TA Lille, du 15-07-2022, n° 1910125
A26828CC
Référence
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 28 novembre 2019 et les 12 février et 16 avril 2021, la commune de Béthune, représentée par Me Sabattier, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler l'ensemble contractuel qu'elle a conclu avec la société Q-Park France le 5 mars 2005 afin de lui déléguer la gestion du stationnement public de la ville, constitué d'un contrat commun, d'un contrat de délégation du service public de stationnement sur voirie, d'un contrat de concession pour la construction et l'exploitation du parc public de stationnement souterrain " Grand'Place " et d'un contrat d'affermage pour la rénovation et l'exploitation du parc public de stationnement souterrain " Georges Clémenceau " ;
2°) de mettre à la charge de la société Q-Park France une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable dès lors que le conseil municipal a délégué au maire son pouvoir pour intenter les actions en justice au nom de la commune ;
- le rapport du cabinet Gaudino, qui n'a pas été réalisé dans le cadre d'une expertise judiciaire, ne doit pas être écarté des débats ; les conclusions présentées en ce sens sont irrecevables et mal fondées ;
- l'ensemble contractuel la liant à la société Q-Park France est nul en raison, d'une part, des vices d'une particulière gravité ayant affecté sa conclusion, d'autre part, de l'illégalité des clauses du contrat commun ;
- le consentement de son assemblée délibérante a été vicié, lors de la conclusion de l'ensemble contractuel en litige, en raison des manuvres dolosives commises par son cocontractant ou, à tout le moins, par l'erreur excusable qu'elle a commise sur les qualités essentielles des prestations faisant l'objet du contrat ; les élus n'ont pas eu connaissance d'éléments déterminants sur les conséquences financières du contrat, faisant obstacle à ce qu'ils se prononcent de manière éclairée sur le choix du délégataire et sur la conclusion de l'ensemble contractuel ;
- l'article 3 du contrat commun est illicite en ce qu'il fixe à 30 ans la durée de la délégation de service public de stationnement sur voirie et celle du contrat d'affermage, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 1411-2 du code général des collectivités territoriales ;
- l'article 4.4 du contrat commun est illicite en ce qu'il l'oblige à verser à son cocontractant une contribution financière en méconnaissance des dispositions de l'article L. 2224-2 du code général des collectivités territoriales et de la réglementation européenne sur les aides d'Etat ;
- l'annulation des contrats en litige ne porte pas atteinte à l'intérêt général.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 9 juin 2020 et les 19 mars et 19 avril 2021, la société Q-Park France, représentée par Me Nguyen, conclut, dans le dernier état de ses écritures :
1°) à ce que le rapport du cabinet Gaudino soit écarté des débats ou, à défaut, qu'il soit enjoint à la commune de Béthune d'en produire les annexes ;
2°) au rejet de la requête ou, à défaut, à ce qu'un effet différé d'au moins un an soit fixé en cas d'annulation de l'ensemble contractuel en litige ;
3°) à ce que soit mis à la charge de la commune de Béthune la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête est irrecevable dès lors que la commune de Béthune ne justifie pas de la qualité de son maire pour ester en justice en son nom ;
- le rapport du cabinet Gaudino du 22 mars 2011, qui a été établi de manière non contradictoire au vu des seuls éléments fournis par la commune de Béthune, doit être écarté des débats ; à défaut, il doit être enjoint à la commune de produire l'intégralité des annexes de ce rapport ;
- l'exigence de loyauté des relations contractuelles fait obstacle à ce que la commune de Béthune, qui a exécuté le contrat depuis plus d'une quinzaine d'années, se prévale de vices de consentement ou du caractère illicite de son contenu ; ces vices lui seraient en outre exclusivement imputables ;
- aucune vice du consentement n'entache de nullité l'ensemble contractuel en litige ; elle n'a commis aucune manuvre dolosive ni cherché à tromper la commune de Béthune lors de sa conclusion ; l'insuffisante information du conseil municipal n'est pas établie ; aucune erreur entachant le consentement de la commune n'a été commise ;
- la durée de l'ensemble contractuel en litige est justifiée par la nécessité de financer les investissements relatifs à la construction d'un ouvrage et la rénovation des parcs existants ; les investissements initiaux ont été estimés à 11 495 000 euros hors taxe (HT) et les investissements effectivement réalisés s'élèvent à 13 665 058 euros ;
- les stipulations de l'article 4.4 du contrat commun ne méconnaissent pas les dispositions de l'article L. 2224-2 du code général des collectivités territoriales dès lors que ces dispositions ne sont applicables qu'aux services publics industriels et commerciaux (SPIC) ; en tout état de cause, cette contribution financière entre dans le cas visé au 1° de cet article ;
- le paiement de cette contribution financière ne suffit pas à exclure la qualification de délégation de service public à l'ensemble contractuel en litige ; elle supporte le risque d'exploitation des parcs de stationnement ;
- l'ensemble contractuel en litige ne prévoit l'octroi d'aucune aide d'Etat prohibée par le droit européen ;
- l'intérêt général s'oppose à l'annulation des contrats attaqués ; si l'ensemble contractuel devait être annulé, un effet différé d'au moins un an devrait alors être fixé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code civil ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A,
- les conclusions de Mme Stefanczyk, rapporteure publique,
- les observations de Me Sabattier, représentant la commune de Béthune, et celles de Me Nguyen, représentant la société Q-Park France.
