COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-8
ARRÊT AU FOND
DU 06 SEPTEMBRE 2023
N° 2023/ 349
N° RG 21/1Aa072
Ab
N° PorAcalis AdBVB-V-B7F-BAeSSE
[J] [L]
C/
[R] [N]
[M] [W]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Guillaume EVRARD
Me Sébastien
BADIE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de proximité de CANNES en date du 02 Novembre 2021 enregistrée au répertoire général sous le n° 11-20-1037.
APPELANTE
Madame [J] [L]
née le [Date naissance 3] 1941 à [Localité 8], demeurant [… …]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/3316 du 15/04/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)
représentée par Me Guillaume EVRARD, avocat au barreau de GRASSE
INTIMES
Monsieur [Rd] [N]
né le [Date naissance 1] 1958 à [Localité 5], demeurant [… …]
Madame [W] [W]
née le [Date naissance 2] 1957 à [Localité 7] (84), demeurant [… …]
représentés par Me Sébastien BADIE, membre de la SCP BADIE, SIMON-THIBAUD, JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Roselyne SIMON-THIBAUD, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, assistée de Me Gérard BENTATA, avocat au barreau de GRASSE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des
articles 805 et 907 du code de procédure civile🏛🏛, l'affaire a été débattue le 23 Mai 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Céline ROBIN-KARRER, Conseillère, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Philippe COULANGE, Président
Madame Céline ROBIN-KARRER, Conseillère
Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Af A.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Septembre 2023.
ARRÊT
Contradictoire, prononcée par mise à disposition au greffe le 06 Septembre 2023, signé par Monsieur Philippe COULANGE, Président et Madame Maria FREDON, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
M.[N] et Mme [W] ont, selon contrat de location meublée en date du 1er Juillet 2020, pris à bail auprès de Mme [Ab], un appartement meublé de 2 pièces sis à [Adresse 6], pour une durée d'une année moyennant un loyer mensuel de 750,00€, une provision mensuelle sur charges de 50,00 € et un dépôt de garantie de 700,00 €.
Un état des lieux d'entrée a été réalisé contradictoirement le 1er juillet 2020.
Alléguant que dès leur entrée dans les lieux le 12 Août 2020, ils ont du faire face à une infestation de punaises de lit, qui s'est propagée sur leurs effets personnels et les a gravement affectés dans leur intégrité corporelle, suivant exploit en date du 10 Décembre 2020, ils ont assigné Mme [L] devant le Tribunal de Proximité de CANNES aux fins de l'entendre condamnée, sous le bénéfice de 1'exécution provisoire, à payer les sommes de :
- 6.071,00 € arrêtée au 30 Novembre 2020, outre celle de 700,00 € par mois à compter du 1er Décembre 2020 et ce jusqu'à leur départ effectif des lieux ;
- 3.000,00 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice de jouissance subi par eux depuis le 1er Juillet 2020
- 1.500,00 € à Mme [W] à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice corporel;
- 1.500,00 € à M.[Ad] à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice corporel;
- 1.200,00 €,sur le fondement des dispositions de l'
article 700 du Code de Procédure Civile🏛, outre les entiers dépens.
Par jugement rendu le 2 novembre 2021, considérant que la preuve de l'infestation par les punaises de lit avant l'entrée dans les lieux des locataires est rapportée rendant le logement indécent, le Tribunal a :
REJETE les dernières écritures et pièces présentées par Mme [J] [L] et dit qu'il y a lieu de demeurer en l'état de ses écritures et pièces notifiées le 24 Mars 2021 ;
CONDAMNE Mme [J] [L] à payer à M.[N] et Mme [W] au titre de leur préjudice de jouissance sur les mois de juillet et août 2020 fixé à 400,00 € par mois, soit la somme totale de 800,00 € ;
CONDAMNE Mme [J] [L] à payer à M.[N] et Mme [W] au titre du remboursement de la literie la somme de 1.621 ,00 € ;
CONDAMNE Mme [J] [L] à payer à M.[Ad] au paiement de la somme de 300,00 € à titre de dommages et intérêts, en réparation de son préjudice corporel;
CONDAMNE Mme [J] [L] à payer à Mme [W] au paiement de la somme de 300,00 € à titre de dommages et intérêts, en réparation de son préjudice corporel;
DEBOUTE M.[N] et Mme [W] du surplus de leurs demandes;
DEBOUTE Mme [J] [L] de ses demandes reconventionnelles;
DECLARE n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de Procédure Civile au profit de 1'une quelconque des parties;
DIT que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit et qu'il n'y a pas lieu de l'écarter;
CONDAMNE Mme [J] [Ab] aux dépens, lesquels seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle.
