AVIS DE Mme PIERI-GAUTHIER, AVOCATE GÉNÉRALE
Arrêt n° 1060 du 14 novembre 2024 (B+R) –
Deuxième chambre civile Pourvoi n° 22-22.855⚖️ Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles du 15 septembre 2022 Mme [C] [T] C/ La MDPH du Val d'Oise _________________
Audience du 2 octobre 2024, formation restreinte
Pour l'exposé détaillé des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au rapport de M. le conseiller rapporteur. Le pourvoi pose dans son premier moyen et au visa des articles L. 245-3, L. 245-12 (dans sa version issue de la loi 2015-1776 du 28 décembre 2015) et D. 245-8 du code de l'action sociale et des familles la question des conditions de versement de la prestation de compensation du handicap (PCH) lorsque celle-ci à vocation à rémunérer un membre de la famille qui se trouve être le tuteur de la personne handicapée bénéficiaire de la prestation.
1
Le second moyen n'est que la conséquence du premier en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande de la tutrice de voir fixer le montant des salaires dus par le département. Mise en place par la
loi 2005-102 du 11 février 2005🏛 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, (modifiée par la
loi 2020-220 du 6 mars 2020🏛) la prestation de compensation du handicap (PCH) est une aide financière destinée à compenser la perte d'autonomie dans la vie quotidienne et sociale. Elle a pris la suite de l'allocation compensatrice qui existait depuis la
loi 75-534 du 30 juin 1975🏛 et qui en tant que prestation d'aide sociale, comportait une double finalité : compenser les dépenses supplémentaires que peuvent exposer les personnes handicapées qui ont recours à une tierce personne ou qui exercent une activité professionnelle. Selon l'
art L. 245-1 du code de l'action sociale et des familles🏛 (dans sa version issue de la
loi du 14 octobre 2015🏛 applicable au litige) : « Toute personne handicapée résidant de façon stable et régulière en France métropolitaine, dans les collectivités mentionnées à l'
article L. 751-1 du code de la sécurité sociale🏛 ou à Saint-Pierre-etMiquelon, dont l'âge est inférieur à une limite fixée par décret et dont le handicap répond à des critères définis par décret prenant notamment en compte la nature et l'importance des besoins de compensation au regard de son projet de vie, a droit à une prestation de compensation qui a le caractère d'une prestation en nature qui peut être versée, selon le choix du bénéficiaire, en nature ou en espèces ». Le financement de cette mesure repose sur la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), établissement public, créé par la
loi 2004-626 du 30 juin 2004🏛 en charge de l'accompagnement des politiques publiques à destination des personnes âgées et handicapées (et dorénavant de la 5 e branche de la sécurité sociale, la branche autonomie). À ce titre, elle verse aux départements des concours financiers (qui obéissent à une certaine péréquation) ; Concrètement l'instruction de la demande de PCH est effectuée par la MDPH du lieu de résidence du demandeur, la décision d'accorder ou non la prestation demandée est prise par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées. Enfin la prestation est liquidée par le département. L'
article L 245-2 du code de l'action sociale et des familles🏛, dispose ainsi : « la prestation de compensation est accordée par la commission mentionnée à l'article L. 146-9 et servie par le département où le demandeur a son domicile de secours ou, à défaut, où il réside, dans des conditions identiques sur l'ensemble du territoire national... » 1- Les conditions d'attribution de la PCH lorsqu'elle est affectée à des charges liées à un besoin d'aides humaines Aux termes de l'
article L. 245-3 du code de l'action sociale et des familles🏛 (dans sa version applicable au litige) la PCH peut être affectée ; dans des conditions définies par décret à des charges 1° liées à un besoin d'aide humaines y compris le cas échéant, celles apportées par les aidants familiaux.... »
2
L'
article L. 245-12 du code de l'action sociale et des familles🏛 dispose : « L'élément mentionné au1° de l'article L. 245-3 peut être employés selon le choix de la personne handicapée, à rémunérer directement un ou plusieurs salariés, notamment un membre de la famille, dans les conditions prévues au 2 e alinéa du présent article, ou à rémunérer un service prestataire d'aide à domicile ainsi qu'à dédommager un aidant familial qui n'a pas de lien de subordination avec la personne handicapée au sens du chapitre Ier du titre II du
