Jurisprudence : TA Strasbourg, du 05-12-2022, n° 2206131

TA Strasbourg, du 05-12-2022, n° 2206131

A01458YZ

Référence

TA Strasbourg, du 05-12-2022, n° 2206131. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/90468592-ta-strasbourg-du-05122022-n-2206131
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Références

Tribunal Administratif de Strasbourg

N° 2206131

3ème chambre
lecture du 05 décembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 19 septembre 2022 et le 17 novembre 2022, M. A C, représenté par Me Dollé, demande au tribunal :

1°) de lui accorder l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler l'arrêté du 5 août 2022 par lequel le préfet de la Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et fixé le pays de destination, et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle de lui délivrer un titre de séjour ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai déterminé, au besoin sous astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros à verser à Me Dollé, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991🏛.

Il soutient que :

En ce qui concerne la décision de refus de séjour :

- il a été privé de la garantie d'un examen particulier de sa situation ;

- il appartient au préfet de produire la capture d'écran du logiciel " Themis " afin de vérifier que les médecins composant le collège de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ont délibéré de manière collégiale ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- le préfet a commis une erreur d'appréciation dans l'application des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛 ;

- c'est à tort que le préfet a considéré qu'il représentait une menace pour l'ordre public ;

- la décision méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛 ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛 ;

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- le préfet aurait dû engager la procédure d'avis prévue aux articles R. 611-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛 ;

En ce qui concerne la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire :

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans :

- le préfet n'ayant pas pris en compte les critères prévus par la loi pour prononcer cette interdiction, celle-ci est insuffisamment motivée ;

- elle procède d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaît son droit au respect de sa vie privée et familiale.

Par un mémoire en défense enregistré le 15 novembre 2022, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.

Le préfet de la Moselle fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛🏛🏛 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. E B,

- les observations de M. C,

- et les observations de Me Dollé, pour M. C.

Considérant ce qui suit :

1. M. C, ressortissant russe né en 1974, est entré en France le 16 juin 2018 muni d'un visa de court séjour. Il a sollicité une carte de résident sur le fondement de l'article L. 426-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛 ainsi que la carte de résident prévue à l'article L. 426-3 du même code. Par un jugement du 15 mars 2021, le tribunal a rejeté le recours exercé par l'intéressé contre la décision implicite rejetant ses demandes. Sa demande d'asile a été rejetée le 1er octobre 2019. Il a sollicité en dernier lieu les mêmes cartes de résident, un titre de séjour pour soins ainsi que son admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié, au titre des articles L. 425-9 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛🏛. Par un arrêté du 5 août 2022, le préfet de la Moselle a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. M. C demande au tribunal l'annulation de cet arrêté.

Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :

2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991🏛 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence (), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par la juridiction compétente ou son président ". Aux termes de l'article 61 du décret du 28 décembre 2020 pris pour l'application de la loi du 10 juillet 1991🏛 : " L'admission provisoire peut être accordée dans une situation d'urgence, (). L'admission provisoire est accordée par le président du bureau ou de la section ou le président de la juridiction saisie, soit sur une demande présentée sans forme par l'intéressé, soit d'office si celui-ci a présenté une demande d'aide juridictionnelle ou d'aide à l'intervention de l'avocat sur laquelle il n'a pas encore été statué ". Il y a lieu d'admettre M. C au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

Sur la légalité de la décision de refus de séjour :

En ce qui concerne le refus de délivrer un titre de séjour pour soins :

3. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛 : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article R. 425-11 de ce code : " Pour l'application de l'article L. 425-9, le préfet délivre la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ". Aux termes de l'article R. 425-13 du même code🏛 : " Le collège à compétence nationale mentionné à l'article R. 425-12 est composé de trois médecins, il émet un avis dans les conditions de l'arrêté mentionné au premier alinéa du même article. La composition du collège et, le cas échéant, de ses formations est fixée par décision du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Le médecin ayant établi le rapport médical ne siège pas au sein du collège. / Le collège peut délibérer au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle ". Aux termes, enfin, de l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016🏛 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛🏛🏛 : " Le collège peut délibérer au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle. / L'avis émis à l'issue de la délibération est signé par chacun des trois médecins membres du collège ".