Par déclaration au greffe en date du 21 décembre 2021, Mme [L] a interjeté appel de cette décision.
Elle sollicite:
INFIRMER le jugement en date du 2 Novembre 2021 rendu sous le numéro RG 11-20-001037 par le Tribunal de proximité de CANNES en ce qu'il :
REJETTE les dernières écritures et pièces présentées par Mme [J] [L] et dit qu'il y a lieu de demeurer en l'état de ses écritures et pièces notifiées le 24 Mars 2021;
CONDAMNE Mme [J] [L] à payer à M.[N] et Mme [W] au titre de leur préjudice de jouissance sur les mois de juillet et août 2020 fixé à 400,00 € par mois, soit la somme totale de 800,00 € ;
CONDAMNE Mme [J] [L] à payer à M.[N] et Mme [W] au titre du remboursement de la literie la somme de 1.621,00 € ;
CONDAMNE Mme [J] [L] à payer à M.[Ad] au paiement de la somme de 300,00 € à titre de dommages et intérêts, en réparation de son préjudice corporel;
CONDAMNE Mme [J] [L] à payer à Mme [W] au paiement de la somme de 300,00 € à titre de dommages et intérêts, en réparation de son préjudice corporel;
DEBOUTE Mme [J] [L] de ses demandes reconventionnelles;
DIT que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit et qu'il n'y a pas lieu de l'écarter:
CONDAMNE Mme [J] [Ab] aux dépens, lesquels seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle.
ET STATUANT DE NOUVEAU
JUGER que M.[N] et Mme [W] ne rapporte pas la preuve de l'existence des punaises de lit lors de la prise de possession du logement donné à bail ;
JUGER en conséquence que la présence de punaises de lit dans le logement résulte d'une cause étrangère qui est imprévisible, extérieure et irrésistible au bailleur
JUGER qu'en faisant obstacle à la désinfection du logement donné à bail, M.[N] et Mme [W] ne peuvent prétendre à aucun trouble de jouissance ;
DEBOUTER en conséquence M. [N] et Mme [W] de leur demande de condamnation de Mme [L] au paiement de dommages et intérêts au titre d'un prétendu trouble de jouissance; JUGER que M.[N] et Mme [W] ne subissent aucun préjudice au titre du changement de la literie ;
DEBOUTER en conséquence M.[N] et Mme [W] de leur demande de condamnation de Mme [L] au paiement de la somme de 1.621,00 € à ce titre ;
DEBOUTER en conséquence, M.[N] et Mme [W] de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
CONDAMNER, en application de l'
article 37 de la Loi n° 91-647 du 10 juillet 1991🏛, M.[Ad] et Mme [W] au paiement au profit de Maître EVRARD d'une somme de 2.00,00 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNER M.[Ad] et Mme [W] aux entiers dépens ;
A l'appui de son recours, elle fait valoir :
-qu'elle n'a pas manqué à son obligation de délivrance d'un logement décent dans la mesure où les punaises de lit étant véhiculées par l'homme l'origine de l'infection d'un logement ne peut qu'être ignorée, la présence de punaises résulte de la force majeure, elle a fait diligence pour éradiquer les insectes et reloger les locataires,
-que les locataires ne rapportent pas la preuve de l'infestation dès leur entrée dans les lieux en effet l'état des lieux d'entrée ne mentionne nullement l'existence d'un lit, tout au plus ils établissent cette infestation à compter du 5 août 2020 date du premier certificat médical,
-que du fait du confinement de mars 2020l'appartement est resté inoccupé durant de nombreux mois et ne pouvait donc pas être infesté,
-qu'elle s'est dès le mois d'août rapprochée d'une société pour traiter l'appartement et a même réservé une chambre d'hôtel pour ses locataires qui ont annulé le rendez vous et ne lui ont plus donné de nouvelles jusqu'à la mise en demeure qui a donné lieu aux traitements d'octobre et novembre,
-qu'en tout état de cause les locataires ne justifient pas du préjudice qu'ils allèguent,
-qu'elle verse un constat d'huissier réalisé après le départ des locataires qui atteste que le logement n'est pas infecté.
