Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 04-12-2024, n° 23-13.829

Cass. soc., Conclusions, 04-12-2024, n° 23-13.829

A16106L9

Référence

Cass. soc., Conclusions, 04-12-2024, n° 23-13.829. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/113637760-cass-soc-conclusions-04122024-n-2313829
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AVIS DE Mme MOLINA, AVOCATE GÉNÉRALE RÉFÉRENDAIRE

Arrêt n° 1249 du 4 décembre 2024 (B) – Chambre sociale Pourvoi n° 23-13.829⚖️ Décision attaquée : Conseil de prud'hommes de Caen du 23 janvier 2023 Mme [G] [N] C/ La société Carrefour Supply Chain _________________

Audience FS 4 du 6 novembre 2024 Le 30 avril 2020, la société Carrefour supply chain, par décision unilatérale, a institué une prime exceptionnelle pour le pouvoir d'achat d'un montant brut de 1 000 euros par salarié. Considérant ne pas avoir perçu la totalité de la prime et invoquant le principe d'égalité de traitement, trente salariés en situation de télétravail au sein d'une entreprise de l'employeur ont saisi le conseil de prud'hommes de Caen de demandes en paiement de sommes au titre de la prime exceptionnelle pour le pouvoir d'achat. Par jugements prononcés le 23 janvier 2023, le conseil de prud'hommes a notamment débouté les salariés de l'ensemble de leurs demandes.

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Les salariés ont formé un pourvoi en cassation. Les pourvois reprochent au conseil de prud'hommes de les avoir déboutés de l'ensemble de leurs demandes. Ils soutiennent qu'en application du principe d'égalité de traitement, si des mesures peuvent être réservées qu'à certains salariés, c'est à la condition que tous ceux placés dans une situation identique, au regard de l'avantage en cause, aient la possibilité d'en bénéficier, à moins que la différence de traitement soit justifiée par des raisons objectives et pertinentes et que les règles déterminant les conditions d'éligibilité à la mesure soient préalablement définies et contrôlables ; que dès lors, le conseil de prud'hommes ne pouvait pas considérer que la diminution du montant de la prime de pouvoir d'achat versée aux salariés en télétravail ne portait pas atteinte au principe d'égalité de traitement après avoir pourtant constaté que les salariés en arrêt maladie, y compris en arrêt pour garde d'enfant et personnes vulnérables et en congés payés, placés dans une situation identique au regard de la prime litigieuse, avaient bénéficié du versement intégral de cette prime ; qu'en outre, le conseil de prud'hommes aurait dû mieux s'expliquer sur les éléments excluant une identité de situation entre ces salariés. Introduite par la loi n° 2018-1213 du 24 décembre 2018🏛
portant mesures d'urgence économiques et sociales, la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat s'est appliquée chaque année jusqu'en 2021. Pouvant être versée par tout employeur qui le souhaitait, cette prime était exonérée d'impôt sur le revenu et de toute cotisation sociale ou contributions, sous certaines conditions. Destinée à augmenter le pouvoir d'achat des salariés, cette prime venait s'ajouter à leur rémunération habituelle et ne pouvait donc pas se substituer à celle-ci ou à une autre prime qui serait due aux salariés de l'entreprise. Selon l'article L. 3221-3 du code du travail🏛, “Constitue une rémunération au sens du présent chapitre, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum et tous les autres avantages et accessoires payés, directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l'employeur au salarié en raison de l'emploi de ce dernier.” Cette définition comprend donc le salaire de base ainsi que les majorations, primes et indemnités de toute nature dues aux salariés permanents, au titre de la convention collective ou des usages en vigueur dans l'entreprise. La prime exceptionnelle de pouvoir d'achat est ainsi un élément de la rémunération. En application du principe “à travail égal, salaire égal”, devenu le principe de l'égalité de traitement, l'employeur est tenu d'assurer, pour un même travail ou un travail de valeur égale, l'égalité de rémunération entre tous les salariés, pour autant que ceux-ci soient placés dans une situation identique ou comparable au regard de l'avantage en cause, sauf à ce que des raisons objectives et pertinentes de nature professionnelle justifient une différence de traitement. L'égalité de rémunération, qui s'inscrit dans celle plus large de l'égalité de traitement, doit être assurée pour chacun des éléments de la rémunération (Soc., 28 novembre 2018, pourvoi n° 17-20.007, 17-20.008⚖️) qui s'attachent au poste de travail. Elle s'applique tant quand la différence de traitement est issue d'une décision

