolocalisé ou saisi16. Or, s'il est exigé dans ces domaines que la partie qui sollicite l'annulation démontre sa qualité pour invoquer la violation de la règle, c'est bien qu'il ne s'agit pas de nullités d'ordre public, et que le moyen afférent n'est pas un moyen d'ordre public. En définitive, le premier moyen pris en sa première branche, nouveau, n'est pas recevable à hauteur de cassation et, ne constituant pas un moyen d'ordre public, ne peut être relevé d'office par la chambre criminelle. Les développements suivants sur cette première branche sont donc proposés à titre subsidiaire.

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Crim., 18 juin 2019, n° 19-80.105 ; v. aussi 1er sept. 2005, n° 05-84.061 ; 14 octobre 2003, n° 03-84.539 16

Crim., 31 mai 2007, n° 07-80.928 ; 27 avr. 2011, n° 11-80.076 ; Crim., 27 sept. 2011, n° 1181.458 ; Crim., 23 jan. 2013, n° 12-85.059 ; Crim., 6 mars 2013, n° 12-87.810 ; 26 juin 2013, n° 13-81.491 ; Crim., 18 déc. 2013, n° 13-85.375 ; Crim., 14 janv. 2014, n° 13-84.909 ; Crim., 15 avr. 2015, n° 14-87.616 ; Crim., 6 oct. 2015, n° 15-82.247 ; Crim., 14 oct. 2015, n° 15-81.765 ; Crim., 7 juin 2016, n° 15-87.755 ; Crim., 12 juill. 2016, n° 16-81.198 ; Cim., 5 oct. 2016, n° 1681.842 ; Crim., 21 févr. 2017, n° 16-85.542 ; 9 nov. 2021, n° 21-81.359 ; 5 oct. 2021, n° 2183.219 ; 5 oct. 2021, n° 21-82.399 ; 13 oct. 2020, n° 19-87.959

1.2. Subsidiairement, sur la conformité au droit de l'Union de l'autorisation de géolocalisation en temps réel donnée par le procureur de la République. 1.2.1. Les dispositions légales. L'article 230-32 du code de procédure pénale dispose : « Il peut être recouru à tout moyen technique destiné à la localisation en temps réel, sur l'ensemble du territoire national, d'une personne, à l'insu de celle-ci, d'un véhicule ou de tout autre objet, sans le consentement de son propriétaire ou de son possesseur, si cette opération est exigée par les nécessités : 1° D'une enquête ou d'une instruction portant sur un crime ou sur un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement ; 2° D'une procédure d'enquête ou d'instruction de recherche des causes de la mort ou de la disparition prévue aux articles 74, 74-1 et 80-4 ; 3° D'une procédure de recherche d'une personne en fuite prévue à l'article 74-2. La géolocalisation est mise en place par l'officier de police judiciaire ou, sous sa responsabilité, par l'agent de police judiciaire, ou prescrite sur réquisitions de l'officier de police judiciaire, dans les conditions et selon les modalités prévues au présent chapitre. »

L'article 230-33 suivant énonce : « L'opération mentionnée à l'article 230-32 est autorisée : 1° Dans le cadre d'une enquête de flagrance, d'une enquête préliminaire ou d'une procédure prévue aux articles 74 à 74-2, par le procureur de la République, pour une durée maximale de quinze jours consécutifs dans les cas prévus aux articles 74 à 74-2 ou lorsque l'enquête porte sur un crime ou sur une infraction mentionnée aux articles 706-73 ou 706-73-1, ou pour une durée maximale de huit jours consécutifs dans les autres cas. A l'issue de ces délais, cette opération est autorisée par le juge des libertés et de la détention à la requête du procureur de la République, pour une durée maximale d'un mois renouvelable dans les mêmes conditions de forme et de durée ; [...] La durée totale de cette opération ne peut pas excéder un an ou, s'il s'agit d'une infraction prévue aux articles 706-73 ou 706-73-1, deux ans. La décision du procureur de la République, du juge des libertés et de la détention ou du juge d'instruction est écrite et motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que ces opérations sont nécessaires. Elle n'a pas de caractère juridictionnel et n'est susceptible d'aucun recours. »

1.2.2. Le droit de l'Union. Dans un premier temps, à l'occasion de l'arrêt dit « La Quadrature du Net », la CJUE avait énoncé, au sujet de la géolocalisation en temps réel : « 189. [...] il est essentiel que la mise en œuvre de la mesure autorisant le recueil en temps réel [des données relatives au trafic et des données de localisation] soit soumise à un contrôle préalable effectué soit par une juridiction, soit par une entité administrative indépendante, dont la décision est dotée d'un effet contraignant, cette juridiction ou cette entité devant notamment s'assurer qu'un tel recueil en temps réel n'est autorisé que dans la limite de ce qui est strictement nécessaire (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Tele2, C203/15 et C-698/15, EU:C:2016:970, point 120). En cas d'urgence dûment justifiée, le contrôle doit intervenir dans de brefs délais. »