1. Par une délibération du 3 février 2005, le conseil municipal de Béthune a décidé de confier à la société Q-Park France la gestion du stationnement public de la ville. A cette fin, la commune a conclu avec cette dernière, le 5 mars 2005, un ensemble contractuel composé d'un contrat commun, d'un contrat de délégation du service public de stationnement sur voirie, d'un contrat de concession pour la construction et l'exploitation du parc public de stationnement souterrain " Grand'Place " et d'un contrat d'affermage pour la rénovation et l'exploitation du parc public de stationnement souterrain " Georges Clémenceau ".
2. Par la présente requête, la commune de Béthune demande au tribunal d'annuler cet ensemble contractuel.
Sur la fin de non-recevoir :
3. Lorsqu'une partie est une personne morale, il appartient à la juridiction administrative saisie, qui en a toujours la faculté, de s'assurer, le cas échéant, que le représentant de cette personne morale justifie de sa qualité pour agir au nom de cette partie. Tel est le cas lorsque cette qualité est contestée sérieusement par l'autre partie ou qu'au premier examen, l'absence de qualité du représentant de la personne morale semble ressortir des pièces du dossier.
4. Aux termes de l'article L. 2132-1 du code général des collectivités territoriales : " Sous réserve des dispositions du 16° de l'article L. 2122-22, le conseil municipal délibère sur les actions à intenter au nom de la commune. ". Aux termes de l'article L. 2122-22 du même code : " Le maire peut, en outre, par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : / () / 16° D'intenter au nom de la commune les actions en justice ou de défendre la commune dans les actions intentées contre elle, dans les cas définis par le conseil municipal () ".
5. Il ressort des délibérations du conseil municipal de Béthune des 12 décembre 2017 et 27 mai 2020 que son maire s'est vu consentir par ce conseil une délégation afin, notamment, d'intenter au nom de la commune " les contentieux de pleine juridiction en matière contractuelle ". Le maire de Béthune ayant ainsi qualité pour agir au nom de la commune dans la présente instance, la fin de non-recevoir opposée sur ce point doit être écartée.
Sur la régularité du rapport du cabinet Gaudino :
6. Le respect du caractère contradictoire d'une expertise implique que les parties aient été mises à même de discuter devant l'expert des éléments de nature à exercer ensuite une influence sur les réponses aux questions débattues devant la juridiction saisie du litige. Lorsqu'une expertise est entachée d'une méconnaissance de ce principe ou lorsqu'elle a été ordonnée dans le cadre d'un litige distinct, ses éléments peuvent néanmoins, s'ils sont soumis au débat contradictoire en cours d'instance, être régulièrement pris en compte par le juge, soit lorsqu'ils ont le caractère d'éléments de pur fait non contestés par les parties, soit à titre d'éléments d'information dès lors qu'ils sont corroborés par d'autres éléments du dossier.