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unilatérale de l'employeur que lorsqu'elle trouve sa source dans un accord collectif, seule la question de la preuve divergeant puisque dans le second cas, issue de négociations, elle est présumée justifiée (Soc., 14 septembre 2016, pourvoi n° 1511.386 ; Soc., 30 mai 2018, pourvoi n° 17-12.925). Dans le cadre d'une décision unilatérale, il appartient donc au juge de vérifier que les différences de traitement entre salariés de la même entreprise et exerçant un travail égal ou de valeur égale, reposent sur des raisons objectives ainsi que d'en contrôler la réalité et la pertinence (Soc., 23 juin 2021, pourvoi n° 19-21.772⚖️ ; Soc., 16 mars 2022, pourvoi n° 20-22.734⚖️). Le salarié n'a pas la charge de la preuve de la différence de traitement invoquée mais doit soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser une telle situation. De son côté, l'employeur doit établir l'existence de raisons objectives justifiant la différence (Soc., 25 mai 2005, pourvoi n° 04-40.169⚖️). Le juge doit vérifier si les fonctions exercées par les salariés auxquels se compare le salarié demandeur sont de valeur égale. A cet égard, si l'expression « même travail » fait référence aux fonctions exercées, s'agissant du travail de « valeur égale », l'article L. 3221-4 du code du travail🏛 dispose « Sont considérés comme ayant une valeur égale, les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse. » Dès lors, le juge ne doit pas seulement prendre en considération une identité de fonctions mais également examiner un ensemble de facteurs qui définissent les contours du poste. Pour ce faire, il tient compte, notamment, des spécificités des conditions d'exercice des fonctions, des responsabilités exercées, de l'évolution des carrières respectives ou des modalités de leurs rémunérations. Le 16 mars 2020, le président de la République française annonçait la mise en place d'un confinement au niveau national. Une fois la sidération passée, l'Etat a dû mettre en place des mesures d'organisation de la société dans son ensemble, lesquelles ont eu des répercussions tant sur la sphère familiale que professionnelle de chaque individu. L'enjeu était de taille : permettre à chacun de subsister tout en essayant de limiter la propagation de l'épidémie et les impacts sanitaire, économique et social de la pandémie. Ainsi, le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020🏛 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire1 a notamment participé à la mise en oeuvre d'une nouvelle organisation générale. Il prévoyait notamment que les établissements relevant des catégories mentionnées par le règlement pris en application de l'article R. 123-12 du code de la construction et de l'habitation🏛 ne pouvaient plus accueillir du public jusqu'au 11 mai 1