La CJUE, dans l'arrêt Prokuratuur précité, rendu sur demande de décision préjudicielle introduite par la cour suprême d'Estonie, a précisé : « 46. Par sa troisième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, paragraphe 1, de la Charte, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale donnant compétence au ministère public, dont la mission est de diriger la procédure d'instruction pénale et d'exercer, le cas échéant, l'action publique lors d'une procédure ultérieure, pour autoriser l'accès d'une autorité publique aux données relatives au trafic et aux données de localisation aux fins d'une instruction pénale. [...] 51. Aux fins de garantir, en pratique, le plein respect de ces conditions, il est essentiel que l'accès des autorités nationales compétentes aux données conservées soit subordonné à un contrôle préalable effectué soit par une juridiction soit par une entité administrative indépendante et que la décision de cette juridiction ou de cette entité intervienne à la suite d'une demande motivée de ces autorités présentée, notamment, dans le cadre de procédures de prévention, de détection ou de poursuites pénales. En cas d'urgence dûment justifiée, le contrôle doit intervenir dans de brefs délais (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2020, La Quadrature du Net e.a., C-511/18, C-512/18 et C-520/18, EU:C:2020:791, point 189 ainsi que jurisprudence citée). 52. Ce contrôle préalable requiert entre autres, ainsi que l'a relevé, en substance, M. l'avocat général au point 105 de ses conclusions, que la juridiction ou l'entité chargée d'effectuer ledit contrôle préalable dispose de toutes les attributions et présente toutes les garanties nécessaires en vue d'assurer une conciliation des différents intérêts et droits en cause. S'agissant plus particulièrement d'une enquête pénale, un tel contrôle exige que cette juridiction ou cette entité soit en mesure d'assurer un juste équilibre entre, d'une part, les intérêts liés aux besoins de l'enquête dans le cadre de la lutte contre la criminalité et, d'autre part, les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel des personnes dont les données sont concernées par l'accès. 53. Lorsque ce contrôle est effectué non par une juridiction mais par une entité administrative indépendante, celle-ci doit jouir d'un statut lui permettant d'agir lors de l'exercice de ses missions de manière objective et impartiale et doit être, à cet effet, à l'abri de toute influence extérieure [voir, en ce sens, arrêt du 9 mars 2010, Commission/Allemagne, C518/07,EU:C:2010:125, point 25, ainsi que avis 1/15 (Accord PNR UE-Canada), du 26 juillet 2017,EU:C:2017:592, points 229 et 230]. 54. Il résulte des considérations qui précèdent que l'exigence d'indépendance à laquelle doit satisfaire l'autorité chargée d'exercer le contrôle préalable, rappelé au point 51 du présent arrêt, impose que cette autorité ait la qualité de tiers par rapport à celle qui demande l'accès aux données, de sorte que la première soit en mesure d'exercer ce contrôle de manière objective et impartiale à l'abri de toute influence extérieure. En particulier, dans le domaine pénal, l'exigence d'indépendance implique, ainsi que l'a relevé M. l'avocat général en substance au point 126 de ses conclusions, que l'autorité chargée de ce contrôle préalable, d'une part, ne soit pas impliquée dans la conduite de l'enquête pénale en cause et, d'autre part, ait une position de neutralité vis-à-vis des parties à la procédure pénale. 55. Tel n'est pas le cas d'un ministère public qui dirige la procédure d'enquête et exerce, le cas échéant, l'action publique. En effet, le ministère public a pour mission non pas de trancher en toute indépendance un litige, mais de le soumettre, le cas échéant, à la juridiction compétente, en tant que partie au procès exerçant l'action pénale. 56. La circonstance que le ministère public soit, conformément aux règles régissant ses compétences et son statut, tenu de vérifier les éléments à charge et à décharge, de garantir la légalité de la procédure d'instruction et d'agir uniquement en vertu de la loi et

de sa conviction ne saurait suffire à lui conférer le statut de tiers par rapport aux intérêts en cause au sens décri tau point 52 du présent arrêt. 57. Il s'ensuit que le ministère public n'est pas en mesure d'effectuer le contrôle préalable visé au point 51 du présent arrêt. 58. La juridiction de renvoi ayant soulevé, par ailleurs, la question de savoir s'il peut être suppléé à l'absence de contrôle effectué par une autorité indépendante par un contrôle ultérieur exercé par une juridiction de la légalité de l'accès d'une autorité nationale aux données relatives au trafic et aux données de localisation, il importe de relever que le contrôle indépendant doit intervenir, ainsi que l'exige la jurisprudence rappelée au point 51 du présent arrêt, préalablement à tout accès, sauf cas d'urgence dûment justifiée, auquel cas le contrôle doit intervenir dans de brefs délais. Ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 128 de ses conclusions, un tel contrôle ultérieur ne permettrait pas de répondre à l'objectif d'un contrôle préalable, consistant à empêcher que soit autorisé un accès aux données en cause qui dépasse les limites du strict nécessaire. »

1.2.3. L'absence de conformité. On observe, ainsi que le relève le rapport, que les organisations des ministères publics estonien et français, ainsi que les statuts des magistrats qui les composent sont très proches. En outre, à l'occasion d'une autre question préjudicielle, la CJUE, a récemment repris son analyse en terme génériques : « 109. Ainsi, la Cour a notamment considéré qu'un ministère public qui dirige la procédure d'enquête et exerce, le cas échéant, l'action publique ne peut se voir reconnaître la qualité de tiers par rapport aux intérêts légitimes en cause, dès lors qu'il a pour mission non pas de trancher en toute indépendance un litige, mais de le soumettre, le cas échéant, à la juridiction compétente, en tant que partie au procès exerçant l'action pénale. Par conséquent, un tel ministère public n'est pas en mesure d'effectuer le contrôle préalable des demandes d'accès aux données conservées [voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2021, Prokuratuur (Conditions d'accès aux données relatives aux communications électroniques), C-746/18, EU:C:2021:152, points 55 et 57].17 »

Enfin, il ne peut pas être considéré que l'autorisation de poursuite de la géolocalisation par le juge des libertés et de la détention (JLD), prévue à l'article 230-33 du code de procédure pénale, puisse constituer l'autorisation préalable d'une juridiction indépendante exigée par le droit de l'Union. En effet, cette autorisation du JLD n'est pas systématique, ni préalable à l'accès aux données de localisation ; elle ne constitue pas un contrôle de la décision initiale du procureur sur laquelle le JLD n'a pas de prise, et elle est susceptible d'intervenir sans considération d'urgence, dans un délai long de huit voire quinze jours après l'autorisation initiale du procureur de la République. Par conséquent, il apparaît que l'autorisation donnée par le procureur de la République pour une opération de géolocalisation en temps réel, sur le fondement des articles 23032 et 230-33, n'est pas conforme au droit de l'Union. 17

