Jurisprudence : Cass. civ. 1, Conclusions, 26-02-2025, n° 23-22.386

Cass. civ. 1, Conclusions, 26-02-2025, n° 23-22.386

A174363X

Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2025:C100132

Identifiant Legifrance : JURITEXT000051284079

Référence

Cass. civ. 1, Conclusions, 26-02-2025, n° 23-22.386. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/116802417-cass-civ-1-conclusions-26022025-n-2322386
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Abstract

Selon l'article 6-I, 7 et 8 de la LCEN, dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021, transposant les articles 15 et 18 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur, si les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne sont pas soumises à une obligation générale de surveiller les informations qu'elles transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites, le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut leur prescrire toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne. La diffamation constitue une infraction pénale définie à l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse comme toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé, de sorte que des informations comportant un tel contenu sont illicites. Ne donne pas de base légale à sa décision une cour d'appel qui rejette des demandes de retrait et de blocage de propos sans rechercher si ces demandes n'étaient pas justifiées par les condamnations pour diffamation publique déjà prononcées contre cet auteur pour des propos identiques

AVIS DE M. APARISI, AVOCAT GÉNÉRAL RÉFÉRENDAIRE

Arrêt n° 132 du 26 février 2025 (F-B+R) – Première chambre civile Pourvoi n° 23-22.386⚖️ Décision attaquée : Cour d'appel de Paris du 25 octobre 2023 M. [N] [S] C/ SociétéTwitter International Unlimited Company _________________

Le 20 janvier 2022, a été publié sur le compte Twitter intitulé : « [O] [U] », dans la partie consacrée à la biographie du profil de ce compte : « Français d'origine marocaine, Champion du monde de boxe Thaï, menacé de mort par le secrétaire du roi [N] [S] , enlevé et torturé par [L] [B] ». Après avoir sollicité, à deux reprises, le retrait de ces propos auprès de la société Twitter, M. [S] a saisi le président du tribunal judiciaire de Paris, statuant selon la procédure accélérée au fond, principalement pour qu'il soit enjoint à la société Twitter International Unlimited Company de retirer les propos mis en ligne sur le profil de [O] [U] . Par un jugement en date du 20 septembre 2022, le président du tribunal judiciaire de Paris a débouté M. [S] de toutes ses demandes.

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Par un arrêt en date du 25 octobre 2023, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement entrepris. L'arrêt, pour confirmer la première décision et rejeter la demande de M. [S] , retient : “18. Mais, par des motifs pertinents que la cour adopte, le tribunal a exactement retenu que si la gravité de l'imputation visant le demandeur est de nature à caractériser un dommage au sens des dispositions de l'article 6 I 8., les mesures de retrait des propos et de suppression de propos similaires pendant trente ans apparaissent disproportionnées au regard de l'atteinte portée à la liberté d'expression, dès lors que le demandeur disposait d'informations lui permettant d'agir contradictoirement envers la personne qu'il estimait être l'auteur des propos litigieux et de soumettre ses demandes à un débat contradictoire.” L'article 6 I 8. de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004🏛, pour la confiance dans l'économie numérique, dispose, dans sa version applicable : “8. Le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut prescrire à toute personne susceptible d'y contribuer toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne.” Ces dispositions instituent une procédure qui correspond, non pas à une action en responsabilité, à l'instar, par exemple, d'une action en diffamation, mais bien à une action en cessation de l'illicite : elle n'impose donc en principe pas d'être prise au contradictoire de l'auteur ou de l'éditeur du contenu litigieux mais tend, dans un objectif d'efficacité, à la mise en cause du tiers susceptible d'agir pour mettre fin, le plus rapidement possible, au dommage (“toute personne susceptible d'y contribuer”). Sur le fondement de ces dispositions, dans leur version antérieure à la loi du 24 août 2021🏛, alors qu'était prévue non pas une action accélérée au fond mais la saisine du juge “sur requête ou en référé”, notre chambre a d'ores et déjà eu l'occasion de juger : “Il résulte de l'article 6, I, 8, de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004🏛 pour la confiance dans l'économie numérique, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021, que la recevabilité d'une demande contre les fournisseurs d'accès à l'internet aux fins de prescription de mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage causé par le contenu de tels services de communication n'est pas subordonnée à la mise en cause préalable des prestataires d'hébergement, éditeurs ou auteurs des contenus ni à la démonstration de l'impossibilité d'agir contre eux. 1” Tant le texte que la jurisprudence pourraient donc conduire à censurer les juges du fond dans le présent pourvoi, dès lors que ceux-ci paraissent avoir exigé, par 1re Civ., 18 octobre 2023, pourvoi n° 22-18.926⚖️ ; voir aussi : 1re Civ., 19 juin 2008, pourvoi n° 07-12.244⚖️, Bull. 2008, I, n° 178 1