https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000041746694

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2020 dont, au titre de la catégorie M, les magasins de vente et centres commerciaux, sauf pour leurs activités de livraison et de retraits de commandes ; que ces établissements pouvaient toutefois continuer à recevoir du public pour certaines activités édictées en annexe, dont, entre autres, le commerce de détail de produits surgelés, le commerce d'alimentation générale , les supérettes, les supermarchés, les magasins multi-commerces, les hypermarchés. Ainsi, du jour au lendemain, les travailleurs se sont retrouvés répartis principalement en deux catégories : les télétravailleurs, qui continuaient d'exercer leurs fonctions depuis leur domicile ou depuis tout lieu dans lequel ils avaient décidé de passer le confinement et ceux que l'on a identifié comme les « travailleurs de première ligne », voire les « travailleurs essentiels » pour la continuité de la vie de la Nation, qui ont poursuivi leur activité sur leur lieu de travail, leur emploi devant être maintenu sur site pour des intérêts publics (santé, commerces alimentaires, industries pharmaceutiques), sanitaires (nettoyage, ramassage des déchets, services funéraires, traitement des eaux), logistiques (transports, entrepôts) ou utilitaires (fournisseurs d'énergie, services informatiques ...). Dans le contexte épidémique et de confinement, cette seconde catégorie de travailleurs a pu être surexposée au virus par rapport à l'ensemble de la population. Pour les travailleurs qui pouvaient poursuivre l'exercice de leurs fonctions éloignés de leur entreprise, le télétravail s'est développé. Or, cette modalité d'exercice du travail pose un certain nombre de questions, notamment s'agissant du domaine de l'égalité de traitement. En effet, si la loi2 instaure le principe selon lequel le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l'entreprise, l'employeur ne peut-il cependant pas mettre en oeuvre une différenciation, lorsqu'il encadre l'attribution de certains droits, selon la situation de fait de ses salariés ? En l'espèce, lors de l'attribution de la prime exceptionnelle pour le pouvoir d'achat, l'employeur a t'il respecté le principe d'égalité de traitement à l'égard des salariés placés en situation de télétravail pendant la période de pandémie de la Covid-19 ? L'employeur a instauré, au sein de l'entreprise, une prime exceptionnelle pour le pouvoir d'achat dans une décision unilatérale du 30 avril 2020 qui stipule notamment : « Préambule : Face à la crise sanitaire liée au nouveau coronavirus « Covid-19 », la société a dû dans le respect des recommandations du gouvernement, s'organiser afin de poursuivre son activité en mettant en place toutes les mesures permettant de préserver la santé et la sécurité de ses collaborateurs. Afin de tenir compte de la contribution exceptionnelle des collaborateurs ayant travaillé au sein d'un magasin, d'un drive, d'un entrepôt au plus fort de la crise sanitaire et de leur implication, la société a souhaité instituer par décision unilatérale une prime exceptionnelle de pouvoir d'achat (ci-après « la prime exceptionnelle » ou 2

Article L. 1222-9-III du code du travail.

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« la prime ») dans le respect des dispositions de la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019🏛, telle que modifiée par l'ordonnance n° 2020-395 du 1er avril 2020. Les conditions et le montant de cette prime sont définis ci-après. - article 1 champ d'application - établissements concernés : « La prime exceptionnelle est instituée au sein des seuls établissements de la société dotés d'un magasin, d'un drive ou d'un entrepôt. » - article 2 salariés bénéficiaires : « La prime exceptionnelle bénéficie aux salariés employés au sein des établissements listés en Annexe I et remplissant les conditions cumulatives suivantes : * être lié à l'entreprise par un contrat de travail ou être mis à disposition dans le cadre d'un contrat de mise à disposition par une société de travail temporaire au 30 avril 2020 (date de la signature de la présente décision unilatérale). * avoir effectivement travaillé au sein d'un magasin, d'un drive ou d'un entrepôt, dans lesquels les conditions de travail ont été exceptionnelles en raison de la crise sanitaire liée au Covid-19 et ce, au cours de la période comprise entre le 12 mars (date de début de l'urgence sanitaire ) et le 3 mai 2020 inclus. » - article 3 montant de la prime : « Le montant de la prime exceptionnelle est fixé à 1 000 euros. La prime sera proratisée en fonction du nombre de jours effectivement travaillés au cours de la période du 12 mars au 3 mai 2020 au sein d'un magasin, d'un drive ou d'un entrepôt, étant toutefois précisé que sont assimilés à du temps de travail effectif sur les sites concernés les absences légalement assimilées à du temps de travail effectif ainsi que tous les arrêts maladies (y compris les arrêts dérogatoires pour garde d'enfant(s) et « personnes vulnérables » indemnisés par l'employeur ou par l'organisme de prévoyance. Il est précisé que les salariés qui n'auront pas travaillé au sein d'un magasin, d'un drive ou d'un entrepôt au cours de l'ensemble de la période allant du 12 mars au 3 mai 2020 inclus, en raison d'une absence ayant débuté avant le 12 mars verront leur prime réduite à 0. » Dans le contexte de la pandémie et du confinement consécutif, de nombreuses mesures ont dû être adaptées pour prendre en compte les organisations nouvelles. Ainsi, s'agissant de la prime exceptionnelle pour le pouvoir d'achat, l'ordonnance n° 2020-385 du 1er avril 2020 est venue modifier l'article 7 de la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019🏛 de financement de la sécurité sociale pour 2020. Dans sa rédaction issue de l'ordonnance, il dispose notamment : [...] II. - L'exonération prévue au V est applicable à la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat bénéficiant aux personnes mentionnées au A du I lorsque cette prime satisfait aux conditions suivantes : [...] 2° Son montant peut être modulé selon les bénéficiaires en fonction de la rémunération, du niveau de classification, des conditions de travail liées à la pandémie de covid-19, de la durée de présence effective pendant l'année écoulée ou la durée de travail prévue au contrat de travail mentionnée à la dernière phrase du deuxième alinéa du III de l'article L. 241-13 du code de la sécurité sociale🏛. Les congés prévus au chapitre V du titre II du livre II de la première partie du code du travail sont assimilés à des périodes de présence effective ; [...].