CJUE, GC, 5 avr. 2022 G.D. c. Commissioner of An Garda Síochána, n° C-140/20

1.3. Sur les conséquences de la non-conformité au droit de l'Union. 1.3.1. Le droit de l'Union ne commande pas systématiquement l'annulation des pièce établies en violation. On relève en premier lieu que l'annulation d'un acte pris selon une procédure nonconforme au droit de l'Union n'est pas exigée par principe par le droit de l'Union luimême. L'arrêt La Quadrature du Net rappelle en effet que la CJUE juge avec constance que : « 223. [...] en l'absence de règles de l'Union en la matière, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque État membre, en vertu du principe d'autonomie procédurale, de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l'Union, à condition toutefois qu'elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d'équivalence) et qu'elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par le droit de l'Union (principe d'effectivité) (voir, en ce sens, arrêts du 6 octobre 2015, Târsia, C-69/14, EU:C:2015:662, points 26 et 27 ; du 24 octobre 2018, XC e.a., C-234/17, EU:C:2018:853, points 21 et 22 ainsi que jurisprudence citée, et du 19 décembre 2019, Deutsche Umwelthilfe, C-752/18, EU:C:2019:1114, point 33).18 »

On a vu précédemment que le respect du principe d'équivalence implique un traitement égal des recours fondés sur la violation du droit national et de ceux, similaires, fondés sur une violation du droit de l'Union. Quant au principe d'effectivité, la CJUE juge qu'il doit être analysé en tenant compte de la place des règles concernées dans l'ensemble de la procédure, du déroulement de cette procédure et des particularités de ces règles devant les diverses instances nationales, et que dans cette perspective, il y a lieu de tenir compte, le cas échéant, des principes qui sont à la base du système juridictionnel national concerné, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure19. En matière d'accès aux données de connexion en violation du droit de l'Union, l'arrêt Prokuratuur invoqué par le moyen décline ainsi ces principes : « 41. [...] compte tenu du fait que la juridiction de renvoi est saisie d'une demande concluant à l'irrecevabilité des procès-verbaux établis à partir des données relatives au trafic et des données de localisation, au motif que les dispositions de l'article 111 1 de la loi relative aux communications électroniques seraient contraires à l'article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58 tant en ce qui concerne la conservation des données que l'accès à celles-ci, il y a lieu de rappeler que, en l'état actuel du droit de l'Union, il appartient, en principe, au seul droit 18

CJUE, 6 octobre 2020, La Quadrature du Net e.a., C-511/18, C-512/18 et C-520/18

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CJUE, GC, 6 oct. 2015, Târsia , n° C-69/14

national de déterminer les règles relatives à l'admissibilité et à l'appréciation, dans le cadre d'une procédure pénale ouverte à l'encontre de personnes soupçonnées d'actes de criminalité, d'informations et d'éléments de preuve qui ont été obtenus par une conservation généralisée et indifférenciée de ces données, contraire au droit de l'Union (arrêt du 6 octobre 2020, La Quadrature du Net e.a., C-511/18, C-512/18 et C-520/18, EU:C:2020:791, point 222), ou encore par un accès des autorités nationales aux dites données, contraire à ce droit. [...] 43. Pour ce qui est plus particulièrement du principe d'effectivité, il convient de rappeler que les règles nationales relatives à l'admissibilité et à l'exploitation des informations et des éléments de preuve ont pour objectif, en vertu des choix opérés par le droit national, d'éviter que des informations et des éléments de preuve qui ont été obtenus de manière illégale portent indûment préjudice à une personne soupçonnée d'avoir commis des infractions pénales. Or, cet objectif peut, selon le droit national, être atteint non seulement par une interdiction d'exploiter de telles informations et de tels éléments de preuve, mais également par des règles et des pratiques nationales régissant l'appréciation et la pondération des informations et des éléments de preuve, voire par une prise en considération de leur caractère illégal dans le cadre de la détermination de la peine (arrêt du 6 octobre 2020, La Quadrature du Net e.a., C-511/18,C-512/18 et C-520/18, EU:C:2020:791, point 225). 44. La nécessité d'exclure des informations et des éléments de preuve obtenus en méconnaissance des prescriptions du droit de l'Union doit être appréciée au regard, notamment, du risque que l'admissibilité de tels informations et éléments de preuve comporte pour le respect du principe du contradictoire et, partant, du droit à un procès équitable. Or, une juridiction qui considère qu'une partie n'est pas en mesure de commenter efficacement un moyen de preuve qui ressortit à un domaine échappant à la connaissance des juges et qui est susceptible d'influencer de manière prépondérante l'appréciation des faits doit constater une violation du droit à un procès équitable et exclure ce moyen de preuve afin d'éviter une telle violation. Partant, le principe d'effectivité impose au juge pénal national d'écarter des informations et des éléments de preuve qui ont été obtenus au moyen d'une conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et des données de localisation incompatible avec le droit de l'Union ou encore au moyen d'un accès de l'autorité compétente à ces données en violation de ce droit, dans le cadre d'une procédure pénale ouverte à l'encontre de personnes soupçonnées d'actes de criminalité, si ces personnes ne sont pas en mesure de commenter efficacement ces informations et ces éléments de preuve, provenant d'un domaine échappant à la connaissance des juges et qui sont susceptibles d'influencer de manière prépondérante l'appréciation des faits (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2020, La Quadrature du Net e.a., C-511/18, C-512/18 etC520/18, EU:C:2020:791, points 226 et 227). »

Les énonciations de cet arrêt sont encore éclairées par les renvois effectués vers l'arrêt La Quadrature du Net précité, lequel renvoie lui même à l'arrêt Steffensen20 . Dans ce dernier arrêt, la CJUE indiquait déjà que l'admissibilité des moyens de preuve ne fait pas l'objet d'une réglementation communautaire, cette matière relevant en principe du droit national applicable, sous réserve du respect des principes d'équivalence et d'effectivité. Elle ajoutait que les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect, tels qu'ils résultent, en particulier, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. 20

CJUE, 10 avr. 2003, Steffensen, n° C-276/01

Elle énonçait ensuite : « 71. En l'occurrence, dès lors que sont en cause le respect du droit à une contre-expertise garanti par le droit communautaire et les conséquences que pourrait avoir une violation de ce droit sur l'admissibilité d'un moyen de preuve dans le cadre d'un recours tel que celui en cause au principal, les règles nationales applicables en matière d'administration de la preuve entrent dans le champ d'application du droit communautaire. Partant, ces règles doivent respecter les exigences découlant des droits fondamentaux. 72. Il convient en l'espèce de prendre en considération, plus particulièrement, le droit à un procès équitable devant un tribunal, tel qu'énoncé à l'article 6, paragraphe 1, de la CEDH et tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme.[...] 75. Il y a lieu d'indiquer, ensuite, qu'il découle de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, que l'article 6, paragraphe 1, de la CEDH ne réglemente pas le régime des preuves en tant que tel et que, partant, l'admissibilité dune preuve recueillie sans respecter les prescriptions du droit national, ne peut pas être exclue par principe et in abstracto. Selon cette jurisprudence, il appartient au juge national d'apprécier les éléments de preuve obtenus par lui ainsi que la pertinence de ceux dont une partie souhaite la production (voir Cour eur. D. H., arrêts Mantovanelli c. France du 18 mars 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-II, § 33 et 34, et Pélissier et Sassi c. France du 25 mars 1999, Recueil des arrêts et décisions 1999-II, § 45). 76. Toutefois, selon cette même jurisprudence, le contrôle qu'exerce la Cour européenne des droits de l'homme, en vertu de l'article 6, paragraphe 1, de la CEDH, sur le caractère équitable de la procédure - exigeant pour l'essentiel que les parties puissent participer de manière adéquate à la procédure devant la juridiction - concerne la procédure considérée dans son ensemble, y compris la manière dont la preuve a été administrée. 77. Il convient de relever, enfin, que la Cour européenne des droits de l'homme a jugé que, lorsque les parties concernées sont en droit de formuler, devant le tribunal, des observations sur un moyen de preuve, il doit s'agir là d'une possibilité véritable de commenter efficacement celui-ci pour que la procédure revête le caractère équitable exigé par l'article 6, paragraphe 1, de la CEDH. Une vérification de ce point s'impose en particulier lorsque le moyen de preuve ressortit à un domaine technique échappant à la connaissance des juges et est susceptible d'influencer de manière prépondérante l'appréciation des faits par le tribunal (voir arrêt Mantovanelli c. France, précité, § 36).

Il résulte ainsi du raisonnement des juges européens que le grief qui doit être ici évalué, afin de statuer sur le sort des informations obtenues en violation du droit de l'Union, est le grief relatif au droit à un procès équitable, non pas le grief propre à l'atteinte à la vie privée et aux données personnelles, cette dernière atteinte étant d'ailleurs déjà consommée - et susceptible de recevoir une compensation financière. On constate d'ailleurs, dans la jurisprudence de la CEDH citée au rapport, que l'utilisation en procédure pénale d'informations obtenues en violation du droit au respect de la vie privée, n'implique pas nécessairement violation du droit à un procès équitable21, dès lors qu'est respecté notamment le caractère contradictoire de la procédure. 1.3.2. L'annulation des pièces, en l'espèce, au regard du principe d'effectivité. Selon le principe d'effectivité ainsi analysé, les pièces ne doivent être annulées, sur le fondement de la violation du droit de l'Union protégeant ici la vie privée et les données personnelles, seulement si le requérant n'est pas en mesure de commenter efficacement les pièces ainsi obtenues : dans un domaine échappant à la connaissance 21

CEDH, 10 mars 2009, Bykov c. Russie, n° 4378/02 ; 12 juil. 1988, Schenk c. Suisse, n°10862/84 ; 4 oct. 2000, Khan c. Royaume-Uni, n°35394/97 ; 17 oct. 2019, Lopez Ribalda c. Espagne, n° 1874/13 et 8567/13

des juges et qui sont susceptibles d'influencer de manière prépondérante l'appréciation des faits. Or, si la géolocalisation de terminaux de communication relèvent sans doute d'un domaine technique échappant à la connaissance des juges, la personne mise en cause peut tout à fait contester les données issues de cette géolocalisation. Elle peut en effet élever une contestation lors de ses interrogatoires au cours de l'enquête préliminaire ou de l'information judiciaire ; elle peut surtout solliciter éventuellement une expertise technique, en formulant une demande d'acte : dans une certaine mesure lors de l'enquête préliminaire, de manière privilégiée lors de l'information judiciaire, et même le cas échéant par la voie d'un supplément d'information ordonné par le tribunal correctionnel. En l'espèce, la géolocalisation autorisée par le parquet n'a en fait pas été réalisée, et aucune donnée n'a pu être relevée dès lors que le téléphone de l'intéressé était éteint 22 : ces données, inexistantes, ne sont évidemment pas susceptibles d'influencer de manière prépondérante l'appréciation des faits. D'ailleurs, on relève que leur vocation durant l'enquête était de localiser l'intéressé pour permettre son interpellation, et qu'elles étaient donc sans lien avec la preuve des faits reprochés eux-mêmes. En outre, M. [Y] n'a élevé aucune contestation quand à cette géolocalisation et n'a déposé aucune demande d'acte à ce sujet au cours de la procédure. Ainsi, le principe d'effectivité et le droit afférent au procès équitable ne commandent pas en l'occurrence d'annuler les pièces relatives à cette autorisation de géolocalisation donnée par le procureur de la République. 1.3.3. L'annulation des pièces, en l'espèce, au regard du principe d'équivalence. L'annulation des pièces considérées ne semble pas commandé non plus par le principe d'équivalence, dans les circonstances juridiques particulières entourant la régularité de l'accès aux données de géolocalisation. 1.3.3.1. Le contexte juridique de la régularité de l'autorisation de géolocalisation. Tout d'abord, il est permis de considérer raisonnablement que la non-conformité au droit de l'Union de l'autorisation du procureur de la République était imprévisible avant l'arrêt Prokuratuur. En 2016, l'arrêt dit Tele223 évoquait « un contrôle préalable par une juridiction ou une autorité administrative indépendante ». En 2020, l'arrêt Quadrature du Net24 se contentait d'indiquer : 22

Cote D178 et s. de la procédure d'enquête préliminaire

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CJUE, 21 déc. 2016, Tele 2 Sverige AB, n° C-203/15 et C-698/15

« [...] il est essentiel que la mise en oeuvre de la mesure autorisant le recueil en temps réel soit soumise à un contrôle préalable effectué soit par une juridiction, soit par une entité administrative indépendante, dont la décision est dotée d'un effet contraignant, cette juridiction ou cette entité devant notamment s'assurer qu'un tel recueil en temps réel n'est autorisé que dans la limite de ce qui est strictement nécessaire ».