7. Il résulte de l'instruction que la commune de Béthune a commandé au cabinet Gaudino la réalisation d'un " audit " sur la situation financière de la ville et ce dernier, dans le cadre de cette mission, a rédigé un rapport dans lequel il analyse les conditions de la passation et de l'exécution de l'ensemble contractuel en litige. Si ce document a, dans le cadre de la présente instance, été soumis au débat contradictoire, la société défenderesse n'a néanmoins pas été mise à même de discuter devant ce cabinet de conseil en analyse économique les éléments qu'il a retenus pour conduire son évaluation. Dans ces conditions, ne pourront être pris en compte dans ce rapport que les éléments de pur fait non contestés par les parties ainsi que les éléments d'information corroborés par d'autres éléments du dossier.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
8. Les parties à un contrat administratif peuvent saisir le juge d'un recours de plein contentieux contestant la validité du contrat qui les lie. Il appartient alors au juge, lorsqu'il constate l'existence d'irrégularités, d'en apprécier l'importance et les conséquences, après avoir vérifié que les irrégularités dont se prévalent les parties sont de celles qu'elles peuvent, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, invoquer devant lui.
9. Il lui revient, après avoir pris en considération la nature de l'illégalité commise et en tenant compte de l'objectif de stabilité des relations contractuelles, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties, soit de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, la résiliation du contrat ou, en raison seulement d'une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, son annulation. Cette action est ouverte aux parties au contrat pendant toute la durée d'exécution de celui-ci.
En ce qui concerne la nature de l'ensemble contractuel en litige :
10. Il résulte de l'instruction que, par l'ensemble contractuel en litige, la commune de Béthune a délégué à la société Q-Park France la gestion du stationnement payant de la ville, que ce soit sur voirie ou en ouvrage. Cet ensemble comprend plusieurs contrats, à savoir un contrat de concession portant sur le financement, la conception, la réalisation et l'exploitation du parc de stationnement souterrain de la Grand'Place, un contrat d'affermage portant sur la rénovation, l'entretien et l'exploitation du parc de stationnement Clémenceau, un contrat portant sur la délégation du service de stationnement en voirie, qui prévoit l'installation d'équipements ainsi que l'exploitation de ces derniers, et un contrat commun chapeautant l'ensemble.
11. Cet ensemble contractuel, pensé pour répondre à un besoin unique de la commune de Béthune en matière de gestion du stationnement payant de la ville et qui a fait l'objet d'une même procédure de passation, s'inscrit dans un montage juridique cohérent et obéit à un équilibre économique global. Il constitue ainsi un ensemble contractuel indissociable.
En ce qui concerne les vices de consentement invoqués :
12. Ainsi qu'il a été dit, l'équilibre financier de l'ensemble contractuel en litige portant délégation du stationnement payant de la commune de Béthune a été conçu de façon globale, non contrat par contrat. L'article 4 du " contrat commun " expose à ce titre que la rémunération du délégataire est " constituée par les ressources que procure l'exploitation des parcs de stationnement et du stationnement payant sur voiries ", ressources " réputées permettre au délégataire d'assurer l'équilibre financier de la délégation dans des conditions normales de fréquentation ".
13. Les parties ayant ainsi convenu que le montant de ces ressources dépendait des conditions tarifaires de l'exploitation des parcs de stationnement et du taux de fréquentation de ces derniers, facteurs sur lesquels le délégataire n'a que peu de maîtrise, notamment en raison " de la modération des conditions tarifaires de service imposée par la Ville ", il a été convenu, à l'article 4.4 du contrat commun que, " si au titre d'un exercice, l'équilibre financier de la délégation () venait à être diminué par une baisse d'au moins 15% des recettes de stationnement payant sur voirie par rapport aux recettes prévisionnelles de voirie, lesquelles ont été calculées par le délégataire en fonction des recettes antérieures et des conditions de surveillance du stationnement payant sur voirie (), la Ville s'engage à verser une contribution financière " égale, " au-delà de la prise en charge par le délégataire d'un montant de 5% des recettes prévisionnelles de voirie, à 50% de la différence entre les recettes prévisionnelles de voirie et les recettes réelles de voirie () ". Il est précisé que les modalités de calcul de cette contribution financière éventuelle, dont le montant ne peut " excéder la somme annuelle de 300 000 euros HT (valeur octobre 2004) ", tiennent compte des recettes réelles générées par rapport aux recettes prévisionnelles au cours des cinq exercices précédents. En application de ces stipulations, et en raison de l'infériorité chronique des recettes réelles de stationnement sur voirie par rapport aux recettes prévisionnelles, il n'est pas contesté que la société Q-Park France a sollicité, de 2005 à 2018, le versement d'un montant total de 4 714 544 euros HT.