livre 1er du code du travail🏛. La personne handicapée remplissant les conditions fixées par décret peut employer une ou plusieurs membres de sa famille, y compris son conjoint, son concubin ou la personne avec qui elle a conclu un pacte civil de solidarité dans des conditions fixées par décret. Lorsqu'elle choisit de rémunérer directement un ou plusieurs salariés, la personne handicapée peut désigner un organisme mandataire agréé dans les conditions prévues à l'
article L. 7232-1 du code du travail🏛 ou un centre communal d'action sociale comme mandataire de l'élément mentionné au premièrement de l'article L. 245-3 du présent code. L'organisme agréé assure pour le compte du bénéficiaire l'accomplissement des formalités administratives et des déclarations sociales liées à l'emploi de ses aides à domicile. La personne handicapée reste l'employeur légal ». L'
article D. 245-8 du code de l'action sociale et des familles🏛 dispose quant à lui : « En application du 2e alinéa de l'article L. 214-12, la personne handicapée ou si elle est mineure la personne qui en a la charge, peut utiliser les sommes attribuées au titre de l'élément lié à un besoin d'aide humaine de la prestation de compensation pour salarier un membre de la famille de la personne handicapée autre que le conjoint, concubin ou la personne avec laquelle elle a conclu un pacte civil de solidarité ou autre qu'un obligé alimentaire du 1 er degré, à condition que ce dernier n'ait pas fait valoir ses droits à la retraite et qu'il ait cessé ou renoncé totalement ou partiellement à une activité professionnelle pour être employé par la personne handicapée ou si elle est mineure la personne qui en a la charge. Toutefois, lorsque son état nécessite à la fois une aide totale pour la plupart des actes essentiels et une présence constante ou quasi constante due à un besoin de soins ou d'aide pour les gestes de la vie quotidienne, la personne handicapée majeure ou émancipée peut utiliser ces sommes pour salarier son conjoint son concubin la personne avec laquelle elle a conclu un pacte civil de solidarité ou un obligé alimentaire du 1er degré. Dans le cas où le membre de la famille salarié par la personne handicapée est son tuteur, le contrat de travail est conclu par le subrogé-tuteur ou, à défaut de subrogétuteur, pas un tuteur ad hoc nommé par le juge des tutelles. Le contrat de travail doit être homologué par le conseil de famille ou en l'absence de conseil de famille par le juge des tutelles. L'homologation du juge des tutelles est également requise si le juge a autorisé le majeur protégé à conclure lui-même le contrat de travail avec son tuteur ou lorsque le membre de la famille salariée par la personne handicapée est son curateur.» On comprend de ces textes que le bénéfice de la PCH obéit non seulement à des critères d'ordre médical, social, financier, administratif mais aussi, lorsque le projet de vie conduit à envisager l'emploi par la personne handicapée d'un de ses très proches parents ou alliés au respect de conditions précises.
2- Le rôle de la CDAPH et le rôle du conseil départemental
3
Le présent litige s'est noué non pas en raison d'une décision de la CDAPH puisque celle-ci avait attribué la PCH demandée, au titre de l'aide humaine, par décision du 26 octobre 2016 mais en raison de la décision du président du conseil départemental du 18 novembre 2016 de verser à la requérante une prestation financière en tant qu'aidante familiale non salariée et non en qualité de salariée directe. La cour d'appel a considéré que si les conditions de l'emploi direct de la mère de la personne handicapée étaient réunies « l'état de la majeure protégée, nécessite à la fois une aide totale pour la plupart des actes essentiels et une présence constante ou quasi constante due à un besoin de soins ou d'aide dans les gestes de la vie quotidienne » en revanche elle a constaté « qu'au jour de l'audience il n'est justifié d'aucun contrat de travail conclu par le subrogé tuteur et encore moins d'une homologation du contrat par le conseil de famille ou le juge des tutelles... » Le moyen soutient que la conclusion du contrat de travail et son homologation doive intervenir qu'après la décision d'attribution de la prestation de compensation du handicap et ne constitue donc pas les conditions qui doivent être remplies à la date de la demande. En réalité, il me semble que le moyen fait une confusion entre d'une part la décision d'attribution de la prestation de compensation du handicap qui relève de la compétence de la CDAPH et la décision de versement de la prestation qui relève de la compétence du président du conseil départemental. Comme indiqué ci-dessus, la procédure se déroule en deux temps : premier temps au cours duquel sur la demande de la personne handicapée, la CDAPH décide de l'attribution ou non de la PCH au regard de considérations d'ordre médical