Jurisprudence : Cass. civ. 2, Conclusions, 30-01-2025, n° 22-19.660

Cass. civ. 2, Conclusions, 30-01-2025, n° 22-19.660

A68536SM

Référence

Cass. civ. 2, Conclusions, 30-01-2025, n° 22-19.660. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/115279559-cass-civ-2-conclusions-30012025-n-2219660
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AVIS DE Mme TUFFREAU, AVOCATE GÉNÉRALE RÉFÉRENDAIRE

Arrêt n° 98 du 30 janvier 2025 (B+R) – Deuxième chambre civile Pourvoi n° 22-19.660⚖️ Décision attaquée : Cour d'appel de Rennes du 1er juin 2022 la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Loire Atlantique C/ M. [G] [W] _________________

Audience de formation restreinte du 11 décembre 2024-affaire n° 26

1. Faits et procédure Monsieur [G] [W] (la victime) a été salarié de la société [5] (l'employeur) du 11 septembre 1978 au 31 mars 2012, en qualité de prospecteur mécanicien soudeur sur des navires de prospection pétrolière en mer. Du 1 er mai 2008 au 30 novembre 2011, il a relevé du statut des salariés expatriés et a souscrit à ce titre une assurance volontaire « accidents du travail et maladies professionnelles » auprès de la caisse des Français de l'étranger (CFE).

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Le 10 décembre 2009, il a adressé à la CPAM de Loire-Atlantique (la caisse) une déclaration de maladie professionnelle pour des plaques pleurales bilatérales dont la première constatation médicale a été faite le 2 décembre 2009. La caisse a reconnu le caractère professionnel de la maladie par une décision du 26 mars 2010. La procédure a été déclarée inopposable à l'employeur par la commission de recours amiable de la caisse. La CFE a également reconnu l'origine professionnelle de la maladie, a fixé le taux d'incapacité permanente de la victime à 5 %, à compter du 28 octobre 2011 et lui a attribué une indemnité en capital. Le 30 novembre 2011, la victime a été radiée de la CFE, n'étant plus expatriée, et a demandé son rattachement à la CPAM de Loire-Atlantique. La victime a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Loire-Atlantique pour voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur. La caisse a appelé en la cause la CFE pour la voir supporter la charge de l'indemnisation de la victime. Par jugement du 22 avril 2016, le tribunal des affaires de sécurité sociale a : - dit que la maladie professionnelle de la victime est due à la faute inexcusable de l'employeur, - déclaré inopposable à l'employeur la prise en charge de la maladie professionnelle, - fixé au taux maximum la majoration de la rente, - dit que cette majoration sera versée directement par la caisse à la victime et suivra l'évolution du taux d'incapacité permanente de celui-ci, - dit n'y avoir lieu à mise hors de cause de la CFE, - avant dire droit, ordonné une expertise médicale de la victime, - sursis à statuer sur les autres demandes dans l'attente du rapport d'expertise. La caisse a interjeté appel de cette décision en faisant notamment valoir que c'est à tort qu'elle avait instruit et pris en charge la maladie professionnelle de la victime alors que cette dernière dépendait de la CFE. La caisse concluait ainsi que la victime ne pouvait engager une procédure de reconnaissance de faute inexcusable, ni à l'encontre de la CFE, s'agissant d'un organisme d'adhésion volontaire, ni à son encontre, puisqu'elle était affiliée à la CFE. Elle ajoutait que son erreur n'était aucunement créatrice de droit. Par arrêt du 26 septembre 2018, la cour d'appel de Rennes a : - déclaré parfait le désistement d'appel de la CFE, - infirmé le jugement en ce qu'il a dit que la majoration de rente sera versée directement par la caisse à la victime et en ses dispositions relatives à l'expertise, - statuant à nouveau de ces chefs, a : - dit que la majoration de capital sera versée directement par la CFE à la victime, - dit n'y avoir lieu à expertise sur la réparation du préjudice, - confirmé le jugement en ses autres dispositions, - Y ajoutant : - alloué à la victime la somme de 12 000 euros au titre de la réparation du préjudice moral subi, qui sera versée directement par la CFE,

