TA Rouen, du 20-10-2022, n° 1902263
A26548QD
Référence
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 14 juin 2019, 13 mai 2020, 19 février 2021, 19 mars 2021 et 19 novembre 2021, un mémoire récapitulatif de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative🏛, enregistré le 1er décembre 2021, et des nouveaux mémoires enregistrés les 28 décembre 2021 et 28 avril 2022, M. F D, représenté par la SCP Jégu et Associés, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :
1) de condamner le centre hospitalier intercommunal Eure - Seine à lui verser la somme totale de 664 905 euros, ainsi que les intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de sa requête et la capitalisation de ces intérêts en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi consécutivement à la dégradation de son état de santé dont il souffre et qu'il impute à une vaccination effectuée le 19 janvier 2005 ;
2) à titre subsidiaire de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à lui verser la même somme, au titre de la solidarité nationale ;
3) de condamner le centre hospitalier intercommunal Eure - Seine ou à titre subsidiaire l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales aux dépens et de mettre à la charge de l'un des deux la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Il soutient que :
- le centre hospitalier intercommunal Eure - Seine est responsable de l'utilisation d'un produit - en l'espèce un vaccin - défaillant ;
- sur le fondement de la jurisprudence dite " Marzouk ", il apporte un faisceau d'éléments suffisants de nature à faire présumer que son état de santé est imputable à la vaccination dont il a fait l'objet le 19 janvier 2005.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 20 décembre 2019 et 9 décembre 2020, puis un mémoire récapitulatif enregistré le 22 décembre 2021, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par la SELARL Birot Ravaut et associés, conclut au rejet de la requête, à sa mise hors de cause et indique s'en remettre à la sagesse du tribunal s'agissant des dépens.
Il fait valoir que les dommages subis par M. D ne sont pas imputables aux vaccinations réalisées le 19 janvier 2005.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 4 mai 2020 et 8 mars 2021, un mémoire récapitulatif enregistré le 21 décembre 2021 et un mémoire enregistré le 9 mai 2022, le centre hospitalier intercommunal Eure - Seine, représenté par la SCP Emo Avocats conclut, dans le dernier état de ses écritures :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce que la SAS Laboratoire GlaxoSmithKline soit condamnée à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;
3°) à ce que la demande de frais de procès présentée par la société dont il s'agit soit rejetée.
Il fait valoir que :
- les dommages subis par M. D ne sont pas imputables aux vaccinations réalisées le 19 janvier 2005 ;
- en sa qualité de fabricant du vaccin en cause, la SAS Laboratoire GlaxoSmithKline est tenue de le garantir.
Par un mémoire enregistré le 1er avril 2022, la SAS Laboratoire GlaxoSmithKline, représentée par Me Robert, conclut au rejet de l'appel en garantie formé à son encontre, à sa mise hors de cause et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge du centre hospitalier intercommunal Eure - Seine sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Il fait valoir que :
- les dommages subis par M. D ne sont pas imputables aux vaccinations réalisées le 19 janvier 2005 ;
- l'obligation dont elle est débitrice, à la supposer établie, est prescrite.
Par une ordonnance du 29 avril 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 31 mai 2022.
Un mémoire, présenté pour l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, a été enregistré le 23 septembre 2022.
L'ensemble de la procédure a été communiqué à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil🏛 ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mulot, premier conseiller ;
- les conclusions de Mme Cazcarra, rapporteure publique ;
- les observations de Me Jégu, avocat de M. D ;
- les observations de Me Gillet, avocate du centre hospitalier intercommunal Eure - Seine ;
- et les observations de Me Védadi, avocate de la SAS Laboratoire GlaxoSmithKline.
1. Il résulte de l'instruction que M. F D, né en 1950, a subi le 19 janvier 2005 au centre hospitalier intercommunal Eure - Seine plusieurs vaccinations préalables à un voyage d'agrément sur le continent africain : fièvre jaune (Stamaril), méningites A et C, fièvre typhoïde (Typhim VI) et hépatite A (Havrix). Toutefois, quelques jours après cet acte, son état de santé s'est dégradé. En février 2009, le diagnostic d'une myofasciite à macrophages était posé consécutivement à la réalisation d'une biopsie musculaire. S'en est suivie une longue période, de février 2009 à janvier 2016, qualifiée " d'errance thérapeutique " par les experts, caractérisée par la recherche d'un traitement adapté. A ce jour, tel qu'il ressort des rapports d'expertise évoqués infra, l'état de santé de M. D est durablement dégradé.
2. Par une demande du 20 janvier 2015 complétée le 13 novembre suivant, M. D a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation de Normandie, qui a ordonné deux expertises successives. A l'issue de la procédure devant elle, par un avis rendu le 25 avril 2018, la commission a rejeté la demande d'indemnisation de M. D.
3. Par la présente requête, M. D entend rechercher la responsabilité du centre hospitalier intercommunal Eure - Seine ou, à défaut, celle de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales sur le terrain de la solidarité nationale.
Sur les conclusions principales :
4. Le régime spécial de réparation prévu à l'article L. 3111-9 du code de la santé publique🏛 ne peut trouver à s'appliquer en l'espèce, les vaccinations subies par M. D ne revêtant aucun caractère obligatoire. Il y a lieu, dès lors, de faire application du régime de responsabilité du fait des produits de santé, dont le principe est rappelé au point suivant du présent jugement.
En ce qui concerne les conclusions dirigées contre le centre hospitalier intercommunal Eure - Seine :
5. Le service public hospitalier est responsable, même en l'absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu'il utilise.