14. Face à cette situation, la commune de Béthune soutient que l'ensemble contractuel en litige est entaché de nullité en raison des vices de consentement ayant entaché sa conclusion, et invoque, d'une part, l'existence de manuvres dolosives l'ayant trompée sur les incidences financières de la délégation de service public conclue, tout particulièrement en ce qui concerne le montant de la contribution financière qu'elle serait amenée à verser en application de l'article 4.4 du contrat commun et, d'autre part, à tout le moins, l'erreur excusable commise sur ce dernier point, née de l'insuffisance des informations mises à sa disposition au terme de la procédure de passation de l'ensemble contractuel.
15. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que la société Q-Park France ait, par mensonge ou omission, caché les éléments sur lesquels elle s'est fondée pour l'élaboration de son offre, en particulier ceux l'ayant menée à l'évaluation des recettes prévisionnelles du stationnement en voirie. Au contraire, il résulte de l'instruction que la commune de Béthune avait connaissance des hypothèses, aussi exigeantes fussent-elles, soutenant ces prévisions de recettes. Il ressort à ce titre tant du rapport du cabinet Gaudino que de celui de la Chambre régionale des comptes que ces hypothèses, à savoir l'augmentation du nombre d'emplacements de stationnement en surface pour atteindre, dès 2005, une capacité de 1600 places et, dès 2006, une capacité de 1800 places, notamment par l'instauration d'un stationnement payant sur la place Foch, l'institution du stationnement payant de 8h30 à 18h30 du lundi au samedi inclus et le maintien d'une brigade spécifique d'un minimum de dix agents de surveillance de la voirie, étaient inscrites dans un document intitulé " prévisions des recettes de voirie " élaboré en décembre 2004 et joint aux pièces annexées à l'ensemble contractuel conclu. L'ensemble de ces hypothèses, auxquelles s'ajoutent l'augmentation progressive de la tarification horaire de la voirie dès 2008 et l'attractivité d'une halle aux produits frais devant être construite, qui devaient permettre l'augmentation des recettes de stationnement par rapport à leur montant existant avant la conclusion de l'ensemble contractuel, étaient ainsi connues du pouvoir adjudicateur lorsque celui-ci a fait le choix de retenir l'offre de la société Q-Park France. Par suite, il ne résulte pas de l'instruction que des manuvres dolosives puissent être reprochées à cette dernière.
16. Par ailleurs, ces circonstances ne révèlent pas tant une erreur dans le montant des recettes prévisionnelles du stationnement en voirie que le choix de la commune de Béthune de ne pas satisfaire les conditions qui auraient permis d'atteindre ce montant et qui ont été prises en compte par la société Q-Park lors de l'élaboration de son offre. En tout état de cause, contrairement à ce que soutient la commune de Béthune, il ne résulte pas de l'instruction que ses élus n'aient pas bénéficié d'une information leur permettant, lors de l'attribution de la délégation de service public à la société Q-Park France, de prendre une décision de manière éclairée. Si la collectivité requérante soutient, en s'appuyant sur les conclusions du rapport Gaudino, que le rapport d'analyse des offres des candidats à l'attribution de l'ensemble contractuel en litige, établi par les sociétés privées assistant la commune dans sa passation, aurait présenté de manière tronquée " les véritables incidences financières de l'offre présentée par la société Q-Park ", cette analyse du cabinet Gaudino, qui ne constitue pas un élément de pur fait, n'est corroborée par aucune autre pièce du dossier. Le même cabinet a, au demeurant, également indiqué que " tout démontre donc que la ville de Béthune se trouve dans une situation où les choix faits en toute connaissance de cause " conduisent à l'application de la clause prévue à l'article 4.4 du contrat commun, et au versement de la contribution financière qu'elle prévoit. En outre, il ressort tant de ce rapport que des motifs de la délibération du 3 février 2005 par laquelle le conseil municipal de Béthune a décidé d'attribuer l'ensemble contractuel en litige à la société défenderesse que les élus ont disposé, à cette occasion, d'informations sur les éléments déterminants des contrats devant être ainsi conclus, en particulier sur le montant des investissements à réaliser et sur le financement de ces derniers, ainsi que sur l'existence de la clause contractuelle 4.4 du contrat commun relative à la contribution financière devant être versée par la commune en cas de différence entre les recettes réelles du stationnement en voirie et les recettes prévisionnelles telles que mentionnées dans le compte d'exploitation prévisionnel joint aux contrats, lequel, ainsi qu'il a été dit, précisait les hypothèses sur la base desquelles ces prévisions de recettes avaient été réalisées.