Ensuite, il faut souligner que parallèlement, le 12 décembre 2019, la CJUE jugeait les magistrats du parquet français parfaitement aptes à émettre des mandats d'arrêt européens, en énonçant : « 54. S'agissant de la question de savoir si ces magistrats agissent de manière indépendante dans l'exercice des fonctions inhérentes à l'émission d'un mandat d'arrêt européen, il ressort des observations écrites et orales présentées lors de l'audience devant la Cour par le gouvernement français que l'article 64 de la Constitution garantit l'indépendance de l'autorité judiciaire qui est composée des magistrats du siège et des magistrats du parquet et que, en vertu de l'article 30 du CPP, le ministère public exerce ses fonctions de manière objective à l'abri de toute instruction individuelle émanant du pouvoir exécutif, le ministre de la Justice pouvant seulement adresser aux magistrats du parquet des instructions générales de politique pénale afin d'assurer la cohérence de cette politique sur l'ensemble du territoire. Selon ce gouvernement, ces instructions générales ne sauraient en aucun cas avoir pour effet d'empêcher un magistrat du parquet d'exercer son pouvoir d'appréciation quant au caractère proportionné de l'émission d'un mandat d'arrêt européen. En outre, conformément à l'article 31 du CPP, le ministère public exercerait l'action publique et requerrait l'application de la loi dans le respect du principe d'impartialité. 55. De tels éléments suffisent à démontrer que, en France, les magistrats du parquet disposent du pouvoir d'apprécier de manière indépendante, notamment par rapport au pouvoir exécutif, la nécessité et le caractère proportionné de l'émission d'un mandat d'arrêt européen et exercent ce pouvoir de manière objective, en prenant en compte tous les éléments à charge et à décharge. »

En outre, la Cour européenne des droits de l'homme avait jugé précédemment, dans un arrêt Uzun25 en 2010, qu'il n'était pas nécessaire que la législation allemande prévoie la délivrance par un organe indépendant d'une autorisation préalable de surveillance par système de GPS (global positioning system ou géo-positionnement par satellite), dans la mesure où le pouvoir des juridictions pénales de procéder à un contrôle judiciaire ultérieur de la légalité d'une telle surveillance, et d'exclure les éléments de preuve obtenus illégalement, offrait une protection suffisante contre l'arbitraire, outre le fait que la surveillance par GPS devait être considérée comme étant moins attentatoire à la vie privée d'une personne que, par exemple, des écoutes téléphoniques. On observe d'ailleurs que c'est à l'aune de ces indications notamment que le législateur français a confié l'autorisation de la géolocalisation en temps réel au procureur de la République, ainsi qu'il ressort de la genèse, annexée au rapport, de la loi du 28 mars 2014 créant les articles 230-32 et suivants du code de procédure pénale. Enfin, il faut souligner que cette loi du 28 mars 2014 a été déclarée conforme à la Constitution26 avant sa promulgation, le Conseil estimant que le législateur, notamment 24

CJUE, 6 oct. 2020, La Quadrature du Net e.a.,, n° C-511/18

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CEDH, 2 sept.2010, Uzun c. Allemagne, n° 35623/05

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Cons. const., 25 mars 2014, n° 2014-693 DC

par l'autorisation et le contrôle de l'autorité judiciaire, avait assuré la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des droits et des libertés constitutionnellement garantis, notamment la liberté d'aller et venir, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et le droit au respect de la vie privée, l'inviolabilité du domicile et le secret des correspondances, protégés par son article 2. On sait que récemment le Conseil constitutionnel, à l'occasion de la transmission d'une QPC portant sur la version en cause des articles 230-32 et 230-33 du code de procédure pénale, a confirmé que le législateur avait entouré la mise en œuvre des mesures de géolocalisation de garanties de nature à assurer, dans le respect des prérogatives de l'autorité judiciaire, une conciliation équilibrée entre l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions et le droit au respect de la vie privée27. Au regard du principe d'équivalence, il convient ainsi de rechercher les solutions apportées, dans le droit national, à des problématiques mêlant des considérations de sécurité juridique liée à la prévisibilité de la règle, de bonne administration de la justice par la sécurité des procédures pénales, et de sauvegarde de l'ordre public en lien avec la recherche des auteurs d'infraction.

1.3.3.2. Les solutions juridiques adoptées en droit interne dans des contextes juridiques similaires. On observe au préalable que le principe de sécurité juridique est consacré par le droit européen lui-même : dans les circonstances particulières d'une affaire [G] où étaient en cause notamment des restrictions frappant un enfant naturel dans sa capacité de recevoir des biens de sa mère, la Cour de Strasbourg, réagissant au souci exprimé par le gouvernement belge de connaître la portée de l'arrêt de la Cour dans le temps, a énoncé que : « le principe de sécurité juridique, nécessairement inhérent au droit de la Convention comme au droit communautaire, dispense l'État belge de remettre en cause des actes ou situations juridiques antérieurs au prononcé du présent arrêt28. »

Dans la jurisprudence de la Cour de cassation, on relève un décalage dans le temps de la sanction du défaut de motivation des peines d'amende contraventionnelle, lorsque la chambre criminelle énonce que : « l'objectif reconnu par le Conseil constitutionnel, d'une bonne administration de la justice, commande que la nouvelle interprétation qui est ainsi donnée à des dispositions de procédure

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Cons. const., 23 sept. 2021, n° 2021-930 QPC

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CEDH, 13 juin 1979, Marckx c. Belgique, n°6833/74

n'ait pas d'effet rétroactif, de sorte qu'elle ne s'appliquera qu'aux décisions prononcées à compter du présent arrêt29 ».