4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que par un premier arrêté du 27 mai 2021, le préfet de la Moselle a refusé de délivrer à M. C un titre de séjour, sollicité notamment sur le fondement des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛, au motif que si son état de santé nécessite une prise en charge médicale, le défaut de cette prise en charge ne pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Cet arrêté, qui se prononçait également sur la demande de carte de résident sollicitée sur le fondement des dispositions de l'article L. 421-2, a été annulé par un jugement du 15 octobre 2021 du tribunal au motif que l'avis de la commission du titre de séjour, sollicité pour l'examen de cette dernière demande, n'était pas suffisamment motivé. L'arrêté du 5 août 2022 présentement contesté a été adopté à la suite du réexamen de la situation de M. C. La circonstance que le préfet de la Moselle, qui a saisi à nouveau la commission du titre de séjour pour avis, a également examiné la demande d'un titre de séjour pour soins sans solliciter une nouvelle fois l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), n'est pas de nature à établir, en l'espèce, qu'il n'a pas procédé à un examen particulier de la situation du requérant.

5. En deuxième lieu, il ressort de l'avis du collège de médecins de l'OFII du 11 février 2021 produit par le requérant que cet avis a été émis après délibération des trois médecins composant ce collège. Par suite, en l'absence de tout élément en sens contraire apporté par M. C, le moyen tiré de ce qu'il n'est pas établi que le collège aurait délibéré de manière collégiale doit être écarté.

6. En dernier lieu, les deux certificats médicaux établis les 1er septembre et 26 novembre 2021 par le docteur D, psychiatre au centre hospitalier de Jury, aux termes desquels M. C souffre d'un état de stress post-traumatique et l'arrêt de son suivi médical pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, ne sont pas suffisamment circonstanciés et n'établissent pas, par conséquent, qu'en refusant de lui délivrer une carte de séjour temporaire, le préfet de la Moselle a commis une erreur d'appréciation.

En ce qui concerne le refus de délivrance du titre de séjour prévu par l'article L. 426-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛 :

7. Aux termes de l'article L. 426-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛 : " L'étranger qui a servi dans une unité combattante de l'armée française se voit délivrer une carte de résident d'une durée de dix ans, sous réserve de la régularité du séjour ". Aux termes, par ailleurs, de l'article L. 412-5 du même code🏛 : " La circonstance que la présence d'un étranger en France constitue une menace pour l'ordre public fait obstacle à la délivrance et au renouvellement de la carte de séjour temporaire, de la carte de séjour pluriannuelle et de l'autorisation provisoire de séjour prévue aux articles L. 425-4 ou L. 425-10 ainsi qu'à la délivrance de la carte de résident et de la carte de résident portant la mention " résident de longue durée-UE " ". Il ressort de l'arrêté contesté que le préfet de la Moselle, après avoir relevé que M. C remplissait les conditions pour obtenir la carte de résident prévue par les dispositions précitées de l'article L. 426-2, a cependant refusé de lui délivrer cette carte en considérant que son comportement constituait une menace pour l'ordre public. M. C, qui le conteste, doit être regardé comme invoquant la méconnaissance, par le préfet de la Moselle, de ces dernières dispositions.

8. Il ressort des pièces du dossier que M. C, qui a servi au sein de la Légion étrangère du 27 décembre 2005 au 15 janvier 2010, a été placé en détention provisoire par un jugement du 6 novembre 2008 du tribunal de grande instance de Carpentras aux fins d'extradition vers la Russie, après l'émission le 11 octobre 2002 d'un mandat d'arrêt du tribunal d'Oussouriisk. Il a également fait l'objet d'un décret d'extradition du 2 mars 2009. Il ressort des pièces du dossier et des informations obtenues par le préfet de la Moselle auprès des services du ministère de l'Europe et des affaires étrangères que M. C a fait l'objet de poursuites pénales en Russie pour des faits qualifiés en droit français d'agressions sexuelles commises en réunion, faits pour lesquels il a été condamné le 19 mars 2014 à une peine d'emprisonnement de sept ans. Pour ce motif, le ministère des armées lui a retiré, le 27 novembre 2019, son certificat de bonne conduite. Si M. C soutient avoir bénéficié d'une réhabilitation, il ressort cependant des pièces du dossier et en particulier des décisions de justice produites par l'intéressé que cette réhabilitation partielle se rapporte uniquement à un jugement de non-lieu prononcé le 3 juin 2011 concernant des faits de viol, soit des faits différents de ceux pour lesquels il a été condamné en 2014. Par ailleurs, compte tenu de la nature des faits pour lesquels il a été condamné et qui viennent d'être rappelés, ainsi que de la peine qui lui a été infligée, le préfet de la Moselle n'a pas commis d'erreur d'appréciation en retenant que la présence en France de M. C constituait une menace pour l'ordre public.