17. Dans ces circonstances, la commune de Béthune n'est pas fondée à invoquer l'existence de manuvres dolosives ou d'erreurs ayant vicié son consentement lors de la conclusion de l'ensemble contractuel en litige.
En ce qui concerne la licéité du contenu de l'ensemble contractuel en litige :
S'agissant de la durée de l'ensemble contractuel :
18. Aux termes de l'article 40 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, applicable au litige, codifié à l'article L. 1411-2 du code général des collectivités territoriales : " Les conventions de délégation de service public doivent être limitées dans leur durée. Celle-ci est déterminée par la collectivité en fonction des prestations demandées au délégataire. Lorsque les installations sont à la charge du délégataire, la convention de délégation tient compte, pour la détermination de sa durée, de la nature et du montant de l'investissement à réaliser et ne peut dans ce cas dépasser la durée normale d'amortissement des installations mises en œuvre. Dans le domaine de l'eau potable, de l'assainissement, des ordures ménagères et autres déchets, les délégations de service public ne peuvent avoir une durée supérieure à vingt ans sauf examen préalable par le directeur départemental des finances publiques, à l'initiative de l'autorité délégante, des justificatifs de dépassement de cette durée. Les conclusions de cet examen sont communiquées aux membres de l'assemblée délibérante compétente avant toute délibération relative à la délégation. ".
19. Il résulte de ces dispositions que la durée normale d'amortissement des installations susceptible d'être retenue par une collectivité délégante peut être la durée normalement attendue pour que le délégataire puisse couvrir ses charges d'exploitation et d'investissement, compte tenu des contraintes d'exploitation liées à la nature du service et des exigences du délégant, ainsi que de la prévision des tarifs payés par les usagers, que cette durée coïncide ou non avec la durée de l'amortissement comptable des investissements. De plus, le point de départ de l'amortissement étant la date d'achèvement des investissements et de mise en service de l'ouvrage, il convient, afin d'évaluer la durée maximale de la délégation, d'ajouter le temps nécessaire à la réalisation de ces investissements à leur durée normale d'amortissement
20. Aux termes de l'article 3 du contrat commun, les différents contrats composant l'ensemble contractuel en litige ont une durée de 30 ans. La commune de Béthune soutient que cette durée est excessive, au sens des dispositions précitées de l'article L. 1411-2 du code général des collectivités territoriales, en ce qui concerne le contrat d'affermage portant sur la rénovation et l'exploitation du parc de stationnement souterrain " Clémenceau " et le contrat de délégation du service public de stationnement sur voirie, les investissements à réaliser en application de ces deux contrats s'élevant, respectivement, à hauteur de 500 000 euros HT et de 906 000 euros HT, ce qui ne justifierait pas la durée d'exploitation contractuellement prévue.
21. Toutefois, il résulte de ce qui a été développé aux points 10 et 11, et il n'est pas sérieusement contesté, que l'ensemble contractuel en litige a le caractère d'un ensemble contractuel indissociable, en raison tout particulièrement de l'équilibre économique sur lequel il a été bâti, qui a été pensé globalement, en fonction des investissements, des recettes et des charges prévisionnelles de l'ensemble des contrats contestés. Il est ainsi rappelé à l'article 3 du contrat commun que " la durée de 30 est la durée normale d'amortissement de l'ensemble des investissements mis à la charge du Délégataire dans le cadre de l'ensemble contractuel pour la globalisation du stationnement sur et hors voirie ".