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- débouté la victime de ses demandes au titre de la réparation du préjudice physique et d'agrément, - dit n'y avoir lieu de statuer sur la récupération des sommes versées par la CFE en l'absence de toute action récursoire de celle-ci Pour condamner la CFE au versement du capital, la cour d'appel a retenu que la victime « était affiliée à la CFE lors de la première constatation médicale de sa maladie, laquelle a reconnu le caractère professionnel de la maladie, lui a versé une indemnité en capital en réparation de la maladie professionnelle et ne saurait se prévaloir de ce que les prestations et indemnités sont à la charge de la caisse primaire d'assurance-maladie en sa qualité de dernier organisme de sécurité sociale couvrant le risque maladie professionnel. » Statuant sur pourvoi de la CFE, par arrêt du 16 juillet 2020 (2e Civ., 16 juillet 2020, pourvoi n° 18-24.942⚖️), la Cour de cassation a cassé et annulé cette décision, mais seulement en ce qu'elle a infirmé le jugement en ce qu'il a dit que la majoration de rente sera versée directement par la caisse à la victime, en ce qu'il a dit que la majoration de capital sera versée directement par la Caisse des Français de l'étranger à la victime, dit que la somme de 12 000 euros allouée à la victime au titre de la réparation du préjudice moral subi, sera versée directement par la Caisse des Français de l'étranger et dit n'y avoir lieu de statuer sur la récupération des sommes versées par la Caisse des Français de l'étranger en l'absence de toute action récursoire de la caisse, La Cour de cassation a ainsi jugé que si les travailleurs salariés ou assimilés de nationalité française qui exercent leur activité dans un pays étranger et qui ne sont pas ou ne sont plus soumis à la législation française de sécurité sociale en vertu d'une convention internationale ou de l'article L. 761-2, ont la faculté de s'assurer volontairement, notamment, contre les risques d'accidents du travail et de maladies professionnelles, il résulte de l'article L. 762-8 du code de la sécurité sociale🏛, qui déroge au principe de l'application territoriale de la législation française de sécurité sociale, que la couverture des risques d'accidents du travail et de maladies professionnelles qu'il ouvre au travailleur expatrié qui y adhère, est limitée aux seules prestations prévues au titre de la législation professionnelle, à l'exclusion de l'indemnisation des conséquences de la faute inexcusable de l'employeur. Statuant sur renvoi après cassation, la cour d'appel de Rennes, par arrêt du 1 juin 2022, a : - confirmé le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Loire-Atlantique du 22 avril 2016 en ce qu'il a dit que la majoration (de la rente servie) sera versée directement à la victime par la caisse, - dit que cette majoration s'applique au montant du capital versé, - sursis à statuer sur la fixation du préjudice moral et le versement par la caisse de dommages et intérêts en réparation de ce préjudice, - invité la victime et la caisse, l'employeur s'il y a lieu, à conclure sur la portée de l'arrêt du 16 juillet 2020, sur la fixation du préjudice moral et le versement par la caisse primaire de dommages et intérêts en réparation de ce préjudice, - ordonné la radiation de l'affaire,