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principe, un débat contradictoire dès lors que celui-ci paraît possible et ce, indépendamment de toute autre considération propre aux faits de l'espèce, en se fondant sur la seule préservation de la liberté d'expression. Or la loi, précisément, ne subordonne en rien l'action contre le fournisseur d'accès ou l'hébergeur du site, à l'impossibilité d'agir au contradictoire du responsable du contenu litigieux. Aussi le principe de proportionnalité qui s'impose au juge, ne saurait conduire, par principe à écarter la mise en oeuvre des dispositions de l'article 6 I 8. précitées à chaque fois qu'un débat contradictoire est possible alors même que la finalité de ces dispositions est, précisément, de pouvoir agir contre tout tiers susceptible de mettre fin au dommage, sans nécessairement attraire dans la cause, l'auteur des faits litigieux. Ces dispositions doivent se comprendre en effet dans le contexte de la diffusion d'internet et d'outils de communication très puissants qui permettent de démultiplier et de réitérer la diffusion d'informations dommageables pour les tiers, alors même qu'elles sont non nécessairement vérifiées et pour la plupart, non vérifiables, et ont parfois d'ores et déjà fait l'objet de condamnations : à ces nouveaux modes de communication, doivent donc nécessairement répondre, dans une société de droit, des instruments procéduraux plus efficaces, précisément pour préserver l'équilibre entre la libre expression qui peut avoir cours, notamment sur les réseaux sociaux, et les droits des individus qui peuvent, à l'occasion, en être victimes. Ces actions en cessation de l'illicite ne peuvent donc être systématiquement conditionnées à des actions préalables en responsabilité ou à la mise en cause obligatoire ou systématique des auteurs des contenus litigieux, a fortiori lorsque des actions ont déjà été menées contradictoirement pour des propos identiques ou similaires, auparavant. Mais cela n'exclut pas un contrôle de proportionnalité que le juge doit au contraire assurer en évaluant, d'une part, le dommage allégué, d'autre part, la mesure sollicitée pour y mettre un terme. Sur le premier point, il s'agit alors de vérifier l'existence et l'importance du dommage en s'assurant, compte tenu des impératifs résultant de la liberté d'expression, qu'ils sont certains ou quasi certains, c'est à dire en pratique et pour reprendre la formule de l'article 834 du code de procédure civile🏛, qu'ils ne se heurtent à aucune contestation sérieuse 2. En l'espèce, dans le présent pourvoi, le fait que des propos identiques ou quasi identiques aient été identifiés à plusieurs reprises, aux termes de procédures juridictionnelles menées au contradictoire de leur auteur, comme étant diffamatoires, En outre, à le supposer établi sans discussion, l'appréciation du dommage pourrait aussi se mesurer à l'aune du contenu critiqué au regard des informations qu'il comporte et, par exemple, de l'intérêt qu'il présente dans le cadre du débat public ou de la nécessité d'informer l'opinion publique. 2

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permettaient sans doute de les retenir comme dommageables au sens de l'article précité, ainsi que l'ont d'ailleurs fait les juges du fond qui ont retenu que : “la gravité de l'imputation visant le demandeur est de nature à caractériser un dommage au sens des dispositions de l'article 6 I 8". Au demeurant, il convient de souligner que cette approche paraît en outre compatible avec la jurisprudence européenne, la cour de justice de l'Union européenne ayant d'ores et déjà jugé, ainsi que l'ont relevé, tant le mémoire, que le rapport : “La directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »), notamment l'article 15, paragraphe 1, de celle-ci, doit être interprétée en ce sens qu'elle ne s'oppose pas à ce qu'une juridiction d'un État membre puisse : – enjoindre à un hébergeur de supprimer les informations qu'il stocke et dont le contenu est identique à celui d'une information déclarée illicite précédemment ou de bloquer l'accès à celles-ci, quel que soit l'auteur de la demande de stockage de ces informations ; – enjoindre à un hébergeur de supprimer les informations qu'il stocke et dont le contenu est équivalent à celui d'une information déclarée illicite précédemment ou de bloquer l'accès à celles-ci, pour autant que la surveillance et la recherche des informations concernées par une telle injonction sont limitées à des informations véhiculant un message dont le contenu demeure, en substance, inchangé par rapport à celui ayant donné lieu au constat d'illicéité et comportant les éléments spécifiés dans l'injonction et que les différences dans la formulation de ce contenu équivalent par rapport à celle caractérisant l'information déclarée illicite précédemment ne sont pas de nature à contraindre l'hébergeur à procéder à une appréciation autonome de ce contenu, et – enjoindre à un hébergeur de supprimer les informations visées par l'injonction ou de bloquer l'accès à celles-ci au niveau mondial, dans le cadre du droit international pertinent 3“. Ensuite, il s'agit de s'assurer que la mesure prise ou envisagée pour mettre fin au dommage ou le prévenir, ne soit pas excessive. Ainsi, une mesure d'interdiction prise pour l'avenir et qui serait trop contraignante ou d'une durée trop longue pourrait interdire de prouver les faits allégués de façon définitive ou quasi définitive, alors même que l'on peut imaginer que de nouveaux faits ou éléments probatoires puissent autoriser leur auteur à en faire état sans encourir, à nouveau, une condamnation pour diffamation.