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Dans une instruction DSS/5B/2020/59 du 16 avril 2020 relative aux conditions d'exonération des primes exceptionnelles prévues par l'ordonnance n° 2020-385 du 1er avril 2020 modifiant la date limite de versement de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat, il est stipulé : « L'ordonnance n° 2020-385 du 1er avril 2020🏛 modifiant la date limite et les conditions de versement de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat assouplit les conditions de versement de cette prime exceptionnelle afin de répondre aux besoins des entreprises dans le cadre de la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19. [...] En outre, afin de prendre en compte plus particulièrement les salariés ayant permis le maintien de l'activité pendant l'épidémie de Covid-19, l'ordonnance prévoit un nouveau critère possible de modulation du montant de la prime permettant de tenir compte des conditions de travail liées à l'épidémie. » Dans un format de « questions / réponses », l'instruction énonce : « [...] Question 1.5 La prime peut-elle être versée à une partie seulement des salariés ? OUI, [...] - Soit à raison des conditions de travail liées à l'épidémie de Covid-19 (cf. points 2.3 à 2.6 et 2.11) [...] 2.3 Le montant de la prime peut-il être différent entre les salariés ? OUI. La loi autorise à moduler le niveau de la prime entre les salariés en fonction de la rémunération, du niveau de classification, des conditions de travail liées à l'épidémie de Covid-19, de la durée de présence effective ou la durée de travail prévue au contrat de travail mentionnée à la dernière phrase du deuxième alinéa du III de l'article L. 241-13 du code de la sécurité sociale. Ces conditions s'apprécient sur les 12 mois précédant le versement de la prime. 2.4 Le montant de la prime peut-il être différencié en fonction de la présence effective du salarié dans l'entreprise ? OUI. Le montant de la prime peut être modulé dans les mêmes conditions que celles prévues à l'article L. 241-13 du code de la sécurité sociale pour le calcul de la valeur du SMIC prise en compte pour le calcul des allégements généraux de cotisations sociales, soit en proportion de la durée de travail, et en retenant les mêmes règles pour la prise en compte des absences. Toutefois, pour que la prime soit éligible à l'exonération, il n'est pas autorisé d'en réduire le montant à raison des congés mentionnés au chapitre V du titre II du livre II de la première partie du code du travail, c'est-à-dire les congés au titre de la maternité, de la paternité et de l'accueil ou de l'adoption d'un enfant, ainsi que des congés d'éducation parentale, de présence parentale. La prime des salariés absents du fait de l'un de ces congés ne peut être réduite à raison de cette absence, sauf dans les cas où la prime est modulée en application des points 2.5, 2.6 et 2.11. 2.5 Quelles conditions de travail liées à l'épidémie de Covid-19 permettent de moduler le montant de la prime ? La prime peut être modulée pour l'ensemble des salariés ayant continué leur activité durant la période d'urgence sanitaire (qui a débuté le 12 mars 2020) ou pour certains