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- dit que la reprise d'instance est subordonnée au dépôt de ses conclusions par l'une des parties susvisées, la plus diligente d'entre elles, - ordonné la mise hors de cause de la Caisse des Français de l'étranger, - réservé la demande d'article 700 du code de procédure civile🏛 et les dépens La caisse s'est pourvue en cassation en faisant valoir, dans un premier moyen, que la cassation s'étendait au chef ayant reconnu la faute inexcusable, ordonné la majoration et admis le principe de l'indemnisation. Dans un second moyen, elle soutient qu'un salarié qui exerce son activité professionnelle à l'étranger ne relève pas de la législation française de sécurité sociale, de sorte que la cour d'appel ne pouvait mettre à sa charge des sommes en application de l'article D. 461-24 du code de la sécurité sociale🏛, qui répartit les compétences entre les caisses auxquelles l'assuré a été successivement affilié. S'agissant du premier moyen, le chef du dispositif de l'arrêt de la cour d'appel du 26 septembre 2018 ayant confirmé le jugement en ce qu'il a « dit que la maladie professionnelle dont [la victime] est atteinte est due à la faute inexcusable de la société » ne me semble pas être atteint par la cassation dans la mesure où il ne porte que sur la faute de l'employeur et non sur la prise en charge par la caisse. En revanche, le chef du dispositif ayant « fixé au taux maximum la majoration de rente » servie à la victime, présente un lien de dépendance nécessaire avec l'obligation à paiement de la caisse. En tout état de cause, le premier moyen est indissociable du second, sur lequel portera cet avis. Il s'agit dès lors de déterminer si le régime de la faute inexcusable est applicable au salarié expatrié qui a souscrit une assurance volontaire accidents du travail et maladies professionnelles auprès de la CFE, mais qui a été exposé alors qu'il était assuré en France.

2. Aux termes de l'article L. 111-1 du code de la sécurité sociale🏛, dans sa version en vigueur du 26 décembre 2001 au 1er janvier 2016 : « L'organisation de la sécurité sociale est fondée sur le principe de solidarité nationale. Elle garantit les travailleurs et leur famille contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain. Elle couvre également les charges de maternité, de paternité et les charges de famille. Elle assure, pour toute autre personne et pour les membres de sa famille résidant sur le territoire français, la couverture des charges de maladie, de maternité et de paternité ainsi que des charges de famille. Cette garantie s'exerce par l'affiliation des intéressés et le rattachement de leurs ayants droit à un (ou plusieurs) régime(s) obligatoire(s). Elle assure le service des prestations d'assurances sociales, d'accidents du travail et maladies professionnelles, des allocations de vieillesse ainsi que le service des prestations familiales dans le cadre des dispositions fixées par le présent code. »

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Il sera relevé que cet article, dans sa version actuelle, prévoit un critère de rattachement à la sécurité sociale française par l'exercice d'une activité professionnelle ou la résidence en France de façon stable et régulière. Il s'agit de ce qu'on peut appeler le principe de territorialité de la loi de sécurité sociale : pour pouvoir être affilié et bénéficier de prestations de sécurité sociale, il faut soit résider, soit travailler en France. Une dérogation est prévue à ce principe en matière d'expatriation. En effet, le Français expatrié travaillant à l'étranger relève normalement de la loi de sécurité sociale de son pays d'accueil. Il peut toutefois bénéficier des dispositions de l'article L. 762-1 du code de la sécurité sociale🏛 souscrire aux assurances volontaires du régime des expatriés géré par la caisse des Français à l'étranger (CFE), à titre complémentaire et facultatif. Il a ainsi la possibilité d'adhérer à l'assurance-maladiematernité-paternité, l'assurance invalidité accidents du travail, maladies professionnelles, à l'assurance vieillesse ainsi qu'aux régimes complémentaires de l'ARRCO et de l'ARGIC. Il a toutefois été jugé, dans l'arrêt du 16 juillet 2020, que la couverture des risques d'accidents du travail et de maladies professionnelles était limitée aux seules prestations prévues au titre de la législation professionnelle, à l'exclusion de l'indemnisation des conséquences de la faute inexcusable de l'employeur. En l'espèce, devant la cour d'appel, la victime se prévalait de la cotisation par son employeur au risque « accidents du travail » auprès de la CPAM, s'agissant des missions effectuées dans les eaux territoriales françaises. La cour d'appel a considéré implicitement dans sa motivation que la victime avait été exposée au risque alors qu'elle travaillait pour l'employeur en partie sur le territoire français, avant son expatriation (page 5 de l'arrêt). Dès lors, à la suite de l'arrêt du 16 juillet 2020, deux solutions sont envisageables : - La première, qui est soutenue par la caisse, est qu'un salarié expatrié, affilié à la CFE à la date de la première constatation médicale, ne pourra jamais bénéficier du régime spécifique d'indemnisation des conséquences de la faute inexcusable de l'employeur, que la maladie ait été contractée alors qu'il était assuré social en France ou lors de son expatriation. Dans ce cas de figure, la victime devra engager une action contre son employeur sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile contractuelle (Soc., 7 décembre 2011, n° 10-22.875⚖️). - La seconde solution, qui est celle retenue par la cour d'appel, est que l'impossibilité de bénéficier du régime de la faute inexcusable doit se limiter aux maladies professionnelles contractées lors de l'expatriation. Il en résulte que si la victime expatriée a été exposée alors qu'elle travaillait et était affiliée en France, elle peut, dans ce cas de figure spécifique, être indemnisée par le régime de la faute inexcusable.