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CJUE - arrêt C -18/18 du 3 octobre 2019 (Eva Glawischnig-Pieszek c Facebook Ireland Limited)

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Nous observerons à toutes fins que ce contrôle de proportionnalité est d'autant plus essentiel que le législateur a décidé, depuis la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021🏛
, que la décision était désormais rendue selon la procédure accélérée au fond, ce qui signifie que la décision aura dorénavant l'autorité de la chose jugée au fond 4. Cette modification, si l'on comprend bien qu'elle a été prise pour une plus grande efficacité du dispositif, pourrait d'ailleurs bien, dans certain cas, se révéler contreproductive car les juges pourraient être plus hésitants à prendre, dans ce domaine, des mesures définitives, là où une décision prise en référé reste provisoire par nature. Avis de cassation sur le premier moyen (avis conforme sur le second moye 4 Sur ce point, voir les motifs du gouvernement à l'appui de l'amendement n°639 ayant remplacé la procédure de référé ou sur requête par une procédure accélérée au fond, lors de l'examen du texte par le Sénat (en première lecture) :

“Selon le 8 du I du 6 de la LCEN, l'autorité judiciaire a la possibilité de prescrire en référé ou sur requête, aux hébergeurs de sites internet (définis au 2 du I de l'article 6 de la LCEN) ou subsidiairement aux fournisseurs d'accès internet (définis au 1 du I de l'article 6 de la LCEN), toutes les mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage causé par le contenu d'un service de communication au public en ligne. La procédure de droit commun, qui coexiste à ses côtés, permet au juge de prescrire la fermeture d'un site internet en référé (article 835 du code de procédure civile🏛) ou sur requête (article 845 du code de procédure civile🏛). En l'état actuel du droit, le référé dont dispose le 8 du I de l'article 6 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) ne permet plus de répondre efficacement aux demandes de fermeture des sites. Pour y remédier, il est nécessaire d'élargir le champ des acteurs que cette procédure vise et de moderniser les remèdes procéduraux qu'elle prescrit. Concernant le champ des acteurs concernés, la procédure de l'actuel 8 du I de l'article 6 de la LCEN, qui vise les seuls FAI et hébergeurs, est trop restreinte. En effet, les récentes évolutions technologiques conduisent à la multiplication du type d'acteurs pouvant être utilement sollicités pour faire cesser une illicéité ; à titre d'exemple s'agissant d'empêcher l'accès à un site, l'émergence du nouveau protocole « DNS over HTTPS » (DoH) pourrait impliquer des acteurs tels que les exploitants de serveurs DoH. Il est dès lors nécessaire d'élargir le champ des acteurs visés par l'actuel 8 du I de l'article 6 de la LCEN à l'ensemble des acteurs ayant la possibilité de prendre des mesures pour prévenir ou faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service, telles que par exemple le blocage d'un site internet ou le retrait d'un contenu. Concernant les remèdes procéduraux, il est proposé de remplacer les procédures de référé et de requête de la LCEN par la procédure accélérée au fond prévue par le nouvel article 481-1 du code de procédure civile🏛 (CPC). Cette procédure contradictoire permet aux parties d'obtenir une décision au fond, et non provisoire, contrairement aux dispositifs procéduraux actuels : cette modification permet d'apporter une réponse plus adaptée aux parties en garantissant leur sécurité juridique, puisque les décisions de blocage de sites auront ainsi un caractère définitif et non plus provisoire comme c'est le cas actuellement. La décision fondée sur l'article 481-1 du CPC est susceptible d'appel, à moins qu'elle ne soit rendue par le premier président de la cour d'appel, mais est exécutoire à titre provisoire. Une telle modification de la 8 du I de l'article 6 de la LCEN n'impactera en rien la procédure de droit commun, qui continuera à cohabiter à ses côtés. Il convient toutefois de préciser que la saisine du président du tribunal selon la procédure accélérée au fond fera obstacle à une saisine du juge des référés selon les dispositions de droit commun (article 835 du code de procédure civile). Enfin, dès lors que le 8 du I de l'article 6 de la LCEN est modifié, il convient de modifier la disposition de l'article 19 lui faisant écho et d'élargir son champ à « toute personne susceptible » de contribuer au blocage d'un site miroir.” https://www.senat.fr/amendements/2020-2021/455/jeu_classe.html

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