La Cour de cassation repousse également dans le temps l'application d'une sanction de procédure en considération du droit au procès équitable pour la victime de l'infraction : « [...] si c'est à tort que la cour d'appel a écarté le moyen de prescription alors qu'elle constatait que Mme D n'avait accompli aucun acte interruptif de prescription dans les trois mois suivant la déclaration d'appel faite par les parties condamnées, la censure de sa décision n'est pas encourue de ce chef, dès lors que l'application immédiate de cette règle de prescription dans l'instance en cours aboutirait à priver la victime d'un procès équitable, au sens de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en lui interdisant l'accès au juge30 ; »

Mais il semble que la CJUE exclue un tel mécanisme en cas de violation du droit de l'Union, dès lors qu'elle indique, dans l'arrêt La Quadrature du Net, qu'une juridiction nationale ne peut faire application d'une disposition de son droit national qui l'habilite à limiter dans le temps les effets d'une déclaration d'illégalité lui incombant, en vertu de ce droit, à l'égard d'une législation nationale imposant une conservation généralisée et indifférenciée des données de connexion incompatible avec l'article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58 éclairée par la Charte. Un tel raisonnement doit sans doute être tenu également en cas de violation du droit de l'Union à l'occasion de l'accès à ces données de connexion. Saisie d'une question préjudicielle de la Cour suprême d'Irlande, la CJUE a très récemment réitéré cette opposition en matière de conservation des données, en renvoyant une nouvelle fois au principe d'autonomie pour l'appréciation de l'admissibilité des preuves ainsi obtenues : « Le droit de l'Union doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'une juridiction nationale limite dans le temps les effets d'une déclaration d'invalidité qui lui incombe, en vertu du droit national, à l'égard d'une législation nationale imposant aux fournisseurs de services de communications électroniques une conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et des données de localisation, en raison de l'incompatibilité de cette législation avec l'article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58, telle que modifiée par la directive 2009/136, lu à la lumière de la charte des droits fondamentaux. L'admissibilité des éléments de preuve obtenus au moyen d'une telle conservation relève, conformément au principe d'autonomie procédurale des États membres, du droit national, sous réserve du respect, notamment, des principes d'équivalence et d'effectivité.31 »

Elle rappelle en outre à cette occasion que : « selon une jurisprudence constante, l'interprétation que la Cour donne d'une règle du droit de l'Union, dans l'exercice de la compétence que lui confère l'article 267 TFUE, éclaire et précise la signification et la portée de cette règle, telle qu'elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de son entrée en vigueur. Il s'ensuit que la règle ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge à des rapports juridiques nés et constitués avant le prononcé de l'arrêt statuant sur la demande 29

Crim., 30 mai 2018, pourvoi n° 16-85.777

30

Ass. plén., 21 décembre 2006, pourvoi n° 00-20.493

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CJUE, GC, 5 avril 2022, G.D. c. Commissioner of An Garda Síochána, n° C-140/20

d'interprétation si, par ailleurs, les conditions permettant de porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l'application de ladite règle se trouvent réunies (arrêt du 16 septembre 2020, Romenergo et Aris Capital, C-339/19, EU:C:2020:709, point 47 ainsi que jurisprudence citée).

On rappelle à toutes fins que l'arrêt Prokuratuur livre une interprétation du droit de l'Union à la lumière de la Charte des droits fondamentaux, laquelle a acquis la même force juridique obligatoire que les traités depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre 2009. Cependant, on sait que la chambre criminelle, prenant en compte des considérations de sécurité juridique et de bonne administration de la justice, peut aussi moduler une sanction de procédure, non pas en la limitant dans le temps, mais en modulant ses conséquences en termes d'admissibilité de la preuve. Ainsi, s'agissant des conséquences du défaut de notification du droit de se taire, à la suite de l'évolution de sa jurisprudence, la chambre juge que : « le défaut de notification de ce droit est sans incidence sur la régularité de la décision rendue en matière de mesure de sûreté ; il a pour seule conséquence qu'une juridiction prononçant le renvoi devant une juridiction de jugement ou une déclaration de culpabilité ne pourra tenir compte, à l'encontre de la personne poursuivie, des déclarations sur les faits ainsi recueillies32. »

Plus encore, elle avait auparavant jugé le, 11 décembre 2018, que : « Si c'est à tort que, pour écarter la demande d'annulation d'auditions réalisées en garde à vue en juin 1999, une chambre de l'instruction énonce qu'elles n'étaient pas le support de leur mise en examen, l'arrêt n'encourt pas pour autant la censure dès lors qu'en l'absence, à la date des mesures critiquées, de jurisprudence établie, résultant des arrêts Salduz c/Turquie et Dayanan c/Turquie, rendus les 27 novembre 2008 et 13 octobre 2009, de la Cour européenne des droits de l'homme et ayant déduit de l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme le droit pour la personne gardée à vue d'être assistée par un avocat lors de ses auditions et l'obligation de lui notifier le droit de garder le silence, l'exigence de prévisibilité de la loi et l'objectif de bonne administration de la justice font obstacle à ce que les auditions réalisées à cette date, sans que la personne gardée à vue ait été assistée d'un avocat pendant leur déroulement ou sans qu'elle se soit vue notifier le droit de se taire, soient annulées pour ces motifs. Il résulte, toutefois, des stipulations de l'article précité de ladite Convention que les déclarations incriminantes faites lors de ces auditions ne peuvent, sans que soit portée une atteinte irrémédiable aux droits de la défense, fonder une décision de renvoi devant la juridiction de jugement ou une déclaration de culpabilité.33 »

Il est ainsi proposé d'adapter un tel raisonnement, usité dans votre jurisprudence dans des circonstances proches de l'espèce, pour sanctionner la violation du droit de l'Union dans le respect du principe d'équivalence. Il ne s'agit pas d'écarter le droit de l'Union pour préserver la loi nationale sur une période de temps antérieure à l'arrêt de la CJUE ayant dit le droit, mais, sans limiter 32

Crim., 24 février 2021, pourvoi n° 20-86.537

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Crim., 11 décembre 2018, n° 18-82.854, Bull. crim. 2018, n° 209

aucunement la déclaration d'invalidité, d'appliquer son éventuelle sanction au moment de l'examen juridictionnel des charges ou de la culpabilité.