En ce qui concerne la méconnaissance des articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛🏛 :

9. En premier lieu, aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛 : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine ". Aux termes, par ailleurs, de l'article L. 435-1 du même code🏛 : " L'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 ".

10. Il ressort des pièces du dossier que M. C, qui a servi au sein de la Légion étrangère de 2005 à 2010 avant son extradition en Russie, tel qu'exposé précédemment, séjourne en France depuis 2018 avec son épouse, qui est toutefois également démunie d'un titre de séjour, et avec leurs deux enfants nés en Russie en 2005 et en 2017. Il ressort également des pièces du dossier que M. C est hébergé seul au centre Emmaüs de Peltre depuis le 2 juin 2021 alors que sa famille est logée au foyer Amli à Metz. Si M. C se prévaut de son engagement auprès de la communauté d'Emmaüs de Peltre, auprès de laquelle il a travaillé en qualité de chauffeur manutentionnaire du 16 mai 2022 au 1er septembre 2022, il ne produit pas d'autres éléments démontrant son intégration à la société française ainsi que celle de sa famille. Dans ces conditions, il n'est pas fondé à soutenir qu'en refusant de lui délivrer un titre de séjour, le préfet de la Moselle a méconnu les dispositions précitées de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier l'existence de circonstances humanitaires ou de motifs exceptionnels. En particulier, contrairement à ce qu'il allègue, il n'est pas établi que les poursuites dont il a été l'objet en Russie et qui ont donné lieu à sa condamnation à une peine de prison ont un lien avec son engagement au sein de la Légion étrangère. Dès lors, il n'est pas fondé à soutenir que le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation dans l'application des dispositions précitées de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛. Enfin, M. C ne peut utilement soutenir, en tout état de cause, que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public dès lors que le préfet de la Moselle n'a retenu ce motif que pour refuser de lui délivrer la carte de résident prévue à l'article L. 426-2 de ce code🏛.

11. En second lieu, pour les mêmes motifs que précédemment exposés, M. C n'est pas davantage fondé à soutenir que le préfet de la Moselle a commis une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences de sa décision sur sa situation personnelle.

Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

12. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛 : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / () / 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ". Et aux termes de l'article R. 611-1 du même code🏛 : " Pour constater l'état de santé de l'étranger mentionné au 9° de l'article L. 611-3, l'autorité administrative tient compte d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ".

13. En premier lieu, il résulte des points 4 et 5 que le préfet de la Moselle a sollicité l'avis du collège de médecins de l'OFII avant d'adopter la décision contestée. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet aurait dû mettre en œuvre la procédure de demande d'avis prévue à l'article R. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛 doit être écarté.

14. En deuxième lieu, il résulte également des motifs exposés au point 6 que le préfet de la Moselle, en prononçant à l'encontre de M. C une obligation de quitter le territoire français, n'a pas méconnu les dispositions précitées du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛.

15. En dernier lieu, ainsi qu'exposé au point 10, il n'est pas établi qu'en adoptant une obligation de quitter le territoire français, le préfet de la Moselle a porté au droit de M. C au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels cette mesure a été prise et méconnu, ainsi, les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, si les deux enfants sont scolarisés en France, l'aînée étant inscrite en certificat d'aptitudes professionnelles " Métiers de la coiffure " et le cadet en classe de maternelle, il n'est fait état d'aucune circonstance particulière qui ferait obstacle à ce que leur scolarité et, de manière générale, leur vie familiale se poursuive hors de France, de sorte que leur intérêt supérieur serait méconnu. Par suite, M. C n'est pas fondé à soutenir que l'obligation de quitter le territoire français qu'il conteste a été prise en violation des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

16. En dernier lieu, la circonstance alléguée que l'épouse de M. C attend sa convocation à une audience devant la cour nationale du droit d'asile, laquelle a eu lieu le 4 novembre 2022, n'est pas de nature à établir l'erreur manifeste d'appréciation alléguée.

