Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 29-04-2025, n° 23-22.191

Cass. soc., Conclusions, 29-04-2025, n° 23-22.191

A45210QI

Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2025:SO00409

Identifiant Legifrance : JURITEXT000051553993

Référence

Cass. soc., Conclusions, 29-04-2025, n° 23-22.191. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/118790148-cass-soc-conclusions-29042025-n-2322191
Copier

Abstract

En cas de rupture du contrat de travail avec dispense ou impossibilité d'exécution d'un préavis par le salarié, la date à partir de laquelle celui-ci est tenu de respecter l'obligation de non-concurrence, la date d'exigibilité de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et la date à compter de laquelle doit être déterminée la période de référence pour le calcul de cette indemnité sont celles du départ effectif de l'entreprise. L'article L. 1226-4 du code du travail disposant qu'en cas de licenciement pour inaptitude consécutive à une maladie ou à un accident non professionnel, le préavis n'est pas exécuté et le contrat de travail est rompu à la date de notification du licenciement, il en résulte qu'en cas de licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement, l'employeur, s'il entend renoncer à l'exécution de la clause de non-concurrence, doit le faire au plus tard à la date du départ effectif du salarié de l'entreprise, nonobstant stipulations ou dispositions contraires, dès lors que le salarié ne peut être laissé dans l'incertitude quant à l'étendue de sa liberté de travailler

AVIS DE Mme ROQUES, AVOCATE GÉNÉRALE RÉFÉRENDAIRE

Arrêt n° 409 du 29 avril 2025 (FS-B) – Chambre sociale Pourvoi n° 23-22.191⚖️ Décision attaquée : Cour d'appel de Paris du 13 septembre 2023 SARL ADESIDEES C/ M. [K] [W] [O] _________________

M. [K] [W] [O] (le salarié), qui avait été engagé par la SARL ADESIDEES (l'employeur) en qualité de directeur artistique, dans le cadre d'un CDI, a saisi la juridiction prud'homale le 18 mai 2018 pour solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur et sa condamnation à lui régler diverses sommes. Il se disait victime de faits de harcèlement moral. Le 6 septembre 2018, le médecin du travail l'a déclaré inapte à son poste, précisant que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi. Il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement, le 27 septembre 2018. Par arrêt infirmatif en date du 13 septembre 2023, la cour d'appel de Paris a, notamment : - dit le licenciement du salarié nul, - condamné l'employeur à lui régler, entre autres, des dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité en matière de prévention et de traitement des situations de harcèlement moral, un rappel de salaire pour des heures supplémentaires et une somme à titre de contrepartie financière de l'obligation de non-concurrence. 1

C'est l'arrêt attaqué par l'employeur.

Je ne ferai pas de développements sur les trois premiers moyens du pourvoi puisque, tout comme Mme le rapporteur Ott le propose, je pense qu'ils peuvent faire l'objet d'un rejet non spécialement motivé, pour les motifs qu'elle expose dans son rapport. J'indiquerai simplement que, selon moi, la cour d'appel a suffisamment motivé en quoi le salarié était personnellement victime de faits de harcèlement moral qui étaient la cause de son licenciement pour inaptitude. Le quatrième et dernier moyen du pourvoi est relatif à la clause de non-concurrence contenu dans le contrat de travail. L'employeur conteste sa condamnation à régler une somme au titre de la contrepartie financière à l'obligation de non-concurrence. Il soutient que la cour d'appel ne pouvait lui reprocher d'avoir renoncé tardivement à cette clause, puisqu'il a respecté les délais impartis par le contrat de travail et a informé le salarié de sa renonciation à cette clause, 12 jours après son licenciement. Il estime donc que la cour d'appel a violé les articles 1134 du code civil🏛 et L. 1226-2-1 du code du travail🏛, issu de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016🏛. Depuis un arrêt du 22 juin 20111, la chambre a fixé à la date du « départ effectif » du salarié de l'entreprise le terme du délai dont dispose l'employeur pour renoncer à la clause de non-concurrence figurant dans un contrat de travail. La chambre a retenu cet événement puisqu'il s'agit de « la date à partir de laquelle [le salarié] est tenu de respecter l'obligation de non-concurrence, la date d'exigibilité de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et la date à compter de laquelle doit être déterminée la période de référence pour le calcul de cette indemnité ». Elle a aussi énoncé à plusieurs reprises que cette date devait être retenue « nonobstant stipulations ou dispositions contraires »2. Dans sa décision du 26 janvier 2022, la chambre explicite cette solution comme suit: « 9. Ces solutions se justifient par le fait que le salarié ne peut être laissé dans l'incertitude quant à l'étendue de sa liberté de travailler. » En effet, comme le rappelle M. Le professeur Lhernould, dans son commentaire de l'arrêt du 21 janvier 2015, « La solution repose sur des justifications solides visant à 1