tenant à l'existence d'un handicap et d'un besoin de compensation, deuxième temps lorsque sur nouvelle demande de la personne handicapée, le département décide du versement de la prestation après avoir contrôlé que les conditions d'ordre administratif (résidence, âge, non-cumul avec d'autres droits etc) sont remplies. Le présent litige ne concerne pas les conditions d'attribution de la prestation mais les conditions de sa liquidation c'est à dire de son versement effectif. A ce dernier stade, le département, s'il ne peut remettre en cause la décision de la CDAPH portant sur l'octroi de la PCH, dispose de prérogatives qui lui sont propres et qu'il doit exercer1. La jurisprudence du conseil d'Etat2 l'a rappelé à plusieurs reprises en ces termes : « il résulte des dispositions des
articles L. 245-2 et L. 241-6 du code de l'action sociale et des familles🏛 que si la prestation de compensation du handicap est accordée par la commission des droits et de l'autonomie des personnes 1
Cf, comme indiqué par M. le conseiller rapporteur les conclusion de M. LESSI rapporteur public sous C.E 19 mai 2017, n°402798 2
Jusqu'à la
loi n 2016-1547 du 18 novembre 2016🏛, L. 245-2 du code de l'aide sociale et des familles prévoyait que les décisions du président du conseil départemental relatives au versement de la prestation pouvaient faire l'objet d'un recours devant les commissions départementales d'aide sociale dans les conditions et selon les modalités prévues aux articles L. 134-1 à L. 134-10 du CASF (appel devant la commission centrale d'aide sociale puis recours en cassation devant le Conseil d'Etat). L'entier contentieux de la PCH est dorénavant dévolu aux juridictions de l'odre judiciaire : tribunal des conflits, 14 mars 2022, n 22-04.237.
4
handicapées, compétente pour apprécier si les besoins de l'adulte handicapé en justifient l'attribution, cette prestation est servie par le département où le demandeur a son domicile de secours ou, à défaut, où il réside. En vertu de l'
article L. 241-8 du même code🏛, les décisions du département chargé du paiement de la prestation de compensation sont prises conformément à la décision de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, " sous réserve que soient remplies les conditions d'ouverture du droit aux prestations ". A ce titre, il incombe au département de vérifier que les conditions administratives d'octroi de la prestation... sont réunies. Par suite, M. A...n'est pas fondé à soutenir que la décision de la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées de Paris du 19 mai 2015, lui accordant le renouvellement de la prestation de compensation du handicap, faisait obstacle à ce que la présidente du conseil de Paris mette fin à son droit à cette prestation »3. Ou encore « Comme pour toutes les prestations d'aide sociale, le versement de la PCH suppose une résidence stable et régulière sur le territoire national. Le département doit s'assurer que « les conditions administratives d'octroi de la prestation », y compris la condition de résidence stable et régulière en France posée par l'article L. 245-1 [du CASF], sont réunies. Il lui revient également, en application de l'
article D. 245-43 du code de l'action sociale et des familles🏛, de déduire, le cas échéant, du montant mensuel de la prestation de compensation attribuée au titre des charges liées à un besoin d'aides humaines, le montant de la prestation de sécurité sociale en espèces ayant le même objet que la personne handicapée perçoit et de définir, en application de l'
article R. 245-46 du même code🏛, le taux de prise en charge, de 80 ou 100 % selon la situation financière de la personne handicapée » 4. En l'espèce les conditions tenant à l'établissement d'un contrat de travail respectant les prescriptions réglementaires, sont des conditions administratives qu'il appartenait au département de vérifier. Dans ces conditions il m'apparaît que préalablement au versement effectif par le département, de la PCH qui lui avait été octroyée par la CDAPH, la requérante devait justifier que les conditions fixées à l'article D. 245-8 du code de l'action sociale et des familles étaient réunies et que notamment puisque la requérante se trouvait être la tutrice de la fille handicapée, qu'un contrat de travail avait bien été conclu par le subrogé tuteur ou un tuteur ad hoc puis homologué selon les modalités prévues. L'arrêt qui a constaté qu'à la date de l'audience, il n'était justifié par la requérante ni d'un contrat de travail ni d'une homologation n'encourt en conséquence selon moi aucune censure.
Avis : rejet
3
C.E, 31 juillet 2019,n°416729 (sur la condition de résidence du bénéficiaire de la prestation)
4
C.E 19 mai 2017, n°402798
5