M.[N] et Mme [W] concluent :
DEBOUTER Mme [Ab] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
CONFIRMER en toutes ses dispositions le Jugement dont appel rendu par le Tribunal de Proximité de CANNES le 2 novembre 2021 sauf en ce qu'il :
>
Réformant de ce chef le Jugement dont appel et statuant à nouveau,
RECEVOIR l'appel incident de M.[N] et Mme [W],
Le DÉCLARER fondé et,
CONDAMNER Mme [Ab] à payer aux concluants :
- la somme de 3.750 € arrêtée au 30 novembre 2020, correspondant au remboursement des loyers réglés pour la période de juillet à novembre 2020 inclus,
CONDAMNER Mme [Ab] à payer à M.[N] et à Mme [W] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de Maître Sébastien BADIE.
Ils soutiennent :
-que dès leur entrée dans les lieux loués le 12 juillet 2020 ils ont dû faire face à une infestation de punaises de lit qui s'est propagée à leur affaires personnelles et a porté atteinte à leur intégrité corporelle (traitement médical dès le 5 août, changement complet de literie le 25 juillet) alors même que leur logement précédent était sain,
-que l'entreprise de désinfection a dû intervenir à trois reprises en octobre et novembre 2020,
-qu'en raison de la pandémie ils n'ont pu trouver à se reloger qu'en décembre 2020,
-que leur bailleur a manqué à son obligation de délivrance d'un logement décent et de jouissance paisible mettant en péril leur santé, déjà fragile,
-que s'ils n'ont pas donné suite au rendez vous de désinfection de fin août c'est parce que l'état de santé de Monsieur s'est dégradé durant cette période, empêchant tout déplacement hors du domicile, qu'ainsi ils doivent être indemnisés sur toute la durée de la location et pas seulement sur les mois de juillet et août comme retenu en première instance,
L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 mai 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le manquement du bailleur à la délivrance d'un logement décent
Il résulte de l'
article 1719 du code civil🏛 que le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent... d'entretenir la chose louée en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée et d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.
Si une invasion de punaise de lit est attentatoire à la décence du logement, elle ne peut être reprochée au bailleur que si elle provient du logement lui même et n'a pas été importée par le locataire.
En l'espèce, il résulte des pièces versées aux débats:
-que le logement n'avait pas été loué depuis des mois avant l'entrée dans les lieux des locataires du fait de la pandémie liée au COVID 19,
-que les locataires sont entrés dans les lieux le 12 juillet 2020, date à laquelle Mme [W] a quitté sa loge de concierge, laquelle a toujours été en très bon état de propreté sans punaise de lit comme en atteste le syndic de l'immeuble où elle travaillait.
Cette attestation, comportant le cachet du cabinet [V] une date et une signature, outre la relation des faits, qui ont été constatés, est parfaitement valable, quand bien même elle ne serait pas écrite de la main de son auteur ou ne serait pas accompagnée d'un document officiel justifiant de l'identité de ce dernier, conformément aux dispositions de l'
article 202 du code de procédure civile🏛, l'appelante ne justifiant pas en quoi ces irrégularités formelles lui feraient grief.