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d'entre eux en raison de conditions spécifiques de travail liées à l'activité de l'entreprise (activité obligeant à se déplacer sur place dans l'entreprise, activité au contact du public...). Il est notamment possible de majorer substantiellement la prime pour l'ensemble des salariés ayant continué leur activité pendant la période d'urgence sanitaire ou seulement pour les personnes ayant été au contact du public. Dans ce cas, l'appréciation sur 12 mois des conditions d'octroi de la prime ne s'applique pas. Une modulation tenant compte des différences dans les conditions de travail des salariés ayant continué leur activité est également possible. Il est par exemple possible de différencier le niveau de la prime des salariés ayant continué leur activité en télétravail de celui versé à ceux qui ne pouvaient pas recourir au télétravail et ont dû se rendre sur leur lieu de travail. Il est également possible, par exemple, de majorer la prime pour les salariés ayant été astreints de se rendre sur leur lieu de travail habituel pendant une large part de la période d'urgence sanitaire, par rapport à celle versée à des salariés ayant subi ces conditions de travail pendant une plus courte période. 2.6 Une entreprise peut-elle exclure du versement des salariés qui n'étaient pas présents pendant la période d'urgence sanitaire ? OUI. L'objectif du nouveau cas de modulation prévu par l'ordonnance 202-385 est de permettre de récompenser la possibilité de prendre en compte la présence effective du salarié, en excluant, par exemple, les salariés en télétravail. [...] 2.11 La modulation en fonction des conditions de travail pendant la période d'urgence sanitaire peut-elle aboutir, pour certains salariés, à une prime exceptionnelle égale à zéro ? OUI. La modulation du montant de la prime, en fonction des conditions de travail pendant la période d'urgence sanitaire, peut permettre le versement d'un montant compris entre 0 et 1 000 euros, seuil porté à 2 000 € en cas de mise en oeuvre d'un accord d'intéressement. [...] ». Au regard de l'ensemble de ces éléments, il convient de s'interroger : en l'espèce, les salariés requérants en télétravail d'une part, et les salariés en arrêt maladie, y compris en arrêt pour garde d'enfant et personnes vulnérables et en congés payés d'autre part, se trouvaient-ils dans une situation identique, au regard de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat ? Une distinction dans les conditions de versement de la prime selon que le travail effectif soit réalisé effectivement sur sites ou en télétravail ne paraîtrait pas contestable au regard de l'enjeu que j'ai précédemment rappelé lié à la surexposition au virus des travailleurs sur sites du fait de la multiplication des interactions entre collègues ou avec des clients. Cette hypothèse était d'ailleurs envisagée par l'ordonnance n° 2020-385 du 1er avril 2020 et déclinée dans l'instruction DSS/5B/2020/59 du 16 avril 2020. Cependant, dans son engagement unilatéral, l'employeur n'a pas procédé à la mise en oeuvre du seul critère lié à la présence effective ou non sur sites lors de l'exécution du travail effectif. Il a également assimilé à du temps de travail effectif sur les sites concernés, des absences légalement assimilées à du travail effectif ainsi que « tous les arrêts maladies (y compris les arrêts dérogatoires pour garde

