Il est un passage obligé du courant Droit & Littérature et malgré mes esquives je ne pouvais pas feindre de l’ignorer plus longtemps : Shakespeare est une source intarissable d’étude de la société Élisabéthaine et par conséquent de la sociologie et de la philosophie du droit de l’époque moderne.
Même si on n'y joue pas « à tribunal ouvert », on juge beaucoup dans le théâtre de Shakespeare, on condamne aussi très souvent. Richard II est destitué, Othello exécute Desdémone, Macbeth et Lady Macbeth assassinent Duncan, Brutus et Cassius sont condamnés par la plèbe romaine, « l'infidélité » de Hero est dénoncée le jour de ses noces dans
Beaucoup de bruit pour rien, un « témoignage accablant» atteste de la « culpabilité » d’Imogene
dans Cymbeline. Dans tous ces cas qui, du reste, en figurent bien d'autres, la pièce est l'occasion d'un débat argumenté sur l'opportunité de la décision puis du geste. A chaque fois, ce sont bien les actions des personnages qui sont évaluées et non les personnages eux-mêmes, introduit malicieusement Jean-Claude Dupas dans Dieu et mon droit, à propos du Marchand de Venise et de Mesure pour mesure.
Plus singulièrement, donc, si le marchand de Venise peut servir de bonne introduction à un cours d’initiation à la finance – la pièce montre en particulier que la finance est beaucoup plus que le simple calcul des intérêts composés ou du prix des options. Elle plonge dans les affaires de la cité- l’œuvre de Shakespeare est sans doute la plus exposée de l’auteur, celle qui consacrera le plus la doctrine juridique ; imaginez : quelle est la force exécutoire d’un contrat de prêt dont la garantie est le prélèvement sur le débiteur d’une livre de sa chair ? C’est ce dilemme, à la frontière du droit, de la clémence et du pardon ; du consentement, de la loi des contrats et de l’ordre public qui anime dès lors la réflexion quant au droit des obligations… et qui raisonne jusqu’à nos jours.
Crédits :
- Extraits du Marchand de Venise, film réalisé par Michael Redford, 2004
- Extraits du marchand de Venise, opéra de 1935, André Pernet, Orchestre Reynaldo Hahn