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3. Dans la présente affaire, il me semble donc nécessaire de tenir compte du fait que la victime, expatriée, a été assurée à un régime de sécurité sociale français, avant son expatriation (la CPAM), pendant son expatriation (la CFE) et après son expatriation (la CPAM). L'application de l'article D. 461-24 du code de la sécurité sociale par la cour d'appel me semble dès lors pertinente. En effet, cet article, depuis transféré à l'article D. 461-7 du même code🏛, dispose que dans le cas où, à la date de la première constatation médicale, « la victime n'est plus affiliée à une caisse primaire ou à une organisation spéciale couvrant les risques mentionnés au présent livre, les prestations et indemnités sont à la charge de la caisse ou de l'organisation spéciale à laquelle la victime a été affiliée en dernier lieu, quel que soit l'emploi alors occupé par elle. » Si aux termes de l'arrêté du 9 mai 1988 portant approbation des statuts de la CFE, cette dernière est assimilée à une caisse du régime général de la sécurité sociale, on ne peut toutefois considérer qu'il s'agit d'une caisse primaire, au vu de l'arrêt rendu le 16 juillet 2020. La victime n'était donc plus affiliée, à la date de la première constatation médicale, à une caisse primaire ou une organisation spéciale couvrant les risques mentionnés au livre IV. Toutefois, elle était bien à cette date affiliée à une caisse française, du fait de son adhésion volontaire à la CFE. En effet, ainsi qu'il a été rappelé dans l'arrêt du 16 juillet 2020, l'article L. 762-1 du code de la sécurité sociale met en place un régime dérogatoire à l'application territoriale de la législation française de sécurité sociale : il permet notamment à un travailleur, qui ne travaille ni ne réside en France, de bénéficier de la sécurité sociale française. Il sera par ailleurs relevé que l'instance en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur a été initiée alors que la victime était de nouveau affiliée à la CPAM. L'on voit mal comment refuser le bénéfice du régime de la faute inexcusable à une victime qui, au moment de l'exposition, était affiliée en France à un régime de sécurité sociale française, et qui, à la date de la première constatation médicale, était également affiliée à une caisse, la CFE, assimilée à une caisse du régime général. Par ailleurs, l'adhésion à la CFE a justement pour objectif de permettre à toute personne résidant à l'étranger de conserver l'équivalent des prestations de la sécurité sociale française. Il y a donc lieu de différencier la victime qui a été exclusivement exposée à la maladie professionnelle durant son expatriation, alors qu'elle était couverte par la CFE, qui ne couvre pas la faute inexcusable, et la victime qui a été exposée à la maladie professionnelle alors qu'elle travaillait et était affilée en France, mais dont la première constatation ne s'est révélée que postérieurement, alors qu'elle était expatriée.

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Au vu de ces éléments, je suis au rejet du second moyen. AVIS DE REJET

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