Soc., 22 juin 2011, pourvoi n° 09-68.762⚖️, Bull. 2011, V, n° 160

2

Voir, en ce sens, Soc., 13 mars 2013, pourvoi n° 11-21.150⚖️, Bull. 2013, V, n° 72, Soc., 21 janvier 2015, pourvoi n° 13-24.471⚖️, Bull. 2015, V, n° 3,Soc., 2 mars 2017, pourvoi n° 15-15.405 et Soc., 26 janvier 2022, pourvoi n° 2015.755, arrêts cités au rapport

2

protéger les intérêts des deux parties. Dès lors qu'il a quitté effectivement l'entreprise, le salarié est en position de trouver un nouvel emploi et de faire concurrence à l'employeur. L'obligation contractuelle de non-concurrence doit donc produire effet à ce jour, avec toutes les conséquences que cela emporte : la liberté du travail du salarié est conventionnellement restreinte, ce qui est compensé par la contrepartie pécuniaire. Si l'employeur avait la faculté de renoncer à la clause au cours du préavis non exécuté, il y aurait une période pendant laquelle le salarié serait laissé dans l'incertitude quant à l'étendue de sa liberté de travailler et pourrait avoir à respecter son obligation de nonconcurrence alors qu'il serait finalement privé d'indemnités. La liberté du travail ne saurait supporter une telle atteinte que seule une juste compensation financière peut réparer. Parce que l'ordre public est en jeu, toute clause contraire est inefficace, ce qu'affirme la Cour de cassation dans la décision rapportée. »3 Il est vrai que, comme le souligne Mme le rapporteur Ott, cette solution n'a jamais été énoncée dans l'hypothèse d'un licenciement pour inaptitude avec impossibilité de reclassement. Toutefois, dans ce cas de figure et conformément aux dernier alinéa de l'article L. 1226-4 du code du travail🏛, le salarié n'accomplit pas de préavis et « le contrat de travail est rompu à la date de notification du licenciement. » Il y a donc lieu, à mon sens, de faire application de la solution déjà énoncée par la chambre, le 21 janvier 2015, au cas de dispense par l'employeur de l'exécution de préavis. En effet, et contrairement à ce qui est soutenu dans le mémoire complémentaire, retenir une solution autre reviendrait à opérer une distinction entre le salarié dispensé d'accomplir son préavis et celui qui ne peut le faire pour des raisons liées à son état de santé. Cette différence de traitement, reposant uniquement sur l'état de santé du salarié, pourrait constituer une discrimination directe, au sens de l'article L. 1132-1 du code du travail🏛 et de l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008🏛 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations4. Ainsi, la « date du départ effectif » du salarié doit être celle de la notification de son licenciement pour inaptitude avec impossibilité de reclassement. Dans notre espèce, la cour d'appel a retenu la date du 27 septembre 2008 qui est celle du « courrier recommandé » notifiant au salarié son licenciement pour inaptitude.

3

Article intitulé « Renonciation à la clause de non-concurrence en cas de dispense de préavis », Jurisprudence Sociale Lamy nº 384, 26 mars 2015 4

Texte qui dispose qu' « Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, [....] en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap [...] »

3

Il n'est pas contesté que l'employeur a renoncé à la clause de non-concurrence contenue dans le contrat de travail, le 8 octobre 2018. Elle a donc, à bon droit, estimé que le salarié était bien fondé à obtenir une contrepartie financière à l'obligation de non-concurrence à laquelle il a été soumis entre son départ effectif de l'entreprise le 27 septembre et la date à laquelle l'employeur l'en a libéré le 8 octobre. Pour toutes ces raisons, je suis d'avis de rejeter le pourvoi.

4

Agir sur cette sélection :

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus