Jurisprudence : Cass. civ. 2, 16-02-2023, n° 21-16.229, F-D, Cassation

Cass. civ. 2, 16-02-2023, n° 21-16.229, F-D, Cassation

A45679DI

Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2023:C200172

Identifiant Legifrance : JURITEXT000047233598

Référence

Cass. civ. 2, 16-02-2023, n° 21-16.229, F-D, Cassation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/93320871-cass-civ-2-16022023-n-2116229-fd-cassation
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CIV. 2

CM


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 février 2023


Cassation


M. PIREYRE, président


Arrêt n° 172 F-D

Pourvoi n° Z 21-16.229


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 FÉVRIER 2023


La société [3], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Z 21-16.229 contre l'arrêt rendu le 12 mars 2021 par la cour d'appel d'Amiens (2e chambre, protection sociale et du contentieux de la tarification), dans le litige l'opposant à la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail de Normandie, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.


Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Renault-Malignac, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société [3], de la SCP Gatineau, Aa et Rebeyrol, avocat de la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail de Normandie, et l'avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 janvier 2023 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Renault-Malignac, conseiller rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Catherine, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 12 mars 2021), M. [F] (la victime), employé en dernier lieu au service de la société [3] (la société), du 26 août 1968 au 31 octobre 2003, a déclaré, le 9 juillet 2019, une affection consécutive à l'inhalation de poussières d'amiante qu'une caisse primaire d'assurance maladie a prise en charge, au titre de la législation professionnelle.

2. La caisse d'assurance retraite et de la santé au travail de Normandie (la CARSAT) ayant imputé au compte employeur d'un des établissements de la société les dépenses afférentes à la maladie professionnelle de la victime, la société a saisi d'un recours la juridiction de la tarification en demandant leur retrait et l'inscription de ces dépenses au compte spécial, en application des 3° et 4° de l'article 2 de l'arrêté du 16 octobre 1995🏛.


Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

3. La société fait grief à l'arrêt de rejeter son recours, alors « qu'en cas de contestation judiciaire, il incombe à la CARSAT d'établir que le dernier employeur auquel elle entend tarifer la maladie professionnelle a exposé la victime au risque à l'origine de sa maladie ; qu'en déboutant la société [3] de son recours au motif : « qu'il incombe à l'employeur de démontrer qu'il n'a effectivement pas exposé son salarié au risque de sa maladie », la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en dispensant la CARSAT d'avoir à établir que la victime avait été exposée au risque chez son dernier employeur en violation des articles R. 441-11, R. 441-13, R. 441-14, D. 242-6-1, D. 242-6-5 et D. 242-6-7 du code de la sécurité sociale, ensemble de l'article 2, 3°, de l'arrêté du 16 octobre 1995🏛🏛 et de l'article 1353 du Code civil🏛. »


Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

4. La CARSAT conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il ne serait pas compatible avec la position prise par la société dans ses conclusions.

5. Cependant, d'une part, la société contestait que l'exposition de la victime au risque de la maladie lui soit imputable, d'autre part, la CARSAT soutenait qu'il incombait à la société de démontrer que son activité n'avait pas exposé la victime au risque de sa maladie.

6. Le moyen qui est de pur droit et qui n'est pas incompatible avec la thèse soutenue devant les juges du fond, est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 1353 du code civil🏛, D. 242-6-1, D. 242-6-4, D. 242-6-5, D. 242-6-7 du code de la sécurité sociale et 2, 3°, de l'arrêté interministériel du 16 octobre 1995, pris pour l'application de l'article D. 242-6-5 du code de la sécurité sociale🏛, ce dernier dans sa rédaction applicable au litige :

7. Il résulte du premier de ces textes que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et, réciproquement, que celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de l'obligation.

8. Aux termes du deuxième de ces textes, le taux de la cotisation due au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles est déterminé par établissement.

9. Selon le troisième, l'ensemble des dépenses constituant la valeur du risque est pris en compte par les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail dès que ces dépenses leur ont été communiquées par les caisses primaires, sans préjudice de l'application des décisions de justice ultérieures. Seules sont prises en compte dans la valeur du risque les dépenses liées aux accidents ou aux maladies dont le caractère professionnel a été reconnu.

10. Selon les quatrième et cinquième de ces textes, les dépenses engagées par les caisses d'assurance maladie par suite de la prise en charge de maladies professionnelles constatées ou contractées dans des conditions fixées par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale et du ministre chargé du budget ne sont pas comprises dans la valeur du risque mais sont inscrites à un compte spécial.

11. Selon le dernier, sont inscrites au compte spécial les dépenses afférentes à des maladies professionnelles constatées ou contractées lorsque la maladie a été constatée dans un établissement dont l'activité n'expose pas au risque, mais ladite maladie a été contractée soit dans une autre entreprise qui a disparu, soit dans un établissement relevant d'une autre entreprise qui a disparu ou qui ne relevait pas du régime général de sécurité sociale.

12. Lorsque l'employeur demande l'inscription au compte spécial des dépenses afférentes à une maladie professionnelle, en application de l'article 2, 3°, de l'arrêté interministériel du 16 octobre 1995, il appartient à la CARSAT qui a inscrit ces dépenses au compte de cet employeur, de rapporter la preuve que la victime a été exposée au risque de la maladie au sein de l'un de ses établissements. Dans le cas où cette preuve n'a pas été rapportée, il incombe à l'employeur de prouver que la maladie a été contractée soit dans une autre entreprise qui a disparu, soit dans un établissement relevant d'une autre entreprise qui a disparu ou qui ne relevait pas du régime général de sécurité sociale.

13. Pour rejeter le recours de la société, l'arrêt énonce que pour l'application de l'article 2, 3°, de l'arrêté du 16 octobre 1995🏛🏛, la charge de la preuve des deux conditions cumulatives prévues par ce texte incombe à la société, dernier employeur de la victime, qui doit notamment démontrer qu'elle n'a effectivement pas exposé la victime au risque de sa maladie. Il retient que cette preuve n'étant pas rapportée par les pièces produites aux débats, il n'y a pas lieu d'étudier celle relative à l'exposition au risque au sein d'une entreprise qui n'existe plus.

14. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés.


PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens, autrement composée ;

Condamne la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail de Normandie aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail de Normandie et la condamne à payer à la société [3] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé en l'audience publique du seize février deux mille vingt-trois par Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et signé par elle, en remplacement du président empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile🏛🏛. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société [3]

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que les conditions d'application de l'article 2, paragraphe 3 et paragraphe 4, de l'arrêté du 16 octobre 1995🏛 ne sont pas remplies, et d'avoir dit y avoir lieu de maintenir sur le compte employeur de la société [3] les conséquences financières de la maladie professionnelle de M. [F] ;

1. ALORS QUE la maladie doit être considérée comme contractée au service du dernier employeur chez lequel la victime a été exposée au risque ; qu'en cas de contestation judiciaire, il incombe aux juges de vérifier que la victime a été exposée au risque chez son dernier employeur ; qu'au cas présent, la société [3] demandait le retrait de son compte employeur des dépenses afférentes à l'affection de M. [F] au motif que le salarié n'avait pas été exposé au risque d'inhalation de poussières d'amiante au cours de sa carrière professionnelle en son sein, et que sa maladie résultait exclusivement de son exposition au risque pour le compte de la société [4] ; qu'elle soulignait que M. [F] avait expréssément indiqué à l'agent assermenté par la CARSAT qu'il n'avait pas été exposé à l'amiante lorsqu'il travaillait pour le compte de la société [3], ce qui avait été confirmé par l'enquête de la caisse et son médecin conseil ; qu'en déboutant cependant la société [3] de son recours au seul motif que l'exposition au risque chez le dernier employeur devait être présumée, sans rechercher si M. [F] avait effectivement été exposé au sein de la société [3], la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles R. 441-11, R. 441-13, R. 441-14, D. 242-6-1, D. 242-6-5 et D. 242-6-7 du code de la sécurité sociale, ensemble de l'article 2,3° de l'arrêté du 16 octobre 1995🏛🏛 ;

2. ALORS QU'en cas de contestation judiciaire, il incombe à la CARSAT d'établir que le dernier employeur auquel elle entend tarifer la maladie professionnelle a exposé la victime au risque à l'origine de sa maladie ; qu'en déboutant la société [3] de son recours au motif : « qu'il incombe à l'employeur de démontrer qu'il n'a effectivement pas exposé son salarié au risque de sa maladie », la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en dispensant la CARSAT d'avoir à établir que la victime avait été exposée au risque chez son dernier employeur en violation des articles R. 441-11, R. 441-13, R. 441-14, D. 242-6-1, D. 242-6-5 et D. 242-6-7 du code de la sécurité sociale, ensemble de l'article 2,3° de l'arrêté du 16 octobre 1995🏛🏛 et de l'article 1353 du Code civil🏛 ;

3. ALORS QU'il est fait interdiction au juge de dénaturer les documents produits aux débats ; que dans les procès-verbaux de l'enquête administrative menée par la CPAM produits aux débats, la victime avait, après avoir longuement exposé les conditions de travail au sein de la société [4], spontanément déclaré que : « Ensuite, j'ai travaillé dans la société [3] sur des fraiseuses et rectifieuses. Je n'ai pas été exposé au risque amiante dans cette Entreprise. Les murs de l'atelier étaient en agglo et peints en blanc » ; qu'en affirmant néanmoins qu' « en l'espèce, le seul document faisant état des conditions de travail de M. [F] quand il exerçait ses fonctions au sein de la société [3] est le questionnaire qu'elle a elle-même rempli et qu'elle a communiqué à la CPAM.», cependant qu'il résultait du témoignage du salarié consigné dans le rapport d'enquête administrative que ses conditions de travail au sein de la société [3] ne l'avait pas exposé au risque, en sorte que le questionnaire rempli par l'employeur n'était pas l'unique document faisant état de ses conditions de travail au sein de la société [3], la cour d'appel a dénaturé par omission cette pièce en violation du principe susvisé ;

4. ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE lorsque les conditions qui ont déterminé la prise en charge de la maladie professionnelle par la CPAM font apparaitre que le dernier employeur n'a pas exposé la victime au risque, la CARSAT ne saurait lui opposer une présomption d'exposition ; qu'au cas présent, la société [3] exposait que la CPAM avait décidé d'instruire la maladie sur le fondement de l'alinéa 3 de l'article L. 461-1 du Code de la sécurité sociale🏛 après avoir constaté que M. [F] avait cessé d'être exposé au risque en entrant à son service en 1968, en sorte que la condition tenant au délai de prise en charge n'était pas remplie ; que la caisse, sur avis de son médecin conseil, avait orienté la demande de prise en charge vers le CRRMP en justifiant expressément sa décision par le fait que l'exposition au risque avait cessé lors de son embauche par la société [3] ; qu'en déboutant la société [3] de son recours au motif que « la référence à la date de fin d'exposition dans le colloque médico-administratif, soit 1968, comprise dans l'ensemble des pièces de l'enquête administrative sur laquelle la CPAM, après avis du CRRMP, s'est basée pour opposer sa décision de prise en charge à la société [3] ne saurait constituer la preuve de la non-exposition au risque qu'il incombait à cette dernière de rapporter », cependant qu'il ressortait de ses constatations que les conditions qui avaient déterminé la prise en charge de la maladie professionnelle par la CPAM faisaient apparaitre que le dernier employeur n'avait pas exposé la victime au risque, la cour a violé les articles R. 441-11, R. 441-13, R. 441-14, D. 242-6-1, D. 242-6-5 et D. 242-6-7 du code de la sécurité sociale, ensemble de l'article 2,3° de l'arrêté du 16 octobre 1995🏛🏛.


SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que les conditions d'application de l'article 2, paragraphe 3 et paragraphe 4, de l'arrêté du 16 octobre 1995🏛 ne sont pas remplies, et d'avoir dit y avoir lieu de maintenir sur le compte employeur de la société [3] les conséquences financières de la maladie professionnelle de M. [F] ;

ALORS QUE l'article 2 de l'arrêté du 16 octobre 1995🏛 dispose que sont inscrites au compte spécial les dépenses relatives à la maladie prise en charge lorsque « la victime de la maladie professionnelle a été exposée au risque successivement dans plusieurs établissements d'entreprises différentes sans qu'il soit possible de déterminer celle dans laquelle l'exposition au risque a provoqué la maladie » ; que l'exposition chez un autre employeur est établie lorsque le caractère professionnel d'une maladie n'a pu être caractérisé qu'au regard de l'importance et de la durée de l'exposition du salarié chez un ou plusieurs employeurs précédents ; qu'il en va notamment ainsi lorsque la condition d'exposition au risque n'est regardée comme étant satisfaite qu'au regard de l'importance de l'exposition au risque du salarié chez un employeur précédent ; qu'au cas présent, la société [3] faisait valoir que la demande de prise en charge du mésothéliome de la plèvre dont avait été victime M. [F] avait été orientée par la CPAM vers un CRRMP en considération d'une exposition à l'amiante de 1960 à 1968 au sein de la société [4] ; que le caractère professionnel de l'affection n'avait donc pu être acquis qu'au regard de l'exposition au risque du salarié chez plusieurs employeurs ; qu'en estimant toutefois que la société [3] n'apportait pas la preuve de l'exposition au risque du salarié chez un employeur précédent sans rechercher, comme il lui était demandé, s'il ne résultait pas des conditions mêmes de prise en charge de l'affection de M. [F] que le caractère professionnel de l'affection ne pouvait être établi qu'au regard de l'importance et de la durée de l'exposition du salarié chez plusieurs employeurs successifs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2-4° de l'arrêté du 16 octobre 1995, ensemble les articles L. 461-1 du code de la sécurité sociale🏛 et le tableau de maladies professionnelles n°30.

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