Sur la légalité de la décision refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire :

17. En se bornant à soutenir que sa situation familiale justifie l'octroi d'un délai de départ volontaire, M. C n'est pas fondé à soutenir, au regard de ce qui précède, que cette décision est entachée d'une erreur d'appréciation.

Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête :

18. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Il ressort des pièces du dossier que M. C, engagé comme légionnaire de première classe dans la Légion étrangère du 27 décembre 2005 au 15 janvier 2010, a participé aux opérations de la paix au Kosovo du 14 mai 2008 au 15 septembre 2008 sous l'égide de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) pour lesquelles il a reçu de cette organisation une décoration. Il ressort également des pièces du dossier que M. C a été convoqué, en Russie, à plusieurs reprises par le service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie (FSB) les 11 septembre 2017, 20 octobre 2017, 23 octobre 2017, 30 avril 2018, 19 mai 2018, 8 juin 2018, 11 juin 2018, 15 juin 2018 et 25 juin 2018, très vraisemblablement à raison de son engagement au sein de la Légion étrangère et de sa participation aux opérations menées par l'OTAN au Kosovo. Dans les circonstances très particulières de l'espèce, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen dirigé contre cette décision, M. C est fondé à soutenir que la décision fixant le pays de destination, en ce qu'elle prévoit qu'il devra rejoindre le pays dont il a la nationalité, c'est-à-dire la Fédération de Russie, méconnaît les stipulations précitées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

19. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛 : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11 ".

20. Il résulte des dispositions de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛 que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. Ainsi, la décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Par ailleurs, si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère.

21. En premier lieu, la décision attaquée vise les textes qui la fondent, notamment les articles L. 612-6 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛🏛. Elle indique les éléments de la situation personnelle du requérant qui ont été pris en considération, notamment le fait que M. C est présent sur le territoire français depuis quatre ans et un mois alors qu'il a vécu en Russie au moins trente-et-une années, qu'au regard de ses antécédents judiciaires, son comportement constitue une menace pour l'ordre public et qu'il ne justifie d'aucune circonstance humanitaire particulière. Ainsi, la décision est suffisamment motivée.

22. En second lieu, pour les motifs déjà exposés aux points précédents, et en l'absence de tout nouvel argument propre à la décision contestée, M. C n'est pas fondé à soutenir qu'en adoptant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, le préfet de la Moselle a commis une erreur manifeste d'appréciation ou méconnu son droit au respect de sa vie privée et familiale.

23. Il résulte de tout ce qui précède que M. C est uniquement fondé à demander l'annulation de la décision fixant le pays destination.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

24. Eu égard au motif d'annulation, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Moselle de réexaminer la situation de M. C dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Sur les frais d'instance :

25. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros hors taxes à verser à Me Dollé au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 et celles de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991🏛, sous réserve que ce dernier renonce à percevoir l'aide contributive de l'Etat.

D E C I D E :

Article 1 : M. C est admis à l'aide juridictionnelle provisoire.

Article 2 : L'arrêté du 5 août 2022🏛 du préfet de la Moselle est annulé uniquement en ce qu'il fixe comme pays de destination le pays dont M. C a la nationalité.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Moselle de réexaminer la situation de M. C dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Article 4 : L'Etat versera à Me Dollé la somme de 1200 (mille deux cents) euros hors taxe, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991🏛 relative à l'aide juridique, sous réserve que Me Dollé renonce à percevoir la somme correspondante à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Article 5 : Le surplus de la requête de M. C est rejeté.

Article 6 : Le présent jugement sera notifié à M. A C, à Me Dollé et au préfet de la Moselle. Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 21 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Julien Iggert, président,

M. Christophe Michel, premier conseiller,

M. Mohammed Bouzar, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 décembre 2022.

Le rapporteur,

M. BOUZAR

Le président,

J. IGGERT

Le greffier,

S. PILLET

La République mande et ordonne au préfet de la Moselle en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Strasbourg, le

Le greffier,

No 2206131

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