En outre, les locataires ont procédé au changement de la literie le 25 juillet 2020 et Mme [W] verse aux débats un certificat médical du 5 août 2020 duquel il résulte la présence de lésions sur sa personne dues à des piqûres d'insectes.
En conséquence, retenant la quasi concomitance entre l'entrée dans les lieux et l'apparition des lésions subies par Mme [W], alors même qu'il est établi l'absence de punaise de lit dans le précédent appartement des locataires, c'est à juste titre que le premier juge a dit que la preuve était rapportée de l'infestation des lieux loués préalablement à l'emménagement des locataires.
Il paraît, en effet, peu probable que dans un laps de temps aussi court, des tiers visitant les locataires aient introduit ces insectes ou que ces derniers aient été rapportés au domicile par les locataires eux mêmes.
Aussi, c'est valablement que le premier juge a retenu que le bailleur avait manqué à son obligation de délivrance d'un logement décent, causant préjudice à ses locataires.
Sur la demande de remboursement des loyers et de la literie
Il résulte de l'
article 20-1 de la loi du 6 juillet 1989🏛 que si le logement loué ne satisfait pas à l'obligation de louer un logement décent, le locataire peut demander au propriétaire sa mise en conformité sans qu'il soit porté atteinte à la validité du contrat en cours. Le juge peut réduire le montant du loyer ou suspendre son paiement et la durée du bail jusqu'à l'exécution des travaux.
En l'espèce, les locataires sollicitent le remboursement de l'intégralité du loyer payé de juillet à novembre 2020, outre le remboursement des frais de remplacement de la literie.
Or si la désinfection du logement n'a eu lieu que courant octobre et novembre 2020, le premier juge a parfaitement retenu que dès le 20 août 2020, le bailleur avait programmé une intervention de traitement de l'appartement pour le 28 août, qui n'a pu avoir lieu du fait de l'annulation des locataires.
Ces derniers ne justifient nullement avoir été dans l'impossibilité de quitter le logement, à cette date du 28 août, du fait de l'aggravation de l'état de santéNde M.[N].
En effet, le certificat médical du docteur [H] indique que M.[Ad] 'présente un syndrome de la charnière au-dessus de la dernière arthrodèse entraînant des douleurs qui nécessite un traitement par morphine depuis 2012, qui a nécessité des adaptations par le patient avec modification transitoire des posologies durant l'été 2020 pour allégation d'épisodes hyperalgiques', sans établir qu'il aurait été dans l'impossibilité de quitter son logement durant le temps nécessaire au traitement de son appartement durant l'été 2020.
En conséquence, le premier juge a, à juste titre, retenu que le manquement du propriétaire à son obligation d'assurer la jouissance paisible du logement à ses locataires a porté sur les mois de juillet et août 2020 et l'a, valablement, condamné à payer la somme de 800€ à ce titre.
Les locataires justifiant avoir procédé le 25 juillet 2020 à l'acquisition d'une nouvelle literie en remplacement de celle garnissant le logement meublé loué, qui, suivant constat d'huissier du 31 décembre 2020, a bien été laissée sur place à leur départ, le jugement est confirmé en ce qu'il a condamné la bailleresse à rembourser à ses locataires la somme de 1 621€ à ce titre.
Sur la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice corporel
Retenant que les locataires ont subi un préjudice corporel du fait des piqûres et des démangeaisons endurées, lesquelles ont nécessité un traitement médical, sans que M.[N] ne justifie de l'aggravation de son état de santé général en rapport avec l'infestation dénoncée dans les lieux loués, c'est à bon droit que le premier juge leur a alloué à chacun la somme de 300€ à ce titre.
Sur les autres demandes
Il n'y a pas lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme [Ab] est condamnée aux entiers dépens d'appel, avec distraction au profit de Me BADIE.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe, en dernier ressort,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 2 novembre 2021 par le Tribunal de proximité de CANNES,
Y ajoutant,
DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,
DIT n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure Civile,
CONDAMNE Mme [L] aux entiers dépens de l'appel recouvrés au profit de Me BADIE, avocat.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT