TA Rennes, du 04-01-2023, n° 2004662
A1810878
Référence
Par une requête et des mémoires, enregistrés respectivement les 26 octobre 2020, 6 décembre 2021 et 21 avril 2022, la SAS BH Construction, représentée par Me Bouclier, demande au tribunal :
1°) de prononcer la réduction de la cotisation supplémentaire à l'impôt sur les sociétés mise à sa charge au titre de l'année 2017 ainsi que des pénalités dont ces droits ont été assortis à hauteur de la somme totale de 39 378 euros ;
2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 et les entiers dépens.
Elle soutient que :
- au 31 décembre 2017, les créances litigieuses n'étaient pas acquises, c'est-à-dire déterminées dans leur principe et dans leur montant, même si ces créances ont pratiquement toutes été payées après cette date ; avant la décision du Pôle national des certificats d'énergie (PNCEE), elle ignorait totalement si chaque dossier serait accepté et pourrait en conséquence faire l'objet d'une facturation ; elle ne pouvait ainsi comptabiliser de créances acquises au " prix de base " tel qu'il serait connu et arrêté à la date de clôture du bilan de l'exercice 2017 dès lors qu'un tel prix de base n'existait pas et n'était donc pas arrêté à cette date ; le caractère certain d'une créance à la clôture d'un exercice est totalement indépendant de son paiement effectif au cours de l'exercice suivant ;
- la doctrine administrative référencée BOI-BIC-BASE-20-10 conforte sa position.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 13 avril 2021 et 25 mars 2022, le directeur régional des finances publiques de Bretagne et du département d'Ille-et-Vilaine conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par la SAS BH Construction n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts🏛 et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005🏛 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A,
- et les conclusions de M. Fraboulet, rapporteur public.
1. La SAS BH Construction, qui est spécialisée dans le secteur des travaux de charpente et d'isolation, réalise des prestations d'isolation des combles perdus dans le cadre du dispositif des certificats d'énergie et du programme " isolation des combles à un euro ". Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité pour la période du 1er novembre 2015 au 31 décembre 2017. L'administration lui a notifié, par proposition de rectification du 21 décembre 2018, des rehaussements d'impôts sur les sociétés selon la procédure de rectification contradictoire prévue par l'article L. 55 du livre des procédures fiscales au titre de l'année 2017. La société requérante a présenté des observations le 16 février 2019 auxquelles l'administration a répondu le 11 mars 2019. La commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires d'Ille-et-Vilaine a rendu un avis le 19 décembre 2019. La réclamation formée par la SAS BH Construction le 10 mars 2020 a été rejetée par l'administration fiscale le 22 septembre 2020. Par la présente requête, la société requérante demande au tribunal la réduction de la cotisation supplémentaire à l'impôt sur les sociétés mise à sa charge au titre de l'année 2017 ainsi que des pénalités dont ces droits ont été assortis à hauteur de la somme totale de 39 378 euros.
Sur les conclusions aux fins de réduction :
En ce qui concerne la loi fiscale :
2. Aux termes de l'article 38 du code général des impôts🏛 : " 1. Sous réserve des dispositions des articles 33 ter, 40 à 43 bis et 151 sexies, le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d'éléments quelconques de l'actif, soit en cours, soit en fin d'exploitation. / 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. / 2 bis. Pour l'application des 1 et 2, les produits correspondant à des créances sur la clientèle ou à des versements reçus à l'avance en paiement du prix sont rattachés à l'exercice au cours duquel intervient la livraison des biens pour les ventes ou opérations assimilées et l'achèvement des prestations pour les fournitures de services () ".
3. En application des dispositions précitées, rendues applicables à l'impôt sur les sociétés par l'article 209 du code général des impôts🏛, les créances acquises sur un tiers par une entreprise passible de l'impôt sur les sociétés doivent être rattachées aux résultats de l'exercice au cours duquel ces créances sont devenues certaines dans leur principe et dans leur montant, alors même qu'elles n'auraient pas encore été recouvrées au moment de la clôture des opérations de cet exercice.