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d'enfant(s) et « personnes vulnérables ») indemnisés par l'employeur ou par l'organisme de prévoyance. » Ce faisant, l'employeur a instauré une différence de traitement entre les travailleurs absents des sites, selon notamment qu'ils étaient d'une part en télétravail et d'autre part en situation d'absence assimilée à du temps de travail effectif ou en arrêts maladies ou dérogatoires indemnisés par l'employeur ou par l'organisme de prévoyance. Ainsi, certains salariés n'exécutant pas un travail effectif mais absent des sites pouvaient prétendre à la prime exceptionnelle pour le pouvoir d'achat alors que les salariés en télétravail, absents des sites, et exécutant un travail effectif, ne le pouvaient pas. Certes, les conditions de travail liées à l'épidémie de covid-19 pouvaient permettre à l'employeur de mettre en place une différence de traitement entre salariés placés dans une situation identique ou comparable au regard de la prime mais pour autant que cette différence soit justifiée par des raisons objectives et pertinentes de nature professionnelle. Or, s'agissant de salariés absents des sites concernés, la différence de traitement selon que leur absence est assimilée à une présence sur site ou qu'elle est liée à du télétravail ne me paraît pas une raison objective et pertinente, au regard des conditions de travail liées à l'épidémie. Le mémoire en défense soutient que les salariés qui ont effectivement travaillé au sein de l'un des établissements listés en annexe à la décision unilatérale et ceux qui ont poursuivi leur activité en télétravail n'étaient pas placés dans la même situation au regard de la prime de pouvoir d'achat, qui avait pour objet de récompenser les travailleurs « restés au front » pour reprendre l'expression de la Ministre du travail d'alors et d'indemniser les sujétions liées à leurs conditions de travail exceptionnelles page 10). Si l'on peut entendre que les travailleurs effectivement sur sites étaient « restés au front » et se trouvaient donc dans une situation distincte des télétravailleurs, ce n'était pas le cas des salariés dont les absences étaient assimilées à du travail sur sites par l'employeur. Ces derniers, à l'instar des télétravailleurs, n'étaient matériellement pas sur sites, en revanche ils y étaient fictivement rattachés, par assimilation, pour le versement de la prime, du seul fait de la décision unilatérale de l'employeur. A mon sens, l'employeur ne pouvait valablement pas soutenir qu'il avait appliqué la loi qui, elle-même, autorisait la modulation de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat en fonction des conditions de travail liées à l'épidémie de Covid-19. En effet, dès lors que des salariés étaient absents des sites concernés, ils n'étaient plus, sur le plan professionnel, confrontés au virus, contrairement aux salariés effectivement présents. Or, parmi ces salariés absents, certains pouvaient néanmoins percevoir la prime, par assimilation à un salarié effectuant un travail effectif sur site. De plus contrairement à ce qu'énonce le mémoire en défense (page 13), la loi n'assimile pas des périodes de congés payés à une période de travail en présentiel

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mais à une période de travail effectif3. Ainsi, cela n'implique pas qu'une situation d'absence assimilée à du travail effectif soit également, de ce fait, assimilée à un temps de travail sur site. L'employeur pouvait valablement faire le choix de moduler la prime en raison de conditions spécifiques de travail liées à l'activité de l'entreprise, telles que l'obligation pour le salarié d'être présent sur certains sites de la société, ou le fait d'exercer une activité au contact du public. Cependant, il a, au sein d'une situation identique caractérisée par des salariés absents des sites concernés, crée une inégalité, non justifiée par une raison objective et pertinente de conditions de travail pendant la période de crise sanitaire, en assimilant certaines absences à du travail sur sites et permettant ainsi à certains salariés absents de percevoir la prime, contrairement à ceux en télétravail. Toutes les absences des sites concernés n'engendraient pas les mêmes conséquences au regard de la perception de la prime exceptionnelle pour le pouvoir d'achat. ➤ Je conclus à la cassation sur le moyen, pris en ses deux branches.

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Article L. 3141-5 du code du travail🏛.

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