1.3.4. La sanction, en l'espèce, de la violation du droit de l'Union. On rappelle ici que ces développements subsidiaires font suite à l'hypothèse d'un moyen d'ordre public ; ils n'intègrent donc pas de considérations tenant notamment au grief dont le requérant devrait éventuellement faire la preuve pour obtenir l'annulation sollicitée. Ainsi, au terme des analyses ci-dessus, il est proposé de mettre en oeuvre l'autonomie procédurale prévue par le droit de l'Union, dans le respect des principes d'équivalence et d'effectivité, en jugeant que l'autorisation du procureur de la République pour géolocaliser en temps réel M. [Y] a été donnée en violation du droit de l'Union résultant de l'article 15§1 de la directive 2002/58 du 12 juillet 2002, lu à la lumière des articles 7, 8, 11 et 52§1 de la Charte, mais que l'annulation n'est cependant pas encourue dès lors que : - à la date de l'autorisation considérée le droit de l'Union n'avait pas encore été précisément interprété en ce sens, et que cette autorisation est utile à la bonne administration de la justice et à la recherche des auteurs d'infraction ; - M. [Y] pouvait en principe contester utilement cette géolocalisation, mais s'en est abstenu, d'autant qu'aucune donnée n'a été traitée sur le fondement de l'autorisation invalide ; - en tout état de cause, aucune donnée issue de l'autorisation invalide ne pourra fonder une décision de renvoi devant une juridiction de jugement ou une déclaration de culpabilité.

2. Sur la deuxième branche du premier moyen de cassation. Il est souscrit à la proposition, exposée au rapport, de ne pas admettre ce grief, dès lors qu'il apparaît irrecevable, comme nouveau et mélangé de fait, en ce que la chambre de l'instruction n'a pas été invitée à procéder à un contrôle de proportionnalité au regard de l'article 8 de la Convention européenne.

3. Sur la troisième branche du moyen. On rappelle que l'article 230-32 du code de procédure pénale permet le recours à la géolocalisation en temps réel d'une personne, notamment « si cette opération est exigée par les nécessités [...] d'une enquête ou d'une instruction portant sur un crime ou sur un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement ». Le texte de la loi n'impose pas qu'il puisse être reproché à la personne géolocalisée, au moment de la mesure, des faits punis d'au moins trois ans d'emprisonnement, mais plutôt que la géolocalisation soit exigée par les nécessités d'une enquête portant sur de tels faits.

La chambre criminelle a déjà écarté, récemment, un moyen qui reprochait à une chambre de l'instruction de s'être bornée « à vérifier que l'enquête portait bien sur l'une des infractions visées à l'article 230-32 du code de procédure pénale, sans rechercher si, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, l'exposant était susceptible d'être impliqué dans les faits de traite des êtres humains ayant justifié la mise en place du dispositif de géolocalisation », ce alors que l'arrêt attaqué énonçait que le texte de loi ne prévoit « pas comme condition la réunion d'éléments permettant de rendre plausible la participation de la personne concernée aux faits, et ne visant que les nécessités de l'enquête34. » Et si à cette occasion la chambre criminelle a réservé l'hypothèse du recours à un procédé déloyal35, celui-ci doit cependant être démontré par la personne concernée. Par ailleurs, la CJUE considère que : « dès lors qu'un accès général à toutes les données [de localisation] conservées, indépendamment d'un quelconque lien, à tout le moins indirect, avec le but poursuivi, ne peut être considéré comme étant limité au strict nécessaire, la législation nationale concernée doit se fonder sur des critères objectifs pour définir les circonstances et les conditions dans lesquelles doit être accordé aux autorités nationales compétentes l'accès aux données en cause. À cet égard, un tel accès ne saurait, en principe, être accordé, en relation avec l'objectif de lutte contre la criminalité, qu'aux données de personnes soupçonnées de projeter, de commettre ou d'avoir commis une infraction grave ou encore d'être impliquées d'une manière ou d'une autre dans une telle infraction36. »

Au cas d'espèce, la chambre de l'instruction a fait une exacte application du texte considéré. En effet, elle a exposé dans un premier temps que l'enquête de police portait sur des faits de violences dénoncées par deux victimes, dont l'une aurait été menacée d'une arme de poing, les deux agresseurs étant arrivés sur les lieux à bord du même véhicule. Puis, par les motifs repris au rapport, elle a relevé que : - l'autorisation entreprise s'inscrivait dans le cadre de cette enquête, « diligentée par le 2ème DPJ sous le PV n° 2019/998 des chefs de violences volontaires avec arme en réunion », soit un délit puni d'une peine d'au moins trois ans d'emprisonnement ; - il est indifférent que l'autorisation de géolocalisation ne vise pas la qualification précise des faits pouvant être reprochés en l'état à chacun des protagonistes ;

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Crim., 7 mai 2019, pourvoi n° 18-85.596

35

v. aussi Crim., 7 juin 2016, n°15-87.755 ; 2 nov. 2016, n° 16-81.716, 16-81.540, 16-81.539, 16-81.695, 16-81.537 36

CJUE, GC, 5 avr. 2022 G.D. c. Commissioner of An Garda Síochána, n° C-140/20, §105

- au surplus, au stade de la délivrance de cette autorisation, la co-action ou la réunion de M. [Y] avec le second mis en cause ne pouvait être exclue - ce dont il se déduit que M. [Y] apparaissait impliqué dans les faits objets de l'enquête. Le grief devrait donc être écarté.

4. Sur la quatrième branche du moyen, relative à la motivation des autorisations. Il est reproché à la chambre de l'instruction d'avoir omis de vérifier si les autorisations du procureur de la République et du JLD étaient motivées par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que la géolocalisation était nécessaire, cependant que l'existence de cette motivation au sein même de ces décisions était contestée par l'exposant dans sa requête en annulation. A cet égard, la dite requête mentionnait : « L'autorisation délivré par le procureur de la République (D157) puis l'autorisation de prolongation de la mesure par le JLD (D216) n'ont jamais justifié de la nécessité de procéder à une mesure grave de géolocalisation de Monsieur [Y] dont l'adresse du domicile n'a jamais changé et était parfaitement connue du service d'enquête. »