4. La SAS BH Construction réalise des prestations d'isolation des combles auprès d'une clientèle de particuliers en situation de précarité dans le cadre du dispositif des certificats d'énergie et du programme " isolation des combles à un euro " créé par les articles 14 à 17 de la loi du 13 juillet 2005🏛🏛 de programme fixant les orientations de la politique énergétique (POPE). Ce dispositif repose sur une obligation triennale de réalisation d'économies d'énergie en certificat d'économie d'énergie (CEE) imposée par les pouvoirs publics aux fournisseurs d'énergie, un CEE correspondant à un kilowattheure d'énergie finale économisée (kilowatt par heure cumac, abréviation de " cumulée et actualisée "). L'isolation des combles perdus pour une surface illimitée coûte un euro au bénéficiaire éligible sous conditions de revenus, l'opération étant subventionnée par le dispositif de certificats d'économie d'énergie. La SAS BH Construction intervient dans le cadre d'une relation tripartite conclue avec la société d'économie d'énergie (EDE) en présence de la SAS Watt Breizh. Cette dernière société recherche des particuliers éligibles au dispositif et prépare un devis avec transmission des travaux à réaliser à la SAS BH Construction, laquelle effectue les travaux d'isolation puis constitue et adresse le dossier du client à la société EDE pour vérification et pré-validation. Ce dossier est ensuite adressé au Pôle national des certificats d'énergie (PNCEE) pour validation. Le montant en kilowatt par heure cumac validé par le PNCEE est calculé, pour les opérations d'économie d'énergie réalisées, selon les arrêtés en vigueur définissant les opérations standardisées d'économie d'énergie dans le cadre du dispositif des CEE et à partir des éléments caractérisant les travaux effectués par la SAS BH Construction fournis par cette même société. La société requérante est payée par la société EDE par l'intermédiaire de la SAS Watt Breizh.
5. Le vérificateur a constaté que, sur l'exercice clos le 31 décembre 2017, aucun bénéficiaire des prestations des chantiers d'isolation réalisés dans le cadre du dispositif des certificats d'économie d'énergie n'était identifiable et qu'aucun chantier n'avait été recensé par la SAS BH Construction en comptabilité à ce titre. À la suite de l'exercice de droits de communication effectués auprès du Pôle national des certificats d'énergie et auprès de la société EDE, l'administration fiscale a obtenu une liste de chantiers facturés par la SAS BH Construction en tant qu'installateur pour une validation du PNCEE. À l'issue du contrôle, l'administration fiscale a ainsi estimé que des créances acquises correspondant à des chantiers réalisés mais non comptabilisés pour un montant de 144 316 euros devaient être rapportées au résultat de l'exercice clos le 31 décembre 2017. La société requérante s'y oppose. Elle affirme que ces créances ont été acquises, c'est-à-dire déterminées dans leur principe et dans leur montant, au plus tôt à la date de validation du PNCEE intervenue dans la plupart des dossiers après le 31 décembre 2017. La société requérante fait valoir qu'avant cette date, elle ignorait si chaque dossier serait accepté et pourrait, en conséquence, faire l'objet d'une facturation.
6. Il résulte toutefois de l'instruction que le contrat liant la SAS BH Construction et la société EDE précise clairement les obligations de l'installateur, lequel doit notamment réaliser des opérations éligibles respectant les fiches d'opérations standardisées, telles que définies par la réglementation en vigueur relative aux certificats d'économie d'énergie, accorder une contribution financière au nom de la société EDE sur les travaux effectués en faisant apparaître sur son devis et sa facture le montant de cette contribution après calcul du montant des travaux toutes taxes comprises et, enfin, constituer des dossiers clients complets comprenant les pièces nécessaires à la validation du dossier par la société EDE ainsi que par le PNCEE dans un délai de deux mois à compter de la date de la facture. Si le versement de la contribution à la SAS BH Construction par la société EDE était effectivement conditionné à la validation du dossier par cette dernière société et par le PNCEE, le contrat signé entre les parties prévoyait que la société requérante constituait le dossier client et s'assurait de sa validité avant la réalisation des travaux et la transmission de l'ensemble des pièces obligatoires à la société EDE. Si la SAS BH Construction produit une liste de 27 dossiers n'ayant pas été déposés pour validation par la société EDE auprès du PNCEE et n'ayant donc fait l'objet d'aucun règlement, le courrier de la société EDE précise que ces dossiers n'ont pas été constitués et complétés par la SAS BH Construction de façon conforme au contrat conclu. Il n'est, par ailleurs, pas contesté que la validation des opérations par le PNCEE était uniquement conditionnée au respect de la règlementation relative au dispositif des CEE, laquelle était connue par la SAS BH Construction, à la complétude des dossiers ainsi qu'à la réalisation des travaux. Ainsi, dès lors que les chantiers étaient réellement réalisés et que les dossiers étaient constitués conformément au contrat conclu entre la société EDE et la SAS BH Construction, responsabilités qui incombaient uniquement à cette dernière société, la créance qu'elle détenait était certaine dans son principe dès la réalisation du chantier et sa facturation.
7. La société requérante soutient, par ailleurs, qu'elle n'avait pas connaissance au 31 décembre 2017 du montant qui pourrait être facturé, dès lors que le prix mentionné au contrat n'avait qu'un caractère indicatif et dépendait, d'une part, du niveau de service administratif effectué par la société Watt Breizh selon la complexité du dossier et, d'autre part, de la fluctuation du cours du CEE. Les devis et les factures aux clients particuliers mentionnaient cependant le montant total des travaux, le montant déduit au titre de la subvention CEE et le solde à payer d'un euro, et il n'est pas sérieusement contesté que le montant total des travaux était fonction du type d'isolation et de la surface d'isolant posée. En outre, la SAS BH Construction ne produit pas le contrat distinct relatif aux modalités de versement de la contribution financière par la société EDE à la société Watt Breizh et l'annexe 3 versée au dossier et intitulée " montant et modalité de versement de la contribution par Watt Breizh au partenaire " [la SAS BH Construction] est vide. Enfin, si le montant de la contribution peut effectivement faire l'objet d'une actualisation du fait de modifications du dispositif législatif des CEE ou en fonction de l'évolution de leur niveau de prix de marché constaté sur le registre national des CEE, le contrat liant la SAS BH Construction à la société EDE précise que pour toute modification du montant de la contribution financière, cette dernière société envoie à la première société un courriel lui indiquant le nouveau montant, sa date et ses conditions d'application. En tout état de cause, il incombait à la société requérante, si elle s'y croyait fondée en cas de baisse des cours de CEE signalée conformément aux stipulations du contrat, de passer une provision dans ses écritures comptables.
8. Ainsi, les créances détenues par la SAS BH Construction au 31 décembre 2017 doivent être regardées, sur le terrain de la loi fiscale, comme étant certaines dans leur principe et leurs montants et devaient donc être comptabilisées au titre de cet exercice. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a réintégré la somme de 144 316 euros au résultat imposable de la SAS BH Construction au titre de son exercice de réalisation.
En ce qui concerne l'interprétation administrative de la loi fiscale :
9. La société SAS BH Construction n'est pas fondée à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de la documentation administrative référencée BOI-BIC-BASE-20-10 du 4 décembre 2012, qui ne fait pas des textes applicables une interprétation différente de celle qui en est faite dans le présent jugement
10. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la SAS BH Construction aux fins de réduction de la cotisation supplémentaire à l'impôt sur les sociétés mise à sa charge au titre de l'année 2017 ainsi que des pénalités correspondantes doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
11. D'une part, aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la SAS BH Construction demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
13. D'autre part, aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative🏛 : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'État. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. L'État peut être condamné aux dépens ".
14. En l'absence de dépens au sens de ces dispositions dans la présente instance, les conclusions présentées à ce titre par la SAS BH Construction doivent, en tout état de cause, être rejetées.
Article 1er : La requête de la SAS BH Construction est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la SAS BH Construction et au directeur régional des finances publiques de Bretagne et du département d'Ille-et-Vilaine.
Délibéré après l'audience du 14 décembre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Etienvre, président,
M. Albouy, premier conseiller,
Mme Tourre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 janvier 2023.
La rapporteure,
signé
L. ALe président,
signé
F. Etienvre
La greffière d'audience,
signé
A. Bruézière
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Loi, 2005-781, 13-07-2005 Créances litigieuses Bilan de l'exercice Paiement effectif Doctrine administrative Directeur Finances publiques Vérification de la comptabilité Taxes sur le chiffre d'affaires Cession d'actifs Valeur à la clôture Suppléments d'apports Paiement du prix Entreprises passibles de l'impôt sur les sociétés Pouvoirs publics Travaux à réaliser Exercice clos Contributions sociales Services administratifs Contrats distincts Nouveau montant Stipulation conventionnelle Écritures comptables Résultats imposables Interprétation différente Partie condamnée