6. La commission régionale de conciliation et d'indemnisation de Normandie a ordonné une première expertise confiée au docteur C, spécialiste en neurologie et au professeur B, spécialiste en pharmacologie biologique, clinique et fondamentale. Le rapport de ce premier collège expertal a été remis le 23 avril 2016. Le premier collège d'experts a notamment retenu que " à ce jour, en 2016, soit 11 ans après les premières publications, il n'est toujours pas établi d'association entre la présence [d'une] lésion musculaire histologique et un syndrome clinique spécifique " et relevé que " 11 ans après l'injection () aucun diagnostic n'a pu être établi dans le cas extrêmement difficile de Monsieur D ". Ils ajoutent ensuite qu'ils " ne peuvent pas conclure que la pathologie de M. D () est imputable à l'injection () ". En outre, si M. D n'a pas communiqué la page 33 dudit rapport, la société Laboratoire GlaxoSmithKline fait valoir sans être contredite que les experts y font état de ce que " à [leur] avis, l'état de santé de M. D pourrait être relié aux nombreux antécédents chirurgicaux ou médicaux ", lesquels sont exposés par le second rapport évoqué ci-après, et parmi lesquels figurent notamment des hernies et d'autres pathologies rhumatologiques, des manifestations allergiques, des difficultés cardio-respiratoires, des maladies gastro-entérologiques et un tabagisme actif pendant vingt-trois ans.
7. Une contre-expertise a ensuite été confiée à la professeure A, pharmacologue clinicienne, et au docteur E, spécialisé en neurologie. Leur rapport a été remis le 3 février 2018. Ce second collège expertal, qui a même remis en cause le diagnostic de myofasciite à macrophages, a indiqué ne retenir " aucun lien entre la vaccination litigieuse et l'apparition d'une symptomatologie essentiellement douloureuse, mal définie, n'ayant pu être rattachée à aucune pathologie organique déterminée ". Les experts ajoutent, plus loin dans leur rapport qu'ils ne peuvent caractériser le tableau clinique de M. D qui présente un " examen neurologique normal ".
8. Il en résulte qu'en l'état des connaissances scientifiques générales mais aussi, et surtout, des conclusions des experts, le lien entre les vaccinations subies par M. D et les dommages dont il se plaint n'apparait pas caractérisé.
9. En outre et toujours à cet égard, si M. D conteste les conclusions expertales s'agissant du lien de causalité, les éléments de littérature médicale produits par les parties ou librement accessibles sur internet, notamment ceux de l'agence nationale de la sécurité du médicament ou du haut conseil de la santé publique, ne permettent pas non plus de retenir l'existence d'un lien de causalité.
10. Il résulte de ce qui précède que le lien entre les vaccinations que M. D a subi le 19 janvier 2005 et son état de santé n'étant pas établi, ses conclusions tendant à ce que le centre hospitalier intercommunal Eure - Seine soit condamné à l'indemniser de ses préjudices ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions dirigées contre l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales :
11. A supposer même que les faits dont se plaint M. D puissent être qualifiés d'accident médical au sens des dispositions précitées du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique🏛, en l'absence de lien de causalité entre les vaccinations qu'il a subies le 19 janvier 2005 et son état de santé, les conditions d'indemnisation par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales au titre de la solidarité nationale ne sont pas réunies. Par suite, les conclusions présentées à ce titre par M. D doivent également être rejetées.
Sur l'appel en garantie :
12. Le centre hospitalier intercommunal Eure - Seine n'étant pas condamné, les conclusions présentées par lui tendant à ce que la SAS Laboratoire GlaxoSmithKline soit condamnée à le garantir sont dépourvues d'objet et doivent être rejetées.
Sur les dépens et les frais liés au litige :
13. En premier lieu, aucun des dépens limitativement énumérés à l'article R. 761-1 du code de justice administrative🏛 n'a été exposé dans la présente instance, les expertises ayant été ordonnées par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation.
14. En deuxième lieu, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 font obstacle à ce que le centre hospitalier intercommunal Eure - Seine et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, qui n'ont pas la qualité de partie perdante, versent à M. D la somme que celui-ci réclame au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
15. Enfin, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la SAS Laboratoire GlaxoSmithKline présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Article 1er : La requête de M. D est rejetée.
Article 2 : L'appel en garantie formé par le centre hospitalier intercommunal Eure - Seine à l'encontre de la SAS Laboratoire GlaxoSmithKline est rejeté.
Article 3 : Les conclusions de la SAS Laboratoire GlaxoSmithKline présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 sont rejetées.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. F D, à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure, au centre hospitalier intercommunal Eure - Seine, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la SAS Laboratoire GlaxoSmithKline.
Délibéré après l'audience du 29 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
Mme Gaillard, présidente,
MM. Leduc et Mulot, premiers conseillers,
Assistés de Mme Hussein, greffière.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 octobre 2022.
Le rapporteur,
Robin Mulot
La présidente,
Anne Gaillard
La greffière,
Amélie Hussein
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°1902263
ah
Article, L1142-1, C. santé publ. Article, L3111-9, C. santé publ. Article, R611-8-1, CJA Nouveau mémoire Service hospitalier Réparation d'un préjudice Accidents médicaux Infections nosocomiales Caisse primaire d'assurance-maladie Conclusions principales Produits de santé Conséquences dommageables pour les usagers Existence de lien de causalité Dépens exposés