Jurisprudence : TA Nantes, du 28-02-2023, n° 2207089


Références

Tribunal Administratif de Nantes

N° 2207089

10ème chambre
lecture du 28 février 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 26 mai 2022, Mme B A, agissant en qualité de représentante légale d'Aida Arame Sy, représentée par Me Ka, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision de l'autorité consulaire française à Dakar (Sénégal) refusant de délivrer un visa d'entrée et de long séjour à Aida Arame Sy en qualité de visiteuse ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de faire délivrer le visa sollicité ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Elle soutient que la décision attaquée est entachée d'une erreur de droit.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 décembre 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que le moyen soulevé par la requérante n'est pas fondé et sollicite une substitution de motifs.

Un mémoire, présenté pour la requérante, a été enregistré le 28 janvier 2023 et n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme C a été entendu au cours de l'audience publique du 30 janvier 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B A, ressortissante française, a sollicité la délivrance d'un visa de long séjour portant la mention " visiteur " au bénéfice d'Aida Arame Sy, ressortissante sénégalaise née le 27 juillet 2013 auprès de l'autorité consulaire française à Dakar. Cette autorité a rejeté sa demande le 30 décembre 2021. Mme A a saisi la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France d'un recours préalable contre le refus de l'autorité consulaire, dont il a été accusé réception le 28 février 2022. La requérante demande au tribunal l'annulation de la décision de rejet implicite née du silence de la commission de recours.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛 : " Tout étranger souhaitant entrer en France en vue d'y séjourner pour une durée supérieure à trois mois doit solliciter auprès des autorités diplomatiques et consulaires françaises un visa de long séjour dont la durée de validité ne peut être supérieure à un an. / Ce visa peut autoriser un séjour de plus de trois mois à caractère familial, en qualité de visiteur, d'étudiant, de stagiaire ou au titre d'une activité professionnelle, et plus généralement tout type de séjour d'une durée supérieure à trois mois conférant à son titulaire les droits attachés à une carte de séjour temporaire ou à la carte de séjour pluriannuelle prévue aux articles L. 421-9 à L. 421-11 et L. 421-13 à L. 421-24. ".

3. En l'absence de toute disposition conventionnelle, législative ou réglementaire déterminant les cas où le visa peut être refusé à une personne étrangère désirant se rendre en France, et eu égard à la nature d'une telle décision, les autorités françaises disposent d'un large pouvoir d'appréciation, et peuvent se fonder non seulement sur des motifs tenant à l'ordre public mais sur toute considération d'intérêt général. Il en va, notamment, ainsi des visas sollicités en qualité de " visiteur ".

4. L'accusé de réception du recours administratif préalable obligatoire indique : " En l'absence d'une réponse expresse de la commission dans un délai de deux mois à compter de la date de réception du recours mentionnée ci-dessus, le recours est réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision contestée (CAA de Nantes, 17 novembre 2020, n°20NT00588⚖️). ". La décision consulaire comporte une case cochée portant la mention " Il existe un risque de détournement de l'objet du visa à des fins de maintien illégal en France après l'expiration de votre visa ou pour mener en France des activités illicites ".

5. Il est constant que Mme A a sollicité un visa pour Aida Arame Sy en vue de permettre son établissement à ses côtés, en exécution du jugement de délégation de puissance paternelle n° 2077 du tribunal d'instance hors classe de Dakar du 16 juillet 2019. Dans ces conditions, et ainsi que le reconnaît le ministre de l'intérieur et des outre-mer en défense, la commission de recours a entaché sa décision d'une erreur de droit en lui opposant l'existence d'un risque de détournement de l'objet du visa à des fins migratoires.

6. Toutefois, l'administration peut, notamment en première instance, faire valoir devant les juges de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors aux juges, après avoir mis à même la partie ayant introduit le recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative ils peuvent procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas la partie requérante d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

7. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer fait valoir en défense que le jugement du tribunal d'instance hors classe de Dakar du 16 juillet 2019 a été pris en violation " des principes essentiels du droit français " et que la requérante ne dispose pas des ressources suffisantes pour couvrir la durée du séjour en France de la demandeuse.

8. D'une part, il incombe aux autorités administratives françaises de tenir compte des jugements rendus par un tribunal étranger relativement à l'état et à la capacité des personnes sauf à ce qu'ils aient fait l'objet d'une déclaration d'inopposabilité, laquelle ne peut être prononcée que par le juge judiciaire, ou, à établir l'existence d'une fraude ou d'une situation contraire à la conception française de l'ordre public international. A supposer que le ministre invoque l'existence d'une telle situation, il ne ressort pas des pièces du dossier que le jugement de délégation de puissance paternelle, c'est-à-dire d'autorité parentale, rompe tout lien avec la mère de l'enfant ou lui ôte son autorité parentale.

9. D'autre part, Mme A établit percevoir, à la date de la décision attaquée, un revenu mensuel d'environ 1 920 euros et avoir déclaré un revenu de 18 820 euros pour l'année 2021 pour un foyer composé de trois personnes, dont deux enfants. Dans ces conditions, la requérante doit être regardée comme étant en mesure de justifier de ressources nécessaires pour accueillir une enfant supplémentaire au sein du foyer.

10. Il suit de là que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à solliciter que soit substitué l'un ou l'autre de ces motifs à celui de la décision attaquée.

11. Il résulte de ce qui précède que Mme A est fondée à demander l'annulation de la décision attaquée.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. Le présent jugement, eu égard au motif d'annulation retenu, implique nécessairement qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de faire délivrer à Aida Arame Sy le visa de long séjour sollicité. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au ministre de faire délivrer à l'intéressée ce visa dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.

Sur les frais d'instance :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à Mme A au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de faire délivrer à Aida Arame Sy le visa de long séjour sollicité, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.

Article 3 : L'Etat versera à Mme A la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à Mme B A et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 30 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Rimeu, présidente,

M. Guilloteau, conseiller,

Mme Louazel, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 février 2023.

La rapporteuse,

M. C

La présidente,

S. RIMEU

La greffière,

S. JEGO

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

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