22. Il suit de là que le respect des dispositions citées au point 18 ne saurait être apprécié qu'à l'aune de l'ensemble contractuel attaqué, non au regard de chacun des éléments qui le compose. A ce titre, il ne résulte pas de l'instruction, et il n'est pas allégué que, compte tenu du montant des investissements initiaux, soit 11 495 000 euros, de la nature des ouvrages à exploiter et des hypothèses de fréquentation de ceux-ci, des contraintes d'exploitation imposées, des exigences du délégant en matière de limitation des tarifs, des modalités de financement des travaux par le délégataire, de ses charges prévisibles d'exploitation, évalués à 21 474 000 euros, et de la nécessité de dégager une marge raisonnable, la durée de 30 années serait excessive. Le moyen soulevé à ce titre doit donc être écarté.
S'agissant de la contribution financière prévue à l'article 4.4 du contrat commun :
Quant au moyen tiré de la méconnaissance du principe d'équilibre financier :
23. Aux termes de l'article L. 2224-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa version applicable au présent litige : " Les budgets des services publics à caractère industriel ou commercial exploités en régie, affermé ou concédés par les communes, doivent être équilibrés en recette et en dépenses ". Aux termes de l'article L. 2224-2 du même code : " Il est interdit aux communes de prendre en charge dans leur budget propre des dépenses au titre des services publics visés à l'article L. 2224-1. / Toutefois, le conseil municipal peut décider une telle prise en charge lorsque celle-ci est justifiée par l'une des raisons suivantes : / 1° Lorsque les exigences du service public conduisent la collectivité à imposer des contraintes particulières de fonctionnement ; / 2° Lorsque le fonctionnement du service public exige la réalisation d'investissements qui, en raison de leur importance et eu égard au nombre d'usagers, ne peuvent être financés sans augmentation excessive des tarifs ; / () / La décision du conseil municipal fait l'objet, à peine de nullité, d'une délibération motivée. Cette délibération fixe les règles de calcul et les modalités de versement des dépenses du service prises en charge par la commune, ainsi que le ou les exercices auxquels elles se rapportent. En aucun cas, cette prise en charge ne peut se traduire par la compensation pure et simple d'un déficit de fonctionnement. ".
24. Il résulte des dispositions précitées des articles L. 2224-1 et L. 2224-2 du code général des collectivités territoriales qu'une collectivité ne peut, en principe, subventionner un service public industriel ou commercial ou prendre en charge une partie de ses dépenses. Il ne peut être fait exception à cette règle que dans les cas limitativement énumérés à l'article L. 2224-2, au nombre desquels figurent l'hypothèse où le fonctionnement du service public exige la réalisation d'investissements qui, en raison de leur importance et eu égard au nombre d'usagers, ne peuvent être financés sans augmentation excessive des tarifs. Il appartient à tout service industriel et commercial intercommunal, quel que soit son mode de gestion, d'équilibrer son budget en recettes et en dépenses. Il incombe notamment au service de prendre en charge sur ses ressources propres, à l'exclusion de toute subvention d'équilibre versée par la collectivité territoriale dont il relève, les déficits qui pourraient résulter tant d'impayés antérieurs que de dépenses d'investissement.
25. En l'espèce, il ressort des stipulations de l'article 4.4 du contrat commun que la commune de Béthune, en raison de " l'importance de l'investissement " mis à la charge du délégataire et de " la modération des conditions tarifaires de service imposées par la Ville ", s'est engagée à verser à celui-ci une contribution financière égale, " au-delà de la prise en charge par le délégataire d'un montant de 5% des recettes prévisionnelles de voirie, à 50% de cette différence, étant précisée que pour le calcul, les recettes réelles de voirie seront augmentées des recettes réelles supplémentaires générées par les parcs de stationnement par rapport aux recettes prévisionnelles des parcs, à la condition qu'au cours des 5 exercices précédents, le cumul des recettes réelles des parcs de stationnement soit supérieur ou égal au cumul des recettes prévisionnelles desdits parcs sur la même période. ". Cette contribution est plafonnée à 300 000 euros HT (valeur octobre 2004).
26. En application de ces stipulations de l'article 4.4, la commune de Béthune a été amenée à verser à son délégataire, chaque année depuis 2005, une contribution financière, pour un montant total, arrêté en 2018, de 4 714 544 euros HT. La commune de Béthune soutient en conséquence que les stipulations précitées de l'article 4.4 du contrat commun méconnaissent les dispositions de l'article L. 2224-2 du code général des collectivités territoriales.
27. Toutefois, s'il est constant que l'ensemble contractuel en litige concerne à la fois le stationnement payant sur voirie, qui constitue un service public administratif, et le stationnement payant en ouvrage, qui présente, quant à lui, le caractère d'un service public industriel ou commercial, le mode de calcul de la contribution contestée n'implique pas la compensation systématique des déficits de fonctionnement de ce service public industriel ou commercial, mais la diminution du risque, supporté par le délégataire, de ne pas amortir le montant des investissements mis à sa charge, compte tenu de l'importance de ces derniers et de l'absence de maîtrise des tarifs appliqués aux usagers, qui relèvent de la seule compétence de la collectivité. Il n'est donc pas établi que la contribution financière en litige induirait la prise en charge, par la commune de Béthune, d'une dépense de fonctionnement d'un service public industriel ou commercial prohibée par les articles L 2224-1 et L 2224-2 du code général des collectivités territoriales. En tout état de cause, alors qu'il n'est pas contesté que " l'équilibre financier global de la délégation () est étroitement dépendant du stationnement payant sur voirie ", il n'est pas davantage établi que les investissements mis à la charge du délégataire pourraient, en cas d'insuffisance des recettes réelles par rapport aux recettes prévisionnelles du stationnement payant sur voirie et en l'absence de la contribution financière contestée, être financés sans hausse excessive des tarifs appliqués aux usagers. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions citées au point 23 doit donc être écarté.
Quant au moyen tiré du non-respect de la législation relative aux aides d'Etat :
28. Aux termes de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. () ". Selon le paragraphe 3 de l'article 108 du même traité : " La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l'article 107, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale. ". Il résulte de ces stipulations que, s'il ressort de la compétence exclusive de la Commission de décider, sous le contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne, si une aide de la nature de celles visées par l'article 107 du traité est ou non, compte tenu des dérogations prévues par le traité, compatible avec le marché commun, il incombe, en revanche, aux juridictions nationales de sanctionner, le cas échéant, l'invalidité des dispositions de droit national qui auraient institué ou modifié une telle aide en méconnaissance de l'obligation, qu'impose aux Etats membres la dernière phrase du paragraphe 3 de l'article 108 du traité, d'en notifier à la Commission, préalablement à toute mise à exécution, le projet. L'exercice de ce contrôle implique, notamment, de rechercher si les dispositions contestées ont institué des aides d'Etat au sens de l'article 107 du traité.
29. Par un arrêt du 24 juillet 2003 Altmark Trans GmbH (C-280/00), la Cour de justice des Communautés européennes a jugé que des subventions représentant la contrepartie des prestations effectuées par des entreprises pour exécuter des obligations de service public ne constituaient pas des aides d'Etat, à condition de remplir les quatre conditions cumulatives suivantes. Premièrement, l'entreprise bénéficiaire a effectivement été chargée de l'exécution d'obligations de service public et ces obligations ont été clairement définies. Deuxièmement, les paramètres sur la base desquels est calculée la compensation ont été préalablement établis de façon objective et transparente, afin d'éviter qu'elle comporte un avantage économique susceptible de favoriser l'entreprise bénéficiaire par rapport à des entreprises concurrentes. Troisièmement, la compensation ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l'exécution des obligations de service public, en tenant compte des recettes qui y sont relatives ainsi que d'un bénéfice raisonnable. Quatrièmement, lorsque le choix de l'entreprise chargée de l'exécution d'obligations de service public n'est pas effectué dans le cadre d'une procédure de marché public au sens des conventions soumises aux règles communautaires de publicité et de mise en concurrence, permettant de sélectionner le candidat capable de fournir ces services au moindre coût pour la collectivité, le niveau de la compensation nécessaire a été déterminé sur la base d'une analyse des coûts qu'une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, aurait encourus pour exécuter ces obligations, en tenant compte des recettes qui y sont relatives ainsi que d'un bénéfice raisonnable pour l'exécution de ces obligations.
30. En premier lieu, il ne résulte pas de l'instruction que les documents de la consultation n'indiquaient pas de manière suffisamment précise les obligations de service public mises à la charge du futur concessionnaire ni que le choix de l'entreprise chargée de l'exécution de ces obligations n'aurait pas été effectué dans le cadre d'une procédure de marché public, au sens des conventions soumises aux règles communautaires de publicité et de mise en concurrence, lors de laquelle les mérites des candidats ont pu être comparés.
31. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient la commune de Béthune, les modalités de calcul du montant de l'indemnité versée en application des stipulations de l'article 4.4 du contrat commun sont clairement précisées par ce contrat.
32. En dernier lieu, il résulte de l'instruction que l'exécution de l'ensemble contractuel en litige implique des investissements conséquents et la contribution financière en litige, dont le versement n'est dû qu'en cas de différence entre les recettes prévisionnelles du stationnement payant sur voirie et les recettes réelles, n'a pas pour objet de financer cette différence dans son intégralité. Enfin, ainsi qu'il a été dit précédemment, il ne résulte pas de l'instruction que la durée de la concession litigieuse soit supérieure à ce qui était nécessaire pour assurer l'amortissement des investissements faits par le concessionnaire. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que la compensation financière versée par la commune de Béthune dépasserait ce qui est nécessaire pour couvrir une partie des coûts occasionnés par l'exécution des obligations de service public.
33. Dans ces conditions, les critères posés par l'arrêt Altmark sont satisfaits, de telle sorte que la contribution financière litigieuse, représentant la contrepartie des prestations effectuées par le titulaire pour exécuter des obligations de service public, ne présentent pas le caractère d'une aide d'Etat. La commune de Béthune n'est donc pas fondée à invoquer la méconnaissance des stipulations de l'article 7 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
34. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Béthune n'est pas fondée à demander l'annulation de l'ensemble contractuel en litige.
Sur les frais liés au litige :
35. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Q-Park France, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune de Béthune demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la collectivité précitée une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société requérante et non compris dans les dépens.
Article 1er : La requête de la commune de Béthune est rejetée.
Article 2 : La commune de Béthune versera à la société Q-Park France une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la commune de Béthune et à la société Q-Park France.
Délibéré après l'audience du 24 juin 2022, à laquelle siégeaient :
M. Marjanovic, président,
M. Vandenberghe premier conseiller,
M. Caustier, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 juillet 2022.
Le rapporteur,
Signé
G. A
Le président,
Signé
V. MARJANOVIC
La greffière,
Signé
D. WISNIEWSKI
La République mande et ordonne au préfet du Pas-de-Calais en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N°1910125
Arrêt, Altmark Ensemble contractuel Contrat de délégation de service public Contrat de concession Exploitation d'un parc de stationnement Parc public de stationnement Parc de stationnement souterrain Contrat d'affermage Expertise Vice d'une particulière gravité Co-contractants Conséquence financière Durée de la délégation Contributions sociales Effet différé Exigences de loyauté Relation contractuelle Vice du consentement Construction Services publics industriels Aide d'etat Durée de mandat Contentieux de pleine juridiction Caractère contradictoire Exercice d'une influence Parties à un contrat administratif Validité d'un contrat Poursuite de l'exécution du contrat possible Mesure de régularisation Atteinte excessive à l'intérêt général Résiliation du contrat administratif Don d'un consentement Durée d'exécution Entretien Installations d'équipements Équilibre économique Prise en charge Versement du montant Service public conclue Stationnement payant Tarification Pouvoirs adjudicateurs Satisfaction d'une condition Attribution de délégation de service public Contrat Clause contractuelle Conventions de délégation de service public Durée d'amortissement Domaine de l'eau Examen préalable Finances publiques Collectivité délégante Couverture des charges d'exploitation Durée excessive Modalités de financement Caractère industriel ou commercial Exigences du service public Délibération motivée Dépenses des services Compensation d'un déficit Exception aux règles Modalités de gestion Ressources propres Service public Diminution Marché intérieur Échanges entre les etats Compétence exclusive Marché commun Obligations du service public Entreprise bénéficiaire Entreprise concurrente Réglementation communautaire Durée de la concession Compensation financière