Mais on peut observer que ce développement était compris dans une partie de la requête intitulée « Sur la violation de l'article 230-32 du CPP lors de la mesure de géolocalisation en temps réel de Monsieur [Y] », partie où était dénoncée une qualification inexacte des faits reprochés, au moment de la mesure, à M. [Y]. Il faut souligner que cet article 230-32 conditionne le recours à la géolocalisation à l'existence des « nécessités » d'une enquête ou d'une instruction, tandis que l'obligation de motivation écrite par référence aux éléments de fait et de droit justifiant la nécessité de la géolocalisation, est prévue, depuis la loi n°2019-222 du 23 mars 2019, à l'article 230-33 du même code. C'est sans doute la raison pour laquelle la chambre de l'instruction, saisie de ces conclusions fondée sur l'article 230-32, ne s'est pas estimé tenue de relever, en réponse, les éléments de motivation, exigés par l'article 230-33, retenus dans les autorisations contestées. Cet analyse conduirait à considérer que le moyen manque ici en fait. Subsidiairement, en tout état de cause, les motivations des autorisations litigieuses semblent en réalité répondre aux exigences légales susvisées. S'agissant de l'autorisation du procureur de la République37 : - elle vise les articles 230-32 et suivants du code de procédure pénale, ainsi que « la procédure d'enquête préliminaire diligentée par le 2ème DPJ sous le PV n° 2019/998 37

Cote D157 de la procédure d'enquête préliminaire

des chefs de violences volontaires avec arme en réunion et dégradations volontaires de bien privé, faits commis à PARIS, le 09/11/2019 » ; - elle relève que cette enquête porte sur un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement ; - elle énonce que les investigations sont en cours et que la géolocalisation de M. [Y] « est de nature à permettre les localisation et interpellation simultanée des mis en cause ». Force est de constater que cette motivation écrite, certes succincte, fait bien référence aux éléments de fait et de droit justifiant la nécessité de la géolocalisation de M. [Y]. Plus subsidiairement encore, on a vu que la géolocalisation de M. [Y] sur autorisation du procureur de la République n'a jamais été réalisée en fait 38 : par conséquent, aucun grief ne saurait résulter d'une irrégularité affectant l'autorisation considérée. Quant à l'autorisation du juge des libertés et de la détention39, elle vise tout d'abord les articles 230-32 à 230-44 du code de procédure pénale, « la requête du procureur de la République en date du 12 décembre 2019 relative à l'enquête préliminaire diligentée par le 2e DPJ des chefs de violences volontaires avec arme, dégradation de biens privés » et le « rapport établi le 12 décembre 2019 par le capitaine de police [L] en fonction au 2e DPJ ». Elle est ensuite motivée ainsi : « Attendu qu'il résulte du rapport précité que MM. [D] [K] et [Y] [R] pourraient être impliqués dans les faits susvisés tel que cela ressort de l'exploitation de la vidéo-surveillance et de la téléphonie des intéressés ; que les opérations d'interpellation à leur domicile respectif n'ayant pu avoir lieu le 9 décembre 2019 compte tenu de leur absence, il apparaît nécessaire pour la suite des investigations et afin de procéder à leurs interpellations dans les semaines à venir, de prolonger la mesure de géolocalisation de la ligne n° 06 62 46 89 80 utilisée par [R] [Y], autorisée le 5 décembre 2019 par le procureur de la République ; Attendu que les nécessités de l'enquête exigent que soit poursuivie la mesure de géolocalisation en temps réel ; que la mise en place d'un dispositif de géolocalisation sollicitée est de nature à servir la manifestation de la vérité ; »

Cette ordonnance, par les éléments qu'elle vise et les motifs ci-dessus soulignés, fait bien référence aux éléments de fait et de droit justifiant la nécessité de la géolocalisation de M. [Y]. Le moyen ne peut donc pas plus être accueilli dans cette quatrième branche, et devra être écarté. 5. Sur le second moyen, relatif à l'autorisation de perquisition sans assentiment.

38

Cote D178 et s. de la procédure d'enquête préliminaire

39

Cote D214 et s. de la procédure d'enquête préliminaire

Le demandeur au pourvoi soutient qu'au moment de l'autorisation en question, aucune des qualifications pouvant être retenues à son encontre ne lui faisait encourir une peine d'au moins trois ans d'emprisonnement, seuil nécessaire pour qu'il puisse être recouru à la mesure considérée, aux termes de l'article 76 alinéa 4 du code de procédure pénale. Il s'agit d'une reprise du troisième grief du premier moyen, dans sa substance, à l'encontre de l'ordonnance40 autorisant la perquisition sans assentiment. Les motifs de l'arrêt attaqué ici critiqués sont d'ailleurs quasi identiques aux motifs visés par la troisième branche du premier moyen. Une analyse similaire est par conséquent proposée. La chambre de l'instruction a exposé dans un premier temps que l'enquête de police portait sur des faits de violences dénoncées par deux victimes, dont l'une aurait été menacée d'une arme de poing, les deux agresseurs étant arrivés sur les lieux à bord du même véhicule. Elle a ensuite relevé dans ses motifs que : - la perquisition envisagée s'inscrivait dans le cadre de cette enquête, relative à des faits punis d'une peine d'au moins trois ans d'emprisonnement ; - il est indifférent que l'ordonnance ne vise pas la qualification précise des faits pouvant être reprochés en l'état à chacun des protagonistes ; - au surplus, au stade de la délivrance de cette autorisation, la co-action ou la réunion de M. [Y] avec le second mis en cause ne pouvait être exclue - dont il se déduit que M. [Y] apparaissait impliqué dans les faits objets de l'enquête. On sait enfin que la chambre criminelle a déjà écarté un moyen similaire, en jugeant qu'une chambre de l'instruction avait justifié sa décision par des motifs dont il s'évinçait qu'aucun détournement de procédure n'était établi, et dès lors que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention précisait, ainsi que la Cour de cassation était en mesure de s'en assurer, que la perquisition avait notamment pour objet de permettre la recherche de la preuve d'une infraction punie de cinq ans (seuil légal à l'époque) d'emprisonnement41. Cette jurisprudence s'applique parfaitement au présent cas d'espèce. Par conséquent, le second moyen ne pourra pas non plus être accueilli, et le pourvoi devra être rejeté.

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Cote D177 de la procédure d'enquête préliminaire

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Crim., 25 avril 2017, pourvoi n° 15-87.590

PROPOSITION Avis de rejet du pourvoi.

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